Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...
4 Octobre 2016
Je me souviens d’une note dans « différence et répétition », dans laquelle Deleuze prenait l’image d’un troupeau confiné dans un pré clos qu’il opposait à la pratique du pâturage errant, sans limite. J’avoue que j’en étais resté à cette image pour me représenter la différence entre potentiel et virtuel. Ceci me suffisait car, il faut bien le dire, seul m’importait ce qui est «potentialisé».
C’est lié à l’utilisation que l’on en fait en physique comme en mathématiques : probabilités, théorie de l’information etc. Avec ce point de convergence entre physique et mathématique, qui est la congruence entre les définitions de l’entropie en thermodynamique comme dans la théorie de l’information.
L’idée générale, c’est que pour définir une « information », il faut circonscrire le champ des possibles, clore le pré, envisager les éléments et le groupe qu’ils constituent. Prenez une course de chevaux. Soit n chevaux alignés au départ. Supposons que je n’ai aucune information sur ces chevaux, pour moi, spectateur naïf de la course, chacun d’eux a la même chance d’arriver premier que les autres. Autrement dit, chaque cheval a 1 chance sur n (ou 1/n) d’être vainqueur. Avec cette certitude que l’un d’entre eux sera vainqueur (c.-à-d. : n X (1/n) = 1). Ce 1 étant le signe d’une certitude. Si le nombre de chevaux augmente, mon information concernant la chance de chacun d’eux diminue (comme 1/n), mais j’ai toujours la même certitude quand au résultat final : il y aura un vainqueur.
Tout le reste du discours de la physique découle de cette « mise au carré » de la réalité. Mais je n’ai pas épuisé tous les cas de figure : un des chevaux peut mourir avant l’arrivée, la course peut-être interrompue par un attentat, ou par toute autre cause qu’il vous plaira… Virtuellement tout peut arriver entre le moment où je fais mon pari et celui où la course s’est achevée.
Et donc, pour moi, la question était close (c’est le cas de le dire).
Mais, au fur et à mesure des interventions au cours de ce colloque, je comprends que le concept de « virtuel » n’est pas si clairement définissable que celui de « potentiel ».
Il y a également une opposition entre « virtuel » et « actuel ». La question se déplace : il est moins question de définir le résultat d’un mouvement que de questionner le mouvement lui-même : le chêne est virtuellement (en puissance) dans la graine d’où il jaillit, ce qui ne fait pas trop débat, mais, plus profondément, nous en venons à questionner la capacité de l’homme à agir sur et dans le monde. Ce qui nous renvoie à l’étymologie latine du mot : « virtualis », dont la racine, « vis » est proprement le phallus, la puissance de l’homme. Et le virtuel, c’est « l’acte en puissance », qui relève d’un questionnement sur l’énergie du mouvement : quelle est la cause du mouvement ?
J’avoue que j’ai été étonné, au cours de ce colloque de voir combien la chose avait été discutée au cours des siècles et je ne résumerai pas ici ce que j’en ai retenu, d’une part pour ne pas faire injure aux intervenants en massacrant leurs propos, d’autre part, parce que le n’ai pas encore tout digéré. Et c’est bien ce foisonnement, cette multitude d’échos entendus qui me force à resituer ces concepts virtuel / potentiel / actuel dans les termes qui me sont maintenant familiers. Démarche qui je me dois d’exposer à la réfutation publique pour me rassurer de n’être pas paranoïaque…
D’une façon générale, lorsqu’en opposant deux termes, l’un se laisse facilement apprivoiser quand l’autre se dérobe, ou lorsque la notion de mouvement ou de mutation vient dans le discours ; vous pouvez parier que votre opposition n’est pas d’ordre purement « dialectique » (i.e. : les deux éléments mis en relation ne sont pas du même niveau de discours, comme le domaine et le codomaine d'une carte, dans la théorie des catégories, voir ici) mais que l’un est « synchronique » quand l’autre est "diachronique".
Je vous engage à prendre cette habitude : vous verrez que ce repérage vous permettra de simplifier vos représentations comme vos discours.
