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Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...

L'Homme quantique

Entropologie vs sciences du langage et de la narration

- Par curiosité, j'ai demandé à ma fille L., ce matin, si elle pouvait m'aider à caractériser les différentes "postures" du Sujet, telles que je les aborde ici, en termes de grammairien, ou de linguiste, histoire d'avoir une approche un peu plus générale que celle du mathématicien.

- Et ?

- Eh bien elle m'a indiqué spontanément deux pistes, deux noms: 

  • "Figures III" de Gérard Genette
  • "Lector in fabula" de Humberto Eco.

Je pars donc surfer sur les pages de Wikipedia, pour voir si ça fait tilt quelque part, et tombe tout de suite sur l'article "narratologie". Bien entendu, le fond est structuraliste, comme j'aurais du m'y attendre...

- Autrement dit, tu retournes à tes premières amours, et Saussurre, à qui tu as emprunté la distinction "synchronie" / "diachronie"...

- Oui, mais, la narratologie s'intéresse à des structures plus complexes. En particulier, la "narration" exprime un déroulement temporel.

- Mais dans les structures que tu représentes, il n'y a pas d'appréhension directe du temps: tu passes d'un état "synchronique" quelconque Ik, à un état supérieur de conscience Ik+1, avec un saut diachronique Ik↑Ik+1 qui échappe, par définition à la narration. Par exemple, l'enfant est primitivement avant le stade du miroir, et, à un moment donné, il en a fait l'expérience, le saut lui-même restant hors mémoire.

- Bien entendu, mais tu fais la bête pour avoir du son, car tu sais très bien qu'à partir de ce saut, il est possible de reconstituer une chronologie, en répétant un saut élémentaire, par exemple (*)I1{*}I01, nous en avons parlé jusqu'à plus soif.

- Et ça donne quoi dans cette narratologie toute fraîche pour toi ?

- Apparemment, la "narration" explorée par ces théoriciens n'arrive pas à dépasser cette conception primitive du temps ! Je te donne quelques exemples de cette limite, juste en survolant Wikipedia:

1/ Les actions et l'intrigue :

"Selon Paul Larivaille, l'intrigue (l'histoire) se résume dans toute oeuvre selon un schéma quinaire :

  1. Avant - État initial - équilibre;
  2. Provocation - Détonateur - Déclencheur;
  3. Action;
  4. Sanction - conscience;
  5. Après - état final - équilibre.

bref, selon ce schéma, le récit se définit comme le passage d'un état à un autre par la transformation."

Tu repères sans difficulté nos états initial Ik et final Ik+1 à la première et la dernière étape de la narration. L'"Action" quant à elle, qui pourrait être élidée comme un saut diachronique entre les étapes 1 et 5, se déploie littéralement comme un film construit à partir d'une suite d'images.

- Que fais-tu des étapes 2 et 4 ?

- J'y verrais quant à moi l'investissement de l'auteur, qui ressent l'ébranlement initial, et juge de son propre récit, en position de démiurge, ou dans mon jargon de comptable, en position ex post, avec Ik<Ik+1<Im, le Sujet se dévoilant en Im,  aux yeux du lecteur, précisément par sa façon d'exprimer et/ou ressentir ce récit.

2/ Le temps narratif :

"Il est important de toujours bien distinguer ce qui relève ou non de la narratologie, c'est-à-dire ici le temps de l'univers et les temps du discours.

La narratologie peut analyser le temps du récit. Il en existe plusieurs: l'ordre, la durée, la fréquence, etc. L'ordre du récit est l'ordre des faits. Il peut y avoir rétrospective ou anticipation, l'ordre peut être linéaire, mais aussi anachronique. La durée quant à elle est le temps que durent les faits, le rythme de la narration. Aussi, la fréquence est le nombre de fois qu'un événement s'est passé.

