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Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...

L'Homme quantique

La querelle des Universaux - Alain de Libera / Notes de lecture # 9

Nota : La signification et l'usage de mes glyphes, comme le schéma général de l'Imaginaire du Sujet, sont présentés ici: "Résumé"

([∃]𓁝⇅𓁜[⚤]𓁝⇅𓁜[#]𓁝⊥𓁜[♲]𓁝⇆𓁜[∅])𓂀

J'ai situé certains concepts Japonais, tels que Mu 無, Ma/Aïda 間, espace
空間 et temps 時間 dans cette grille de lecture, ici : "L'espace-temps / Ma"

([∃]𓁝⇅𓁜[時間]𓁝⇅𓁜[空間]𓁝⊥𓁜[間]𓁝⇆𓁜[無])𓂀

Pour le schéma développé de l'imaginaire voir: "Mettre un peu d'ordre dans sa tête"

𓂀          
  [∃] [⚤] [#] [♲] [∅]
  [∃] [⚤] [#] [♲] [∅]
  [∃] [⚤] [#] [♲] [∅]
  [∃] [⚤] [#] [♲] [∅] 

- Ma lecture m'amène à faire ce point :

Récapitulatif

1/ L'Imaginaire dans lequel s'expriment Platon, Aristote et tous leurs commentateurs jusqu'à la fin du Moyen Âge se situe en mode ♧, ce qui va me permettre d'alléger mon écriture dans ce qui suit.

2/ Le niveau [#], qui pourtant doit être là, puisque nos sommes dans des cultures hautement hiérarchisées, n'est pas conscient. Il n'y a aucune théorisation de l'appartenance à une ou des catégories.

3/ La pensée se développe exclusivement en mode [⚤] selon la logique du 1er ordre, en considérant les objets comme des éléments et jamais comme parties# d'un tout.

4/ Le niveau [∅] est, sauf exception, non pas ignoré mais refusé, en tout cas explicitement par Aristote.

Pour discuter de la posture du Sujet dans son discours, nous en sommes donc réduits à : ([∃]𓁝⇅𓁜[⚤]𓁝⇅𓁜[♲]𓁝⇆𓁜)𓂀.

5/ Les concepts peuvent se constituer de deux façons  S↑ ou S↓.

S↑ ([∃]𓁝⇅𓁜[⚤]⏩[∃]𓁝⇅𓁜[⚤]⏩[⚤]𓁝⇅𓁜[♲]⏩[⚤]𓁝⇅𓁜[♲]⏩[♲]𓁜)𓂀
S↓ ([♲]𓁝⇆𓁜[∅][♲]𓁜)𓂀

6/ Par ailleurs, et c'est ce que je retire de ma lecture :

  • Il n'y a pas de prise en compte "théorisée" (sauf à la marge, dans le mouvement S↑;)
    • du contact au "Réel" ;
    • ni de l'expérience directe avec le Réel en [∃]
  • Quoi qu'en dise Aristote, en opposant la substance aux figures de Platon, les deux concepts sont de même nature, en [♲];
  • Le discours d'Aristote en [⚤] renvoie [♲] à [♲], comme un miroir.

En pratique, l'Imaginaire se limite à : ([⚤]𓁝⇅𓁜[♲]𓁝⇆𓁜)𓂀.

Nous en sommes ici :

Chapitre 2 : Du néoplatonisme grec au péripatétisme arabe :

Le point important se résume à ceci :

"il ne saurait y avoir définition d’aucune substance" p. 92

Ce qui m'amène à l'hypothèse suivante concernant la critique qu'Aristote fait à la théorie Platonicienne :

  • Les formes comme les idées peuvent être "comprises" en [♲]𓁜;
  • La substance ne peut être approchée qu'à partir des êtres singuliers en 𓁝[♲];

La réfutation aristotélicienne de la théorie des Idées («Métaphysique», Z, 14)

Pour Platon:

  • Les idées sont "des substances douées d'une existence séparée";
  • Il y a une hirarchie entre les idées :
    "les Idées supérieures (Idée du genre animal) constituent les Idées subordonnées (Idée de l’espèce homme)." p. 93

À cette lecture, je prends conscience de mon ignorance de Platon, et j'ai bien besoin de resituer sa démarche.

- De quoi parles-tu ?

- Pourquoi a-t-il du théoriser que les idées sont substantielles, des choses en soi ? Ça ne s'impose pas de soi, il y a bien un contexte, non ? Je vais donc faire un petit tour dans "Aux origines de la philosophie européenne : de la pensée archaïque au néoplatonisme" de Couloubaritsis, Lambros, que je trouve sur Z bibrairie. La vie de Platon prend ainsi du relief ! Il vit dans une citée en pleine décomposition politique, et pense qu'il est urgent de bien former la jeunesse (comme Socrate) pour éviter la déchéance d'Athènes. D'où son école, l'Académie... Bref je te laisse lire le texte (p. 217 à 386). 

