Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...
25 Novembre 2019
- En prenant mon café ce matin, je regarde comme d'habitude les statistiques de ce blog pour m'apercevoir que quelques lecteurs ont lu hier "Schéma en L de Lacan et forme canonique des mythes de Lévi Strauss", ce qui me donne l'occasion de le relire pour voir s'il est toujours d'actualité.
Et je me traite de con.
- Tu es bien cavalier avec toi-même.
- Oui, mais j'ai le souvenir d'avoir ramé un peu en écrivant ce texte qui se voulait une récapitulation de ce que j'avais pu écrire jusque-là concernant les rapports du Symbolique à l'Imaginaire du Sujet. L'article date du 11 mai, et je n'avais pas encore écrit ma présentation de juin pour l'atelier de logique catégorique d'Anatole Khelif, aussi mes idées sur les transformations naturelles étaient-elles encore fraîches.
Par ailleurs, il me faut rapporter ici une mésaventure qui m'est advenue il y a peu, et résonne encore en moi. Figure-toi qu'à cause d'un quiproquo assez ridicule, je me suis retrouvé dans une réunion de psychanalystes à laquelle je n'étais pas convié. L'orateur répondait à mes questions sans bienveillance aucune, s'interrogeant visiblement sur ma légitimité en ces lieux, et je me sentais, il faut bien l'avouer, comme le Juif de service relégué en bout de table d'un dîner New Yorkais... Ceci dit, son propos était des plus intéressants, et c'est là où je voulais en venir, il a insisté sur l'état intriqué de l'analyste et de l'analysant lors d'une séance. Sentiment partagé pas les autres praticiens présents, l'une allant jusqu'à dire que dans ces circonstances, sa parole s'échappait, non pas d'elle-même, mais de la situation vécue.
- Quel est le rapport ?
- Cet orateur m'a fait prendre conscience que lorsqu'il est question d'intrication au niveau Symbolique entre le Sujet et l'Autre (que je représente par S∪A), il ne s'agit pas d'un simple concept intellectuel, mais d'une expérience dont on peut témoigner.
- En doutais-tu?
- Non, mais j'avoue qu'il me faut creuser mes souvenirs pour en retrouver la trace.
- Ceci dit, tu ne m'as toujours pas répondu.
- L'expérience dont fait part notre analyste, c'est celle d'un rapport entre le Sujet et l'Autre et donc, au niveau Symbolique, la catégorie à considérer est celle de S∪A. Si tu es bien convaincu de ceci, tu feras le même constat au niveau Imaginaire: le Sujet se définit en Im dans ses rapports à l'objet a. C'est donc bien la catégorie des discours liant le Moi à son objet a qu'il faut prendre en compte.
Que j'ai pu établir une correspondance entre deux catégories orthogonales à ces discours, relevant la première du Sujet et la seconde de l'Autre, me semble après coup totalement idiot ! Je prenais le problème cul par-dessus tête !
- Mais alors, y a-t-il continuité du Sujet depuis le niveau du Réel jusqu'au Symbolique? Je voyais l'axe diachronique comme étant le lieu du Sujet, en fait.
- La question n'a sans doute pas de sens. D'où pourrais-tu appréhender correctement cet axe diachronique te traversant ? Tu ne peux en prendre conscience qu'en le parcourant, en sautant d'un échelon à l'autre de cette échelle de Jacob. À chaque étape de cette progression correspond un état de conscience, comme point de congruence entre un percept (venant d'en dessous du niveau auquel tu te situes) et d'un concept (venant d'au-dessus). De ce point de vue, le sentiment d'être conscient est le seul invariant, quelqu'en soit l'objet; que tu sois abîmé dans ta méditation face à ton créateur, ou absorbé par la douleur de ton genou, comme le maître de Jacques lorsqu'il tombe sur un caillou.
La notion d'individu, qui pollue complètement notre esprit à l'heure actuelle nous vient de Descartes et de son cogito, et l'on en oublie complètement Lao Tseu:
"Trente rais se réunissent autour d’un moyeu. C’est de son vide que dépend l’usage du char.
On pétrit de la terre glaise pour faire des vases. C'est de son vide que dépend l'usage des vases.
On perce des portes et des fenêtres pour faire une maison. C'est de leur vide que dépend l'usage de la maison.
