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Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...

L'Homme quantique

Gravitation et géométrie

- En commentant "L'épistémologie génétique" de Piaget dans mon précédent billet, j'ai buté à la première lecture de cet exemple qu'il donnait pour illustrer le gap intellectuel entre un enfant de 7-8 ans et un autre de 9-10 ans :

"Dans le cas du poids ce progrès est assez net. Par exemple une tige en position oblique est censée tomber jusque-là dans le sens de son inclinaison, tandis qu'au présent niveau elle chute verticalement." p. 48

Il m'avait suffisamment troublé pour me pousser à en chercher l'explication que j'ai donnée :

"Le cas de la règle qui tombe me semble lié à une maîtrise de la différence local/ global: le poids est lié à un espace "global" et non à un repère local lié à la règle. C'est dire que cette maîtrise topologique va ouvrir la conscience du sujet à d'autres questions, inenvisageables antérieurement."

- Et tu veux revenir sur cette explication ?

- Non, car elle me semble une très bonne hypothèse, mais c'est mon incompréhension immédiate du récit de Piaget qui est signifiant.

- Voilà que tu cherches tes signifiants en physique maintenant ?

- Plus que jamais !

Ce que je n'arrivais pas à imaginer, c'est que, pour un "Autre" (cet enfant de 7-8 ans), la règle laissée à elle-même allait glisser selon son inclinaison.

- Mais elle ne le fait pas !

- Ce n'est pas ce qui m'importe. Je suis confronté ici à la "Réalité" vécue par un Autre.

  • Dans ma Réalité, la règle tombe verticalement;
  • Dans la Réalité (7-8 ans), la règle suit son inclinaison.

- Il y a donc une différence entre le Réel et la ou les Réalités ?

- Oui. Le Réel c'est ce qui échappe à l'Imagination : c'est ce qui arrive dans l'expérience, en dehors de mes attentes ou de mes craintes. Je te propose de définir ma Réalité comme mon "vécu" du Réel, autrement dit ce qui est emmagasiné dans mon cerveau, via un mécanisme compliqué de mémorisation. Et cette représentation de l'expérience dépend, en particulier du langage (voir "Réalité vs Wirchichkeit"). Pour faire court la réalité est une construction Imaginaire, sur un certain nombre de niveaux.

- À part cette clarification du vocabulaire, tu ne dis pas grand-chose de nouveau...

- Certes, mais le choc du Réel pour moi, dans cette affaire, c'est qu'un Autre, cet enfant de 7-8 ans, puisse nier une évidence que je ne questionne pas : les corps ont une masse qui les attire vers le bas, c'est si bien incarné dans mes gestes que je tends la main pour cueillir un verre chutant d'une table, avant même de penser mon geste ! Et puis, pour avoir un peu piloté, je sais faire la différence entre masse et poids : en virant incliné à 60° j'encaisse bel et bien 2g.

- Mais si l'enfant fait l'expérience, le Réel va bien l'obliger à modifier son point de vue ?

- Eh non: il y aura effectivement un choc du Réel pour lui, mais il n'est pas encore équipé intellectuellement pour accepter ce qui pour moi est une évidence vécue : il restera en position ex ante par rapport à une explication que je lui donnerais, moi en position ex post. Nous avons :

  • I(7-8) < Imasse< DM
  • Imasse < Im< DM

Notre DM (i.e.: Démon de Maxwell) étant l'auteur (moi en l'occurrence) qui rapporte ici et maintenant ces deux discours et fait le lien entre eux.

- Soit, mais je ne vois pas ce qui te perturbe ?

- Ne vois-tu pas que ce concept de masse est tout à fait relatif, puisqu'il peut être accepté ou non par le Sujet, en position ex post ou ex ante par rapport à lui ?

- Mais pourtant, tu en ressens bien les effets ?

- Oui, les effets, justement, que j'attribue à une cause : l'existence d'une "masse". Mais tu remarqueras que dans la genèse retracée par Piaget, ce qui apparaît clairement, c'est que ce concept vient lorsque l'enfant acquiert une certaine compétence d'ordre "topologique", relit mon explication !

Autrement dit, ce concept de masse est un faux nez, une étiquette, un concept synchronique qui me permet de nommer, voire de manipuler le résultat d'une action, à savoir changer de repère: passer d'un repérage local lié à l'objet, à son repérage global par rapport au sol (et moi).

- Selon toi les développements récents de la relativité générale d'Einstein seraient donc déjà là, inscrites dans le développement de l'enfant ?