- Encore un détour ! Mais pour ce qui nous occupe ici ?

- Il semblerait donc, que Platon se soit attaqué aux Sophistes, qui pour lui, représentaient un danger intellectuel et un obstacle dans sa recherche d'une cité idéale. Il s'attaque donc au langage, dès ses écrits de jeunesse :

  • "le Ménexène s'applique à dévoiler les futilités de la rhétorique, et plus particulièrement du genre épidictique;
  • l'Euthydème s'attaque à la sophistique plus ouvertement que le Protagoras, pour y relever ses insuffisances linguistiques et logiques. Dans le dernier dialogue de cette époque,
  • le Cratyle, Platon forge une analyse du langage qui n'a plus rien à voir avec les sophismes de l'Euthydème, puisqu'il pousse le langage dans ses derniers retranchements, dans ses éléments mêmes, pour décider
    • s'il est naturel ou
    • conventionnel, ou
    • pour établir en quoi il est naturel et conventionnel.

Les difficultés des deux thèses opposées laissent entre-voir la nécessité d'une référence à des entités stables et transcendantes, les Idées. Cette nécessité apparaît ici en dehors de la question de la définition, ce qui montre, nous le verrons, que la question des Idées chez Platon émerge d'une façon qui n'est plus exclusivement socratique ou même mégarique." p. 226

Ensuite, dans les écrits de la maturité, de la nécessité d'idées distinctes des simples jeux de langage, il passe à la métaphysique de l'Un dans :

  • " Le Parménide (qui tire les conséquences de sa problématique des Idées, en instituant une métaphysique de l'Un)" p. 226

Et fait écho à ses réflexions sur l'âme, de sa jeunesse (autour de la mort de Socrate).

J'en retire que le "domaine des idées" s'impose à Platon, pour contrer une simple manipulation sophiste du langage.

- N'est-ce pas un débat éternel qui l'on retrouve entre Popper et Wittgenstein autour d'un tisonnier ?

- Il faudrait en discuter avec des philosophes, en attendant, ce qui m'intéresse ici, c'est de retrouver la séparation langage référant/ idées référées, que j'ai schématisée, par la disjonction [⚤]/[♲].

Et la difficulté intellectuelle tient à ce qu'un même langage en  [⚤] serve d'une part à décrire les êtres (le multiple) et d'autre part, ce qui commence à devenir, dans la tête de Platon, l'Un, associé à la pureté des idées etc. (tropisme unitaire que Lacan reprend dans sa "pulsion Unaire" pour ceux qui suivent). Ce que nous avons identifié comme la différence de postures 𓁝/𓁜 du Sujet, dans une approche relativiste, qui n'a aucun sens dans une pensée strictement limité à la logique du 1er ordre : je traduis en termes "relationnels" ce qui relève pour Platon des "objets en soi".

Maintenant, et c'est tout l'intérêt de la critique d'Aristote, le manque à penser que je pointe hic et nunc, confortablement installé dans une pensée du XXIe siècle et mon canapé, Aristote, armé de la seule logique platonicienne, le dénonce à l'époque comme contradiction interne dans la pensée de Platon.

- On pourrait en déduire que la longue marche philosophique en Occident, se construit de façon ad hoc pour combler ces trous, ces apories ?

- Ah ! C'est là toute mon inquiétude ! En décrivant le feuilleté Imaginaire de Freud par ([∃]𓁝⇅𓁜[⚤]𓁝⇅𓁜[#]𓁝⊥𓁜[♲]𓁝⇆𓁜[∅])𓂀; dans quelle mesure suis-je conditionné par ma culture? J'essaie de m'en abstraire en m'intéressant à d'autres cultures, voire au langage mathématique, mais le doute subsiste...

Comme tu le vois, je reste très troublé de retrouver dans cette dispute Aristote/ Platon, qui court jusqu'à l'âge Classique, des questions qui marquent encore notre démarche intellectuelle actuelle. Comment ne pas voir chez Gödel, une confirmation de la critique que Platon adresse au Sophistes: "non le langage logique ne doit pas se fermer sur lui-même"

- Si tu en revenais au texte ?

- Désolé. Or donc, si les idées "existent", encore faut-il s'entendre sur cette "existence". Nous l'avons déjà vu, il ne s'agit nullement du choc du Réel et du trauma de sa perception [∃], marquant l'entrée dans l'Imaginaire. Il s'agit d'une "subsistance", qui elle aussi est du domaine des idées, en [♲].

- Tu tournes en rond.

- Le texte aussi me semble-t-il. Nous venons de voir (#8) l'articulation de idées entre elles, mais ici, lorsque l'auteur parle des relations entre idées et "êtres sensibles", j'ai l'impression de relire le même texte, puisque des "êtres sensibles" sont appréhendés sous leur aspect substantiel.

Pour Aristote, donc, deux difficultés associées aux deux termes forme et substance, qui ensemble déterminent "la chose en soi" (son système "hyélomorphique").

