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Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...

L'Homme quantique

Après Cerisy

À la fin du colloque « les psychanalystes lisent Spinoza », les responsables (Silvia Lippi et Jean-Jacques Rassial) m’ont donné l’occasion d’exposer ma théorie. De guerre lasse, sans doute, après avoir subi moultes interventions de ma part qui entraient mal dans le ping-pong des échanges universitaires. Je les en remercie vivement.

J’ai donc préparé un papier vite fait entre midi et deux, pour cette présentation au débotté lundi dernier. Puis, avant de partir, j’ai mis au propre cette intervention afin qu’elle soit incluse dans les actes du colloque. Le hic étant que je n’en ai plus les droits et que je n’ose la reprendre ici. Cependant, rien de neuf pour ceux qui me lisent : j’ai remis en perspective des éléments de ce blog ou de « l’Homme Quantique ».

Mais mon propos est ailleurs : pendant que je collais dans le corps du texte des hyperliens renvoyant à tel ou tel billet de ce blog afin d’en faciliter l'accès aux participants à qui je l’ai fait suivre, je m’aperçus d’un manque : aucun billet auquel raccrocher une remarque qu'il me semblait nécessaire d'exposer à mon auditoire :

Une montée diachronique s’accompagne d’un gain en stabilité.

Pourquoi ce manque ?

Cette histoire de stabilité remonte à mes premiers développements, et mon intérêt s’est déplacé depuis ! Mon objectif initial portait sur les organisations, en particulier sur leur « rendement ». Et cette question du rendement m’a poussé à rechercher ce que l’on pouvait entendre par là. J’en étais là lorsque je rédigeais mon article pour les Techniques de l’Ingénieur, bien avant le livre. Avec toute mon approche thermodynamique de la chose… Ingénieur un jour, bricoleur toujours.

Puis en rédigeant « L’Homme Quantique », la question fondamentale m’apparut être notre représentation du temps, avec toujours à l’esprit les calculs de Boltzmann, la notion d’entropie (nous y sommes !) et fondamentalement ce rapport entre énergie et vibration : e = hv (h : constante de Planck). Et c’est en cours de rédaction, que j’ai lâché mon axe « négentropique » pour un axe « diachronique ». Abandon qui m’a éloigné de la physique pour remonter à des nécessités plus primaires, linguistiques.

Bien, bien, bien. Toujours est-il qu’en faisant mon topo pour ce colloque, dans ce contexte particulier, j'ai éprouvé le besoin de dire qu’en grimpant dans la hiérarchie de nos représentations, on acquiert de la stabilité, en même temps que l’on embrasse un plus vaste horizon, tout en perdant en finesse de résolution (on va du multiple vers l’un). Les discussions autour de la pensée de Spinoza m’ont remis ce thème en tête : qu’est-ce qui nous pousse à réfléchir ? Quels liens entre le "contatus", la volonté, le désir ?

En organisant ainsi nos représentations pour échapper aux incohérences de notre discours, sommes-nous motivés par un souci de cohérence logique ou plus primitivement par un besoin de stabilité ? Quelle est la nature de cette pulsion unaire (selon Lacan), de ce « désir de connaître » chez Spinoza, que les neurologistes repèrent au niveau du système limbique (seeking system) ? Cette recherche de cohérence au niveau de la parole n’est-elle pas le simple habillage anthropomorphe d’une nécessité plus primitive du vivant : survivre ?

On en revient à mon précédent billet « la verbalisation de la chair » ; où je peux dire, après ce colloque, que j’y traitais de l’immanence, sans penser à me référer à Spinoza… Moderne M. Jourdain qui ne sait ce qu'il dit...

Mais revenons-en à notre stabilité : pourquoi dire qu’en grimpant dans l’arbre de nos représentations, nous gagnons en stabilité ? Élémentaire mon cher Watson.

Pour les littéraires, l’intuition vient de Diderot, qui l'exprime dans son dialogue avec d’Alembert :

« Tenez, mon ami, si vous y pensez bien, vous trouverez qu’en tout, notre véritable sentiment n’est pas celui dans lequel nous n’avons jamais vacillé, mais celui auquel nous sommes le plus souvent revenus. »

Pour avancer d’un pas, je vous propose de jouer à pile ou face.

Si je veux connaître la prochaine occurrence du jeu, il me faut lancer la pièce et j’ai une chance sur deux d’avoir deviné juste. Avant chaque lancé, mon incertitude quant au résultat est totale, après, je m’informe du résultat en observant l’état actuel de ma pièce (pile ou face), parmi l’ensemble les états potentiels, qui lui sont accessibles et se résume ici aux deux états pile et face.