En l’occurrence, l’ensemble des « états potentiels » du résultat de ma course de chevaux est parfaitement défini. Appelons le niveau Imaginaire de mon langage pour en parler le niveau Ik+1. Remarquez que ce langage peut emprunter le formalisme assez strict des mathématiques. Les éléments de ce groupe, c.-à-d. chacun des chevaux pris en considération est à un niveau plus élémentaire de mon Imagination (i.e. : je pourrais les décrire, sans savoir qu’ils sont regroupés au niveau Ik+1). Soit Ik ce niveau, avec bien entendu, pour moi qui vous en parle ici et maintenant (en Im) : Ik < Ik+1 < Im.
Maintenant la probabilité que je calcule (i.e. : = 1/n) est proprement un concept diachronique, car il s’agit de rapporter un élément x du groupe, au groupe lui-même. Nous sommes ici dans une opération, rationnelle au sens propre, que me permet ma position ex post par rapport à cette opération.
Mon premier réflexe, que je qualifierais de deleuzien, était de dire que le virtuel c’est, au niveau Imaginaire Ik+1, de reconnaître que certains cas n’ont pas été retenus pour conduire mon discours (pour faire des calculs). J’étais donc, pour retenir cette définition, toujours en position ex post par rapport à Ik+1 : toujours Ik+1 < Im.
Maintenant, changeons de position, prenons celle du cheval (Ich – vous excuserez le jeu de mots !) et prêtons-lui un Imaginaire, aussi rudimentaire soit-il : il sait bien qu’il court. La piste (en Isol) défile sous lui, avec Isol < Ich. Mais le but de son galop lui échappe. Il s’agit d’une métaphore, bien entendu, et nous pourrions tout aussi bien imaginer un homme engagé dans une action dont le sens lui échappe, le film « Valse avec Bachir » s’impose à moi. Nous sommes ici en position ex-ante par rapport à quelque chose d’indicible. Ce référé, qui échappe à l’Imaginaire ne peut qu’être situé, par définition, au pôle « Symbolique » de la structure. Et nous avons donc : Isol < Ich < S.
D’où toutes les questions qui me pleuvent alors sur les épaules : suis-je poussé par quelque « pulsion » venue de Isol (je cours parce qu’il est dans ma nature de courir : c’est l’immanence) ou bien suis-je tiré par S (dieu veut que les chevaux courent : c’est la transcendance), et toutes les variations que vous pourrez broder entre les deux…
Voilà ce qui se construisait dans ma tête au fur et à mesure que j’écoutais les interventions…
Et je comprenais alors comment le terme de « virtuel » pouvait changer de signification, lorsque l’on change de point de vue :
On peut le présenter autrement : en structurant ma représentation, en la «rationalisant», en privilégiant un certain point de vue, je me focalise sur un certain groupe d’états «potentiels», et me détourne du reste.
Dans cette présentation, la potentialisation serait un repérage d’un certain nombre d’états qui résulteront d’une action en devenir, ou virtuelle. Opération qui passe par une pixélisation de la représentation (ou passe d’un état à l'autre, disjoints : les chevaux ne sont représentés que par leurs dossards: 1, 2, 3, etc...) et par la caractérisation d’un ensemble (les chevaux de la course ne sont pas tous les chevaux du monde).
Cette fois-ci, l’opposition se fait dans un registre temporel. Et si vous vous en souvenez, le repérage du temps nécessite 2 niveaux Imaginaires distincts, en l’occurrence, le sol (en Isol) et le cheval (toujours en Ich). Je vous épargnerai tous les développements que j’ai pu présenter par ailleurs sur les conséquences induites par cette représentation (en particulier le respect de la relativité restreinte et du principe d’incertitude).
On peut juste remarquer que pour passer du virtuel à l’actuel, l’observateur, qu’il s’agisse du cheval en Ich, ou de moi en Im, sommes tous deux en position ex-post, rationnelle.
Et dans cette perspective, nous pouvons relier les trois concepts (actuel / virtuel / potentiel) sur 3 niveaux synchroniques distincts :
Ce qui nous donne le schéma d’ensemble suivant :
Isol < Ik < Ik+1 < Im
Vous remarquez avec moi que l’opposition actuel / virtuel ne se situe pas au même niveau que la comparaison potentiel / virtuel.
À partir de là, il me semble possible de reprendre pas mal de ce qui a été dit, ce que je laisse à votre appréciation, bien entendu.
Hari