Le point historique est celui-ci : arrivant à l'impossibilité de définir la substance, (ce qui coupe les pattes à l'approche immanente des idées S↑ en dénonçant le dernier retournement 𓁝[♲]/ [♲]𓁜 ), pourquoi certains réalistes (affirmant la constitution des idées dans un mouvement S↑), se réfèrent-ils à Aristote?

"La position d’Aristote en Z, 13-14 est donc claire : aucun universel n’est substance. Aucun universel n’est la substance d’une chose singulière. C’est celle que, parmi beaucoup  d’autres, reprendra Occam.

Une question, toutefois, demeure : si Aristote est si clair, pourquoi l’aristotélisme n’a-t-il cessé d’alimenter les diverses théories réalistes affirmant l’immanence des universaux aux choses, sur le modèle de l’universel dans la pluralité (􏱽􏰍 􏰀􏰋􏱾􏰈 􏰊􏰋􏱺􏱺􏰋􏱾􏰈) des néoplatoniciens ? Parce qu’il y a une autre immanence que la platonicienne ? Une immanence proprement aristotélicienne de l’universel aux choses ? Un aristotélicien dira que le fait que toute chose ait une forme spécifique n’implique pas qu’un universel, l’Espèce, lui soit immanent. Le problème est que c’est bien ce que l’on a compris. Et non sans raison. La rencontre, à distance, d’Aristote avec Porphyre joue ici un rôle capital. Elle a lieu face à une statue d’airain." p. 95

Porphyre, Aristote et la statue d'airin :

"Dans l’Isagoge, traitant des diverses définitions de la différence, Porphyre propose de «voir ce qui se passe pour les choses composées de matière et de forme, ou du moins ayant une composition analogue aux composés de matière et de forme».

Pour expliciter le statut de cet analogue de la composition hylémorphique, il prend l’exemple d’une statue d’airain.

«De même que la statue a pour matière l’airain et pour forme la figure, de même aussi l’homme, l’homme commun ou spécifique, est composé du genre, qui est l’analogue de la matière, et de la différence, qui est l’analogue de la forme, le tout qui en résulte, animal-raisonnable-mortel, étant l’homme, comme tout à l’heure c’était la statue» (Tricot, p. 31).

On a ainsi les analogies suivantes :

  • genre/homme commun = bronze/statue = matière/composé
  • différence/homme commun = figure/statue = forme/composé" p. 95

Très franchement, j'ai fait beaucoup d'efforts pour suivre l'auteur jusqu'ici, mais là, j'ai du mal à suivre Porphyre dans cet analogue !

- Sans doute parce que tu n'arrives pas à te glisser dans la peau de Porphyre, et reste malgré toi attaché à ta façon de penser actuelle. Tu écris que la matière ou la substance sont ici pour les Grecs au niveau [♲], tout comme des idées, telles que "genre", et cependant, tu ne peux t'empêcher de chercher la matière du côté du Réel. Ce qui, même au regard de ta propre démarche est une aberration ! Je te signale que tu as rejeté la notion de "masse" en [∃], bien au-delà même de [♲]♧ ! C'est donc toi qui est inconséquant.

- Soit, je le reconnais : genre/ bronze/ matière sont des concepts homogènes. Mais différence et forme?

- Il faudrait en savoir un peu plus sur les théories de Platon et Aristote... À toi de t'y mettre.

- Je suis effondré de sans cesse me heurter aux limites de mon inculture, c'est très frustrant... Mais, bon, admettons-le pour avancer. Le point où veut nous mener de Libera est le suivant :

"De là les commentateurs anciens tirent que

  • si la différence est l’analogue de la forme (= figure, 􏰁􏱿􏰌􏰋􏰈) et
  • si ladite «forme» entre dans la catégorie de qualité (comme le pose Aristote en Cat., 8, 10a11, trad. Boèce : Quartum vero genus qualitatis est forma et circa aliquid constans figura),
  • la différence peut être considérée comme une qualité,

«alors que le genre relève de l’essence» (􏰋􏰎􏰅􏲀􏰇).

Le texte de Porphyre compare «l’homme commun», autrement dit une espèce, et un être singulier, la statue. Les commentateurs de l’Isagoge, David (195, 27-29), Élias (87, 28-88) et Ammonius (106, 12 sq.), assimilent le genre à une essence (􏰋􏰎􏰅􏲀􏰇), en tant qu’analogue de la matière de la statue, et la différence à une qualité, en tant qu’analogue de la figure de 1 la statue." p. 96

J'avoue qu'il y a un glissement qui m'a échappé dans le développement de Libera, du sans doute à ma méconnaissance des théories de Platon et d'Aristote, sur lesquelles je ne vais pas pouvoir faire l'impasse.

- De quoi parles-tu ?

