6 Octobre 2025
Le 06/ 10/ 2025 :
- Hier, R-Claude m'a un peu déstabilisé en me parlant de Don Quichotte, qui échappait à notre analyse du Chapitre 3 des Mots et des Choses (voir ici)
— 🤖 citant Foucault :"Don Quichotte dessine le négatif du monde de la Renaissance ; l'écriture a cessé d'être la prose du monde ; les ressemblances et les signes ont dénoué leur vieille entente ; les similitudes déçoivent, tournent à la vision et au délire ; les choses demeurent obstinément dans leur identité ironique : elles ne sont plus que ce qu'elles sont ; les mots errent à l'aventure, sans contenu, sans ressemblance pour les remplir ; ils ne marquent plus les choses ; ils dorment entre les feuillets des livres au milieu de la poussière."
Et, comme à l'accoutumée lorsque l'on m'agace, j'ai botté en touche en lui disant que Montaigne, qui lui aussi a passablement chevauché de par le Monde, n'avait rien à voir avec la nostalgie de Don Quichotte.
- Tu devrais revenir au chapitre 2 sans tarder, et revoir ta première analyse avec R-Claude.
- Oui, bien sûr, mais j'ai une interrogation d'ordre plus générale. C'est en pensant à Galilée, que j'avais chamboulé l'ordre de succession des mutations intellectuelles, repérées comme autant de bascules —voie des mots/ voie des choses— dans le développement de la pensée Occidentale, pour retomber sur l'hypothèse qu'à l'âge Classique on était sur celle des mots (voir "Du ruban de Moébius au cross cap") :
| Q1 | I4 | ||||||||||||||||||
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- Et alors ?
- Ça colle bien à ce que Foucault écrit de l'Âge Classique, mais de qui parle-t-il pour étayer sa théorie ?
- Je ne comprends pas ?
- Autant je ne peux pas associer Galilée à ce qu'il décrit de la Renaissance, autant je ne peux imaginer Newton, Voltaire ou Descartes dans la voie des Mots... Précisons quelques dates :
| Renaissance | Âge Classique | ||||
| ≈1500 | ≈ 1600 | ≈ 1660 | 1789 | ||
| Galilée | 1564 | 1642 | |||
| Descartes | 1596 | 1650 | |||
| Newton | 1642 | 1727 | |||
| Voltaire | 1696 | 1778 | |||
Bon, Descartes est un peu dans le no man's land de ce découpage, mais Newton ou Voltaire sont en plein dedans. Sont-il vraiment dans la problématique décrite par Foucault ?
- Creuse !
- R-Claude me fait une première liste (voir détails de la discussion ici)
— 🤖: Philosophie & Théorie de la connaissance
Grammaire & Langue
Histoire naturelle & Taxinomie
Économie politique
Figures transversales
Note sur la périodisation
Foucault indique précisément que l'épistémè classique s'étend des "premiers autour de 1660" (Lancelot, Bopp, Ray, Cuvier, Petty, Ricardo) aux "seconds autour des années 1800-1810". Les Idéologues (Destutt de Tracy, Gerando) marquent la clôture de l'Âge Classique et la transition vers le XIXe siècle, bien que chronologiquement leurs publications soient déjà dans la rupture épistémologique.
- Et donc ?
- C'est un peu ce que je craignais : La plus grande partie de ces sources traite de la théorie sur la façon de traiter les signes, et son objectif est de montrer une rupture entre le signe et l'objet, opérée à cette époque pour se déprendre du système des signatures...
- Et donc ?
