Quelque chose me trotte dans la tête depuis un certain temps.
Lacan parle d'au-delà du principe du plaisir, et pour lui cet étape antérieure, très primitive, c'est le principe de répétition.
L'autre jour à la TV, j'ai vu un documentaire sur l'évolution de l'Univers depuis le point zéro (hypothétique) du big Bang, jusqu'à sa mort thermique. Passé comme cela, en accéléré, ce qui frappe, c'est la succession d'états de grande agitation, de bouillonnement, de folle exubérande, puis le passage par un état définissable, un point de non retour. Il semble que l'histoire se construise par des séquences pendant lesquelles règne le désordre, délimitées par des états où semble-t-il un seuil est atteint.
Quelques exemples qui m'ont frappé: pas loin de l'origine, il y eu un temps où matière et antimatière étaient confinées ensemble, s'annihilant presque. Le presque tient uniquement à un léger excédant de matière sur l'antimatière (de l'ordre de 1 pour 1.000.000).
Ensuite, au sein des étoiles, la matière, à force d'entrer en collision, dans une sorte de chaudron qui finit par imploser a formé tous les corps jusqu'au fer. Il a fallu ensuite que cette matière redistribuée soit impliquée dans des explosions de super nova pour que les éléments lourds adviennent.
Il y a comme cela, jusqu'à nous d'incroyables bouillonnements de vie pour que celle-ci se moule dans une forme qui n'est plus remise en cause.
Notre ADN même porte en mémoire l'ensemble de notre histoire, les essais et erreurs dont nous sommes issus; puisqu'à peine 2% de celui-ci porte une information utile, le reste n'est que bruit d'essais avortés.
Bref, voilà ce qui s'impose à mon esprit: la nature est exubérante, elle fait tout à profusion et pendant longtemps, puis, une ligne de moindre résistance se dessine et la vie toute entière se moule dans ce passage.
Et nous n'en voyons que les étapes stables. C'est un peu comme lorsque l'on fait un zoom depuis l'infini jusqu'au quarks (la NASA a fait un tel documentaire sur le net). Et bien, dans ce zoom, il y a des étapes que l'on repère bien, puis des séquences entre - deux qui n'ont pas de grande signification, pas de forme repérable (même chose pour un zoom sur une fractale, bien sûr!).
C'est un peu comme ce jeu auquel jouent les enfants: l'un d'eux (l'observateur) compte jusqu'à trois puis ouvre les yeux. A ce moment les joueurs doivent être immobiles, mais lorsque l'observateur ferme les yeux, alors ils se mettent en mouvement.
J'imagine que ce principe de répétition dont parle Lacan est ce mouvement même de l'Univers que l'on repère en nous. Nous n'arrêtons pas de bouger, de nous agiter (les atomes qui nous constituent, nos tissus qui vivent en meurt en un cycle d'une dizaine d'année, nos biorythmes, nos pensées, nos envies, nos pulsions, nos amours).
Et puis, de temps en temps, une façon de bouger que l'on répète plus fréquemment devient nôtre (notre façon de marcher, de manger, de parler, un tic, une façon de relever une mèche de cheveux, une façon de tomber amoureux ou de boire une bière), sans doute parce qu'elle nous convient mieux, c'est à dire qu'elle nous demande moins d'énergie, ou qu'elle nous "satisfait" mieux d'une façon ou d'une autre, nous fait "plaisir", devient une constante; sur laquelle nous ne revenons plus (à moins de nous "remettre en cause", de nous re-causer, de nous re-constituer). Elle se chosifie, se dépose en strates. Les synapses correspondantes dans notre cerveau désertent certaines régions pour suivre ces chemins déjà balisés.
Avant que notre squelette ne se calcifie, nous nous figeons dans notre tête.
Ce n'est pas toujours mauvais d'abandonner des chemins qui ne mènent nul part, il n'y a pas là de jugement de valeur. Prenez par exemple le jeu d'échecs; et bien un grand joueur, par sa pratique du jeu évitera de dépenser de l'énergie pour envisager des solutions qu'il sait, par avance, être de mauvaises pistes; tandis que le néophyte envisagera avec la même attention toutes les pistes et se fatiguera plus vite.
Le revers de la médaille, c'est qu'à parcourir des chemins balisés, il est plus difficile de faire des découvertes. C'est sans doute pour cela qu'en mathématiques, les génies sont toujours précoces.
J'ai en tête, pour illustrer ce mécanisme cet exemple fourni par
Joël de Rosnay lors du dernier congrès
AFSCET.
Si l'on met une brindille perpendiculairement au chemin qu'emprunte une colonie de fourmis pour leur barrer la route et bien les fourmis finiront par contourner la brindille par le côté le plus court.
Le phénomène tient à ce que les fourmis dégagent des phéromones et suivent le chemin qui a la plus forte odeur. Or, au début, les fourmis se distribuent au hasard, de droite et de gauche (c'est l'étape du bouillonnement primitif, au hasard). Cependant, au fil du temps, l'odeur se renforce là où la distance est la plus faible, et donc, petit à petit, ce chemin devient prioritaire et l'autre est vite oublié (si au début, les fourmis se distribuent au hasard, leur vitesse est plus faible sur la distance la plus courte, leur densité augmente et l'odeur se renforce), au bouillonnement initial succède un état stable.
Il n'y a pas ici d'intelligence globale: ce comportement ne devient intelligent que par le sens que nous lui donnons.
Il doit en être de même des synapses dans le cerveau.
Je vois pour ma part un même élan vital (je sais: le terme est très connoté) qui nous vient du fond de l'Univers pour guider nos simples vies. On doit lire Lacan, à mon sens, sans en limiter la porté à l'homme isolé de l'Univers.
Nota: j'ai toujours en tête cette phrase de Foucault à la fin des mots et des choses:
"l'humanité s'éffacera comme à la mer un visage de sable".