- Oui, tout à fait. Je te signale que nous en avons déjà parlé il y a longtemps, en 2014 (voir "La gravité une question de poids"), mais j'avoue que c'était encore d'ordre intellectuel; là il ne s'agit plus d'idées en l'air, mais d'une remise en question de mon vécu.

- Et c'est grave docteur ?

- Disons que cela remet en perspective bien des choses. À la fin de mon dernier billet, je parle de ma déception de ne pas trouver de fracture aussi franche entre physique et topologie, qu'entre logique et topologie, mais il s'agit sans doute d'une erreur de perspective de ma part.

Le concept de "gravité" (manipulant masse, poids, énergie etc.) s'acquiert au fil du développement de la pensée "topologique", de même que la notion de "temps" s'acquiert en développant la pensée "logique"; avec un temps de décalage entre les deux.

Strictement parlant, il n'y a pas de théorie physique en dehors des mathématiques, qui en sont le langage, se structurant autour de deux pôles, deux objets (i.e.: initial et final) irréductibles l'un à l'autre. 

Cette différence de nature entre temps et gravité, que l'on retrouve dans leur genèse même, conforte ce que j'ai pu écrire concernant "l'impossibilité d'une théorie unitaire".

- Attends un peu ! Que fais-tu du rôle de  l'expérience en physique ?

- Je m'exprime sans doute mal. Oublie la physique pour un moment. Disons que ce que j'appelle mon "expérience vécue" ou "ma Réalité" n'est qu'une mise en forme d'une représentation de mon expérience du Réel (à force de m'y cogner), qui passe en particulier par le filtre du langage. 

Et c'est tout ! 

Je sais, depuis la Renaissance, que ma vision suit certaines règles de perspective, je sais un tas de choses sur la façon qu'a mon cerveau d'encrypter les données de mes sens; et c'est un vrai bonheur pour les matheux de parler géométrie descriptive, séries de Fourier ou courbes de Gauss. Mais pour le poids, là je me suis fait cueillir! 

Pour le concept de temps. Il m'a fallu une trentaine d'années pour comprendre la différence synchronie/ diachronie, et le déclic s'est fait en écrivant l'Homme Quantique en 2011. Et bien il m'a fallu attendre 2019 d'écrire ce billet sur Piaget pour avoir le même déclic au sujet de la masse.

- On ne peut pas dire que tu sois rapide, rapide... Tu as un peu plus d'un siècle de retard sur la relativité générale.

- Oui, je suis lent, mais je me soigne. Ceci dit, cette prise de conscience me conforte dans ce que je présentais depuis un certain temps (voir note 1).

- Et c'est tout ?

- Laisse-moi le temps de m'habituer à cette idée que les concepts de "masse" et de "poids" sont simplement des raccourcis inventés par mon esprit pour masquer tout un travail d'organisation et de représentation qu'il accomplit inconsciemment pour encoder mes sensations; de même que je n'ai aucune conscience du travail qu'il fait pour reconstituer un paysage 3D à partir de ma vision binoculaire.

Bonne méditation.

Hari

Note 1

J'ai parlé à plusieurs reprises des travaux de Newton sur la loi des aires de Kepler (encore ici dernièrement : "au coeur de la physique"). Nous avons constaté qu'il fonde son raisonnement sur la conservation d'une aire pour prendre en compte le principe d'inertie de Galilée concernant la conservation de la vitesse.

Dans cet ordre d'idées, j'avais émis quelques hypothèses concernant la "masse noire" (voir: "la cosmologie "noire" une question de taille"), sur lesquelles il me faudra revenir.

Mais j'avoue avoir été réticent à imaginer l'existence de cette sorte de "masse" échappant à toute expérience. Eh bien Piaget m'aide à comprendre la relativité des situations: je suis (nous sommes) face à cette "masse noire" comme l'enfant devant les effets de la gravité ! Et donc, ne la définir que par ces effets n'implique nullement son inexistence.

Ma réflexion d'aujourd'hui m'a fait prendre conscience que derrière ces concepts typiquement "physiques" liés à la gravitation, nous manipulons en fait des concepts d'ordre "topologique". L'intuition que j'en retire, c'est qu'il doit y avoir le même type de rapport entre masse/ vitesse qu'entre masse noire/ accélération...

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L
mes neurones ont fondu, c'est normal ?
Répondre
S
Je vous propose le billet suivant qui parle de simplicité ! ;-)