Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...
13 Août 2020
(Suite de l'article Notes #1).
1/ Fluidité de la géométrie hyperbolique :
Revenons un court instant sur la dernière note concernant la géométrie hyperbolique :
- La géométrie naturelle du niveau Imaginaire I# est hyperbolique !
- Mais tu l'avais déjà vu avec la relativité restreinte, non ?
- À ceci près que cette nécessité semble répondre à une disposition naturelle de notre entendement avant de s'imposer par l'expérience. C'est sans doute pour cela que Poincaré avait mis le doigt dessus, en dehors de toute considération physique. Et Wildberger nous offre une très belle illustration de la flexibilité de cette géométrie que je te laisse regarder dans la vidéo suivante :
Selon que l'on trace un triangle au centre du plan ou bien vers l'extérieur, la somme des angles varie continument, depuis 180° jusqu'à 0°. Wildberger exprime très bien que dans ces conditions, il est aisé de voir qu'au centre, nous retrouvons la géométrie Euclidienne, avec un pavage de l'espace classique (par exemple des hexagones), puis, en se décalant vers l'extérieur, vient le moment où la réduction des angles au sommet permet de réaliser un pavage avec des pentagones, c'est-à-dire comme sur une sphère S2 (un ballon de foot).
- Et ?
- Ne trouves-tu pas intéressant de constater que l'on passe ainsi continument d'un pavage à l'autre, quand, dans la pure géométrie Euclidienne, il nous faille sauter d'un espace à 2D vers un espace 3D pour le faire ?
Nous parlions tantôt de transformer le saut diachronique permettant à Alice de passer derrière le miroir, par un mouvement continu via le point ∞ où concourent l'avers et l'envers.
- Autrement dit en passant du plan Euclidien au plan projectif.
- Oui. Mais ne vois-tu pas qu'il y a ici comme là un effort intellectuel pour "fluidifier le mouvement" ? Ce qui est diachronique dans l'action, devient rétrospectivement, dans la narration que l'on en fait ex post, fluide et continu.
- Oui et non, car en passant d'un pavage hexagonal à pentagonal sur le plan C, avec sa géométrie hyperbolique, il y a une zone floue, dans laquelle ton pavage n'est pas constitué de figures toutes semblables... Penrose a passé sa vie à ce genre d'études.
- Le travail de Penrose n'entre pas tout à fait dans ce cadre, mais l'image fait sens: entre deux représentations parfaitement "symétriques", il y a une zone plus anarchique. Tu as la même sensation avec les images fractales dont nous avons déjà parlé: à certaines échelles tu retrouves des images similaires (voir "l'Imaginaire fractal"), mais entre deux échelles de représentation bien repérables, la figure perd de sa simplicité.
Eh bien je pense que cette géométrie hyperbolique que je vois comme l'espace "naturel" de l'Imaginaire au niveau I#, c'est un peu la conséquence palpable, représentable, à ce niveau, de notre volonté de transcender les différences que l'on a marquées, au niveau inférieur IR par l'orthogonalité entre concepts.
Tu passes brusquement, par répétition du saut diachronique I01↑IR, d'un espace à 1D, puis 2D, puis 3D (voir "etc."), quant ici le passage est fluide. C'est en particulier intéressant pour concevoir une certaine fluidité entre les concepts de temps et d'espace, comme le gosse qui verse un verre d'eau dans un bol constate que le volume d'eau est conservé; enfin, lorsqu'il en a l'âge !
C'est cette même idée de fluidité que tu retrouves au coeur du problème de Monge (voir l'approche de la courbure de Ricci développée par Villani : "La narration en relativité") : comment remplir efficacement un trou avec un tas de sable ?
- Soit, mais alors la question qui vient immédiatement est celle-ci : comment caractérises-tu l'automatisme de répétition à ce niveau ? Pour mémoire, et si nous te suivons, nous aurions :
- C'est la question à 100 balles. Mon pari, à ce stade de ma réflexion, c'est que le saut IR↑I# est concevable au niveau I#, comme le "pont" qu'Olivia Caramello définit en termes de topos de Grothendieck. C'est d'ailleurs cohérent avec ce que nous en avons déjà dit (voir : "Imaginaire et topos").
