Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...
17 Juillet 2019
- Petit coup de blues hier en survolant un article traitant de la géométrie non-commutative (note 1). J'arrive à peine à en déchiffrer le vocabulaire, tant il y a de connaissances à acquérir pour aborder le moindre concept, et ma tête est si légère que je désespère de retrouver mon chemin dans ce labyrinthe.
- Il est peut-être temps de poser tes bagages?
- Je ne suis pas désespéré à ce point, mais j'en tire une leçon.
- Laquelle ?
- Il me faut adopter un principe absolu de modestie.
- Qu'entends-tu par là ?
- Qu'il est impossible, pour quelque sujet que tu abordes, de pouvoir commencer par "un bout"; tu tapes toujours au milieu. Si par exemple tu as besoin d'un morceau de scotch, le rouleau ne te présente jamais le bout du ruban, si tu veux arroser ta pelouse, tu dois avant tout démêler les noeuds du tuyau, ce genre de choses. En ce sens, le projet de Descartes de commencer par le commencement, c'est à dire son propre ego est illusoire, de même pour Wittgenstein lorsqu'il rédigea le Tractatus Logico-philosophicus.
- Je ne vois pas de modestie dans ceci ?
- Mais si, car ce constat se double du suivant: j'attrape toujours mon sujet de réflexion en marche. Si je parle de la vision binoculaire par exemple, mon corps a déjà appris à voir quelques mois seulement après être sorti du ventre de ma mère et fait naturellement ce que j'ai peine à comprendre. Si je veux parler de géométrie, j'arrive après Euclide, si je veux parler des fleurs, de musique ou de Dieu lui-même, je ne te raconte même pas le nombre de personnes qui par leurs théories, leurs apports à mon propre vocabulaire, à mon entendement, conditionnent ma langue comme ma culture et l'horizon de mon propre discours.
- Mais enfin, pourquoi aborder un texte si difficile, auquel tu ne comprends rien ?
- Parce que mon incompréhension fait sens. Je m'explique: en survolant un texte ou je n'accroche que quelques mots ou concepts, j'arrive à voir malgré tout une ligne générale, une intention de l'auteur, ce qu'il dit en préface et comment il déroule son argumentation, ainsi que quelques préjugés lui permettant d'organiser son discours.
- Et qu'as-tu vu dans ce texte qui justifie ton propre développement.
- Une idée de l'auteur quant à l'organisation et au développement de la géométrie. Pour lui les concepts les plus élémentaires de la géométrie sont des principes "topologiques" auxquels viennent se surajouter des spécificités, comme l'ajout d'une "norme". Ou encore, l'idée d'une géométrie primitive, Euclidienne et donc commutative, qui serait plus élémentaire que la géométrie non-commutative à laquelle il travaille.
Je crois qu'il y a dans cette présentation un préjugé qui fausse la perspective.
- Pourtant, il est indéniable qu'Euclide a développé la géométrie bien avant qu'Alain Connes s'occupe de développer une géométrie non-commutative...
- Bien sûr, mais ce n'est pas pour cela que la géométrie Euclidienne est plus "simple" que la géométrie non-commutative. L'un comme l'autre a attrapé la pelote de ficelle comme elle se présentait, et l'a démêlée comme il a pu. Nous pouvons juste dire qu'Alain Connes a repris le travail là où historiquement ses prédécesseurs l'avaient laissé, avec leur propre problématique; ce qui ne présage en rien de l'état initial de cette pelote, ni de la façon la plus simple de la dérouler.
Prends par exemple cette idée que la topologie serait la structure géométrique la plus élémentaire, la fondation d'un édifice auquel il faudrait "rajouter" des étages, elle ne cadre pas avec l'idée générale que notre Imaginaire se structure progressivement en élargissant le concept de "symétrie". (note 2)
- Peut-être dois-tu changer ou clarifier ton approche?
- Oui, et pour ceci, je crois qu'il ne faut jamais perdre de vue que notre Imagination se structure toujours autour de deux pôles : l'objet (*) en I1 et l'objet () en I0, bornes diamétralement opposés sur l'axe diachronique de notre Imaginaire avec, et ceci est essentiel, I1 au contact du Réel R et I0 au contact du Symbolique S : R<I1<...<I0<S. Le Sujet en Im, éventuellement redoublé en I'm, avec I'm<Im, navigant entre ces deux bornes absolues: R<I1≤...≤I'm<...<Im≤...≤I0<S.
