Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...
13 Juillet 2020
- Quel titre alambiqué ! La narration nous renvoie à la littérature quant on s'attend à un langage mathématique pour traiter de la relativité.
- Certes, mais lorsque le professeur aligne ses équations sur le tableau vert pour ponctuer sa leçon, il faut malgré tout qu'il te raconte une "histoire". Or, cette nécessité n'a pas évolué depuis qu'à l'aube de l'humanité, le sorcier du village psalmodiait les mythes de la tribu en dansant autour d'un feu de camp pour préparer les jeunes à leur initiation.
La narration est encore le moyen universel de transférer un certain nombre de connaissances, ou d'informations d'un individu à un autre. Et toute notre "entropologie" consiste à comprendre les règles économiques qui régissent ce flux, allant du sachant à l'ignorant, comme nous y invitait Lévi-Strauss.
- Soit, mais pourquoi cet article, ici et maintenant ?
- C'est toujours la même histoire : en écrivant mon dernier article, j'évoquais des films de Science-Fiction à l'appui de ma thèse, lorsqu'un titre s'est glissé sous ma plume pour m'apporter la contradiction: (note 1)
"... - Tu oublies "Interstellar", avec une réelle prise en compte, dans le récit, d'un temps relativiste de niveau I#.
- Tu as raison. D'ailleurs, ce récit pose une question intéressante concernant sa construction: l'auteur déroule son récit, dans une approche tout à fait élémentaire, de niveau I01, la seule qui nous permette effectivement de "visionner" le film comme une succession d'images, pour y rapporter un récit de niveau I#, absolument relativiste. Ceci implique que le "récit" ne puisse être que réducteur par rapport à un "objet" qui lui échappe totalement. Un peu comme une carte utilisée pour "représenter" la Terre. J'ai bien l'impression que cette "narratologie" reste limitée à l'analyse de "romans" très classiques."
Et depuis lors, ce petit grain de sable continue à me démanger. Par ailleurs (coïncidence ou synchronicité, comme tu voudras), un lien sur ma page Facebook, attire mon attention vers une présentation de la courbure de Ricci par Cédric Villani.
Je suis tout de suite séduit par son introduction car son opposition analytique/ synthétique renvoie immédiatement à l'approche duale locale/ globale que nous avons identifiée comme constitutive d'une "approche topologique", d'ailleurs Villani lui-même en parle. Je reviendrai à cette introduction en détail, mais ce n'est pas là où je veux te mener.
Je survole, faute d'en comprendre toutes les finesses, tout ce qu'il rassemble de connaissances sur cette courbure de Ricci, au coeur même de la relativité, pour m'intéresser à son approche de la question grâce à la notion de "transport optimum", (note 2) ce qui le ramène à un questionnement très ancien de Monge.
Bien entendu, le questionnement de Monge, d'ordre économique est une préoccupation essentiellement de niveau I#, tout comme le principe de moindre action de Maupertuis, et tout ceci va me donner bien des sujets de méditations dans les prochains jours... Mais je ne voudrais pas perdre le fil de ce que j'ai à te dire en m'embarquant dans des considérations secondes, pour m'en tenir à cette idée qui me tracasse et dont je voudrais bien discuter avec Cédric Villani en personne !
Si j'ai bien compris l'utilisation qu'il fait de la notion de déplacement, il s'agit de décrire l'évolution dans le temps du volume d'un élément qui se déforme lorsqu'on le déplace selon un chemin donné. Ce volume étant rapporté à un référentiel lié à l'objet en cause.
Ma question est alors la suivante :
- J'ai du mal à comprendre.
- Oui, moi aussi, c'est pourquoi je laisse cette trace de mon interrogation, avant de l'oublier; l'esprit cherchant toujours à éviter les questions auxquelles il ne sait répondre.
Reprends le questionnement initial de Monge: il cherchait le moyen optimum de transférer un tas de sable dans un trou:
Instinctivement, tu te situes dans un espace en 3D, le mouvement consistant à plonger cet espace 3D dans un autre en 4D, avec la dimension temporelle. Un film décrivant le mouvement, sera alors une succession de projections du mouvement 4D dans l'espace 3D. Est-ce que tu me suis ?
