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Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...

L'Homme quantique

Des Bororo à la mécanique quantique

Quelques notes en vue d'un hypothétique ouvrage...

1/ Dans «Tristes Tropiques», Lévi-Strauss présente l’organisation urbaine du village comme une représentation de l’organisation sociale.

Les cases des familles sont disposées en cercle, autour de la maison des hommes.

Le groupe est en fait formé de deux sous-groupes (les Cera et les Tugaré), occupant chacun un demi-cercle coupé par un axe parallèle au fleuve (axe est/ouest). Les hommes se marient avec une femme du groupe complémentaire, et traversent la ligne de séparation, pour vivre dans la maison de la femme.

Sur un plan supérieur, il y a une dualité orthogonale entre deux groupes de morts (opposition entre amont et aval du fleuve).

À noter la place centrale de la maison des hommes, flanquée de l’espace de danse, uniquement réservés aux hommes.

À noter la position externe, périphérique, de spectatrice des femmes, et la circulation des hommes. Opposition duale entre principe actif et passif.

Enfin, pour représenter l’axe entropique, 2 personnages particuliers font le lien avec l’univers. D’une part, celui qui est lié aux forces naturelles, le bari, il est attaché à la multiplicité (il ne jette rien de ce qu’il produit, ses ongles, etc… Son âme, après sa mort, s’ajoute à celle de ses devanciers et des forces naturelles), et l’intercesseur d’avec les âmes des morts (c’est le « maître du chemin des âmes » ou «aroettowaraare»). Les âmes, après la mort, s’agglomèrent entre 2 groupes complémentaires. Donc multiplicité d’un côté, regroupement en 2 entités complémentaires de l’autre.

En termes d’énergie / entropie :

  • La mort d’une personne, qui est une agression faite par la nature à la société des hommes, créé une dette qui doit être compensée par une chasse funèbre, c’est le premier volet des funérailles. C’est le «mori» du défunt.
  • Le second, c’est l’incorporation de l’âme du défunt à celle des ancêtres.
  • En résumé : les bororo compensent l’énergie (mori) perdue en empruntant à leur milieu, et d’autre part, en accédant au village des morts, il y a diminution d’entropie.

Comme pour la culture chinoise, nous pouvons facilement symboliser toute cette organisation à l’aide de la structure absolue.

t destinées à «donner du sens» à la structure absolue, il s’agit de métaphores. Donc nous tentons par là d’accrocher à la structure absolue une valeur de symbole : c’est alors plus qu’un schéma (domaine de l’imaginaire). Nous pourrons, ce faisant, nous l’approprier au niveau symbolique, pour représenter la diversité de nos expériences, comme l’alphabet permet de tout écrire, comme le yin king, comme l’arbre sephirot.

3/ Dans une note je parle de l’opposition entre métonymie et métaphore et remarque que l’évolution culturelle passe de la métaphore à la métonymie (Les mots et les choses), alors que le développement de l’enfant suit le sens inverse (Lacan). En fait, il manque une perspective à cette remarque : la métaphore est de l’ordre du symbolique, tandis que la métonymie est de l’ordre de l’imaginaire.

J’explique : les symboles sont ambivalents, comme une écriture, il importe donc qu’ils puissent dénoter un maximum d’images. Leur richesse se mesure à la richesse, à la quantité, d’images qu’ils peuvent évoquer, illustrer, repérer, transcrire, transmettre. Il y a une notion de rendement (donc d’entropie) là-dessous.

Par contre, la science, qui a éclos à la fin du Moyen Age, à une période justement appelée « Renaissance », a fait table rase des symboles très chargés utilisés jusqu’alors, pour aller voir directement la « Nature ». Il s’agissait en premier lieu de taxinomie, c'est-à-dire de faire des tableaux de ce que nous offrait la Nature, au sens le plus littéral du terme, de s’en faire des « images ». Il y a donc, du Moyen Age à la Renaissance, passage d’un plan symbolique à un plan imaginaire, et l’on cherche ainsi à se rapprocher du Réel. La science n’est pas métaphorique, mais cherche à reconstituer des concepts à partir d’éléments observés : elle est métonymique.

Dans cette perspective, le structuralisme peut être vu comme une tentative pour repasser au niveau Symbolique : retenir des représentations développées par la science des structures, en nombre le plus limité possible, aptes à transcrire de façon concise les images en notre possession.

Il y a du niveau imaginaire au niveau symbolique, une dialectique, une respiration : c’est à partir de l’imaginaire, à force de répétitions, que se constituent des symboles, qu’un sens s’en dégage, et ré imprègne, à posteriori les images dont ils émanent.

Le meilleur exemple de cet aller-retour entre plans symbolique et imaginaire est peut-être le tableau périodique de Mendeleïev.  Je vous laisse juge de l’économie réalisée par la représentation des éléments de la nature dans ce tableau par rapport à tout ce qu’un alchimiste pouvait savoir des éléments qu’il découvrait au Moyen Age.