- J'ai suivi l'auteur pas à pas dans ses prolégomènes, et je me suis focalisé sur le concept de "subsistance", or, ici on nous parle de "matière", et quand je lis Wikipedia à l'article  "hyélomorphisme"), je trouve : 

"L’hylémorphisme (du grec ancien hylè : matière et morphè : forme) est un concepts de philosophie métaphysique selon lequel tout être (objet ou individu) est indissociablement composé d'une matière et d'une forme, qui composant la substance. Elle a été développée par Aristote. [...] Cette théorie est exposée et appliquée aux êtres vivants et au composé humain dans le livre I du De Partibus Animalium et dans le De Anima.

Le Stagirite soutient que l'objet est constitué de la rencontre entre la forme et la matière, qui reproduisent l'opposition fondamentale entre acte et puissance. La forme donne à l'objet sa quiddité, c'est-à-dire sa qualité essentielle, son être propre." Wikipedia

Et je me demande si ce que j'ai dit de la différence substance/ forme (i.e.: 𓁝 [♲]/ [♲]𓁜) était pertinent, ou si je n'ai pas parlé de "substance" en lieu et place de "matière" ? 

De plus, Libera nous parle "d'essence" des choses, sans préciser le concept.

- Passe à l'exemple de Wikipedia, ce sera peut-être plus familier pour toi :

"Aristote pense l'âme comme «la forme d'un corps naturel ayant la vie en puissance». Le corps est formé par l'âme qui l'informe, et tant et aussi longtemps qu'elle l'informe. L'âme est le principe qui permet d'actualiser la vie que le corps a en puissance." Wikipedia

- Oui, effectivement, je retrouve bien l'idée que la "forme", ici l'âme, informe un "corps" qui sans cela reste "indéfinissable". Ce qui nous donne :

  • "matière" ou corps référé indéterminé des mots pour en parler : 𓁝[♲];
  • "forme" qui informe la matière ou le corps, comme le maître informe l'élève en posture : [♲]𓁜.

Ce que recoupe parfaitement la dualité :

  • Forme en action 𓁜;
  • Matière ou objet en puissance 𓁝.

Ce qui du coup, recoupe assez bien la caractérisation par de JP Changeux de la "prise de conscience" d'un objet comme la rencontre d'un percept (montant jusqu'en 𓁝[♲] et d'un concept déjà là [♲]𓁜)...

- Et la substance ?

- J'aurais besoin d'en discuter avec l'auteur pour ne pas faire de contre-sens. La question se porte, si j'ai bien compris, sur le rapport du multiple à l'Un. Chaque objet ou être particulier ayant une "substance propre", nous sommes dans le multiple, quand la "forme" qui informe la matière dont il est fait, en tant qu'être sensible, est "une".

Le point délicat, c'est que dans son opposition au Sophistes, Platon est obligé de considérer que les idées sont "quelque chose de plus" qu'un "bruit de bouche", d'où l'idée de leur existence propre, qui conduit à leur "substance". Là où l'on commence à tourner en rond, c'est que la substance elle-même est une idée...

- Tu nous repasses le film ?

- Oui, j'essaie de me familiariser avec.

L'apport d'Aristote, c'est ce concept de "matière", mais, que nous parlions de "matière" ou de "substance" (= matière + forme) le problème est le même. L'image que je peux m'en faire est la suivante (en pensant à Deleuze expliquant la différence potentiel/ virtuel) : si tu clos (𓁜) (par la forme) un champ ouvert (𓁝) (la substance) en laissant une porte ouverte (𓁝) (la matière), ton champ reste ouvert (𓁝)... 

Je pense que l'on peut poursuivre à partir de cette problématique.


Le 23/ 11/ 2021 :

- Je ne sais pas pourquoi cette statue d'airin me fait penser irrésistiblement au dialogue de Diderot et d'Alembert. C'est un texte qui me poursuit depuis longtemps déjà (voir cet article de 2009), sans doute parce que j'aime la légèreté de Diderot.

- Laisse-toi guider par ton instinct, après tout qu'y a-t-il de mieux à faire qu'à discuter, comme Jacques et son maître, en attendant la mort ?

- Tu as raison, et c'est d'autant plus facile que je l'ai retrouvé sur Z librairie.

Porphyre et Diderot font tous deux une comparaison entre une statue et un homme. mais d'un point de vue radicalement différent : l'un parle de principes "réifiés", tels que forme et matière, quand l'autre s'intéresse au mouvement. Cependant, ils se rejoignent malgré tout en opposant un principe actif à un principe passif.

Bien entendu, entre eux deux, est venu la physique avec cette idée de force vive et force morte (que l'on retrouvera chez Lagrange sous la différence énergie cinétique/ potentielle) :

«D'ALEMBERT : Soit. Mais quel rapport y a-t-il entre le mouvement et la sensibilité [?] Serait-ce, par hasard, que vous reconnaîtriez une sensibilité active et une sensibilité inerte, comme il y a une force vive et une force morte ? Une force vive qui se manifeste par la translation ; une force morte qui se manifeste par la pression ; une sensibilité active qui se caractérise par certaines actions remarquables dans l'animal et peut-être dans la plante ; et une sensibilité inerte dont on serait assuré par le passage à l'état de sensibilité active. » Extrait de: Denis Diderot. «Le rêve de d'Alembert.» Apple Books. p. 97

Je te laisse le plaisir de lire la suite, pour en revenir à la distinction aristotélicienne :

  • Forme en action 𓁜;
  • Matière ou objet en puissance 𓁝.

