Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...
1 Avril 2015
Nous en étions restés à une structuration en deux couples de nos 4 pulsions élémentaires.
D’une part les pulsions attaque/fuite au niveau le plus élémentaire de nos réactions, et un second couple, recherche/panique d’un niveau plus évolué.
Bien entendu, il s’agit d’un classement extrêmement sommaire, mon objectif étant avant tout de voir si l’organisation fonctionnelle de notre cerveau, dans ses structures les plus primitives, préfigure, bien en dessous du seuil de conscience :
Il ne faut donc pas être dupes de nous-mêmes : nous avons trouvé ce que nous cherchions. En regroupant nos 4 pulsions élémentaires par paires antagonistes et en caractérisant une distance diachronique entre les systèmes attaque/fuite et recherche/panique ; nous n’avons rien « expliqué ». Néanmoins, ceci permet d’y voir une ébauche de notre façon de penser consciente, telle que nous l’avons reconstituée à partir du langage : le « conscient » structure sa représentation de « l’inconscient » selon sa propre forme… Il ne faut donc pas s’étonner de retrouver Lacan, pour qui « l’inconscient est articulé comme un langage ».
Le point mérite que l’on y insiste.
Prenez le couple des pulsions attaque/fuite.
Nous discriminons deux pulsions dont le siège est dans l’amygdale (la partie médiane pour l’attaque et les parties latérale et centrale pour la fuite), qui excitent des zones très voisines dans la partie dorsale de la substance grise périaqueducale (SGPA) située dans les profondeurs du tronc cérébral autour de l’aqueduc de Sylvius (d’où son nom). Donc, du point de vue anatomique : nous discriminons des neurones extrêmement proches les uns des autres, excitant la zone dorsale du SGPA, siège des sensations désagréables (par opposition à la zone ventrale, siège des sensations agréables). Par ailleurs, quelques effets des deux systèmes sont similaires : l’un comme l’autre accélère le rythme cardiaque etc. Ce rappel, juste pour dire que la différenciation entre les deux systèmes tient plus à notre besoin de classer pour « comprendre » les émotions et actions causes et conséquences de l’activation de tel ou tel groupe de neurones, que d’une distinction « essentielle » dans leur nature. Nous sommes ici comme partout acteurs de nos observations. Avec cette difficulté supplémentaire que nous sommes également l’objet de cette observation.
Mais l’aspect diachronique que nous avons caractérisé n’épuise certainement pas le sujet : qu’en est-il des processus purement synchroniques du schéma.
C’est ce que nous allons voir.
Rappel : une « action synchronique » peut se ramener au schéma du jeu du « fort/da » dans lequel Freud repéra l’automatisme de répétition.
Pour un ingénieur, comme moi, cette représentation rappelle immédiatement les « boucles de rétroaction » ou feed-back des amplis OP de ma jeunesse :
Bref, je vais surmonter ma nostalgie de vieux barbon et vous épargner les images qui me viennent des premiers ordinateurs, dont chaque bit, utilisant cette technologie, tenait plus de place que le PC grâce auquel j’écris ce billet. Retenons simplement que nous avons là le principe élémentaire de ce qui constitue une « mémoire » pour l’informaticien : un système qui peut basculer d’un état (0/1) à l’autre en réponse à une excitation et préserver son état en l’absence d’excitation. Toute l’astuce étant d’assurer cette persistance de l’information, alors que sa cause a disparu.
Et bien, dans le cerveau, le stockage des informations se fait selon un principe similaire : une cellule A active une cellule B, qui en retour, active la cellule A. Maintenant, bien entendu, l’inscription des informations, leur stockage, comme leur lecture sont, comme vous l’imaginez, bien plus complexes. Mais c’est la base du système.
C’est dire que nous retrouvons ici, dans notre cerveau une organisation de la mémoire à base de circuits fermés de neurones.
C’est dire que l’on retrouve au stade le plus élémentaire de l’organisation de la mémoire dans le cerveau, l’automatisme de répétition de Freud, exactement tel que nous l’avions pris en compte dans notre schématisation d’une action synchronique.