4/ Le point important de la symbolique à développer me semble être, outre un aspect essentiellement relativiste (qui débouche sur une forme fractale), la possibilité d’aller en deçà du principe du tiers exclus.

Le principe de séparabilité, voilà le fil rouge. Là encore, il faut renverser notre perspective : l’opération de taxinomie, point de départ de la science moderne fondé sur un retour à l’observation directe de la nature, ’est développé dans une société hautement cultivée. La possibilité de nommer, de classifier, présuppose la possibilité de discriminer les choses.

Il faut donc avancer encore d’un pas, faire table rase des présupposés dont nous prenons conscience, sous peine de limiter notre compréhension par des à-priori culturels. Comme le fait remarquer Lévi-Strauss (reprendre sa remarque sur ce point dans Tristes tropiques), on se trompe en pensant les peuples sauvages près de la nature : leur vie sociale est au contraire extrêmement riche et développée, et ils n’ont de cesse de radicaliser leur distance d’avec la nature, d’autant plus qu’elle les cerne plus intimement que nous-mêmes. Le paradoxe de la démarche scientifique consiste donc, pour évoluer, à se dépouiller au maximum de notre culture (d’en faire l’épochè), allant ainsi au rebours de la pensée sauvage qui, elle, s’enkyste dans les formes culturelles qu’elle développe.

Dans cette perspective, il est un point particulièrement prégnant dans le mode de penser dont nous avons hérité des grecs : c’est le principe du tiers exclus. Or, l’évolution très récente de la mécanique quantique nous oblige à relativiser ce concept.

J’explique : au niveau quantique, c'est-à-dire à très petite échelle, il y a superposition des états. Une particule peut à la fois être et ne pas être là (c’est le paradoxe du chat de Schrödinger qui peut, tant que l’on ne l’observe pas, être ou ne pas être vivant). Autrement dit, la mécanique quantique ne répond pas à l’axiome du tiers exclus.

Maintenant, les considérations les plus contemporaines nous invitent à considérer la mécanique classique, comme découlant de cette mécanique quantique que l’on doit considérer comme plus fondamentale. La disparition de l’aspect quantique étant du au fait qu’au niveau macroscopique les éléments observés sont tellement « complexes » (à reformuler sans doute, il ne s’agit pas de complexité au sens d’Edgar Morin mais du fait que les états accessibles par l’ensemble observés sont très proches les uns des autres, et que l’action de l’environnement y est moins « sensible ») que les perturbations qu’apportent l’observateur à l’élément observé ne peut faire bouger ce dernier que peu de l’état qu’il avait avant l’observation (on peut remettre ici le principe de Ferma. C'est-à-dire que le chemin stable de la lumière est le chemin extrémum, c'est-à-dire celui qui varie le moins (dérivée seconde nulle)). Il y a donc renversement de perspective : la mécanique quantique fonde la mécanique générale.

Pour suivre une évolution parallèle, nos modes de penser doivent évoluer: le principe du tiers exclus n’est pas premier. Nous devons accepter d’être et de ne pas être dans un état particulier : accepter d’aimer et de haïr d’un même mouvement, actif et inactif en même temps, et surtout se poser comme individu, en même tant que partie d’un tout. A la limite, accepter de se concevoir soi-même comme une entité indistincte du tout. Vous voyez que nous ne sommes pas loin de la vacuité bouddhiste.

Dans ce retournement de perspective, ma séparation d’avec le monde (qui aboutit à la constitution du Moi), ne peut venir que de l’appréhension d’une certaine stabilité de mes perceptions, ce qui suppose le principe de répétition (il fallait bien en revenir là) d’avant le principe de plaisir de Freud (on retombe à ce sujet sur le petit Hans qui joue avec un bouchon relié à un fil, le rejette encore et encore de son berceau pour, en tirant sur la ficelle, avoir le plaisir à chaque fois de le retrouver tel qu’en lui-même).

Il est de la nature d’un symbole d’être ambivalent, donc en deçà du principe du tiers exclu, plus primitif en quelque sorte. Les grecs, en formulant ce principe limitaient la production imaginaire que l’on en pouvait tirer, pour satisfaire à leur (notre) conception de la logique. Ce que nous enseigne la mécanique quantique, c’est qu’il est temps de rejeter celui-ci : les objets de notre conscience ne sont pas des données premières, mais se constituent à force de répétitions à partir de notre expérience. C’est la répétition qui donne sens à nos observations et en dégage des signifiants. C’est la récurrence des formes (des structures) que nous construisons entre signifiants qui donne sens à leur invariance et en dégage des symboles qui, rétroactivement formateront notre imaginaire.

J’emploie à dessin le terme de formater, pour souligner ainsi la nécessité, de temps en temps, de refaire le cycle complet de constitution de notre symbolique, sous peine de scléroser notre pensée, en la forçant à emprunter des formes  ne répondant plus à la variété de notre expérience. Nous en sommes là.

À part cela, il est l'heure de l'apéro, et les rues d'Abidjan sont vides.

Hari

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