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Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...

L'Homme quantique

Les structures algébriques - partie 1 Magma & groupe

Je me suis promené jusqu'ici autour des mathématiques, sans jamais prétendre "faire des mathématiques", m'interrogeant sur la genèse des concepts et leur articulation plutôt que sur leur utilisation effective. C'est en quelque sorte une exploration linguistique d'un langage élémentaire, que je structure autour d'une différence entre concepts synchronique et diachronique empruntée à Saussure.

Avec cette idée qu'en s'approchant du Réel par sauts récessifs, notre Imaginaire se délite ou se déconstruit, strate par strate jusqu'à être choqué ou perturbé d'une façon ou d'une autre au contact direct du Réel ou de l'expérience d'un phénomène. Mon attitude générale est donc celle d'un archéologue, dans la ligne d'un Foucault, lui aussi structuraliste, comme Saussure ou Lacan et Lévi-Strauss de qui je tire cette idée d'un triptyque général Réel/ Imaginaire/ Symbolique.

- Tu nous ponds une petite intro philosophique ?

- Si tu veux, mais qui répond au besoin d'expliquer ce que je cherche en ordonnant le vocabulaire relatif à ces structures algébriques que nous venons de situer assez cavalièrement au niveau I01 de notre Imaginaire. Or, cela fait maintenant deux mois que je tourne autour de ce niveau, qui est une articulation essentielle dans notre façon de penser (voir "Évariste Galois derrière le miroir") et il est temps maintenant de comprendre leur taxinomie en détail (voir ci-dessus le schéma général que j'ai repris d'un article de Wikipédia), en recherchant à quelle nécessité elle répond.

- Mais dans ton schéma, les Ensembles sont représentés à la racine de ces structures, pourquoi ne pas commencer par là ?

- Parce que, nous faisons de l'archéologie et que dans le billet précédent, nous venons de voir que la théorie des groupes Galoisienne est antérieure à celle des Ensembles. J'ai un verni culturel acquis au cours de ma scolarité, ou dernièrement, qu'il me faut décaper couche par couche  pour voir clairement ce qu'un génie comme Évariste Galois a su voir sans oeillères. Je ne peux pas feindre la naïveté, ni me croire son égal, alors je fais comme je peux pour le rejoindre. Mon pari, c'est qu'en partant de la théorie élémentaire des catégories que j'ai plus ou moins bien assimilée, je vais pouvoir le retrouver. C'est un peu comme creuser un tunnel des deux côtés de la Manche en espérant faire la jonction quelque part... Et cette revue des structures algébriques, c'est en quelque sorte notre plateforme de départ.

- Soit, mais ce schéma est un peu lourd, je n'ai aucune envie de faire avec toi une revue de détail !

- Cela n'aurait aucun intérêt, non. L'idée, c'est de questionner cette arborescence à partir de ce que nous avons déjà exhumé aux niveaux les plus élémentaires de notre Imaginaire.

- C'est-à-dire ?

- Eh bien, l'idée qu'un concept se "réifie" à un certain niveau Imaginaire Ik lorsqu'il résulte de la "brisure" d'une "symétrie" imaginable au niveau Ik+1. Avec, bien entendu une indétermination liée au passage Ik/ Ik+1.

- Tu prends les maths cul par dessus tête, en partant des théorèmes de Noether avant même toute expression mathématique.

- Oui, c'est bien ce à quoi nous sommes arrivés, au niveau le plus élémentaire de la fracture initiale R< I, dès le premier cri du nourrisson (voir "Métaphysique"), je ne vais pas y revenir à chaque billet !

- Soit, est-ce tout ?

- Non, le second point concerne les deux opérations de x et +. Nous avons déjà beaucoup parlé de leur positionnement relatif (voir "multiplication/ addition").

  • De façon très primitive, la multiplication est liée à une répétition du même : (une fois * ; deux fois * ; etc.) en comprenant que le "même" dont il s'agit est de nature synchronique (en Ik), quand sa "répétition" est de nature diachronique (entre Ik et Ik+1), et le résultat représentable en Ik+1). Position diachronique que l'on retrouve dans le produit cartésien, tel que défini dans la théorie des catégories;
  • De façon complémentaire, l'addition est un concept synchronique: c'est le "ou" liant des éléments de même niveau synchronique.

En ce sens, la multiplication est un concept plus primitif que l'addition, puisque la seconde peut être construite en Ik+1, à partir d'objets en Ik, que l'on rapporte en Ik+1 de façon répétitive. (note 1)

- Tu nous l'as déjà exposé de façon détaillée.

