30 Janvier 2025
Les portes sur l'univers
(appendice à "La clef du Yin et du Yang")
Le 29/ 01/ 2024 : (suite du #11)
23/ Abstraction et sens — ou le miracle de la communication
- Petit cours sur la différence entre "abstraction" et verbiage, dont acte. À cette lecture me revient ce passage de Lacan au sujet des conversations en bruit de fond :
«Je crois que l’image qui nous vient montrerait la marche d’une dynamo branchée sur la prise de gaz, une plume de paon en sort et vient chatouiller le ventre d’une jolie femme, qui est là à demeure pour la beauté de la chose. La chose commence d’ailleurs à devenir intéressante de ceci, que la pulsion définit selon Freud toutes les formes dont on peut inverser un tel mécanisme.» Lacan 1964.
- Rien d'autre ?
- Si : A.G. remarque ceci :
"Quand je parle ici de «sens», je me rends compte qu'il s'agit là d'une chose de nature délicate, trop complexe pour qu'il soit question ici de vouloir entièrement la cerner. Je voudrais seulement souligner qu'il ne s'agit pas d'une qualité «objective» d'un «texte», ou d'une chose dite. Le «sens» est inséparable de la personne qui écrit ou qui dit, ou (sous un autre angle) de celle qui lit ou qui écoute;..." p. 1249 (en gras dans le texte)
Ce qui conforte, s'il en était besoin, notre approche, centrée sur le discours du Sujet 𓂀 et ses postures 𓁝𓁜; dommage que A.G. ne l'ait pas intégré dans sa représentation.
"C'est là un «miracle» encore, et qui implique deux êtres — un miracle plus rare que celui de la simplicité, lequel en implique un seul.
[...]
Ma responsabilité n'est pas dans l'éclosion de miracles, chose qui m'échappe entièrement. Elle est dans ce qui ne tient qu'à moi : d'être réellement présent et vrai, dans ce que je fais — aussi bien quand je m'exprime par un texte ou de vive voix, que lorsque je lis ou que j'écoute. À moi alors, quand je m'exprime, de veiller à être à l'écoute aussi d'un «sens» en moi, cherchant forme par le langage." p. 1252
- Bref on est en plein dans les "accords Toltèques"...
- Dont acte, poursuivons.
24/ La langue des images — ou le chemin du retour
- Alors, là, il est question de la nécessité d'un sentiment de "douleur" pour qu'une "pensée" ait un sens ?
"Si je me sonde, et essaye de cerner en quelques mots «ce qui manque», je dirais : il y a l'intensité, il y a l'étendue, mais il manque une profondeur. Dans l'intensité et dans les vastes étendues, il y a joie, il y a contemplation. Mais la note grave de la douleur est absente.
C'est en elle, sûrement, que se trouve la dimension manquante, la profondeur absente. Car tout ce qui touche profond nous touche comme une bienfaisante douleur et fait couler nos larmes, à la fois larmes de joie et larmes de peine. Ces eaux-là qui arrosent et lavent l'être, elles sont absentes de ce «monde du langage», le «monde de l'esprit». Alors même que ce délicat langage nous parlerait de Dieu, de l'âme et de nous-mêmes, il nous maintient pourtant éloignés de ces eaux, éloignés de nous-mêmes." p. 1254
- Ça y est, il nous a placé le bon Dieu ! Et pas dans la joie de Spinoza, non, façon Mater Dolorosa, annonçant Marthe Robin, à laquelle il va s'intéresser dans pas longtemps. (voir "L'aventure solitaire" dans #4)
- Et donc ?
- No comment.
- La suite ?
- Il parle ensuite du langage des images comme "universel". Mais là son approche est naïve : la représentation graphique n'a rien de "spontané", il y a des codes en la matière, comme pour l'écriture... À part, peut-être quelques très rares archétypes destinés principalement à la survie des bébés (comme de classer ami 😀 ou ennemi 😡, un visage entr'aperçu avant même d'être capable de l'identifier)... Ce qui suit n'apporte pas grand-chose.