Or, donc, la simplicité d'un concept doit être rapportée à l'objet référé ultime auquel il se ... rapporte, précisément . Si par exemple, je dis que la logique est ce qui se rapporte au plus près de l'objet final, c'est parce que je peux mettre immédiatement l'objet discriminant de la catégorie la plus simple, celle des Ensembles, à savoir {{*};{ }} en I01, avec I1<I01, sans possibilité de niveau intermédiaire: le saut est ici franc et absolu.
Pour dire que la topologie est la théorie la plus élémentaire de la géométrie, avec comme objet référé ultime, ( ) en I0, il me faudrait la placer en un niveau I# par exemple, avec I#<I0. Mais l'idée que j'ai d'une symétrie "parfaite" ou "absolue" de l'objet ( ), m'impose l'idée que cette topologie, est un principe de symétrie extrêmement général, à partir duquel les "propriétés additives" dont nous parle l'auteur viendraient comme des limitations progressives, des brisures de symétrie. Autrement dit, je passerais progressivement de la norme et de la mesure (qui instaure une symétrie dans toutes les directions) à des géométries sans idée de "mesure", pour ensuite, en me rapprochant de I01, passer à des géométries résolument non-commutatives, et à l'instauration d'une idée du temps, lié au saut très primitif entre I1 et I01. (note 3)
J'espère que tu vois comme moi la relativité de l'approche. Lorsque Alain Connes développe une géométrie non-commutative, il s'agit d'une construction très élaborée par rapport à l'approche d'Euclide (il s'éloigne de I0), cependant, strictement parlant, il se rapproche des strates les plus élémentaires de notre Imaginaire (il se rapproche de I1), qui se réduisent à la logique pour atteindre le Réel, et donc, à l'expérience la plus immédiate que nous en ayons.
J'étais dans cette disposition d'esprit ce matin au réveil, lorsqu'il m'est venu cette idée : la topologie s'intéresse aux "trous", et tourne autour. Elle caractérise un espace essentiellement (mais pas que) par le nombre de trous. Or qu'est-ce qu'un trou ? L'inverse d'un point. Et je voyais un univers de points -en rapport à l'objet final (*)- comme l'envers d'un espace servant de liant à un univers de trous -en rapport à l'objet initial(). L'insoluble séparation des éléments renvoyant à l'infinie connexion de cet espace troué.
Puis cette idée: que peut-on faire d'un trou, sinon en faire le tour?
Mais par la droite ou par la gauche? Et ce choix est sans doute la brisure de symétrie la plus primitive qui soit
La question duale qui me vient immédiatement étant: que peut-on faire d'un point, sinon le relier au suivant, comme un enfant fait apparaître une image dans un cahier d'éveil ?
Tu vois comment, de la catégorie Ens, on passe tranquillement aux graphes, pour approcher la géométrie "par en-dessous"...
Et comme décidément ce matin, mon jugement joue relâche, ma pensée divague, et j'en reviens à une question d'orthogonalité : (Note 4)
Qu'est-ce qui serait orthogonal à un cercle autour d'un trou, sinon une droite pointant vers le dual (*) de cet objet vide ( ) situé au même endroit ?
Et je me dis qu'il serait sans doute temps de regarder un peu la théorie de l'électromagnétisme avec ces lignes magnétiques se refermant sur elles-mêmes, et moi m'orientant dans ces champs ondulants en me signant par trois doigts dressés en trièdre et psalmodiant: "champs, chemin, courant" pour m'y retrouver, tel un exorciste s'avançant derrière son crucifix pour dissiper les ténèbres.
- Je remarque que tu n'en parles jamais, alors qu'il s'agit de ta formation initiale...
- N'est-ce pas signifiant ?
Ceci dit, je te laisse méditer là-dessus: le devoir m'appelle autre part.
Hari.
Note 1 Voir :
Note 2 :
De ce point de vue, en se focalisant sur l'objet initial (*) en I1, avec l'affirmation élémentaire par le Sujet (en Im) de son existence : I1<Im, nous aurions la situation globale la plus dissymétrique qui soit.
À l'inverse, dans une approche locale de l'objet final ( ) en I0, nous aurons l'approche la plus symétrique (mais locale) qui soit : I'm<I0. Avec à la limite toute chose se rapportant à l'organisation Imaginaire d'un Sujet vide avec I0=Im.
C'est dans cette descente diachronique que se situent nos réflexions quant à la différence entre dichotomie et orthogonalité. Voir:
Note 4 C'est une figure récurrente qui remonte à ma présentation au CLE. Voir :
Ce "vide" du nid me ramenant irrésistiblement à Lao Tseu: