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Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...

L'Homme quantique

La querelle des Universaux - Alain de Libera / Notes de lecture # 11

Résumé

Par la suite je distingue  deux mouvements : 

  • émergence S↑
  • transcendance S↓:
S↑ ([∃]𓁝⇅𓁜[⚤]⏩[∃]𓁝⇅𓁜[⚤]⏩[⚤]𓁝⇅𓁜[♲]⏩[⚤]𓁝⇅𓁜[♲]⏩[♲]𓁜)𓂀
S↓ ([♲]𓁝⇆𓁜[∅][♲]𓁜)𓂀

Selon Platon les idées suivent une voie S↓ (en partant de la réminiscence de Socrate); ce que récuse Aristote, sans véritablement s'en détacher (voir #10).

Selon Aristote la démarche S↑ se heurte à l'impossibilité logique de passer du multiple (en [⚤]𓁜) à l'Unité de l'idée (en [♲]𓁜) dans un discours limité à ([⚤])𓂀♧ (l'idée moderne que l'on peut s'en faire est que la notion de successeur conduit à construire les entiers N dans un processus indéfini, et non pas infini).

Aristote développe son système "hyélomorphique" selon lequel la "substance" d'une chose est constituée d'une :

  • matière (ou corps), une forme "en puissance" 𓁝[♲]
  • informée ou activé par une forme "en action"  [♲]𓁜

Enfin, il n'y a pas de théorisation du niveau [#]𓁜, bien qu'Aristote soit géomètre. Pour le philosophe Aristote, le tout n'est pas donné avant les parties pour la raison logique que l'on ne peut passer du multiple à l'Un..

Le champ Imaginaire de la dispute philosophique se limite à :
([⚤]𓁝⇅𓁜[♲]𓁝⇆𓁜)𓂀

Comme nous venons de le voir en suivant la réfutation néoplatonicienne des arguments d'Aristote contre Platon, par Syrianus, le système hyelomorphique ne résoud en rien l'impossibilité logique du passage de 𓁝[♲] à [♲]𓁜., c'est-à-dire en résumé: l'impossibilité de concevoir des idées, ou des "universaux" à partir de la seule multiplicité des expériences. D'où ce titre, qui résume bien la situation.

L’universel selon Aristote : le rassemblement dans la déroute.

La genèse du concept empirique selon Aristote :

"En Métaphysique, A, 1, Aristote explique que, contrairement à l’animal, «réduit aux images et aux souvenirs» sensibles, l’homme s’élève de la mémoire sensible et abstraite à l’«expérience», et de l’«expérience» à la «croyance universelle» : par la mémoire, «une multiplicité de souvenirs de la même chose en arrive à constituer une expérience», une «notion expérimentale», puis, d’une «multiplicité de notions expérimentales, se dégage une croyance (ou jugement) universelle» qui est le principe de l’«art» ou de la «science» ." p. 114

Bien entendu l'histoire n'est pas si claire que cela: nous avons ici une retranscription latine d'écrits parcellaires, qui se sont accumulés au fil de la redécouverte d'Aristote.

J'attire cependant ton attention sur le fait qu'Aristote démarre le mouvement S↑, non pas de ce que l'on pourrait appeler le "Réel" ou la nature des choses, ce en quoi il est prudent, mais des souvenirs que l'on en a, et de la répétition de nos expériences, ce que nous ne récuserions pas à l'heure actuelle.

Autrement dit, Aristote démarre S↑ en [⚤]𓁜 (i.e.: identification de l'objet et dénombrement des expériences), ce qui est cohérent dans une démarche purement logique, allant de paire avec la notion de succession des évènements et d'un lien causal entre eux.

Nous pouvons aussi nous arrêter à "croyance ou jugement universel". Nous faisons une distinction très forte entre croyance 𓁝[♲] et jugement [♲]𓁜 qu'Alain de Libera ne marque pas. La croyance reste ouverte, sur un potentiel, le jugement est "en acte".

"La pensée d’Aristote est cependant loin d’être aussi «aristotélicienne» que le croient les disciples de John Stuart Mill. De fait, dans les Seconds Analytiques, II, 19, en un texte apparemment consacré, lui aussi, à la genèse du concept empirique abstrait, Aristote semble vouloir expressément affronter la question abordée par Platon dans le Phèdre quand il juxtapose l’«unité où la réflexion rassemble la pluralité des sensations» et  l’acte d’intelligence selon l’Idée»." p. 114

Comme tu le vois le passage de 𓁝[♲] à [♲]𓁜 est toujours là, voyons donc la suite.

La déroute du sensible et le modèle "machiste" :

"Nul texte d’Aristote sur les « universaux » n’est plus exemplaire, dans son ambiguïté structurelle, du reste ancien qui le travaille ; nul n’est plus révélateur d’un désir de dépasser le platonisme sur le terrain même où se noue son propre problème ; bref, nul n’est plus péripatéticien, c’est-à-dire «platonisant», dans son désir d’en finir avec Platon que les Seconds Analytiques, II, 19. En un sens, c’est ce contre-modèle du Phèdre qui a alimenté toutes les dérives de la «replatonisation» d’Aristote." p. 114

Nous voici prévenus de l'importance de ce texte de Métaphysique, A, 1 :

"Bien que la perception sensible soit innée chez tous les animaux, chez certains il se produit une persistance de l’impression sensible qui ne se produit pas chez les autres. Ainsi, les animaux chez qui cette persistance n’a pas lieu ou bien n’ont absolument aucune connaissance au-delà de l’acte même de percevoir, ou bien ne connaissent que par le sens les objets dont l’impression ne dure pas ; au contraire, les animaux chez qui se produit cette persistance retiennent encore, après la sensation, l’impression sensible dans l’âme. – Et quand une telle persistance s’est répétée un grand nombre de fois, une autre distinction dès lors se présente entre ceux chez qui, à partir de la persistance de telles impressions, se forme une notion, et ceux chez qui la notion ne se forme pas.

C’est ainsi que de la sensation vient ce que nous appelons le souvenir, et du souvenir plusieurs fois répété d’une même chose vient l’expérience, car une multiplicité numérique de souvenirs constitue une seule expérience. Et c’est de l’expérience à son tour (c’est-à-dire de l’universel en repos tout entier dans l’âme comme une unité en dehors de la multiplicité et qui réside une et identique dans tous les sujets particuliers) que vient le principe de l’art et de la science, de l’art en ce qui regarde le devenir, et de la science en ce qui regarde l’être ." p. 117

Tu as sans doute remarqué la pirourette "une multiplicité numérique de souvenirs constitue une seule expérience", qui contrevient évidemment au cadre rigoureusement logique dans lequel voudrait se situer Aristote.

Forçage redoublé dans le passage inverse de l'Un au multiple : "qui réside une et identique dans tous les sujets particuliers". Rappelle toi ! Pour Aristote, il n'y a pas de tarte donnée avant d'en couper des parts. L'Un ne peut être dans le multiple, puisqu'il en découle.

La difficulté logique (avant/ après) conduit à distinguer : 

  • (a) l’universel est une «unité sortie de la pluralité», παρά τά πολλά 􏱰􏱭(unum praeter multa, dira la Translatio Iacobi), mais en même temps 􏰀
  • (b)􏰁 il «réside un et identique dans les sujets particuliers».

À première vue, ces deux caractères correspondent aux deux premières sortes d’universaux distinguées par les commentateurs néoplatoniciens du VIe siècle, i.e.

  1. Les universaux antérieurs à la pluralité (􏱰􏱻􏱼πρό τών πολλών) et
  2. Les universaux dans la pluralité (􏱰􏱭􏱱􏱱􏱭􏱮􏱯έν τοίς πολλοίς),
    l’expression «universel reposant dans l’âme» semblant renvoyer, de son côté, à ce qui deviendra 􏰀
  3. L’universel postérieur à la pluralité (􏱪􏱰􏲓έπι τοίς πολλοίς).

En réalité, par l’expression «universel sorti de la pluralité», c’est-à-dire «mis à part», «excepté de», Aristote vise au contraire la troisième sorte d’universel, sa thèse étant que l’universel qui «repose dans l’âme», 􏱰􏱴παρά τά πολλά􏱰􏱭􏱱􏱱􏱹, est l’universel même qui «réside dans tous les sujets particuliers»." p. 119

Bref, comme le dirait Wittgenstein, pour s'en sortir, rien de mieux que de créer du vocabulaire et d'en discuter... 

- Que penses-tu de cet universel qui "repose dans l'âme" ?

- Très difficile de m'en faire une idée claire. Ce "repos" me semble faire le pendant à "en action"... De ce point de vue, les universaux antérieurs à la pluralité seraient les "formes" qui "informent" la matière ou le corps de l'individu, quand cet universel au repos renverrait à la matière ou au corps "en attente"? À vérifier dans la suite du texte.

"Pour prendre la mesure de ce qui caractérise la thèse d’Aristote par rapport à Platon, il faut comprendre en quoi la double affirmation que l’universel existe en dehors de la pluralité tout en résidant identiquement dans chaque particulier, loin d’être une contradiction, forme, au contraire, le noyau d’une théorie à la fois originale et cohérente. Pour ce faire, il faut analyser en détail la suite du texte [...]

Th1􏰁 : Les universaux, «en repos dans l’âme», principes de l’art et de la science, sont des habitus.

Commentaire : L’universel est une disposition stable de l’âme, c’est-à-dire la «stabilisation» en elle d’une «multiplicité numérique de souvenirs».

La notion de stabilisation renvoie à une thèse centrale de la Physique (reprise en De an., I, 3, 407a32) où, sur la base d’une étymologie liant έπιστήμη􏱪􏱰􏱳􏱶􏱬􏲒􏱺􏲛 (science) et 􏱶􏱬􏲢􏱫􏱴􏱳στήναι (s’arrêter), Aristote pose que «la pensée discursive (διάνοια􏲀􏱳􏱹􏱫􏱭􏱳􏱴) connaît et pense par repos et arrêt» (Phys., VII, 3, 247b10). Selon Tricot, ce qui se stabilise ainsi en l’âme est «ce qu’il y a de commun entre plusieurs images» sensibles «différentes». Pour J. Moreau, la stabilisation est le produit relatif de la persistance et de la superposition des images sensibles. En fait, c’est dans les lignes suivantes qu’Aristote propose un modèle pour définir le processus de stabilisation." p. 119

La claque que j'ai prise en lisant ce passage !

- À ce point ?

- Oui, choc comparable à celui reçu, en 2016, lorsque j'abordais le livre de Lawvere sur les catégories, et tombais en arrêt devant les concepts d'objet initial ∅ et final (*), d'où découle leur positionnement en [∅] et [∃], qui m'a conduit plus généralement à ([∃]𓁝𓁜[∅])𓂀.

Au point que lorsque je comprends que les Grecs Anciens, particulièrement Aristote, refusent le concept de vide ∅, je biffe simplement ce niveau [∅] de mon schéma Imaginaire pour retrouver ([⚤][♲])𓂀; avec sous-entendu: ([∃][⚤][♲])𓂀.

Pour moi, ici et maintenant, le vide est la matrice de toute chose, comme le vide de l'espace pouvant engendrer une paire matière/ antimatière ou le Big Bang lui-même. Il est potentiellement porteur de toute chose, et je suis Bouddhiste comme M. Jourdain fait de la prose : sans en avoir conscience.

Avec en plus, cette idée venue de Diderot, que la stabilité ne résulte pas d'une attitude statique mais au contraire d'un mouvement. Nous en parlions encore il y a peu (voir # 9)

«Tenez, mon ami, si vous y pensez bien, vous trouverez qu’en tout, notre véritable sentiment n’est pas celui dans lequel nous n’avons jamais vacillé, mais celui auquel nous sommes le plus habituellement revenus. » Extrait de: Diderot. «Entretien entre d'Alembert et Diderot.» Apple Books.

L'exemple le plus frappant étant peut-être le calcul de la température (mesure stable) cachant une quasi-infinité de mouvements microscopiques des atomes d'un gaz. Mais sans aller si loin, la révolution date de Galilée, bien entendu, et j'intègre, inconsciemment, cette idée relativiste que ce qui dure, c'est le mouvement !

Et là, paf : les idées les plus hautes sont immobiles, ce qui n'a aucun sens dans une pensée contemporaine ! Si le philosophe Aristote oublie totalement le géomètre Aristote, il intègre parfaitement le physicien Aristote.

- Je te signale que "métaphysique" vient après ou chapeaute la physique...

- Oui, bon, toujours est-il que je n'étais pas allé jusqu'au bout de ma reconstruction de l'Imaginaire dans lequel se strucure le débat ! Il ne suffit pas d'effacer le niveau [∅], mais de le remplacer par, ce qui fait office, pour nous de niveau [∃], que je nommerais, pour l'en différencier [1], non pas au contact du Réel , mais au contact, ou mieux : faisant office de Symbolique !

Ce qui est parfaitement cohérent avec le projet philosophique Grec, qui est de se passer de la pensée mythique, qui pousse Platon à la recherche de l'Un, et se sera plus évident encore chez les néoplatoniciens. Ce qui nous donne: ([⚤][♲][1])𓂀 ! Comment ai-je pu passer à côté ? Dans ce [1] nous retrouvons le moteur immobile d'Aristote, bien sûr, et peut-être également la "causa sui" de Spinoza... 

Tu mesures mieux maintenant l'ampleur du raz-de-marée galiléen, en passant de 𓁝[1] à l'expérience [⚤]𓁜, pour finir par la radicale coupure introduite par Descartes, avec la prise de conscience de son ego en [∃][⚤]𓁜.

Ce schéma ([⚤][♲][1])𓂀♧ met nos raisonnements cul-par-dessus tête !

  • Le morphisme primitif, rapportant l'objet initial (*) en [∃] à sa représentation {1} en [⚤] : (*)↑{1}, dans une posture "rationnelle" [∃][⚤]𓁜, n'est plus de mise.
  • Les nombres manipulés en [⚤]𓁜 ne sont que les représentants des "nombres idéaux" en [♲]𓁜.

- N'est-ce pas l'argument 9 d'Aristote que tu avais laissé de côté (voir # 10)? 

"C’est cette puissance unifiante qui est cause de l’unité du nombre." p. 113

- Sans doute : dans une telle architecture de la pensée ([⚤][♲][1])𓂀, le principe Unaire en [1] détermine l'idée de nombre en [♲]𓁜, dont les représentations en [⚤]𓁜 permettent les calculs. 

Peut-être faudrait-il dédoubler notre niveau [1]:

  • servant à construire le multiple par la répétition, mais également
  • but final de la réflexion, en passant du multiple à l'Un ?

Ce qui conduirait à cet espace Imaginaire ([1][⚤][♲][1])𓂀. Note que cela correspond assez bien avec cette assertion de Libera : 

"la double affirmation que l’universel existe en dehors de la pluralité tout en résidant identiquement dans chaque particulier, loin d’être une contradiction, forme, au contraire, le noyau d’une théorie à la fois originale et cohérente."

- Et que deviennent les mouvements S↑ et S↓ ?

- A priori, nous aurions :

S↑ ([1][⚤]𓁝⇅𓁜⏩[⚤]𓁝[♲]𓁜⏩[♲]𓁝⇆𓁜[1]⏩[♲]𓁝⇆𓁜[1])𓂀
S↓ ([♲]𓁝⇆𓁜[1]⏩𓁝[♲]𓁜[1]⏩[⚤]𓁝⇅𓁜[♲]⏩[1][⚤]𓁝⇅𓁜)𓂀

Avec une ambiguïté portant sur les nombres: à la fois dans la répétition, dans le monde, mais déjà tous différents les uns des autres par leur nature "idéale", ultramontaine.

Je te propose de laisser décanter tout ceci en continuant d'avancer dans notre lecture...


Le 02/ 12 2021 :

Th2􏰁 : "Ces habitus ne sont ni «innés en nous sous une forme définie» ni «tirés d’autres habitus plus connus», mais tirés des sens.

Commentaire : Les universaux sont produits à partir des sensations, ils n’existent pas d’avance, tout prêts, dans l’âme." p. 120

Très difficile de savoir ce qu'il faut entendre par "les sens" faute d'une mise en rapport du Sujet et d'un Réel, dont il tirerait des "informations" par "les sens", on peut juste se raccrocher aux "habitus", liés à la répétition.

- Autrement dit, le Sujet en posture ex post : [1][⚤]𓁜 ?

- Oui, par analogie avec notre compréhension contemporaine : [∃][⚤]𓁜. Nous partageons à tout le moins avec Aristote une certaine compréhension de la multiplicité en [⚤]𓁜. Les habitus sont du domaine du multiple.

Th3􏰁 : "Le processus de formation de l’universel à partir des sensations est comparable à l’arrêt d’une débandade. L’universel se constitue à partir des images sensibles comme, «dans une bataille (􏱪􏱫έν μάχη􏱺􏱹􏲚􏲛), au milieu d’une déroute, un soldat s’arrêtant, un autre s’arrête, puis un autre encore, jusqu’à ce que l’armée soit revenue à son ordre primitif»

Commentaire : Le modèle de la production de l’universel est la «stabilisation» d’une armée en déroute par l’arrêt successif des fuyards. Tel que l’entend Aristote, le «rassemblement logique» dont parlera Syrianus est celui d’un front qui se reforme au cœur d’une bataille (􏱪􏱫έν μάχη􏱺􏱹􏲚􏲛) en train de se perdre. Le modèle qui préside à la théorie aristotélicienne de la genèse du concept empirique est donc machiste plus que machiniste. L’aspect militaire de cette comparaison a troublé les traducteurs et les copistes médiévaux – Jacques de Venise a laissé le terme en grec, les copistes le «latinisant» sous les formes les plus diverses, depuis in machine jusqu’à in mathematice.

- J'aimerais revenir sur ton exemple de la "température" comme résultant d'un mouvement sous-jascent des molécules dans un gaz. J'ai bien compris que la seule permanence est le mouvement, cependant, du multiple, tu cherches bien à en tirer quelque chose de plus "stable". C'était d'ailleurs ton idée première lorsqu'en analysant le fonctionnement des groupes sociaux, tu tentais de traduire la montée des échelons hiérarchiques comme un changement de base de temps (voir "Le management par le modèle sénaire").

C'est également ce que tu retrouves chez Emmy Noether: la quantité conservée est associée à une invariance exprimée ici en termes de symétries.

Autrement dit cette recherche d'une stabilité comme "arrêt d'une débandade" est bien quelque chose de partagé entre Noether et Aristote... (note 3)

- Effectivement, d'où l'idée de "pulsion unaire" chez Lacan. Il y a bien une "pulsion" nous incitant à la recherche de la permanence, pour ne pas se "désunir". Mais il y a derrière cette pulsion commune, une différence d'approche fondamentale.

  • Dans une approche contemporaine l'ordre naît du désordre (dans un processus immanent S↑, et dans cette construction, le niveau [#] est fondamental; (note du 14/12/21)
  • Dans une approche purement logique [⚤], le passage du multiple à l'Un étant impossible, il faut nécessairement que "l'ordre primitif" soit déjà là: c'est la réminiscence S↓.

- Il reste malgré tout cette "prise de conscience" conjoignant les deux types d'approches S↑ et S↓, repérable dans le cortex, selon JP Changeux. Cela se comprend également en sciences: Boltzmann ne bâtit pas dans le vide des équations qui s'enchaînent au hasard pour passer des molécules à la température, il part d'une théorie atomiste, dont il vérifie les conséquences...

- Tu as encore raison, mais ce faisant, tu renforces l'idée d'un mouvement, cette fois-ci entre "mouvements" si je puis dire : balançant perpétuellement entre S↑ et S↓. De quelque façon que tu te tournes, nous sommes dans le mouvement, quant chez Aristote le mouvement s'éteint quant il "retrouve l'ordre primitif", ce qui se traduit par "l'arrêt de la débandade".

- Que dire de machiste vs machiniste ?

- J'avoue ne pas trop comprendre. Machiste renverrait à viril, et vertu, me fait penser à la causa sui de Spinoza... Ce qui renvoit à l'idée que l'Un est un "pincipe actif"; et confirmerait ma représentation ([⚤][♲][1])𓂀 ou [1] est le principe Symbolique d'où tout découle. Machinisme par opposition, renverrait au processus immanent, avec l'idée de procédure ou de construction... de machine. Mais franchement, il faudrait en discuter avec de Libera...

La suite concerne l'induction, qui est promis à un bel avenir, surtout dans le monde anglo-saxon.

"Quelle est la signification d’un tel modèle ?

L’idée de restauration d’un ordre primitif semble être la version aristotélicienne de la réminiscence dans le platonisme vulgaire. Le sensible n’est pas l’occasion du «ressouvenir» de Formes contemplées par l’âme avant sa chute dans le corps, c’est la remise en ordre de ce qui est dispersé, c’est-à-dire présenté de manière éparse, dans les sensations affectant une âme entendue comme «forme d’un corps naturel organisé». À cette remise en ordre Aristote donne le nom d’«induction» (􏱪􏱰􏱴􏲈􏲁􏲈􏲒έπαγωγή).

Le processus par lequel la pensée discursive, διάνοια􏲀􏱳􏱹􏱫􏱭􏱳􏱴, s’élève aux «principes premiers» (􏱬􏲘τά πρώτα􏱰􏱻􏱽􏱬􏱴) de l’art et de la science est donc l’induction grâce à laquelle «la sensation elle-même produit en nous l’universel» (100b5). En la rigueur des termes, les concepts les plus universels sont les catégories – le texte dit: τά άμερή􏲊􏱺􏱾􏱻􏲢, à savoir les concepts «impartageables» (trad. Tricot) ou «absolument simples» (trad. Moreau), bref indivisibles, parce que, contrairement aux autres concepts universels, ils ne sont pas constitués à partir d’un dividende, le genre, et d’un diviseur, la différence spécifique. Cependant, comme Aristote lui-même explique que Seconds Analytiques, II, 19, est la reprise d’un exposé qu’il a fait ailleurs, on peut estimer

  • soit que le processus ici décrit précise les premiers fondements de la théorie de la définition exposée en II, 13,
  • soit qu’il explicite davantage certaines formules de Physique, VII, 3, sur le rapport de l’universel à la perception singulière :

dans les deux cas, cependant, il s’agit de l’élaboration d’un même présupposé, clairement exprimé en Physique, VII, 3, 5 sq., selon lequel : «Quand une chose particulière est donnée, c’est en quelque manière par le général qu’on connaît le particulier.»

Il faut commencer par prendre en considération un groupe d’individus semblables entre eux et indifférenciés, et rechercher quel élément tous ces êtres peuvent avoir d’identique. On doit ensuite en faire autant pour un autre groupe d’individus qui, tout en rentrant dans le même genre que les premiers, sont spécifiquement identiques entre eux, mais spécifiquement différents des premiers. Une fois que, pour les êtres du second groupe, on a établi quel est leur élément identique à tous, et qu’on en a fait autant pour les autres, il faut considérer si, à leur tour, les deux groupes possèdent un élément identique, jusqu’à ce qu’on atteigne une seule et unique expression, car ce sera là la définition de la chose. Si, par contre, au lieu d’aboutir à une seule expression, on arrive à deux ou à plusieurs, il est évident que ce qu’on cherche à définir ne peut pas être unique mais qu’il est multiple ."." p. 120

Tout ceci s'articulerait simplement avec la notion de groupe quotient, à partir de la théorie des groupes, et donc après Évariste Galois, avec une approche topologique, impliquant des mouvements entre local 𓁝 et global 𓁜, quand la logique est purement globale 𓁜 (i.e.: maniant des éléments).

- Arrête ! Puisqu'il parle de quotient, c'est que l'idée est déjà là !

- Oui, mais sans symétrie ni élément neutre... Faute de pouvoir articuler ces rapports entre éléments au niveau [⚤]𓁜, Aristote ne peut s'y référer que comme "idées", en 𓁝[♲] et au-delà.


Le 03/ 12/ 2021 :

- Nous avons au moins une définition des "catégories" : ce sont des idées "impartageables" ou "absolument simples", dont les autres universaux se déduisent, constitués à partir d’un dividende, le genre, et d’un diviseur, la différence spécifique. A priori cela semble une approche très raisonnable, et nous gardons même, une posture que nous avons appelé "rationnelle" : [⚤][♲]𓁜, en "rapportant" le dénombrable en [⚤] à ce cible imaginaire en [♲].

- Et tu te dis, "mais alors, où est-ce que ça coince" ?

- Précisément. Il y a bien entendu le manque du niveau [#], et c'est étonnant pour un géomètre, mais la différence profonde tient au choix de l'objet initial, l'Un en [1], qui se retrouve en [1]. Du coup, toute la pensée se focalise sur le passage du muliple à l'Un ! Quelle différence avec le balancement oriental entre Yin et Yang, souviens-toi de Lao Tseu :

"Trente rais se réunissent autour d'un moyeu.
C'est de son vide que dépend l'usage du char.
On pétrit de la terre glaise pour faire des vases.
C'est de son vide que dépend l'usage des vases.
On perce des portes et des fenêtres pour faire une maison.
C'est de leur vide que dépend l'usage de la maison.
C'est pourquoi l'utilité vient de l'être, l'usage naît du non-être."

Or, les maths modernes, surtout avec la propriété universelle attachée aux objets initial ∅ et final (*) en théorie des catégories, nous ramène à cette antique pensée, en nous coupant d'Aristote.

Et dans cette perspective plus vaste, c'est la pensée grecque qui nous apparaît comme exotique, comme un détour pris pour nous affranchir d'une pensée symbolique envahie par les dieux. Le projet philosophique grec conduit à Descartes, après bien des détours et des batailles, mais qu'est-ce qu'il aura coûté en chemin de larmes et de sang versé, par Giordano Bruno et tant d'autres!

- Reste positif : nous avons investi Aristote du rôle d'un père qu'il nous a fallu tuer, même si le meurtre a pris pratiquement deux millénaires !

- Je m'inquiète malgré tout, comme simple citoyen, de voir la prégrance de cette pensée aristotélicienne, et la recherche du "repos de l'âme" dans la quiète certitude de l'existence d'un principe unitaire... Il y a là une volonté de retrouver l'immobilité de l'esprit, dans une attitude figée de docteur de la loi pour certains [♲]𓁜 qui est proprement psychotique. Nous en avons parlé il y a longtemps (voir cet article de 2014 "Névrose & psychose, une question de posture")...

- Ça y est, tu as fini de déverser ta bile, nous pouvons continuer ?

- Désolé, mais parfois je me sens tellement cons-cerné, qu'il faut que cela sorte. Mais oui, revenons à nos moutons.

La suite est intéressante, en ce que Libera se focalise sur la première étape du processus, qui passe par la "ressemblance" des objets, au moment où, Socrate amène Ménon a considérer avec lui que "toutes les abeilles sont semblables" en préalable de son argumentation.

J'ai beaucoup hésité sur ce passage, pour finalement y voir un changement de mode de pensée (voir #9):

[∃]♢     [⚤]
[∃]♧     [⚤]

En résumé : Socrate comme Ménon savent qu'il y a parmi les abeilles des différences (entre reine et ouvrières ou abeilles et faux bordons) à partir desquelles se définissent les relations entre elles, comme leur commune appartenance à la ruche. Autrement dit Socrate oublie tout ceci (qui est un mode de pensée relationnel en ♢) pour ramener Ménon à la pure logique du 1er ordre, en ♧). 

- Sauf qu'ici, tu as remplacé [∃] par [1].

[1]♢     [⚤]
[1]♧     [⚤]

- Oui, et c'est l'occasion d'aller au fond des choses.

1/ J'ai proposé un premier schéma : ([#][♲][1])𓂀

2/ J'ai ensuite proposé de dédoubler [1], ce qui donnait ([1][#][♲][1])𓂀et permettait de représenter assez fidèlement à mon sens la théorie d'Aristote :

"Pour prendre la mesure de ce qui caractérise la thèse d’Aristote par rapport à Platon, il faut comprendre en quoi la double affirmation que l’universel existe en dehors de la pluralité tout en résidant identiquement dans chaque particulier, loin d’être une contradiction, forme, au contraire, le noyau d’une théorie à la fois originale et cohérente."

3/ Si je suis mon schéma général, après un premier tour en mode ♧, l'objet initial en (𓁝[∅])𓂀 sert, après retournement du Sujet 𓁝/𓁜, d'objet final en mode ♢: ([∃]𓁜)𓂀. La pensée se développant ensuite selon une logique différente (par analogie : en théorie des catégories, on passerait de la classe des ensembles Ens, à celle des graphes Gr).

Dans ce mouvement, en "plaquant [∅] au revers de [∃]", c'est comme si je faisais une torsion à mon "ruban Imaginaire", pour obtenir un ruban de Moébius.

Or, ici, l'objet final est identique à l'objet initial : je n'ai donc plus cette torsion, qui permet à l'Imaginaire de s'envoler, en passant d'un mode à l'autre, et je reste coincé en mode ♧ ! Je tourne dans mon Imaginaire comme un écureuil en cage une fourmi sur un ruban de Moébius ! (note du 13/ 12/ 21) Autrement dit, j'ai directement (𓁝[1]⏩[1]𓁜)𓂀.

- Et donc on oublie ?

[1]♢     [⚤]
[1]♧     [⚤]

- Oui: Non, même si la théorie est définitivement close sur elle-même, limitée à une discussion "logique".

- Reviens sur ta définition de S↑

S↑ ([1][⚤]𓁝⇅𓁜⏩[⚤]𓁝[♲]𓁜⏩[♲]𓁝⇆𓁜[1]⏩[♲]𓁝⇆𓁜[1])𓂀

Tu démarrais le processus par l'identification  en [⚤]𓁜, mais là tu es un cran en dessous, en [1]𓁜, non ?

- En dessous de [⚤], mais déjà au-dessus de [♲] ! C'est sans doute ainsi  [1]𓁜 que l'on peut représenter ce qu'Aristote appelle "sensation". 

Nous pouvons sans problème compléter notre définition : (note du 17/ 12/ 2021)

S↑ ([1]𓁝⇅𓁜𓁝[⚤]𓁜⏩[⚤]𓁝⇅𓁜𓁝[♲]𓁜⏩[♲]𓁝⇆𓁜𓁝⇆𓁜[1])𓂀

Le passage [1]𓁝⇅𓁜𓁝[⚤]𓁜 correspondant à la recherche d'une identification des sensations1 (la demande que Socrate adresse à Ménon), ensuite, après identification, peut démarrer la manipulation logique 𓁝[⚤]𓁜⏩[⚤]𓁝⇅𓁜.

- Et si tu soumettais cette belle théorie à l'épreuve du texte ?


Le 05/ 12/ 2021 :

- Je relis d'un oeil plus frais, ce passage concernant les sensations et l'induction et je suis tenaillé entre deux sentiments.

  1. D'une part ce qu'il dit de l'induction propement dit me semble tout à fait en phase avec nos conceptions actuelles, mais
  2. La théorie qu'il en donne, pour réfuter Platon ne tient pas.

Et j'ai du mal à l'exprimer simplement, car nous avons ici deux auteurs Aristote 𓂀A et moi l'auteur 𓂀H de cet article, chacun ayant son discours sur la façon qu'a un Sujet 𓁝𓁜 quelconque de former des idées, ce que j'apellerais circuler dans son Imaginaire.

Prends par exemple cette induction : pour moi, ici et maintenant, qui peut me référer à des travaux de neurologistes ayant cartographié les zones du cerveau d'un Sujet pensant, ce qu'Aristote dit de l'induction recoupe parfaitement ce que nous avons pu vérifier expérimentalement, et nous ramène à JP Changeux:

  • Une prise de conscience entre dans la mémoire épisodique comme une "prise de photo", ou un arrêt sur image, avec une notion de "succession", qui donne la chronologie des évènements. Nous pouvons symboliser le lieu Imaginaire de cette construction en [⚤];
  • Le déclencheur de cet arrêt sur image tient à la conjonction, au niveau de l'amydale
    • D'un concept déjà acquis dans la zone corticale, que nous situons dans l'imaginaire en [♲];
    • D'un percept, lui-même rencontre entre les sens externes et les remontées de l'état interne du Sujet, que je schématise "au plus près du Réel" en [∃], qui marque la frontière entre le Sujet et le monde extérieur.

Tout ceci s'inscrit dans le schéma élémentaire ([∃][⚤][♲])𓂀, je ne reviens pas dessus.

Autrement dit, et c'est là où je voulais en venir, la présentation d'Aristote, est en accord avec ce schéma général de mode ♧, que moi j'en donne 𓂀H.

"L’originalité de Seconds Analytiques, II, 19, est de se situer non seulement avant la considération d’un groupe d’individus «indifférenciés», mais avant la présentation d’une multiplicité ou pluralité quelconque, c’est-à-dire au niveau même de la perception de l’individu singulier. Pour Aristote, en effet, la première saisie de l’universel a lieu dès et dans l’appréhension du singulier : reconnaître individuellement Callias, c’est d’abord ou en même temps apercevoir un homme. L’abstraction inductive suppose une première saisie, une perception, de l’universel dans le singulier." p. 122

Maintenant, dans ma réflexion, et après avoir fait le saut intellectuel (𓁝[∅]⏩[∃]𓁜)𓂀H, je peux représenter une autre voie : 

[∃]♢     [⚤]
[∃]♧     [⚤]

C'est-à-dire que mes acquis en mode ♢ me permettent d'accélérer ma perception des choses en pré-formattant. ma perception en [∃], avant toute prise de conscience en [⚤]. Si je vois un visage grincheux 😕 je suis immédiatement en mode réservé devant mon vis à vis, avant même qu'il ouvre la bouche. C'est confirmé par les observations faites chez les nouveaux-nés, comme chez les patients atteints d'Alzheimer.

Dans ce second mécanisme, c'est effectivement l'homme dans sa généralité (ici le type "grincheux") qui est perçu avant l'identification de l'individu en question.

"reconnaître individuellement Callias, c’est d’abord ou en même temps  apercevoir un homme. L’abstraction inductive suppose une première saisie, une perception, de l’universel dans le singulier." p. 123

Comme tu le vois, nous n'avons aucune difficulté à interpréter, dans ce schéma actuel exprimé par 𓂀H ce que nous dis Aristote, et correspond d'assez près à l'expérience clinique.

- Alors où est le problème ?

- C'est qu'Aristote ne peut pas l'exprimer en ces termes.

Ce que nous exprimons en termes de relations Sujet/ objet se retrouve chez Aristote réifié dans les objets eux-mêmes : c'est le principe même d'une réflexion limitée au mode ♧. Il en est réduit à cette représentation du Sujet dans son Imaginaire : ([1][⚤][♲][1])𓂀A à savoir une dichotomie discours/ idées et un principe Unitaire [♲]𓁝[1] qui se retrouve dans le mutiple [1]𓁜[⚤].

Chez Platon, il y a encore trace des deux processus que je décris vus comme indépendants (a):

"... là où Platon se contentait de faire dire à Ménon que ce n’est pas «du fait qu’elles sont des abeilles que les abeilles diffèrent les unes des autres», pour y fonder la possibilité d’apercevoir leur 􏱾􏱿􏲀􏱭􏱯 commun" p. 123

  • "Du fait qu'elles sont abeilles" : régression [∃][∃];
  • "que les abeilles diffèrent les unes des autres" : identification expérimentale [∃]♧ [⚤]

Or, pour réfuter cette réminiscence (i.e.: ici dans le mouvement [∃][∃]), Aristote isole purement et simplement le Sujet dans sa logique de mode ♧, et fait un amalgame :

"Aristote pose plus radicalement que, dès la sensation du singulier, ce qui est perçu est une «chose spécifiquement indifférenciée», autrement dit à la fois une abeille et le fait qu’elle est abeille." p. 123

Soit : 

  • "une abeille" : observation  [1]♧ [⚤];
  • "le fait qu'elle est abeille" : expression d'une idée : [⚤][♲][1].

Ce qui nous donne quelque chose, mélant "être" et "être dit de", de si indigeste qu'il faudra des siècles pour le digérer! 

"Selon lui, c’est sur ce premier arrêt de l’universel que s’ajoutent et se superposent les arrêts successifs des «notions plus universelles», jusqu’à remonter pour finir aux genres catégoriels suprêmes. Ce n’est donc pas sur la perception du singulier qu’est bâtie celle de l’universel, mais sur la perception de l’universel dans le singulier, dans la mesure où, dans l’individu, nous saisissons toujours en même temps l’universel qui s’y trouve contenu. Autrement dit : ce qui est senti est singulier, mais on y sent de l’universel, on le sent universellement (sentitur quidem singulare, sensus autem universalis est)." p. 123

Comprends-tu maintenant mon embarras ?

- Oui : la description du mécanisme correspond à ce que l'on peut voir expérimentalement, mais la représentation qu'il en donne, en réifiant les concepts en mode ♧ (i.e.: "l'universel dans le singulier") loupe tout le mouvement entre le Sujet et l'objet de son attention.

- Maintenant, Aristote dégage malgré tout un mécanisme de type S↑ dans son Imaginaire en forme de cage d'écureuil : il arrive que le Sujet arrête de tourner pour nous donner "les notions les plus hautes". Ici encore, aucune relativité : il y a un arrêt absolu, par exemple "le genre animal", quand nous savons combien ces classifications sont toujours sujettes à remise en cause périodique. Qu'il s'agisse de la classification du "vivant", de ce que l'on appelle ou pas "planète" dans le système solaire, ou des "états" de la matière, voire de définir un étalon du "temps", de "l'espace" ou de la "masse".

Pensée discursive, intuition intellectuelle et connaîssance métaphysique :

"Les dernières lignes de Seconds Analytiques, II, 19 (100b5 sq.), introduisent une sorte de rupture avec l’«empirisme sensualiste» censé régner dans sa première partie. De fait, après avoir affirmé que les habitus ou «principes» de l’art et de la science provenaient, via l’universel «en repos dans l’âme», de la «perception sensible», un thème que la scolastique synthétisera dans l’adage : Nihil est in intellectu quod non prius fuerit in sensu, Aristote déclare brutalement que «les habitus par lesquels nous saisissons la vérité» relèvent d’une faculté supérieure au «raisonnement», celle que J. Tricot 2 présente sous le terme «intuition» . Le mot «intuition» étant la traduction du grec νούς􏱫􏱭􏲞􏱯, Aristote semble ainsi ressusciter la distinction platonicienne de

  • la pensée discursive, διάνοια􏲀􏱳􏱹􏱫􏱭􏱳􏱴, et de
  • l’intuition intellectuelle, 􏱫􏲇􏲛􏱶􏱳􏱯νόησις.

Avec un bémol de Barnes relevé par Libera quant à la traduction de νούς:

"Barnes critique, notamment, la traduction de νούς􏱫􏱭􏲞􏲉 par «intuition» (qu’il remplace par «compréhension») et l’identification du

  • «􏱫􏱭􏲞􏲉νούς des principes» avec le 􏱫􏱭􏲞􏲉
  • νούς perceptuel ou «quasi perceptuel» portant sur les individus (en particulier les individus mathématiques).

Nous suivons ici la «vue orthodoxe» parce qu’elle déplie les présupposés de la lecture «péripatéticienne» médiévale qui repose sur les confusions analysées par Barnes." note 1 p. 125

Je relève incidemment cette note, car elle me semble aller dans le sens que j'indiquais tantôt (a) d'un double processus chez Platon, où :

  • νούς des principes renverrait à la posture [♲]𓁜;
  • νούς perceptuel ou «quasi perceptuel» renverrait au processus de régression  [∃][∃].
  • διάνοια􏲀􏱳􏱹􏱫􏱭􏱳􏱴, la pensée discursive étant bien entendu en [⚤]𓁜.

Ceci dit, revenons à une lecture médiévale du texte comme nous y invite Libera :

"Dans l’interprétation qu’il fournit du passage, J. Moreau donne un relief particulier à ce remaniement du platonisme et justifie par un souci épistémologique le dépassement de l’induction. Puisque toute science est vraie dans la mesure où elle s’arrête à des conclusions démonstratives certaines, il ne peut y avoir science des principes mêmes dont ces conclusions sont inférées. Au point de départ de la science, au principe de la démonstration, il faut poser un certain nombre d’indémontrables." p. 125

Effectivement puisque, comme nous l'avons vu, l'induction conduit à des "idées insécables" comme le genre "animal", on ne peut faire découler ce concept d'aucune discussion dialectique.

"En tant qu’indémontrables, les «principes de la science», c’est-à-dire de la raison discursive, dont Aristote assurait tantôt qu’ils «proviennent» de l’expérience, ne peuvent être donnés par la διάνοια􏲀􏱳􏱹􏱫􏱭􏱳􏱴. Or il y a deux sortes d’indémontrables :

  • les hypothèses où l’on «assume nécessairement que l’expérience ne peut se soustraire à la détermination mathématique» et
  • les «concepts où s’exprime l’unité» des «objets naturels que distingue spontanément notre perception».

Il appartient donc à l’intuition intellectuelle, et à elle seule, d’apporter les «principes de la représentation mathématique des objets» et ceux de «l’organisation universelle, les essences des êtres naturels». p. 125

Ce que nous pourrions représenter par la posture [♲]𓁜 du Sujet;

  • Soit qu'il exprime "la loi" dans la posture du docteur de la loi ou du maître;
  • Soit parce que le concept découle de l'Unité, dans un mouvement S↓ : 
    ([♲]𓁝⇆𓁜[1]⏩𓁝[♲]𓁜[1])𓂀A

"En effet, «tout être naturel a une essence, objet de la définition et, encore que celle-ci doive être élaborée par l’analyse inductive, l’unité du défini, la liaison nécessaire de ses éléments, ne peut être saisie que par un acte intellectuel irréductible à une constatation empirique». Cette dernière thèse est, évidemment, cruciale, car elle implique qu’il faille rechercher dans une « intuition des essences » la raison des jugements vrais dépliés dans les vérités prédicatives." p. 125

Le mouvement S↓ n'est évidemment pas "empirique", mais transcendant, même en restant dans le schéma aristotélicien 𓂀A.

"Pour J. Moreau, l’intuition aristotélicienne des essences en tant qu’elle «est solidaire d’une vision finaliste du monde» «se relie à la 􏱫􏲇􏲛􏱶􏱳􏱯νόησις platonicienne, qui, remontant à l’Idée du Bien, définit l’essence de chaque chose». Évidemment, aucun texte d’Aristote ne parle en la rigueur des termes d’une «intuition intellectuelle des essences». Le nom aristotélicien d’une telle intuition est donné en deux passages du De anima que J. Moreau coordonne : il s’agit de

  • l’«intellection des indivisibles» (􏲒...􏱫􏲇􏲛􏱶􏱳􏱯), dont parle le De anima, III, 6, 430a26, et de celle
  • des «objets immatériels», alléguée en III, 6, 430b31." p. 126

Il est assez aisé de voir, dans le mouvement ([♲]𓁝⇆𓁜[1]⏩𓁝[♲]𓁜[1])𓂀A en quoi le domaine des indivisible 𓁝[1] est lié aux "objets immatériels" en [♲]𓁜.

"La coordination de l’«indivisible» et de l’«immatériel» dans une même théorie de l’intuition des essences, la hiérarchisation qu’elle implique entre la raison ou 􏲀􏱳􏱹􏱫􏱭􏱳􏱴διάνοια􏲀􏱳􏱹􏱫􏱭􏱳􏱴 et l’intellect ou νούς􏱫􏱭􏲞􏲉􏱫􏱭􏲞􏱯, la discursivité et l’intuition, pouvaient donner lieu à deux théories différentes.

  • L’une consistait à maintenir en tension nécessaire une définition de la forme des êtres naturels impliquant l’existence
    • d’une matière déterminée (puisque, pour Aristote, tout être naturel est essentiellement composé de matière et de forme) et
    • une définition de la forme comme «essence simple et immatérielle»,

faisant de l’être composé «une substance, un objet unifié, saisissable dans une définition»;

  • l’autre, à distinguer diverses sortes de formes et, par là même, divers types de connaissance formelle.

