"Faisceauisation" de la sociologie

12 Septembre 2024

Le 12/ 09/ 2024 — Cognac

- Alors, et Mondovi ?

- J'étais perdu la plupart du temps, mais j'ai pu me raccrocher à quelques bouts de planches pêchés au hasard pour ne pas m'y noyer.

- Par exemple ?

- J'ai découvert la notion de "quantale", qui pourrait mener au topos par une autre voie que celle explorée jusqu'à présent. D'autres bribes au passage, mais j'ai besoin de décanter tout ça avant d'y revenir.

- Pourquoi cet article alors ?

- Des pensées un peu plus sombres, liées au fait que Laurent Lafforgue, à l'HIES selon mes souvenirs, ait dû quitter cette institution pour se retrouver employé par Huawei. C'est Alain, cryptographe de son état avant sa retraite —mais est-on jamais "à la retraite" de certains corps de métiers ?— qui m'a mis le nez dessus. Il me retraçait également la galère d'Olivia Caramello, et de quelle manière elle a dû et doit encore se débattre pour développer son travail. Toutes ces mesquineries, ces disputes de chapelles propres au corps universitaire auxquelles les uns et les autres se heurtent, et y voir l'image d'une Europe qui, fascinée par son nombril, se meurt doucement, me dépriment profondément.

- Tout n'est pas mort, il y avait beaucoup de jeunes, et venant du monde entier à ce séminaire...

- Fort heureusement, mais enfin, les seuls à prendre sérieusement la mesure de la révolution qui s'annonce sont Chinois avec Huawei, ou Américains, avec ce prof, Michael Robinson de Washington, qui nous a fait un numéro assez rafraîchissant.

- Rafraîchissant ?

- Oui, avec le schéma d'un simple assemblage d'amplis op (j'en parlais encore dernièrement), il nous a donné une image parfaitement concrète d'une autre façon de considérer certains problèmes connus depuis des lustres, et avec un gain potentiel considérable.

- Et donc ?

- En écoutant Alain me retracer cette histoire pathétique du délitement intellectuel de la nomenklatura mathématique européenne, et repensant au peu d'imagination des entrepreneurs Européens pour investir dans leur propre avenir, je me remémorais les colloques de l'AFSCET auxquels j'avais pu assister (Note 1), il y a bien longtemps, où se bousculaient les représentants de Thomson, Safran et consort !

La France roupille mon pauvre vieux, même plus capable de s'approvisionner en masques en cas de COVID ou de tirer au canon faute de munitions.

- Si c'est pour nous faire part de ta déprime, ce n'est franchement pas la peine...

- Eh bien, figure-toi que non, car ce matin, en partant de Montluçon, j'écoutais l'émission "Grand bien vous fasse" sur France Inter, où l'on traitait de cette question : "Est-il encore possible d'être heureux collectivement?", et ça m'a redonné la pêche !

- Raconte-le sur FaceBook, mais pas ici...

- Je m'exprime mal ! Il y était question du particulier et du collectif, du fait que le bonheur de chacun dépend de ses relations aux autres, et de la difficulté de comprendre la bascule entre des moments d'euphorie collective, suivis de votes de défiance envers l'autre.

- Et ?

- Je pensais que les sociologues qui débattaient de ces sujets feraient bien, comme notre Michael Robinson, de prendre leur problème dans une autre perspective.

Je ne peux pas aller au fond du sujet, car je suis scotché dans ce bar en attendant la sauterie de ce soir, avant de rallier La Rochelle, pour notre week-end de voile; mais je voulais fixer cette idée qui m'a paru évidente sur le coup: il faut aborder la sociologie dans la double perspective que nous avons vue chez Einstein/ Bohr ou Wittgenstein/ Popper et reprise dans notre topos de l'Imaginaire.

Être "Français", ou Turc, ou Pygmée, c'est à la fois:

un vécu "objectif", dans un territoire, avec des problèmes de fric et de santé, mais également l'articulation
d'un discours commun permettant de trouver chez les autres des reflets de soi-même : des symétries, d'ordre "syntaxique". En ce sens, je ne trouve absolument pas déplacé qu'un Antillais puisse dire "nos ancêtres les Gaulois".

- Autrement dit, la sociologie doit articuler les mots et les choses ?

- Exactement : les sociologues n'échappent pas à la façon commune de penser. De mémoire (il faudrait reprendre la discussion en détail) l'un des participants exprimait la multiplicité des domaines permettant à tout un chacun de se "définir", or, ceci nous ramène à ce que nous avons déjà observé en Afrique, où il est si important pour un Sujet de se situer par tout un tas de filtres (ethnie, âge, nom, caste, langue, religion etc...).

- Tu vois le fait d'être "Français" ou "Européen" comme la base commune d'un ou de plusieurs recouvrements ?

- Oui, et dans cet espace fibré, un "individu" serait comme une "variété", ou quelque chose de ce genre, se projetant sur cette base culturelle...

- Vaste programme...

- Mais ce n'est pas moi qui le mènerai à bien. Je souhaiterais juste que les intéressés se bougent un peu, qu'ils brisent les clôtures de leurs prés carrés pour aller voir ce qu'ils pourraient brouter au-delà.

- Revenir de l'ère des cultivateurs à celle des pasteurs, toujours Deleuze ? (Note 2)

- Ou Grothendieck parlant dans "Récoltes et semailles" du rôle d'explorateur du créateur...

- Et pourquoi pas revenir au "bricolage" de Lévi-Strauss, art très millénaire de récupérer des objets hétéroclites pour les plier à notre usage ?

- Amen

Hari

Note 1 :

Par curiosité j'ai recherché où j'en parlais sur ce blog :

Un deux trois Soleil du 18/ 05/ 2007

Note 2 :

Voir par exemple :