On peut distinguer:

  1. L'ellipse: certains événements dans la narration sont passés sous silence et à ce moment on utilise une ellipse temporelle pour que le lecteur puisse se situer dns le texte. Exemple : "Le jour J (ellipse temporelle) arriva". On peut supposer que les jours précédents n'ont pas été narrés."
  2. Le sommaire: on résume en quelques lignes des événements de longue durée, le récit va plus vite que l'histoire.
  3. La scène: le temps de narration est égal au temps du récit. On raconte les événements tels qu'ils se sont passés. Exemple : dans le dialogue.
  4. La pause : le récit avance, mais l'histoire est suspendue, on omet une période de l'histoire. Exemple : lors d'une description."

- Pourquoi me recopies-tu le texte de Wikipedia ?

- C'est ma façon de bien relire le texte, pour me persuader que dans tout ceci, nous restons définitivement dans la posture Ik<Ik+1<Im. Même si tu situes un personnage en Ik+1, la posture du Sujet-auteur-narrateur ne change pas fondamentalement. Il n'y a pas, en particulier le décalage I'm<Im dont nous avons discuté pour caractériser la différence entre postures "rationnelle-logique"  (i.e.: Ik<Im) et "approche topologique" (i.e.: I'm<Ik<Im).

3/ Les moments de la narration :

On distingue au moins quatre moments différents dans la narration:

  1. Ultérieur: on raconte après ce qui s'est passé (analepse);
  2. Antérieur : on raconte ce qui va se passer (prolepse ou amorce) ;
  3. Simultané : on raconte directement ce qui se passe;
  4. Intercalé : on mélange présent et passé.

On pourrait se poser la question d'une ouverture du récit dans le deuxième moment dit "antérieur".

- Je ne comprends pas ?

- Si la position d'un narrateur en position ex ante par rapport à son discours était envisagé, il pourrait ne pas savoir lui-même le développement de son récit. Imagine, par exemple, la situation d'un acteur dans un match d'improvisation. Il y a une virtualité dans le déroulement du récit, qui tient à l'action du concurrent dans l'élaboration de la pièce. Dans un "livre dont vous êtes le héros", ou littérature interactive, cette virtualité est limitée aux potentialités prévues par l'auteur.

- Tu en reviens toujours à Deleuze ?

- On ne se refait pas ! Mais pour en rester au récit comme accroché à une virtualité qui lui échapperait, tu vois bien que ce type de récit, au fur et à mesure de son actualisation, connoterait un objet qui lui échappe, alors que dans les autres cas, elle ne fait que dénoter son objet.

- Cette fois-ci tu nous ressors Lévi-Strauss et son opposition pensée rationnelle/ pensée mythique.

- C'est juste pour te montrer que je retombe sur mes pattes ! Mais nous ne sommes pas si éloignés que cela des préoccupations de Genette, lorsqu'il parle d'immanence et de transcendance (dans "l'oeuvre d'art" tome 1). Je me demande ce qu'il aurait pensé de la différence entre la posture globale de Im tournée vers l'objet final (i.e.: I1<Im) et la posture locale de I'm tournée vers l'objet initial (i.e.: I'm<I0); la première étant pour nous une posture Immanente, la seconde transcendante, en référence à Spinoza.

Pour en revenir à "Figures III", et si j'en crois ce qu'en dit Wikipedia, Genette aborde effectivement des questions qui m'agitent, à savoir le temps et la position du Sujet dans son discours.

- Concernant le temps, est-ce qu'il t'apporte quelque chose ?

- Peut-être un vocabulaire à reprendre ? C'est à discuter.

4/ Diégèse / Métalepse :

"La diégèse est l'univers spatio-temporel désigné par le récit"

Le terme pourrait être utilisé pour caractériser l'univers descriptible en I01 (par une fréquence) ou en IR (le temps orthogonal à l'espace) ou en I# (avec la norme de Minkowski), sans apporter grand-chose.

- Peut-être trouve-t-il son utilité comme élément du concept de "métalepse"?

"Soit une instance narrative en train de raconter sa propre histoire avec ses personnages. Un de ses personnages (appartenant à la diégèse dite numéro 1 ou de niveau supérieur) raconte alors une autre histoire, créant ainsi une seconde diégèse (ou une diégèse de niveau 2 ou de niveau inférieur). Dans ces conditions-ci, le passage d'une diégèse à une autre, d'un niveau narratif à un autre, d'un monde fictif à l'autre, constitue alors une métalepse."

