Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...
19 Juin 2016
Célia m'a offert ce livre, dont m'avait déjà parlé Virginie, mais que je n'avais pas lu. Un peu trop de prévention pour cette vague "quantique" qui s'infiltre dans le "New Age" de ma jeunesse. O temporal o mores comme dit l'autre.
Bref, j'avais tort car ce livre m'a mis en tête une problématique qui m'est étrangère.
L'auteur est un toubib de culture indienne, ce qui lui permet de porter un regard oriental sur l'approche occidentale, "rationnelle" de la médecine. Et il s'interroge sur le rapport entre le malade et la maladie.
En fait il situe sa réflexion à l'échelle moléculaire, celle de la chimie. Et que nous dit-il ? Que l'esprit influence la chimie de notre corps. Avec un peu de réflexion, c'est assez évident: une simple peur influe sur le rythme cardiaque, ce qui nécessite l'intervention de médiateurs chimiques etc. (je n'entre pas dans les détails, qui sont bien décrits dans le livre). Ce qui interpelle, c'est la variété phénoménale des types de molécules qui, à partir de notre ADN, sont fabriqués au fur et à mesure de nos besoins, tels qu'ils s'expriment consciemment ou non, de façon pertinente (bonne santé) ou non (maladie).
Or, cette variété quasi infinie des molécules en jeu, la complexité des mécanismes auxquels ils participent, de façon concomitante pour répondre à un seul besoin, même élémentaire, ne permettent pas de mettre à jour un lien causal simple pour passer de la pensée à son expression chimique. D'où l'idée qui lui vient de dire qu'il existe un "effet quantique" permettant de "sauter" de l'esprit au corps. Et il suppose une "intelligence" qui lierait l'un à l'autre.
Chopra illustre le mécanisme de cette façon:
Nous avons bien les deux instances "corps" et "esprit", au-dessus d'une espèce de "barrière quantique" sous laquelle agirait en catimini une "intelligence"; qui assurerait le passage de l'esprit à la matière (je ne peux m'empêcher de penser à la main invisible d'Adam Smith). Au-delà de tout ce qui est discutable dans la tentative d'explication, ce qui m'intéresse ici, c'est ce saut entre l'esprit et le corps. Le médecin constate une rupture dans la chaîne des causalités, il en décrit de nombreux exemples. Et l'image, métaphorique qui lui vient, c'est la dualité onde - corpuscule, qu'il représente ainsi:
Et si le schéma reste discutable, de même que l'idée qu'il a du phénomène quantique, d'ailleurs, le rapprochement en lui-même entre les deux phénomènes fait sens.
Je dis que Chopra est dans l'erreur parce qu'il réduit la différence onde/corpuscule à une question de quantité (le phénomène ondulatoire n'apparaissant, d'après lui que si les photons sont nombreux; ce qui est erroné: un photon peut interférer avec lui-même, voir l'article onde et corpuscule); mais encore une fois, ce n'est pas l'important.
Une autre erreur de Chopra, c'est de croire qu'il n'y a qu'un seul saut quantique, précisément au niveau qu'il considère. Pour lui, les différents niveaux d'organisation du corps, hormis ce saut initial, s'enchaînent de façon "rationnelle": de la cellule au tissu, puis à l'unité fonctionnelle etc. Ce qui se traduit dans le schéma suivant:
Pour qui m’a suivi jusqu’ici, il est bien évident qu’à chaque passage d’un niveau à l’autre, il y a par définition un "saut diachronique", c’est-à-dire, par essence "quantique". Ce que néglige Chopra, tout entier focalisé sur son domaine d’expertise.
Nous en avons parlé à différents niveaux de la physique, bien entendu, puisque le physicien est le précurseur (cf. entre autres le principe d'incertitude, ou le théorème de Noether.) Puis nous avons également retrouvé ce "saut quantique" à la charnière entre la psychanalyse et la neurologie, mais aussi à la charnière entre l'homme et la société. Ce qui permet par exemple d'apporter un regard neuf sur le concept de liberté.
Il y aurait sans doute un grand intérêt à reprendre toute la démarche de Chopra à partir de ce que nous avons développé ici, pour compléter le tableau d'ensemble. Et pour donner un peu de rigueur à cette approche de Chopra. Pour éviter par exemple d’employer le terme d'"intelligence" à un niveau d’organisation de la matière où cette notion, qui suppose le langage, ne peut être que très dégradée.
J’avais insisté, dans un article précédent sur la "verbalisation de la chair". Ici, Chopra s’intéresse à "l’incarnation du verbe"; c’est dire que malgré la différence de point de vue, il me semble que nous parlons bien de la même chose.
Mais je tente de montrer une progression de bas en haut (de l'élément vers l'ensemble, de l'inorganisé vers l'organisé: d'un point de vue ex-ante), tandis que Chopra suit le chemin inverse: il part d'un point de vue ex-post très lointain (d'où cette interprétation du saut quantique en termes d'intelligence, concept synchronique rapporté à un niveau Imaginaire où le langage peut s'articuler, consciemment). J'en reste à une "pulsion" plus primitive qui caractérise une "tension" ou "différence de potentiel", concept diachronique, donc, entre deux niveaux d'organisation (i.e.: Imaginaires, bien entendu.)
Point de vue qui respecte le principe de laïcité, en évitant toute interprétation déiste de cette "intelligence" entre corps et esprit.
What’s up, doc ?
Hari