C'est pourquoi l'utilité vient de l'être, l'usage vient du non-être." (Tao Te King)
C'est ce que je ne cesse de montrer. Cette pensée cartésienne, qui amène notre esprit à se référer à l'objet final en fin de compte, reste très élémentaire et limitée à la simple logique. L'approche topologique de l'objet initial qui, au sens strict, n'existe pas, ce "vide en soi", si tu veux bien me passer l'oxymore, implique nécessairement de relativiser l'existence même du Sujet.
- Tu es parti pour faire des discours aujourd'hui !
- Oui, parce que cette relecture m'a fait prendre conscience de mes propres préjugés en la matière: je continue à me penser comme Sujet indépendant, chapeautant toutes les représentations que je peux m'en faire et constitueraient mon Moi Imaginaire.
Pourtant, il suffit de regarder un peu autour de soi pour se rendre compte que le Sujet est déterminé par l'Autre. Penses-tu que Léopold Sédar Senghor aurait parlé de Négritude ou Simone de Beauvoir écrit "Le deuxième sexe" s'ils n'avaient pas été définis par le regard de l'Autre ? Penses-tu que Lévinas puisse se penser hors d'une Judéité qu'on lui a collé sur le dos ? Non, au niveau Symbolique, tous les morphismes au sein de la catégorie S∪A pointent vers A.
Et si, comme le dit Lacan, au stade du miroir, lorsque l'Autre dit "je suis ton maître" le Sujet répond "je suis ton élève", ce changement de perspective revient à dire qu'au niveau Imaginaire, tous les morphismes sont rapportés au Moi du Sujet : le s.
Ce qui nous amène à ce schéma, que je reprends de l'article "de la propriété universelle en théorie des catégories" :
 =Hom (- ;A) : X⟼Hom (X ; A) |
F contravariant |
Tu vois clairement je l'espère que F(A) n'est autre que le Moi du Sujet et comme celui-ci, Imaginaire par définition, en position ex ante par rapport au niveau Symbolique. Il vient de là que le foncteur F est nécessairement contravariant, je te renvois à l'article en question pour les détails.
Et nous en arrivons au lemme de Yoneda !
- Peux-tu me rafraîchir la mémoire s'il te plaît ?
- Reporte-toi à ma présentation du 12 juin au groupe de travail de logique catégorique.
Si toutes les transformations naturelles liant domaine et codomaine du fonceur F commutent, alors le foncteur F est représentable par un morphisme h: A→F(A) et le lemme de Yoneda nous dit que:
Les transformations naturelles de  par F correspondent bijectivement aux éléments de F(A).
Autrement dit, il y a une réification, au niveau Imaginaire de ce qui n'est que mouvements et mise en relation de l'Autre avec le Sujet au niveau Symbolique.
- Les matheux vont parler de charabia...
- Oui, j'en ai conscience, et je m'en excuse auprès d'eux, mais il me semble, pour prendre les choses à l'envers, que ce lemme de Yoneda traduit un processus extrêmement primitif de notre façon de représenter "synchroniquement", ce qui résulte en fait d'un "mouvement" assez complexe impliquant un changement de point de vue. En l'occurrence, nous partons des rapports du Sujet à l'Autre, codifiés par l'Autre, pour aboutir à une représentation par le Sujet, de ce discours que l'Autre porte sur lui, sous une forme objectivé: à savoir les rapports du Sujet au niveau Imaginaire (le s) avec son objet petit a.
Et ce lemme de Yoneda me pousse à voir la réflexion propre à la théorie des catégoriques comme une excellente métaphore Imaginaire du processus Symbolique par lequel le Moi du Sujet se constitue.
Tu vois aussi pourquoi il nous fallait lâcher cette idée du Sujet comme une sorte de monolithe enraciné dans le Réel et crevant le plafond Imaginaire pour atteindre le Symbolique: parce qu'il fallait pouvoir écrire que le Moi se raconte, se réfléchit en Im, en référence à l'Autre: h: A→F(A).
Par ailleurs, cette présentation permet de repérer les failles dans la construction: lorsque certaines transformations naturelles ne commutent pas...
- Tu pousses quand même le bouchon un peu loin...
- Pas de mon point de vue: il ne s'agit pas ici d'utiliser hors de propos un langage mathématique pour faire joli, mais au contraire de creuser celui-ci pour y retrouver les traces de ses origines, en partant de l'hypothèse que l'homme est avant tout un être de langage.
Je te laisse méditer là-dessus.
Hari