- Oui, mais il importe de le rappeler ici. Vois par exemple comment dans ce tableau, la loi interne la plus primitive est la multiplication (la plus proche du concept d'Ensemble) quand la seconde loi interne, l'addition, vient après. Il s'agit de comprendre, par exemple,  pourquoi l'on parle toujours de distributivité de la multiplication par rapport à l'addition et jamais l'inverse, ou bien pourquoi la loi de composition externe de l'espace vectoriel est de type multiplicatif et non additif. Il y a bien là une rupture de symétrie entre les deux concepts. Et bien je renvoie cette rupture à une différence synchronie/ diachronie.

- Admettons-le, mais tu nous parles de distributivité sans avoir introduit ce concept.

- C'est exact, mais il me fallait en premier situer l'addition et la multiplication relativement l'une par rapport à l'autre, parce que si tout le reste se construit autour de ces deux notions fondamentales, la littérature ne dit rien de cette différence que nous pointons ici. D'où, certains silences, comme la non-discussion d'une distributivité de l'addition par rapport à la multiplication, ou d'une loi externe de type additif. 

- C'est tiré par les cheveux: si les deux opérations avaient les mêmes propriétés on ne pourrait les distinguer.

- C'est donc qu'il y a bien une rupture de symétrie entre les deux, c'est ce que je constate. Mais j'avance d'un pas en disant que cette rupture est la plus primitive qui soit puisqu'en deçà du niveau où elle s'exprime, le concept de multiplication dégénère en concept diachronique.

- D'accord, mais quid du reste ?

- Eh bien, il s'agit de caractériser les deux opérations x et + qui sont susceptibles d'agir sur les éléments d'un ou deux Ensembles. Pour cela, il n'y a pas à chercher bien loin, puisque tout ceci est repris dans la théorie des catégories, et sert à définir un morphisme. Il s'agit des concepts suivants :

  • Associativité;
  • Élément neutre
  • Élément symétrique;
  • Commutativité;
  • Distributivité;

Avec ceci, tu peux reconstruire toutes les structures définies dans la théorie des Ensembles. Et nous avons postulé que les premiers (i.e.: Magmas, Groupes, Algèbres), relevant de ce que Bourkani définit comme des "structures algébriques" s'articulent entre les niveaux {I1; I01} de notre imaginaire. C'est ce que je te propose de vérifier dans ce billet.

Le pas suivant qui mènera à l'espace vectoriel, au-delà de I01, nécessite d'introduire le concept de loi externe.

- Ton énumération n'a rien d'original, que peux-tu en dire ?

- Que tout tourne autour du concept de symétrie, ce qui nous ramène directement à Noether. Je te propose d'y réfléchir ensemble.

Associativité

- C'est tellement banal que personne ne s'y arrête longuement et pourtant c'est l'axiome le plus souvent repris dans la définition d'une structure quelconque. Mais pourquoi est-il si important ? Parce qu'à mon sens il est lié intuitivement au caractère diachronique de la multiplication !

- Je ne te suis plus, peux-tu préciser ?

- Lors d'un saut diachronique, il y a fondamentalement une indétermination liée au fait que je ne sais pas ce qu'il se passe durant le saut. Parler de "concept diachronique" revient en fait à nommer mon incertitude quant à ce que je désigne. Structurellement, en passant de Ik à Ik+1, je ne peux rien dire de cet entre-deux, à part m'y référer d'un mot, comme on nomme ses démons pour les exorciser. Il me faut donc postuler qu'un saut est équivalent à un autre. Nous l'avons vu en discutant du temps, ce qui conduit à la nécessité du principe d'inertie de Galilée pour marquer cette équivalence.

- Oui, tu nous en a parlé, mais le principe de Galilée concerne la physique, pas les maths.

- Les maths sont originellement un langage développé pour exprimer notre expérience personnelle, et historiquement la physique. Autrement dit, le principe d'inertie est une nécessité ressentie par le Sujet pour mettre au clair son expérience, c'est de la phénoménologie pure et dure.

Or donc, le matheux prend en compte le fait qu'il ne sait pas faire deux choses à la fois: il peut porter son attention sur a et b ou b et c ou a et c, mais il ne sait pas s'occuper à la fois de a, b et c. Tu peux considérer ça comme une limite neurologique, qu'il serait intéressant de vérifier expérimentalement.