Je trouve extraordinaire la constance de cette dualité, car, en y réfléchissant bien, elle est déjà dans la distinction mâle/ femelle, ou Yin/ Yang sous d'autres cieux. Au fil de mes commentaires sur le texte de Libera, j'ai déjà noté que l'on n'est pas si éloignés de JP Changeux (percept/ concept), et en creusant au fond de ma mémoire, il me semble bien que Chomsky avait noté une différence du même ordre entre performance et compétence, avec le constat que la répétition de la performance ne suffit à expliquer l'acquisition d'une compétence linguistique chez l'enfant.

- N'est-ce pas ce que tu exprimes sous forme schématique :  𓁜 et 𓁝?

- Ce n'est qu'une thèse tirée de la lecture de Freud, mais tu as raison, c'est rassurant de voir que même dans des pensées très éloignées de la mienne, par le temps, l'espace ou la culture, on peut en retrouver la trace... La diversité des voies qui m'y ramène me rassurant sur la stabilité du concept, ce qui nous renvoie d'ailleurs à Diderot ! 

«DIDEROT. Tenez, mon ami, si vous y pensez bien, vous trouverez qu’en tout, notre véritable sentiment n’est pas celui dans lequel nous n’avons jamais vacillé, mais celui auquel nous sommes le plus habituellement revenus. » Extrait de: Diderot. «Entretien entre d'Alembert et Diderot.» Apple Books. (rappel)

- Tu nous amuses, là, si tu en revenais au texte ?


Le 24/ 11/ 2021 :

- J'aimerais prolonger encore un peu mes réflexions d'hier, avant de le faire. J'ai le souvenir d'avoir lu quelque part que les philosophes Grecs ont voulu s'émanciper de l'ancienne culture qui tournait autour de la pensée mythique. En grattant un peu je retrouve cet article de Jean-Pierre Vernant :

Ce qui ne nous dit pas en quoi consiste cette révolution. Cet autre livre (La Grèce archaïque d'Homère à Eschyle semble indiquer que cette révolution tient à l'évolution politique, lorsque les citoyens commencent à discuter sur la place plublique. L'auteur Claude Mosse, nous renvoie à JP Vernant.pour la question qui nous occupe et son livre "Les origines de la pensée Grecque". Là je crois tenir le bon bout : ce livre a été édité au PUF, sous les auspices de Dumézil, à l'époque où Claude Lévi-Strauss y publiait "Le totémisme aujourd'hui".

Donc, Vernant attaque d'entrée de jeu en caractérisant ainsi l'émergence de la pensée philosophique au VIe siècle avant JC, à Millet :

  1. « En premier lieu, se constitue un domaine de pensée extérieur et étranger à la religion. Les « physiciens » d’Ionie donnent de la genèse du cosmos et des phénomènes naturels des explications de caractère profane, d’esprit pleinement positif. Ils ignorent délibérément les Puissances divines reconnues par le culte, les pratiques rituelles établies et les récits sacrés dont les poètes « théologiens » comme Hésiode avaient, dans leur chant, fixé la tradition.
  2. En second lieu, s’est dégagée l’idée d’un ordre cosmique reposant non plus, comme dans les théogonies traditionnelles, sur la puissance d’un dieu souverain, sur sa monarchia, sa basiléia, mais sur une loi immanente à l’univers, une règle de répartition (nomos) imposant à tous les éléments constituant la nature un ordre égalitaire, de telle sorte qu’aucun ne puisse exercer sur les autres sa domination (kratos).
  3. En dernier lieu, cette pensée a un caractère profondément géométrique. Qu’il s’agisse de géographie, d’astronomie ou de cosmologie, elle conçoit et projette le monde physique dans un cadre spatial qui n’est plus défini par ses qualités religieuses de faste ou néfaste, de céleste ou infernal, mais fait de relations réciproques, symétriques, réversibles.» Extrait de: Jean-Pierre Vernant. «Les origines de la pensée grecque.» Apple Books.

Les deux premiers points sont attendus, le deuxième présageant de la recherche de l'Un, mais le troisième ! Oui, tu lis bien : relations réciproques, symétriques, réversibles et effectivement, les premiers penseurs sont des géomètres, comme Thalès.

«La cité prend alors la forme d’un cosmos circulaire et centré : chaque citoyen, semblable à tous les autres, tour à tour obéissant et commandant, devra successivement, suivant l’ordre du temps, occuper et céder toutes les positions symétriques qui composent l’espace civique. C’est cette image du cosmos social, réglé par l’isonomia, qu’à l’aube de la philosophie nous retrouvons projetée par les Ioniens sur l’univers physique. »

Et la question se pose immédiatement : comment sommes-nous passés d'une telle pensée, basée sur la recherche de symétries, pleinement en [#], à la simple logique en [⚤] au temps de Platon ?