Dans un cas, l’intellection des «immatériels» revenait à penser l’essence immatérielle d’un être composé de forme et de matière, à l’abstraire ;
dans l’autre, elle revenait à penser une Forme immatérielle séparée de tout être matériel.

On pouvait aussi poser que, loin de s’exclure, ces deux types d’intellection relevaient de disciplines différentes ou qu’ils se succédaient dans l’âme humaine." p. 126

Là encore c'est simple à suivre :

  • Premier cas :
    • La matière en vu en 𓁝[♲];
    • La forme (qui "informe la matière) est en [♲]𓁜;
    • L'être composé est "définissable" en [⚤]𓁜 grâce à :
    • Un mouvement de type S↓
      S↓ (𓁝[♲]𓁜⏩[⚤]𓁝⇅𓁜[♲]⏩[⚤]𓁝⇅𓁜)𓂀
  • Second cas :
    • Il n'y a pas de "matière" permettant au Sujet de "faire le pont" 𓁝⇅𓁜 entre [♲] et [⚤], juste une disjonction franche  [♲]/[⚤].

Il n'y a effectivement pas de d'exclusion entre les deux approches. 

"Toutes ces voies ont été explorées dans le péripatétisme arabe et latin. On les examinera plus loin. Toutefois, comme c’est la dernière solution qui semble avoir initialement inspiré l’exégèse «péripatéticienne» arabe d’Aristote, c’est par elle que l’on commencera ici." p.127

Tu te souviendras que c'est pour faire barrage aux Sophistes que Platon a résolument défini que les "idées" auquelles se "réfèrent" les paroles, sont irrémédiablement d'un autre ordre, séparées, du langage.

"Auparavant, il nous faudra présenter ce qui l’a tantôt encadrée, tantôt simplement accompagnée : la théorie des trois états de l’universel et le prolongement particulier que lui a donné Syrianus en introduisant une théorie des Formes réhabilitant la réminiscence platonicienne sans sacrifier l’abstraction aristotélicienne." p. 127

Par la suite je propose de schématiser :

  • La réminiscence platonicienne par la régression modale [∃][∃];
  • L'abstraction aristotélicienne par le mouvement S↑ dans l'Imaginaire Aristotélicien 
    ([1][⚤][♲][1])𓂀A

"Avant d’aborder Avicenne, nous suivrons le destin de cette théorie néoplatonicienne chez celui que les Arabes ont eux-mêmes appelé «le Premier Maître après Aristote» : al-Fârâbî. Nous montrerons que, sans revenir à la théorie des Formes de Syrianus, la voie péripatéticienne d’al-Fârâbî, que l’on peut appeler voie métaphysique, a fourni un nouvel investissement du modèle qu’elle véhiculait structurellement. Ce reclassement métaphysique du modèle de Syrianus, opéré exemplairement chez al-Fârâbî dans la perspective du concordat philosophique entre Platon et Aristote, nous permettra de suivre jusqu’à son aboutissement latin, chez Roger Bacon et les maîtres parisiens de la première moitié du XIIIe siècle, une solution originale au problème des universaux, que rien n’avait préparée dans la tradition latine primitive (celle de Boèce et de la Logica vetus) et qui a, un temps, concurrencé dans l’esprit des chrétiens d’Occident les deux grandes autres théories arabes :

  • celle du Donateur des formes selon Avicenne, qui procédait de l’univers d’al-Fârâbî,
  • celle de l’Intellect unique et de l’abstraction selon Averroès, qui tentait de s’en dégager.

C’est donc une série complexe de fils qu’il nous faut à nouveau nouer ici, pour pouvoir comprendre ensuite ce qui sépare les camps en présence à partir de la fin du XIIe siècle." p. 127

Vaste programme ! 

- À suivre...

Hari

Note du 13/ 12/ 21 :

En revenant en détail sur Platon et Aristote (voir ici), je m'aperçois que j'ai fait une erreur en disant que le bouclage de [1] sur [1] était comme une "cage d'écureuil".

Non, en fait, compte tenu du changement de posture du Sujet de 𓁝 à 𓁜 en passant de [♲]𓁝[1] à [1]𓁜[⚤], soit :
 ([♲]𓁝𓁜[1]​​​⏩[1]𓁝𓁜[⚤]​⏩𓁝[⚤]𓁜⏩[⚤]𓁝𓁜[♲])𓂀,
le raboutage doit se faire comme un ruban de Moébius (i.e.: assurant que 𓁝 devienne 𓁜); ce qui assure une discussion sans fin entre l'Un et le multiple... Pour déterminer qui est premier de l'oeuf ou de la poule...

De ce point de vue, rien de changé par rapport au schéma complet où l'objet final [∃] se boucle sur l'objet initial [∅], soit : 
([♲]𓁝𓁜[∅]​​⏩[∃]𓁝𓁜[⚤]​...)𓂀.

Même si le contenu, (c.-à-d. les niveaux) de l'Imaginaire évolue, la structure même du mouvement dans l'Imaginaire est conservée.

Note du 14/ 12/ 21 :

Plus précisément : la constitution du niveau Imaginaire [#]​ permet la rencontre entre les deux processus S↑ et S↓.

En effet,

  • Dans S↑, l'objet se constitue à partir des ses éléments;
  • Dans S↓, l'objet se détache comme partie# d'un tout#.

Le premier processus est discret, le second part du continu et l'objet à la confluence des deux, conjoingnant les deux points de vue S↑ discret/ S↓ continu est vu comme un topos en [♲].

De ce point de vue, l'outil mathématique le plus adapté pour la description de cet objet, est l'écriture matricielle, qui par nature conjoint les deux regards du Sujet, dirigé vers l'objet final 𓁜 ET vers l'objet initial 𓁝, voir "Matrice".

À partir de cette vue d'ensemble, tu peux maintenant mieux comprendre l'impossibilité à laquelle se heurte Aristote, privilégiant un processus discret S↑. La construction de N en [⚤]​ n'a pas la puissance du continu, comme R en [#], ce qui rend impossible le passage du multiple (le dénombrable pour être plus précis) à l'Un, vu comme totalité.

Note 3 :

- On peut aller plus loin : 

Chez de Saussure : nous avons la distinction synchronie/ diachronie.

Chez Freud, le principe même du feuilleté Imaginaire enserré par le Réel et le Symbolique, reprend bien l'idée qu'un mouvement se propageant du Réel au Symbolique est repérable par la trace qu'il laisse en traversant chacun des feuillets. Un peu comme, dans une chambre à bulles où l'on suit le trajet d'une particule en repérant la suite des gouttes de condensation (les bulles) qu'elle produit à son passage.

- C'est tout simplement le Petit Poucet qui laisse des caillous derrière lui pour marquer son chemin.

- Oui, on peut aussi parler d'un "film" qui est une succession d'images fixes etc...

- Ou encore ta propre représentation des niveaux imaginaires ?

- C'est la question que je me pose : ma représentation est-elle Aristotélicienne ou pas ?

A la réflexion, non, car chaque niveau marque un mouvement du Sujet, sinon un choix.

Prends le niveau [#]​: je peux décider de ne pas faire l'hypothèse du continu par exemple.

Au niveau [∅], c'est encore plus évident (j'en parle dans "Retour à Platon & Aristote"), tu peux choisir l'objet initial qui va conditionner ton Imaginaire :

  • Pour Platon c'est l'Un ou 1;
  • Pour les Bouddhistes, c'est ∅;
  • Pour les Taoïstes c'est ☯.