D'où la nécessité de postuler que (a,b),c = a,(b,c) = (a,b,c), que je vois comme la façon la plus élémentaire d'exprimer un principe d'inertie permettant de postuler que tous les "sauts diachroniques" entre deux niveaux synchroniques Ik et Ik+1 sont équivalents. C'est absolument fondamental, puisque cela permet de considérer que :

  • Le temps s'écoule de façon uniforme;
  • L'espace est homogène.

- La première structure, celle de "magma" introduite par Bourbaki, est un Ensemble muni d'une loi de composition interne notée * comme une multiplication, qui n'est pas nécessairement associative. 

- Bien entendu, car dès que je prends conscience de la nécessité de cet axiome, je peux imaginer des structures plus faibles qui n'y répondraient pas. Mais tu vois combien cet univers devient chaotique !

Élément neutre

- Si l'axiome d'associativité n'est pas toujours demandé au niveau des éléments du magma (M;*), il l'est encore au niveau de l'opération * elle-même !

Revenons donc à nos premières réflexions sur le concept de multiplication.

L'autre caractéristique élémentaire d'un magma (M;*), c'est la présence ou non, pour cette loi * d'un élément neutre noté e définit ainsi :  

Fondamentalement, ceci est lié à la notion d'identité, que nous avons discutée au sujet des morphismes dans la théorie des catégories.

- Je ne vois pas le rapport ?

- C'est du à la nécessité de réifier en Ik+1 le concept * diachronique rapportant des éléments repérés en Ik à un critère défini en Ik+1. Mon expérience m'indique que prendre 3 fois 4 bananes ou bien 4 fois 3 bananes, ce n'est pas la même chose: les gestes sont différents, le temps pris, ou l'énergie déployée pour le réaliser ne sont pas les mêmes. Mais le résultat est le même. : j'ai posé 12 bananes sur la table.

Et bien cet oubli d'une opération complexe au profit du résultat nous a conduit au morphisme identité dans la théorie des catégories, comme il nous conduit ici au concept d'élément neutre de la multiplication.

Ik existence de l'élément a élément neutre = 1
Ik => Ik+1 1 fois (ou 1*)  "a" fois (ou a*)
Ik+1 repérage de l'élément a repérage de "a"

- En revenant à ta toute première analyse des opérations élémentaires, tu t'éloignes de la théorie des catégories et du produit cartésien: le "a" en question n'est pas nécessairement un nombre.

- Certes, mais à ce stade, nous sommes loin de pouvoir imaginer un tel concept. Je te rappelle que le produit cartésien suppose de pouvoir définir un morphisme avec justement ces deux propriétés d'associativité et d'identité qui sont ici questionnées. Il importe donc de voir de quelle façon l'existence d'un "élément neutre" permet de réifier le "1 fois" de la multiplication.  Quant au "a", s'il peut être porté en "1 fois" de Ik à Ik+1, je ne vois pas comment faire autrement que de répéter "a fois" un geste élémentaire s'appliquant sur l'élément neutre. Faute de quoi, il n'y a pas d'élément neutre...

C'est le sens de cette propriété: doter (M;*) d'un élément neutre conduit à voir l'objet "a" comme pouvant s'obtenir par itération de cet élément neutre.

- Et donc ne pas doter (M;*) d'un élément neutre marque une rupture à un niveau en deçà duquel l'élément "a" n'étant plus décomposable, son existence s'impose d'un bloc.

- Tout à fait, et tu vois je l'espère en quoi nos deux premiers concepts d'associativité et d'élément neutre répondent à un besoin de symétrie:

  • Lorsque je retire l'associativité, l'univers (en Ik+1) me permettant de repérer les éléments de M n'est plus homogène;
  • Lorsque je retire l'élément neutre, je ne peux plus construire les éléments de M par itération : je ne peux que constater leur existence (i.e.: Ik < Im)

Un magma (M;*) dont la loi de composition interne est associative et dotée d'un élément neutre est appelée semi-groupe. Le pas suivant est l'existence d'éléments symétriques; nous aurons alors défini un groupe.

Éléments symétriques

Et là, avec le groupe, nous retombons sur les travaux de Galois où la notion de symétrie est absolument centrale !

Pour nous résumer, une structure de groupe G est définie par 4 axiomes (voir Wikipedia)

  • Loi de composition interne:
    • Pour tous a et b éléments de G, le résultat a • b est aussi dans G.
  • Associativité:
    • Pour tous éléments ab et c de G, l'égalité (a • b) • c = a • (b • c) est vraie.
  • Élément neutre:
    • Il existe un élément e de G tel que, pour tout a dans G,                   e • a = a • e = a, "e" est appelé élément neutre du groupe (G, •).
  • Symétrique:
    • Pour tout élément a de G, il existe b dans G tel que a • b = b • a = e, où e est l'élément neutre. b est appelé symétrique de a.