- Le problème c'est que la situation décrite n'a strictement rien à voir avec la double approche locale/ globale du géomètre. Il y a une différence entre I'm et Im qui n'est absolument pas conceptualisée ici.

- Soit un peu plus précis.

- Considère un Sujet, s'imaginant comme le narrateur (en Im) d'un conte se déroulant dans une diégèse de niveau 1 (en Ik+1), avec un personnage identifié en Ik et se déplaçant dans ladite diégèse, nous avons : Ik<Ik+1<Im.

Maintenant, ce personnage nous raconte une histoire de même structure générale (Ik<Ik+1<Im) de son propre point de vue. Pour nous repérer, identifions notre auteur par un indice 1 et le personnage par un indice 2, ceci nous donne:

Ik2<Ik+12<Im2=Ik1<Ik+11<Im1

Nos deux diégèses sont repérables respectivement en Ik+11 et Ik+12, dans la posture générale Idiégèse2<Idiégèse1<Im1 où ils restent de même type, repérés par le Sujet (comme le personnage du reste) dans une posture "rationnelle-logique", sans que soit prise en compte une dégénérescence potentielle tenant à leur positionnement relatif ou un changement de posture du Sujet.

- C'est pourtant au coeur de récits comme "Ubik", où l'univers du héros se désagrège au fur et à mesure que l'environnement cryogénique du personnage se détériore. Dans un film comme "Inception", il y a bien modification de temps au fur et à mesure que le rêveur s'enfonce dans son rêve...

- Mais la nature même du temps n'est pas interrogée ! Même dans Inception, certes, d'un palier à l'autre, la fréquence de référence change, mais la notion de temps elle-même n'est pas questionnée. Le seul film où il y ait une dégénérescence, mais du seul l'espace, c'est dans le film "Passé virtuel".

- Tu oublies "Interstellar", avec une réelle prise en compte, dans le récit, d'un temps relativiste de niveau I#.

- Tu as raison. D'ailleurs, ce récit pose une question intéressante concernant sa construction: l'auteur déroule son récit, dans une approche tout à fait élémentaire, de niveau I01, la seule qui nous permette effectivement de "visionner" le film comme une succession d'images, pour y rapporter un récit de niveau I#, absolument relativiste. Ceci implique que le "récit" ne puisse être que réducteur par rapport à un "objet" qui lui échappe totalement. Un peu comme une carte utilisée pour "représenter" la Terre. J'ai bien l'impression que cette "narratologie" reste limitée à l'analyse de "romans" très classiques. 

- Il serait peut-être bon, malgré tout de t'inspirer de Système III pour préciser grâce au vocabulaire que Genette y développe, ta propre posture dans ton exposé, voire la place du DM (mon Démon de Maxwell) dans tes schémas (i.e.: R<Im<S<DM).

Et puis, cette introduction à l'ouvrage de Genette devrait t'inspirer : 

«La spécificité proustienne est irréductible, elle n'est pas indécomposable. Comme toute œuvre, comme tout organisme, la Recherche est faite d'éléments universels qu'elle assemble en une totalité singulière. L'analyser, c'est donc aller non du général au particulier, mais bien du particulier au général. Ce paradoxe est celui de toute poétique, sans doute aussi de toute activité de connaissance, toujours écartelée entre ces deux lieux communs incontournables, qu'il n'est d'objets que singuliers, et qu'il n'est de science que du général ; toujours cependant réconfortée, et comme aimantée, par cette autre vérité un peu moins répandue, que le général est au cœur du singulier, et donc - contrairement au préjugé commun - le connaissable au cœur du mystère.»

Tu vois bien s'établir d'elle-même la nécessité d'une double approche locale-globale !

- Le plus amusant étant que Genette y voit l'essence même de la poétique, alors qu'elle te saute aux yeux comme propre aux mathématiques, avec cette fin en apothéose: "le connaissable est au coeur du mystère" !

La pensée mystique précède et détermine la pensée rationnelle ! Lévi-Strauss eut-il rêvé meilleure expression d'une vérité sans âge ?

Hari

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