- Vernant parle de la mutation d'une civilisation orale à une civilisation basée sur une écriture phonétique pour publier des lois.

«les observations que j’ai formulées pour marquer le rôle qu’ont pu jouer, comme instrument de mutation intellectuelle,

  • d’une part l’écriture phonétique,
  • de l’autre la rédaction et la publicité des lois,

trouvent leur nécessaire prolongement dans le débat ouvert, au cours des dernières décennies, entre hellénistes, sur les conséquences qu’a entraînées, pour la rationalité grecque, le passage d’une civilisation orale à une culture où l’écrit occupe, suivant les secteurs de la vie sociale et les domaines de la création littéraire, philosophique ou scientifique, une place plus ou moins prépondérante. Sur l’homologie et la concomitance des thèmes de la loi, de l’ordre, de l’égalité dans la pensée morale et politique »

Il semble qu'il y ait effectivement un sujet à développer :

«il faudrait développer, plus que je ne l’ai fait, les rapprochements entre Solon, législateur athénien, et Thalès, premier des « physiciens » de l’école de Milet» 

- Tu ne saurais repprocher à JP Vernant d'ignorer la différence que tu établies entre [⚤] et [#], quand tes amis matheux auquels tu t'adresse de temps en temps, n'en ont eux-même pas pris conscience, malgré leur pratique évidente !

- Oui, bien sûr, mais nous pouvons au moins avancer une hypothèse : la nécessité de débattre oralement, en public sur l'agora, poussait le développement de la dialectique au détriment de la géométrie, dans la vie publique. Socrate lui-même parle et débat, sans tracer de figures au sol.

Je me demande si elle n'est pas là la ligne de fracture entre Orient et Occident...

- De quoi parles-tu ?

- Prends Socrate (470-399 av. J.-C.) et Sun Tzu (544-499 av. J.-C.) qui étaient pratiquement contemporains, à deux générations près. Dans des univers, certes très différents, ils sont tous deux attachés au respect des lois l'un de la cité, l'autre du prince qu'il sert. Et le respect des lois de la cité grecque fait écho aux Légistes Chinois. Mais la très grosse différence entre ces deux univers tient au système d'écriture. 

Lorsque Platon retranscris les dialogues de Socrate avec Menon, il fait revivre sa parole. Lorsque Sun Tzu écrit, il juxtapose des images qui ont chacune une histoire propre, un sens propre, s'inscrivant dans l'Imaginaire des interlocuteurs largement au-delà de sa parole immédiate, d'où l'exégèse permanente de l'oeuvre.

Mon hypothèse est que la pensée Orientale est profondément marquée par une approche topologique/ gémétrique des choses, en [#], et c'est peut-être encore plus évident au Japon, comme nous avons pu le voir en discutant du Ma 間 (voir ici), quand l'Occident à pu l'oublier, simplement à cause de son système d'écriture phonétique. (note du 25/11/2021)

J'en voudrais pour preuve le fait que, historiquement, le Chui Chang Suan Shu (traité de "mathématiques en neuf livres" voir ici) remontant à 206 av J.-C. traite de l'inversion des matrices, quand les Européens s'y intéresseront avec Leibniz en 1693 (voir ici). Pour comprendre l'importance de la chose, je te renvoie aux articles que j'y consacre, en particulier "Matrice".

- Si je te suis bien, ce qui apparaît aux yeux de tous comme une véritable innovation, la logique grecque, t'apparaît comme une régression intellectuelle? Mais pourquoi consentir à régresser ainsi ?

- La réponse ne peut tenir qu'à un principe d'efficacité : pour prendre le dessus dans une discussion, il faut retourner le discours de l'adversaire, et le champion  à ce jeu est Socrate.

Lorsqu'il demande à Ménon si toutes les abeilles sont semblables entre elles, et qu'il ne vient à l'idée de personne que la reine diffère des ouvrières, ils oublient d'un coup de parler des relations qui se tissent entre elles et de leur appartenance commune à la ruche... Il y avait pourtant là de quoi faire un bel analogue de la vie de la cité, mais non, le dialogue suit une autre voie et les rieurs prennent le parti de Socrate.
Socrate est déclaré vainqueur de Ménon sous les applaudissement du public! Et même lors de son procès, il ne peut s'empécher de tourner son accusateur Mélitus publiquement en ridicule. 