- Tu montes haut dans les tours, là !
- Ok, alors de façon plus littéraire : toutes nos représentations se ramèneraient par des métaphores (nous en avons discuté jusqu'à plus soif dans "Métonymies et Métaphores - bis" !) à la structure Imaginaire élémentaire que nous explorons ici depuis un bon moment : I1<I01<IR<I#<I0. (s'il en est encore besoin : reporte-toi à "Le Sujet à livre ouvert").
Le point d'articulation de la métaphore (la conception du "pont") ou de façon générale, la prise de conscience de la similitude entre 2 univers se situant au niveau I#.
Mais au-delà de cet effort Imaginaire consistant à établir des métaphores entre champs de pensée hétérogènes, pour simplifier nos représentations, garde à l'esprit que ces représentations ne sont que des mises en formes de nos percepts.
- Comprends pas...
- Lorsque tu passes d'un pavage à l'autre dans C avec sa métrique hyperbolique, malgré cette fluidité, tu t'attardes sur les figures les plus simples, les plus symétriques. Les figures sont stables, parce que tu tournes autour, comme réciproquement, cette stabilité des objets te permets de te définir en retour. Nous en avons déjà parlé, en nous référant à des cordes vibrantes. Nous retrouvons ici la même idée, mais cette fois-ci avec des représentations plus géométriques.
- Autrement dit, on passe des fréquences ou d'une représentation temporelle à une représentation spatiale ?
- Oui, il s'agit toujours pour le Sujet de simplifier ses représentations. Nous en avions parlé en termes de fréquences (voir "En roue libre", en particulier la structuration réciproque Objet/ Sujet en termes de vibrations: (I1⇅I01)⇅(I'm⇅Im)) en suivant Alain Conne et sa géométrie non commutative, adaptée à la mécanique quantique en I01, nous le retrouvons ici sur un autre mode en I#, plus adapté à la relativité.
2/ Parler du temps :
Dans la vidéo #24, Wilderger introduit le groupe fondamental de Poincaré :
Je m'intéresse ici à l'homologie H(t,s) qu'il définit pour exprimer la modification continue d'un chemin initial α(t) vers un chemin final β(t). La variable "t" étant assimilable à un temps de parcours, variant dans un intervalle continu I(0;1).
Bien entendu pour qu'il y ait similitude, il faut que les points de départ et d'arrivée soient les mêmes : α(0)=β(0) et α(1)=β(1).
Maintenant, pour passer de α(t) à β(t), il considère une transformation dépendant d'un paramètre "s", lui aussi assimilable à un temps, lui aussi variant dans un intervalle continu I(0;1).
- Tout ceci me paraît limpide, pourquoi t'y attarder ?
- Parce que ces deux "temporalités" t et s ne sont pas de même espèce...
- C'est ce que Wildberger exprime explicitement en construisant l'espace de variation de l'homologie H(t,s) sur deux axes orthogonaux délimitant une surface IxI. Je ne vois pas le problème.
- Ceci nous ramène à la discussion que nous avons eue en commentant la présentation de Villani concernant la courbure de Ricci (voir "La narration en relativité"). Il y a ici :
En effet, lorsque tu parles d'un déplacement selon les parcours α(t) ou β(t), tu peux facilement imaginer un petit avatar de toi-même se replaçant en 2D sur la surface M. Tu peux même, si tu le désires, doter cet avatar d'une masse et lui appliquer les lois de la physique, voire relativiste.
En revanche, la "transformation" de la courbe α(t) en β(t) dont tu peux réaliser un film, en échantillonnant un temps "s", n'a rien de physique : impossible en toute relativité d'envisager une information qui puisse concerner "simultanément" les point α(t) et β(t) à un temps t donné par exemple, or c'est précisément ce que Wildberger représente au tableau !
- Et alors ?
- Je constate simplement que pour "exprimer" un concept de niveau I#, à savoir cette homologie H(t,s), je suis obligé d'utiliser un concept temporel tel que ce "s" de niveau Imaginaire I01.
Je le note juste au passage, et je continue mon visionnage...
Bonne rumination.
Hari