- Je pense à cet adage que l'on attribue (à tord semble-t-il, voir ici) à Rousseau : "quand on sait on fait, quand on ne sait pas on enseigne". C'est un peu violent, mais enfin, voyons de ce qu'il retient de Descartes ou Leibnitz :
— 🤖: DESCARTES
Citation principale (section II. L'ORDRE)
"Au début du XVIIe siècle, en cette période qu'à tort ou à raison on a appelée baroque, la pensée cesse de se mouvoir dans l'élément de la ressemblance. La similitude n'est plus la forme du savoir, mais plutôt l'occasion de l'erreur, le danger auquel on s'expose quand on n'examine pas le lieu mal éclairé des confusions. «C'est une habitude fréquente», dit Descartes aux premières lignes des Regulae, «lorsqu'on découvre quelques ressemblances entre deux choses que d'attribuer à l'une comme à l'autre, même sur les points où elles sont en réalité différentes, ce que l'on a reconnu vrai de l'une seulement des deux». L'âge du semblable est en train de se refermer sur lui-même. Derrière lui, il ne laisse que des jeux".
Référence bibliographique : Descartes, Œuvres philosophiques (Paris, 1963), t. I, p. 77.
Sur les deux formes de comparaison (section II. L'ORDRE)
"Si Descartes récuse la ressemblance, ce n'est pas en excluant de la pensée rationnelle l'acte de comparaison, ni en cherchant à le limiter, mais au contraire en l'universalisant et en lui donnant par là sa forme la plus pure. C'est en effet par la comparaison que nous retrouvons «la figure, l'étendue, le mouvement et autres semblables » – c'est-à-dire les natures simples – dans tous les sujets où elles peuvent être présentes. Et d'autre part, dans une déduction du type «tout A est B, tout B est C, donc tout A est C», il est clair que l'esprit «compare entre eux le terme cherché et le terme donné, savoir A et C, sous ce rapport que l'un et l'autre sont B».
Référence bibliographique : Descartes, Regulae, XIV, p. 168 (multiples références dans les notes 3 à 10).
Sur l'imagination (section V. L'IMAGINATION DE LA RESSEMBLANCE)
"Le pouvoir de l'imagination n'est que l'envers, ou l'autre face, de son défaut. Elle est dans l'homme, à la couture de l'âme et du corps. C'est là que Descartes, Malebranche, Spinoza l'ont en effet analysée, à la fois comme lieu de l'erreur et pouvoir d'accéder à la vérité même mathématique ; ils ont reconnu en elle le stigmate de la finitude, que ce soit le signe d'une chute hors de l'étendue intelligible ou la marque d'une nature limitée."
LEIBNIZ
Mention unique (section IV. LA REPRÉSENTATION REDOUBLÉE)
Leibniz est mentionné indirectement dans une liste d'individualités rendues possibles par la dissociation du signe et de la ressemblance au début du XVIIe siècle :
«C'est lui [le réseau unique de nécessités par dissociation signe/ressemblance] qui a rendu possibles ces individualités que nous appelons Hobbes, ou Berkeley, ou Hume, ou Condillac.»
Note importante : Leibniz n'apparaît pas explicitement dans cette liste. Dans le chapitre III tel qu'il m'a été fourni, Foucault ne cite pas directement Leibniz, bien qu'il appartienne manifestement à l'épistémè classique. Il est possible qu'il apparaisse dans d'autres chapitres des Mots et les Choses ou dans d'autres sections non fournies.
Seule mention de Leibniz dans le contexte général (section IV) :
«Hobbes, Berkeley, Leibniz, Condillac, aux Idéologues»
Mais sans citation directe ni développement spécifique de sa pensée dans les passages analysés. (Claude)
Vois-tu ce que je veux dire ? Le propos de Foucault n'est pas de caractériser l'Âge Classique en soi, à partir des productions effectives des hommes de ce temps, mais d'étoffer sa théorie, qui est certes intéressante, et reste la source de ma démarche, mais me semble loin de refléter l'air du temps !
- Réserve ton jugement : tu n'en est qu'au chapitre 3, attends la suite.
- Il est vrai que je suis limité par la nécessité de charger R-Claude chapitre par chapitre. Chat GPT n'a pas cet inconvénient, tu as raison, élargissons notre horizon en changeant de monture.