"SOCRATE. Mais, mon cher Mélitus, tous ceux qui assistent aux assemblées du peuple ne pourraient-ils donc pas corrompre la jeunesse, ou sont-ils aussi tous capables de la rendre vertueuse ?
MÉLITUS. Ils en sont tous capables.
SOCRATE. Ainsi, selon toi, tous les Athéniens peuvent être utiles à la jeunesse, hors moi ; il n’y a que moi qui la corrompe : n’est-ce pas là ce que tu dis ?
MÉLITUS. C’est cela même.
SOCRATE. En vérité, il faut que j’aie bien du malheur ; mais continue de me répondre. Te paraît-il qu’il en soit de même des chevaux ? Tous les hommes peuvent-ils les rendre meilleurs, et n’y en a-t-il qu’un seul qui ait le secret de les gâter ? Ou est-ce tout le contraire ? N’y a-t-il qu’un seul homme, ou un bien petit nombre, savoir les écuyers, qui soient capables de les dresser ? Et les autres hommes, s’ils veulent les monter et s’en servir, ne les gâtent-ils pas ? N’en est-il pas de-même de tous les animaux ? Oui, sans doute, soit qu’Anytus et toi vous en conveniez ou que vous n’en conveniez point […]
» Extrait de: Platon. «Apologie de Socrate.» Apple Books. p. 25

- Mais enfin, nous sommes bien partis de là pour arriver à Galilée, non ?

- L'effet de cette régression intellectuelle en [⚤]𓁜 (et il s'agit bien chez Socrate de se dépouiller de tous les faux savoirs anciens) a sans doute été de nous rapprocher du Réel, en nous coupant d'un Symbolique, dont il a fallu retrouver la voie (la recherche de l'Un) grâce à cet instrument rudimentaire. Le point limite étant la prise de conscience par Descartes de son propre ego (en se dépouillant jusqu'à la pure conscience de son existence en [∃]𓁜), comme nous l'avons déjà vu à maintes reprises.

De ce point de vue, (i.e.: dans cette reconstruction à partir de la logique), il est très intéressant de constater que cette bouillie infâme régurgitée par la scholastique du Moyen Âge charie malgré elle, les traces d'une pensée mythique toujours active (Yin/ Yang):

  • Forme en action 𓁜;
  • Matière ou objet en puissance 𓁝.

que l'on retrouve dans la pensée contemporaine dans ses expressions:

  • Soit physique (énergie potentielle/ cinétique);
  • Soit psychanalytique (pulsion/ libido) (voir l'Homme Quantique).

- C'est vite dit !

- Oui, mais cela me donne une perspective à explorer : est-ce que le mécanisme mythique que Lévi-Strauss décrit comme la forme canonique, ne serait pas en définitive l'expression de ce duo ?

- Comment aborderais-tu ce thème ?

- Je reprense au Yi King ou livre des mutations, avec des figures constituées de deux types de traits : Yin et Yang . Prends par exemple ces deux figures: 𝌆 et 𝌇. Elles diffèrent par le trait du bas qui passe de Yang à Yin, on dit que c'est le trait "mutable". Autrement dit

  • le trait mutable est "potentiel" et
  • chacune des deux figures est une "actualisation" de cette potentialité.

Reprends maintenant le mythe de la potière jalouse de ce point de vue (voir "Le point #3"). Ici, le "trait mutable", c'est la femme qui est potentiellement soit "jalouse", soit "potière"; mais qui, dans sa vie quotidienne actualise tantôt  sa nature "jalouse", tantôt son art de la poterie.

- Je te vois venir :

  • Le potentiel renvoie à l'intrication (corpuscule et onde) et
  • L'actualisation à l'observable (onde ou corpuscule).

- Quand je te dis que l'Imaginaire ne progresse pas mais tourne en rond ! 

Et donc, de ce point de vue, le mythe serait un effort intellectuel pour expliquer cette rencontre entre potentiel et actuel. Ce serait un beau sujet de thèse, non?

- Je crois que tu tiens quelque chose, mais pour en revenir à la querelle des universaux ?

- Eh bien, cela nous donne au moins une perspective pour tenter de comprendre les enjeux de la dispute.

Mais avant, je voudrais revenir sur l'erreur que j'avais décelée dans mon propre cheminement (voir texte rayé dans le commentaire #7).

J'avais pointé comme impossible que Platon ait pu changer de mode Imaginaire ♧ pour ♢, en passant de [∃]♧ à [∅].

- Et ?

- Lui, oui, sans doute, mais il avance dans une culture qui, elle, s'inscrivait déjà pleinement à ce niveau ! Si pour Socrate les abeilles sont "toutes pareilles", nul doute que les apiculteurs de l'époque, savaient parfaitement faire la différence entre la reine et les travailleuses, et utilisaient leurs liens sociaux pour faire prospérer leurs ruches !

Dans ces conditions, nos pouvons parfaitement représenter la régression de ♢ à ♧ par un carré commutatif (s'appuyant sur les niveaux [∃] ET [⚤]. C'est ça qui me manquait ! Si Socrate, Platon ou Aristote ne vont jamais en [⚤], par contre, la culture Grecque antique ne l'ignorait point ! Je peux donc légitimement écrire cette régression ainsi :

[∃]♢     [⚤]
[∃]♧     [⚤]

Et Socrate peut passer de l'éducation de la jeunesse au dressage des chevaux en s'en tenant à la pure logique du 1er ordre ! L'humour tenant à la rupture, comme toujours.