En ce sens, le cerveau est d’une façon générale constitué de « groupes » de neurones (la matière grise des « noyaux » du diencéphale et du mésencéphale et des « couches » du cortex) fortement interconnectés et reliés les uns aux autres pour former d’autres bouclages (des boucles de boucles). Autrement dit, notre cerveau est une mémoire structurée par niveaux.
En ce sens, le terme de « mémoire » n’est pas très discriminant car tout est mémoire. Même les phénomènes de perception sont indissociables de notre mémoire. Je n’y insisterai pas ici, mais il est de fait que nous reconnaissons plus que nous percevons notre environnement.
C’est pourquoi, la distinction que nous faisons entre synchronie / diachronie pourrait être utile au neuropsychologue, car elle permet de systématiser la description des processus neuronaux d’une façon simple, en utilisant toujours le même schéma élémentaire.
Revenons, pour en faire la démonstration, sur l’analyse des 2 pulsions les plus primitives d’attaque/fuite.
Au niveau de l’amygdale, que fait notre système attaque/fuite ?
Nous voyons que l’on retrouve assez simplement la structure sénaire précédente.
Cette mise en perspective va nous permettre de préciser un peu plus la structure intime du phénomène de mémorisation.
Le processus de choix entre attaque/fuite, que nous venons de décrire n’est ni immédiat, ni aussi tranché que le langage nous pousse à le penser.
Regardez par exemple, sur cette vidéo la réponse du caissier au braqueur qui le menace :
Réponse complexe, bien sûr, qui montre qu’outre la peur qu’il doit ressentir (SGPA = > amygdale), il cherche une issue au problème (amygdale = > cortex) que lui pose l’agresseur, tandis que sa peur s’entretient (amygdale = > SGPA). Le caissier est partagé entre attaquer et fuir. Cette hésitation dans la réponse se traduit par des débuts d’actions, qui restent inabouties, et des mouvements d’aller-retour dans l’espace confiné où il est coincé (répétition synchronique). Puis il trouve sa batte de base-ball (cortex = > amygdale) et attaque (amygdale = > SGPA). Sa réponse s’est précisée, et se renforce en fonction de la réponse du braqueur qui, de son côté recule, pour fuir très vite.
Au niveau de l’observateur extérieur (nous, spectateurs de cette vidéo), La situation entre les deux protagonistes peut se schématiser ainsi :
Au niveau du caissier, le choix est bien entre attaquer/fuir, et la décision dépend des deux niveaux cortex/SGPA qui encadrent l’amygdale.
On peut retrouver dans ce jeu synchronique élémentaire, l’articulation des différents aspects de la mémoire à court terme MCT tels qu’ils sont caractérisés par les neuropsychologues, comprenant :
Ce que nous pouvons schématiser ainsi :
La mémoire à long terme MLT quant à elle se constitue à partir de la mémoire tampon, grâce à différents processus de consolidation mnésique sur lesquels nous reviendrons.
Pour en rester à la mémoire à court terme, il est bien évident que le schéma précédent reste très grossier. Malgré tout, il va peut-être nous permettre de différencier entre les connexions neuronales celles qui sont purement « synchroniques », et forment une « mémoire » et celles qui sont impliquées dans des processus « diachroniques ».
Lorsque je parle d’actualiser un état parmi un ensemble d’états potentiels, à quel processus neurologique puis-je donc faire référence ? Évidemment aux interactions entre neurones proches :
Nous avons déjà parlé de leur proximité anatomique (pour les pulsions attaque/fuite, au sein de l’amygdale).
Ils sont également fortement interconnectés. Mais l’excitabilité de chacun d’eux dépend de son histoire. En effet, la fréquence des synapses entre neurones a une double conséquence :
Nous avons là le schéma général par lequel nous passons de la mémoire à court terme à la mémoire à long terme.
L’excitation ascendante (tronc cérébral = > amygdale) est globale et diffuse. C’est le seuil général de l’ensemble des neurones qui est abaissé en même temps. Et tout le groupe neuronal est impacté de façon indifférenciée. Nous avons une activation de type « état ». C’est l’état mental qui est influencé.
Par contre l’action descendante (cortex = > amygdale) est discriminante : le cortex active des fonctions « canal ».