Je m’intéresse maintenant à la valeur moyenne d’une série de lancés. Je noterai par exemple 0 = pile et 1 = face. Si j’ai déjà lancé la pièce 1000 fois, et que j’ai obtenu 512 fois pile et 488 fois face, la moyenne mesurée est de 488/1000 et le prochain tirage, quel que soit le résultat, ne modifiera pas beaucoup mes connaissances acquises sur l’ensemble des tirages réalisés jusqu’à présent : la moyenne passant après coup à 489/1001 ou 488/1001.

Lors de mon 1001ème coup, j’ai toujours la même espérance de gain (50 %), la même chance de gagner que lors du premier lancé, mais si je m’intéresse à l’ensemble des coups joués, alors, l’information à espérer du prochain coup est très faible et ne pourra faire varier la valeur moyenne des tirages de plus de 1/1001. Le sentiment de stabilité vient du rapprochement que je fais entre les deux situations. À chaque tirage élémentaire, la réponse est toujours 0 ou 1 et mon incertitude quant à cette valeur est maximale (i.e. : égale à 1). Si, maintenant, je considère le regroupement de l’ensemble des coups joués, la réponse fluctue autour de la valeur moyenne ½, et l’amplitude des variations autour de cette valeur diminue en raison du nombre de coups joués.

Le sentiment de stabilité que j’en retire vient du passage même de l’élément au groupe, de cet entre-deux. De plus, ce sentiment global se renforce en fonction des répétitions de l’action élémentaire.

Dans le langage qui est ici le nôtre, nous dirons que la répétition des coups est décrite à un niveau de langage synchronique donné : j’actualise l’un des deux états auquel je limite l’espace des états potentiels pris en considération. Par contre, la stabilité est liée au passage de ce niveau de langage à une caractérisation de l’ensemble des coups, considéré comme un « groupe », c’est donc un effet diachronique du discours.

On relie intuitivement la stabilité et la durée, impression basée sur l’apriori qu’il me faudra mille fois plus de temps pour effectuer mille tirages qu’un seul, c’est ce dont nous parle Diderot. Mais je peux très bien lancer d’un coup mille pièces en l’air, pour arriver au même résultat et je me serais ainsi affranchi de tout lien entre la stabilité et le temps de l’expérience, c’est ce que fait Boltzmann. Ce qui compte c’est la réduction de la taille de la collection d’éléments pris en compte (dans notre exemple nous passons de 1000 éléments binaires à 1 groupe dont la valeur est comprise dans la fourchette [0 ; 1]).

Il y a néanmoins une différence entre les deux types de stabilité que nous venons de mettre en évidence, la première est d’ordre « temporel », liée à la répétition d’un mouvement, la seconde est liée à l’espace. En effet, en lançant 1000 pièces en l’air, celles-ci retombent ensemble dans un espace délimité, dans lequel il m’est loisible, ensuite, de faire le décompte des piles et des faces.

Le sentiment de stabilité que je tire d’une répétition de type temporel se renforce au fil du temps : la valeur moyenne de mes lancés se resserre autour de la valeur ½ en raison du nombre de lancés. Dans le second cas, il y a un saut diachronique unique entre le décompte des éléments et la valeur de l’ensemble : l’expérience confirme une intuition que j’ai déjà en lançant mes pièces, à savoir que la valeur de l’ensemble « va tourner autour de ½

Nous parlerons plus avant d’un sentiment de stabilité « temporel » ou « structurel » en référence à cette différence, et nous verrons qu’elle caractérise une différence d’attitude par rapport à l’expérience elle-même. Dans la première, je m’attache à l’élément et je construis pas à pas le groupe dans lequel il s’inscrit : j’apprends (c’est Diderot). Dans la seconde, le groupe est donné d’avance et je discrimine ensuite les éléments dont il se compose (c’est Boltzmann), pour confirmer, conforter, me remémorer, ce qui est déjà acquis ou présupposé. » etc…

Pour plus de détails voir « L’Homme Quantique ».

Bref, buter ainsi sur Spinoza me permet de retrouver ou recadrer une réflexion toujours actuelle concernant notre volonté de survivre, notre soif d’apprendre, notre pulsion unaire, et toutes ces sortes de choses. On peut bien déployer tous les ressorts de notre Imagination pour explorer le hasard, la nécessité nous échappe à jamais mon cher Monod.

Comme n'a cessé de le dire Jean-Jacques: Spinoza nécessite d'être relu et interprété...

Bonne rumination,

Hari.

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