- Mais là, tu dérapes complètement en passant d'une discussion concernant des Ensembles munis d'une loi de composition interne (M;*), à la théorie des groupes d'où la notion d'élément a été évacuée de la structure G que tu définis !

- Effectivement, je m'en rends compte en l'écrivant. Je retombe dans l'ornière que j'avais repérée dans mon dernier billet et que j'attribuais à la tambouille que l'on m'a servi dès la 6e. Mais j'ai beau revoir la littérature sur laquelle je m'appuie pour rédiger ce billet, l'ambiguïté persiste, mon schéma lui-même est trompeur, puisqu'il rattache tout au concept d'Ensemble ! Et s'il est si facile de se laisser glisser ainsi, c'est en soi un fait significatif qui demande réflexion.

Achevons tout d'abord notre revue des 4 axiomes qui définissent un groupe, au sens de Galois.

1er axiome, il clos le Groupe et peut  s'appliquer indifféremment: 

  • Soit à des "éléments" vus comme des objets : 1 + 2 = 3, et les objets 1,2,3 appartient tous au même Ensemble N;
  • Soit, à des "actions" ou "symétries" sur des objets. Définissons par exemple un groupe G à 3 éléments (1, 2, e) tel que :
    • "1" = rotation de 180° autour du point origine dans le sens positif;
    • "2" = rotation de 180° autour du point origine dans le sens négatif;
    • "e" = élément neutre

Alors, nous avons 1•1=e; 2•2=e; 1•2=e; 2•1=e, et nous voyons simplement comment nos symétries forment un ensemble d'éléments fermé sur lui-même.

2ème et 3ème axiomes : nous venons de voir en quoi ils sont liés à la notion de symétrie.

4ème axiome : il introduit au sens le plus courant du terme ce que l'on appelle une symétrie. Et puisque nous sommes explicitement dans une démarche structuraliste, c'est peut-être le moment de revenir sur le principe dichotomique que Lévi-Strauss a tiré dans notre façon de former nos concepts par paires de contraires: blanc/ noir; masculin/ féminin etc. (note 2)

Il semble que le langage courant n'articule pas cette dualité spontanément autour d'un concept neutre. Ce qui, à la réflexion n'a rien pour étonner.

  • Les premières expériences du bébé sont des coupures : celle du cordon ombilical, celle de la bouche frustrée du sein maternel;
  • Ensuite vient la conception de l'objet, et par répétition celle de l'existence de l'objet au-delà de sa présentation devant le Sujet, qui mène à la notion d'objet "final", le {*}, lié naturellement à la multiplication, dont il est l'élément neutre;
  • Enfin, nous avons vu comment l'objet "initial", le vide { }, est l'élément neutre de  l'addition.

C'est dire que l'élément neutre ne fait pas spontanément partie de "la pensée sauvage". C'est dire aussi qu'un élément ne peut être neutre que relativement à notre façon d'articuler un discours:

  • à partir de {*} et de la multiplication,
  • ou bien de { } et de l'addition.

- Et que tires-tu de tous ces développements ?

- Que notre façon de définir une symétrie par rapport à un élément neutre vient après notre perception des objets, dans notre propre maturation intellectuelle. Et, cependant, à un niveau plus élémentaire, nous parvenons à concevoir la notion d'objet grâce à une symétrie plus élémentaire que nous créons entre présence / absence (oui, toujours le petit Ernst et son jeu de fort/da). Il n'y a pas d'élément neutre à ce niveau : l'objet est là ou pas, la porte ouverte ou fermée.

- C'est un peu le chien qui courre après sa queue...

- Oui, je crois qu'il faut faire ici un break pour méditer là-dessus cette nuit.

Bonne rumination,

Hari.

Note 1

J'ai beaucoup travaillé sur le sujet depuis cet article, pour en arriver à celui-ci:

Note 2

Au sujet de la dichotomie: 

  • Les symétries en I01 s'expriment effectivement par des oppositions entre couples de concepts;
  • Par contre, au niveau IR, nous verrons ultérieurement que les oppositions se traduisent par une orthogonalité entre concepts.

Ainsi, le fait de développer mon discours autour du concept de dichotomie, confirme, a posteriori, que je me situe effectivement au niveau I01.

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