- Oui, ton langage manque de légèreté, mais je comprends le principe.
- Bien, maintenant, fait un effort d'imagination pour généraliser le processus, et en particulier, passe à la 4D, avec le temps comme dimension additionnelle; nous en avons déjà parlé (voir: "Quaternion - réalité du temps et espace imaginaire"). Ce que propose Villani, c'est de plonger cet espace 4D (avec le temps) dans un espace 5D dans lequel la 5è dimension permettrait de décrire un mouvement entre deux états initial et final de mon espace 4D. Et ma question est : quelle est la nature de ce temps second ?
- Apparemment ce temps, qui est celui d'une "narration" élémentaire, est de niveau Imaginaire I01.
- Ah ! Tu vois le problème ? Nous avons déjà rencontré ce type d'anachronisme en mécanique analytique (voir: "Newton, Lagrange, Hamilton et les autres") :
- Strictement parlant, il n'y aurait rien de choquant là-dedans dès lors que le Sujet se positionne en I'm, c'est à dire, en adoptant une approche locale d'un objet qui lui échappe.
- J'entends bien, mais le projet de Villani est très exactement de sortir de cette approche locale, ou analytique, pour exprimer l'objet de façon synthétique ou globale, tel qu'il le développe en avant-propos de son cours. C'est-à-dire, passer de I'm<Iobjet à Iobjet<Im !
Vois-tu la baleine sous le coquillage ?
- Je crois qu'il faut absolument distinguer le "temps de l'objet" du "temps du récit".
- Oui, et les considérations que j'ai glanées au fil de mes dernières lectures, en rédigeant l'article "entropologie et sciences du langage" m'y ont inconsciemment préparé.
- Et qu'en tires-tu ?
- Si nous discutons de sciences physiques, alors l'objet de notre discours doit respecter les lois de conservations de l'énergie et du mouvement propres au niveau Imaginaire où il se situe, ici en I#.
Par contre les changements de posture du Sujet échappent aux contingences physiques auxquelles l'Objet est astreint.
- Je ne te suis pas ?
- Considère cette expérience de pensée:
"J'ai une barre à mine d'un mètre et une boîte à ciseaux de 15 cm de long. Pour faire rentrer la barre à mine dans la boîte à ciseaux, il me suffit d'accélérer suffisamment la barre à mine dans le sens de sa longueur, par exemple à 90% de la vitesse de la lumière pour que sa longueur se rétrécisse de telle sorte que je puisse l'enfermer dans la boîte à ciseaux".
Il y a bien deux temps dans l'histoire:
La physique nous indique que la manipulation est techniquement irréalisable, compte tenu des énergies à mettre en jeu effectivement dans toute tentative pour réaliser cette "expérience".
Je pense qu'il faut creuser dans cette direction pour bien appréhender le hiatus entre ces deux temporalités...
- Tu es quand même bien loin du sujet...
- Le crois-tu vraiment ? Reviens à l'introduction de Villani, à 15' de la première vidéo, lorsqu'il parle tout simplement de la définition synthétique d'une courbure:
"la courbure est positive si la courbe est située sous la droite reliant ses deux extrémités"
Ça paraît simple de prime abord, voir élémentaire si tu traces la figure au tableau, mais suppose que tu veuilles mesurer la distance entre chaque point d'une courbe et sa projection, en prenant par exemple un rayon lumineux et une droite idéale entre le Soleil et Alpha du Centaure; comment t'y prendras-tu, concrètement ?
Bon, je te laisse, les filles m'appellent pour faire les magasins !
Hari
Note 1 :
Pour comprendre les bases de l'étagement Imaginaire, se reporter à :
Note 2 :
Villani introduit la notion de déplacement, dans sa leçon 2, après un très large récapitulatif de la notion de courbure de Ricci abordée d'un point de vue analytique. La notion de "transport optimum" devant marquer une approche synthétique (nous dirions "globale")