Et bien, on peut caractériser un « groupe cellulaire » par une certaine homogénéité dans sa sensibilité aux actions « état » du niveau inférieur et « canal » du niveau supérieur.
Alors, notre schéma précédent d’un « niveau synchronique » peut être vu comme une réduction eidétique d’une situation plus complexe d’échanges élémentaires au niveau des neurones, du même « groupe/ anatomique » ou « système/ fonctionnel » ou « niveau/ structurel ».
Dans cette représentation plus fine : l’état actif de la mémoire tampon est la résultante d’une distribution des états élémentaires de chaque neurone, répondant chacun, en fonction de son histoire, à un ensemble de stimuli ascendant (internes SGPA = > amygdale) ou descendants (externes cortex = > amygdale). L’état potentiel de cette mémoire étant l’histoire incarnée dans l’ensemble des neurones, mise en éveil sous l’excitation ressentie.
Organisation élémentaire que l’on pourrait tenter de schématiser ainsi :
Par opposition aux relations synchroniques précédentes, les relations diachroniques entre groupes neuronaux peuvent se caractériser de la façon suivante :
Ceci se traduit pas des constantes de temps propres à chaque niveau différentes. Le passage à un niveau supérieur a pour effet de retarder la réponse. Le temps, pour le niveau supérieur d’élaborer une réponse (en fonction de sa mémoire propre, et selon le processus stochastique que nous venons de voir.)
C’est-à-dire que les processus ascendants (tronc = > amygdale) sont de type « état » et les processus descendants (amygdale = > SGPA) sont des processus « canal ».
Là encore, les constantes de temps sont différentes : les montées, moins ciblées sont plus lentes, les descentes fonctionnent comme des décharges.
Je pense qu’à partir de ces quelques remarques, il doit être possible de généraliser cette approche à l’ensemble des fonctions cérébrales.
Ça prend forme, non?
Hari
PS : Relecture le 2018 / 05 / 15
Je relis cet article, par curiosité, car il est relu ces jours-ci par certains d'entre vous. J'ai du mal à reconnaître ma propre écriture, tellement je me suis éloigné de ces réflexions sur la neurologie pour me concentrer sur la théorie des catégories. Il faudrait que je replonge dans la description du cortex pour situer correctement tous les mots que j'employais alors pour le décrire... Je n'avais pas lu à l'époque "L'Homme neuronal" de J-P Changeux, mais ce que je dis recoupe ce qu'il avait observé : la conscience d'un objet (au sens large d'état du Monde) est la rencontre d'un percept (un processus lié à la perception de l'environnement extérieur) et d'un concept (une image mentale déjà acquise).
Le percept est lié à un processus d'acquisition, en relation avec la notion de temps, tandis que le concept retenu est l'activation d'un état parmi d'autres (potentiels) déjà enregistrés, sur le mode d'un repérage topologique.
Ces réflexions d'alors recoupent ainsi mes interrogations les plus récentes concernant par exemple la prise de conscience du Sujet, et tout récemment celle de l'objet. Toujours cette différenciation synchronie / diachronie, que je retrouvais même, à un niveau plus global du fonctionnement du cerveau (voir ici: nos deux cerveaux).
Et donc, pour synthétiser ma réflexion :
D'où l'intérêt de ce niveau Imaginaire I01 que j'ai défini dans mon dernier article "les matheux n'aiment pas les objets". C'est :
Préoccupé par le temps, je ne me suis pas assez intéressé à l'espace, qui me semblait plus immédiatement accessible, alors qu'il n'en est rien ! Il me faut maintenant me concentrer sur cet espace, et sur l'arrangement diachronique des différentes étapes de sa structure dans notre cerveau, que l'on doit en toute rigueur retrouver dans le langage mathématique (voir déjà quelques billets à ce sujet, celui-ci par exemple : les objets de la géométrie d'Euclide).
Soit je suis parano et ma pensée tourne en boucle (un peu certainement puisqu'elle se rapporte à moi !); soit il y a derrière tout ceci un fond de vérité qui peut être compris par l'autre, vous chers lecteurs ;-)