- Il n'écrit pas pour rien, quel est son objectif ?
- Je crois bien qu'il nous voit comme des objets du discours divin...
"Il y a un metteur en scène plus grand que nous qui la manie [la "langue-vie"] comme une langue maternelle dont nous-mêmes et la substance même de notre vie formerions la chair des mots..
[...]
Ce qui sans doute déconcerte le plus dans la langue paraboles, la langue images, c'est la liberté." p. 1260-1261
Je ne sais pas ce qu'il a en tête, mais c'est plus du ressort du divan que du tableau noir !
- Tu peux détailler ?
- Il y a d'abord ces références bibliques à un discours "portant" le Sujet, qui cadre assez bien avec l'idée Lacanienne que "Je est un Autre", à condition que Dieu ne réponde pas aux questions ! Le Président Schreber n'est pas loin... On peut s'amuser également à faire le grand écart entre ce Dieu scénariste et la loi du Karma, mais gare au déchirement musculaire, il y faudrait l'entrainement d'un Jésuite.
Mais surtout, et là nous nous rapprochons du sujet, le discours mythique (par paraboles et images) est tout sauf libéré de contraintes. Il est corseté, charpenté autour d'une structure si rigoureuse, si profondément anthropomorphe qu'elle imprègne notre façon même de créer nos concepts.
- Il y a bien cette "liberté" dans la création...
- Liberté si contrainte que Lévi-Strauss a pu retrouver la structure du mythe Oedipien dans "Un chapeau de paille d'Italie" de Labiche (voir ici). Non, A.G. confond la profusion des mythes qui 𓁝connotent, dans une famille de contes, un même symbole jamais dénoté𓁜. C'est par exemple (et Lévi-Strauss s'en étonnait) le Fournier —faisant couple avec l'engoulevent—, absent des contes de la potière jalouse.
La distinction est semblable à celle des parties 𓁝[α] d'un tout [α]𓁜, l'art du conteur en posture 𓁜 étant de laisser son auditoire en posture ex ante 𓁝.
Par ailleurs, un mythe —comme un rêve, d'ailleurs— n'est pas "gratuit" ou "libre", il répond à une intention, à une question qui se pose, au Sujet, ou au niveau d'une groupe, d'une société, ou d'une culture etc. La seule remarque juste de A.G., c'est la déconnection de la représentation d'avec le Réel. Mais franchement, nous avons tellement rebattu le sujet, que je propose d'avancer.
"Quand l'initiative pour «parler avec moi-même» vient de «moi», à l'état de veille, l'idée ne me viendrait pas (jusqu'à tout récemment encore, du moins) de faire appel à autre chose qu'à la langue-mots, celle donc que «je» connais et manie à l'aise (que ce soit en allemand ou en français). Mais je sais bien aussi que quand l'initiative vient non de moi, mais de I'«Autre», ce n'est jamais dans cette langue-là qu'il me parle. C'est toujours dans la langue-paraboles, la «langue des images» — et quand je prends la peine d'écouter, souvent je sue sang et eau pour la «traduire» dans la «mienne» tant bien que mal. Je ne sais si un jour ce ne sera plus la peine...
Il semblerait que la «raison d'être» de la langue-paraboles soit d'être le moyen entre tous pour nous parler à nous-mêmes et sur nous-mêmes." p. 1263
Je te propose de faire simple :
Axiomes d'existence qui nous évite d'avoir à nous prononcer sur le sens de l'existence.
- Nous savons bien que la réponse est 42 ! 😀 As-tu terminé d'examiner ce chapitre ?
- Oui, compte tenu des réserves que nous avons faites au fil de la lecture, je ne crois pas (je suis sûr) que ses graphiques, voire une structure aussi belle que l'icosaèdre ne nous donnerons pas plus de clarté que la réponse de l'ordinateur chargé de répondre à l'humanité dans H2G2.
L'essentiel était dans l'exercice de repérer ce qui pourra par la suite, nous aider à suivre Grothendieck dans ses réflexions mathématiques.
- À suivre donc !
Hari