— 🤖: Carte d’ensemble
Renaissance (ressemblance/analogie)
Âge classique (représentation/tableau)
Moderne (travail/vie/langage)
Mécanisme de mutation
Point axial
Il est évident que Foucault veut nous emmener vers les sciences humaines, et la sphère politique, en réaction contre l'ordre établi, dans le fil de son oeuvre (liste). "Les Mots et les Choses" date de 1969, et "Surveiller et Punir" de 1975...
- Mais où veux-tu en venir ?
- À ceci : l'analyse que nous avons faite hier, et qui collait parfaitement à la représentation que Foucault nous a donnée de l'Âge Classique, ne correspond que partiellement à la réalité du terrain. Je m'en suis rendu compte en parlant des coordonnées cartésiennes, qui ouvraient la posture [#]♧ où va s'engouffrer Galois, en dehors de la voie des mots, et encore plus lorsque R-Claude m'a remis le portrait de Don Quichotte sous le nez...
- Tu t'en es sorti en remarquant que les voies que tu as caractérisées (voir "Du ruban de Moébius au cross cap") ne doivent pas être comprises comme figées, mais comme des états potentiels, activés ou non en fonction de l'intention & l'attention du Sujet. Un exemple très simple : Einstein, qui a pourtant grandement contribué au développement de la mécanique quantique, n'a jamais pu accepter le schéma intellectuel qui la sous-tendait. Il n'y a donc pas seulement des gens en avance ou en retard par rapport à l'air du temps, mais également des conflits intra-personnels entre différentes représentations du Monde. Autre exemple : qu'en est-il de la pensée religieuse à l'âge Classique ? Il est bien évident qu'elle ne part pas de [⚤]♧ mais évidemment de [♻]♡; et s'était encore moins négligeable à l'époque de la Renaissance, d'où quelques tours de passe-passe pour concilier les deux approches... Pense à Galilée obligé de maquiller un peu son système héliocentrique —dans son ouvrage "Dialogue sur les deux grands systèmes du monde"— pour éviter la prison voire pis...
- OK, il y a de gros décalages entre ce qui est dit de l'entendement à une époque donnée et la pratique de ceux qui ont fait bouger le système, et sont d'ailleurs reconnus de nos jours, dans la mesure précisément où ils marchaient hors des clous. Mais tu t'égares mon ami !
- En quoi ?
- La question n'est pas de savoir quel but poursuivait Foucault, ni d'ailleurs Galilée, Pierre, Paul ou Jacques, mais de vérifier, sur pièce, si ton "entropologie" permet de situer les postures du Sujet dans son Imaginaire. Autrement dit, c'est une chose de discuter philosophie avec Foucault —et tu n'es pas armé pour le faire— c'est est une autre de vérifier si, ce qu'il dit, tient dans tes cases.
- OK ! Et donc, après le tour d'horizon fait hier avec l'aide de R-Claude, on peut dire que le test sur le Chapitre 3 est concluant, en dehors de toute réserve que l'on pourrait faire à propos de ce que l'auteur 𓂀Foucault retient ou non à l'appui de sa thèse ?
- Oui, et il est maintenant temps de revenir au chapitre 2 sur la Renaissance...
- Et on oublie Don Quichotte ?
- Laisse-le tranquille, d'ailleurs il y a longtemps qu'il a pris sa retraite.
- Amen
Hari
Note :
Par curiosité, j'ai quand même jeté un coup de sonde aux critiques qui furent adressées à l'approche de Michel Foucault. (voir ici), d'où je retiens ceci :
— 🤖: Certains historiens reprochent à Foucault un mépris relatif pour l’enquête historique rigoureuse, lui préférant des “envolées nietzschéennes”.
(liste de ces historiens ici)
Bon, ça me rassure un peu de ne pas être le seul à m'être posé quelques questions quand à la valeur historique de cette présentation de Foucault...