Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...
19 Décembre 2017
Je ruminais ce matin au réveil, quand cette idée s'est développée jusqu'à s'imposer avec la force d'une évidence:
notre perception est duale.
Lorsque je "vois" un objet, en fait je le reconstruis à partir des sensations de mes deux yeux. Et encore cette description du processus est-elle très élémentaire. J'analyse l'objet en passant par différents filtres, et l'image se construit par strates superposées. Il semble que le premier filtre soit la reconnaissance des visages et, très immédiatement, pour juger s'il s'agit d'un ami ou d'un ennemi, bien en dessous du seuil de la conscience. De même pour les sons.
Mais plus généralement, pour me convaincre d'être face à une réalité, il me faut recouper différentes perceptions. C'est ce qu'ont compris les hypnotiseurs pour nous convaincre de la réalité d'un fantasme: ils stimulent plusieurs sens en même temps, pour que l'image suggérée acquière la force d'une présence effective.
C'est également ce dont parle Henri Poincaré à propos de la perception de l'espace: il le décrit comme résultant de la rencontre entre deux séries de sensations l'une externe (vision, sons etc.) l'autre interne : notre sens du toucher et la conscience de nos mouvements.
Processus similaire à celui de la formation des souvenirs dans notre mémoire procédurale: le déroulement du "temps" se constituant comme une succession d'instants où un ensemble de perceptions périphériques est mis en relation avec un état interne.
Et tout ceci tourne dans ma tête lorsque me revient en mémoire une brève remarque de Daniel Bennequin dans sa vidéo: ce qui est essentiel dans notre façon de former nos idées, c'est que le cerveau est séparable en plusieurs zones distinctes, qui se connectent entre elles.
Et l'idée qui me vient alors c'est que l'important tient à la connexion elle-même, plus qu'aux éléments mis en présence.
=> Ce qui importe dans la dualité, ce ne sont pas les pôles mais l'entre-deux.
Vous voyez alors où ça nous conduit, n'est-ce pas ?
Et bien oui: ça reboucle directement sur la théorie des Catégories : nous percevons des "projections" et reconstruirons l'objet à partir de ces dernières.
Avec la croyance que cette "reconstruction" de l'objet, correspond à son "existence"...
Je crois que de ce point de vue, tout le reste s'éclaire d'un coup, tout s'organise simplement.
Par exemple la "multiplication d'objet" est la seule façon effective de créer ou faire exister un objet à partir de deux objets (ou projections) élémentaires.
Autre évidence: la Catégorie des ensembles se déploie entièrement entre l'élément final {•} et l'élément initial { }. La distinction entre les deux induisant la notion de classement.
Ensuite viennent les notions de limite et colimite.
D'où l'intérêt pour les topos, qui paraissent du même coup quelque chose de très rudimentaire.
Qu’est-ce qu’un topos ? Une Catégorie munie :
De limites et colimites
D’exponentielles
D’un classificateur de sous-objets.
La dualité c'est la polarisation entre limite/ colimite (prolongeant celle, plus primitive que l'on institue dans la définition d'un morphisme entre domaine et codomaine) et l'exponentielle, c'est le principe de répétition de l'action, qui va de pair avec une conception d'un temps "pas à pas".
Le classificateur de sous-objets, tient précisément à la nécessité de vérifier que l'objet "compris" ou "imaginé" à partir de ce que j'en perçois correspond à l'objet "réel": on rapporte ce que l'on voit à ce que l'on reconstruit par rapport aux projections qui nous sont accessibles, bref, par rapport à la mesure des observables.
Si les topos sont d'un usage si fécond qu'ils puissent générer l'ensemble des mathématiques, en particulier un cadre géométrique et une logique propre à chaque niveau d'observation, alors, on doit pouvoir caractériser de façon similaire les mécanismes les plus élémentaires de nos processus intellectuels, en deçà du langage, avec les outils des neurosciences...
Mes faibles connaissances en maths, ma naïveté en la matière, me laissent une certaine plasticité intellectuelle, me permettant encore de varier mes points de vue, comme je le fais ici. C'est sans doute pour cela que je me hâte lentement d'entrer dans le vif du sujet !
Je crois cependant que là, j'ai quelque chose d'intéressant : le fait que nous soyons coupés du Réel impliquerait que nous ne puissions l'Imaginer qu'en reliant nos perceptions. Le travail intellectuel serait tout entier dans les processus de liaison.
Si c'est le bon angle d'attaque, alors je devrais entrer dans le langage mathématique, comme on ouvre une huître, pour peu que l'on sache se servir correctement d'un couteau...
À suivre.
Hari
Nota au 20/12/2017:
En me relisant je n'arrive plus à resentir l'intensité de cet instant d'éveil. Car, en fait, je redécouvre juste ce que je savais déjà : les principes qui m'avaient guidé pour écrire mon chapitre II.
Ce qui me frappe, à la réflexion, c'est de retrouver ces principes à un autre niveau du discours, en pensant aux topos.
L'image qui me vient, c'est le point de Banach : supposez que vous vous trouviez dans une ville, avec une carte de la ville et que votre doigt pointe sur la carte l'endroit où vous êtes physiquement. Le point sur la carte correspond à son référé physique. Vous imaginez tout de suite que la situation est récurrente, et ce point de contact se retrouve de plan en plan, aussi loin qu'il se puisse imaginer. C'est ça le point de Banach. Le vertige vient de cette perspective abyssale.
Que peut-on en dire ? Que l'on répéte à chaque niveau Imaginaire un processus consistant à réifier un mouvement. La prise de conscience de l'objet s'accompagne de l'oubli du processus qui la déclenche !
Il va sans dire que ce qui vaut pour l'objet doit se retrouver dans la constitution du Sujet, mais ça, c'est une autre histoire...