Par ailleurs, nous avons vu qu'en changeant de mode de penser, en passant d'une pensée objective en ♧ (par analogie : la catégorie des Ensembles) à une pensée relationnelle en ♢ (par analogie : la catégorie des Graphes), certains "objets" sont transformés, comme

  • l'objet final qui diffère en [∃]/ [∃] ou
  • l'objet discriminant [⚤]/ [⚤].

En ce sens, nous retrouvons l'idée que ce qui marque la "stabilité" des niveaux Imaginaires [∃], [⚤],[#], [♲] et [∅] n'est pas l'immobilité à la mode d'Aristote, ils doivent être vus comme "points de passage" dans un flux et reflux des pensées du Sujet, comme les noeuds d'une corde vibrante. Un peu comme un rythme imposé au danseur, qui marque ses pas en valsant : 1, 2, 3; 1, 2, 3... etc.

On peut encore les voir comme passage "observable" entre des états potentiels du Sujet qui échappent à la description (pense à la corde vibrante).

Note du 17/ 12/ 2021 :

J'hésite beaucoup sur la première étape du processus :

S↑ ([1]𓁝⇅𓁜𓁝[⚤]𓁜...)𓂀

Dans mon esprit, la posture 𓁝[⚤] est une dégénéresecence de la posture locale en 𓁝[#], après qu'Évariste Galois ait introduit la théorie des groupes, ce qui nécessite l'introduction des idées d'inversion et d'élément neutre. La représentation que je m'en fais, c'est la base algébrique discrète en [⚤] d'un espace vectoriel en [#].

Ce serait une régression dans un processus S↓, en ce sens que la posture locale est primitivement expérimentée dans un univers "continu" (l'enfant attaché à la mère) pour ensuite passer du continu au discret.

Je pense que dans un discours limité à ([1][#][♲][1])𓂀A, je dois zapper cette étape et passer directement de [1]𓁜 à [⚤]𓁜, ce qui pour moi 𓂀H, ici et maintenant, en mode ♡, m'apparait, rétrospectivement, comme une faute de syntaxe, dans l'écriture :  ([1]𓁜⏩[⚤]𓁜)𓂀.

Pour Aristote, lorsque Jacques a mal au genou [1]𓁜, "aïe", il identifie immédiatement son mal en [⚤]𓁜 "j'ai le genou fracassé", et la "cause" est à rechercher du côté de 𓁝[♲].

Pour Diderot, et nous dans sa postérité, le passage est moins évident: comment s'assurer que nos mots se réfèrent au mêmes maux (je n'ai pas su résister à cette facilité)?

Interrogation qui est ici exprimée par le maître comme une recherche globale de symétrie [♲]𓁜 entre les expériences de deux acteurs en miroir par rapport à un même objet, ici le "genou" (et non une forme commune, la "douleur", attaché à la matière du "genou" pour former la "douleur au genou"). Le regard s'est décentré, par rapport à celui d'Aristote.

La réponse locale de Jacques, est que le mot prend sens lorsqu'il rappelle une expérience passée. On peut identifier la départ de cette quête de sens S↑, par un questionnement en 𓁝[⚤], en réponse à une quête de symétrie S↓ partant de [♲]𓁜.

« Ah ! Monsieur, c'est une terrible affaire que de s'arranger un genou fracassé!" Et à son maître de lui répondre comme auparavant: «Allons donc, Jacques, tu te moques...»

Mais ce que je ne vous laisserais pas ignorer pour tout l'or du monde, c'est qu'à peine le maître de Jacques lui eut−il fait cette impertinente réponse, que son cheval bronche et s'abat, que son genou va s'appuyer rudement sur un caillou pointu, et que le voilà criant à tue tête: «Je suis mort ! j'ai le genou cassé!...»

Quoique Jacques, la meilleure pâte d'homme qu'on puisse imaginer, fût tendrement attaché à son maître, je voudrais bien savoir ce qui se passa au fond de son âme, sinon dans le premier moment, du moins lorsqu'il fut bien assuré que cette chute n'aurait point de suite fâcheuse, et s'il put se refuser à un léger mouvement de joie secrète d'un accident qui apprendrait à son maître ce que c'était qu'une blessure au genou.

Une autre chose, lecteur, que je voudrais bien que vous me disiez, c'est si son maître n'eût pas mieux aimé être blessé, même un peu plus grièvement, ailleurs qu'au genou, ou s'il ne fut pas plus sensible à la honte qu'à la douleur.

Lorsque le maître fut un peu revenu de sa chute et de son angoisse, il se remit en selle et appuya cinq ou six coups d'éperon à son cheval, qui partit comme un éclair; autant en fit la monture de Jacques, car il y avait entre ces deux animaux la même intimité qu'entre leurs cavaliers; c'étaient deux paires d'amis.

Lorsque les deux chevaux essoufflés reprirent leur pas ordinaire, Jacques dit à son maître: "Eh bien, monsieur, qu'en pensez−vous ?
LE MAÎTRE: De quoi ?
JACQUES: De la blessure au genou.
LE MAÎTRE: Je suis de ton avis; c'est une des plus cruelles.
JACQUES: Au vôtre ?
LE MAÎTRE: Non, non, au tien, au mien, à tous les genoux du monde.
JACQUES: Mon maître, mon maître, vous n'y avez pas bien regardé; croyez que nous ne plaignons jamais que nous.
LE MAÎTRE: Quelle folie !
JACQUES: Ah ! si je savais dire comme je sais penser ! Mais il était écrit là−haut que j'aurais les choses dans ma tête, et que les mots ne me viendraient pas."

Ici Jacques s'embarrassa dans une métaphysique très subtile et peut−être très vraie. Il cherchait à faire concevoir à son maître que le mot douleur était sans idée , et qu' il ne commençait à signifier quelque chose qu'au moment où il rappelait à notre mémoire une sensation que nous avions éprouvée.

Son maître lui demanda s'il avait déjà accouché.
− Non, lui répondit Jacques.
− Et crois−tu que ce soit une grande douleur que d'accoucher ?
− Assurément !
− Plains−tu les femmes en mal d'enfant ?  
− Beaucoup.
− Tu plains donc quelquefois un autre que toi ?
− Je plains ceux ou celles qui se tordent les bras, qui s'arrachent les cheveux, qui poussent des cris, parce que je sais par expérience qu'on ne fait pas cela sans souffrir; mais pour le mal propre à la femme qui accouche, je ne le plains pas: je ne sais ce que c'est, Dieu merci ! Mais pour en revenir à une peine que nous connaissons tous deux, l'histoire de mon genou, qui est devenu le vôtre par votre chute...

LE MAÎTRE: Non, Jacques; l'histoire de tes amours qui sont devenues miennes par mes chagrins passés." Extrait de: Denis Diderot. «Jacques le Fataliste et son maître.» Apple Books.

On pourrait reprendre tout le développement à partir de la dualité identité/ idempotence:

  • L'aller retour à partir de Jacques S↑S↓ renvoie à l'identité du mot;
  • et à partir de son maître S↓S↑ à l'idempotence de Jacques et son maître face à leur expérience du genou.

- Pourquoi en revenir à Diderot ?

- Pour bien comprendre ce que n'est pas l'approche d'Aristote, en référence à une autre, plus proche de nous !

- En conclusion, ici, il faut garder :  ([1]𓁜⏩[⚤]𓁜)𓂀?

- Oui, absolument.

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