Nous sommes ici dans des considérations de mode ♡ sur le langage lui-même. Pour faire court, en théorie des catégories, il s'agirait de comprendre le passage :

  • du morphisme en ♧;
  • au foncteur en ♢;
  • s'exprimant par des transformations naturelles en ♡.

- Nous sommes très loin de la querelle des universaux !

- J'en ai conscience. Laisse-moi essayer ceci : en passant d'une approche topologique à la simple rationalité logique, il y a en quelque sorte un verrou Imaginaire qui saute : de l'infini tu passes à l'indéfini. Comme si, au lieu de couper des parts dans une tarte donnée d'avance, tu pouvais aligner des choux à discrétion pour "faire" une pièce "montée" jusqu'au ciel.

En parlant comme je le fais d'une règle de syntaxe en ♡, pour représenter le passage de ♢ à ♧, c'est comme imposer d'avoir une tarte avant de couper les tranches.

Néanmoins, et c'est ce qui chatouille nos scholastiques, même si la règle est ignorée, elle fait malgré tout sentir sa nécessité de temps à autre... C'est ce que je te propose de pister dans la suite du texte de Libera.

- D'accord, mais dis-moi, si cette nécessité court sous la conscience des acteurs, quelle en est la nature? Nous en venons à la différence inné/ acquis... 

- Évidemment, mais la distinction n'a rien d'étanche, car si la nature influe ou limite l'acquit, nous avons la réciproque. Par exemple les zones cervicales concernant le langage diffèrent entre un Sujet parlant une langue indo-européenne, ou un Sujet parlant une langue s'écrivant à l'aide de glyphes.

Le fond de la question est donc beaucoup plus primitif, puisque toutes nos exploration à travers la diversité des cultures, nous ramènent à un schéma qui semble bien en être le squelette... Avec une perspective de continuité hors de l'homme, à minima chez les animaux supérieurs entretenant des rapports sociaux entre eux... 

- Où tu retrouves l'idée d'un schéma Imaginaire qui serait le champ potentiel qu'actualiserait telle ou telle culture ?

- Je ne saurais mieux dire ! 


Le 25/ 11/ 2021 :

- J'ai du mal à revenir à ma lecture. Nous en étions p. 95 à cette histoire de statue d'airin, qui à servi d'objet de méditation à beaucoup au fil des siècles, et je n'ai pas trop envie de suivre les détails de l'histoire, Aristote à l'origine de cette analogie, ayant lui-même beaucoup évolué.

Je note cependant ceci: de l'hylémorphisme, théorie selon laquelle la substance résulte de la composition d'une matière et d'une forme, il en vient à distinguer les êtres par combinaison de deux caractères : 

"Dans les Catégories, 2, Aristote construit une typologie des différentes sortes d’êtres, par combinaison de deux caractères :

  • «être affirmé d’un sujet» et
  • «être dans un sujet».

Le classement ainsi obtenu permet de distinguer quatre sortes d’êtres :

  1. 􏰐l’􏰋􏰎􏰅􏲀􏰇ούσία particulière ou première, qui n’est ni affirmée d’un sujet ni dans un sujet ;
  2. 􏰐l’􏰋􏰎􏰅􏲀􏰇ούσία universelle ou seconde, qui est affirmée d’un sujet sans être dans un sujet ;
  3. 􏰐l’accident universel, qui est à la fois affirmé d’un sujet et dans un sujet ; 􏰐
  4. l’accident particulier qui est dans un sujet sans être affirmé d’un sujet." p. 97

Avec ούσία qui renvoie à "substance ou essence". Tu remarqueras que le duo initial est un peu tarabiscoté: "être dans" ne s'oppose pas à "être hors", qui serait pure dialectique, mais à "être affirmé d'un sujet"; sans qu'il soit dit QUI affirme quoi que ce soit du sujet en question.

- Il s'agit à l'évidence d'un orateur qui parle : (...)𓂀.

- Bien sûr, et il est donc par nécessité en posture ex post par rapport à cette affirmation concernant le sujet en question.

- Maintenant, l'opposé de cette posture ex post, est bien entendu la posture ex ante, ou locale : 𓁝. Mais de cette posture, il faut bien que, comme toujours, l'auteur en parle ex post :  (..𓁝.)𓂀, ce que nous pouvons symétriser sans problème en écrivant : (..𓁝/𓁜)𓂀, et l'objet qui sert ici de miroir, c'est cet ούσία, de niveau [♲], qui nous renvoie à ce que nous avons déjà vu  (𓁝[♲]𓁜)𓂀.

- C'est donc dire de façon différente ce qui a déjà été vu ?

- L'accent est malgré tout mis sur l'expression en [⚤], pour sortir du cercle des idées en [♲], mais c'est un peu tordu, puisqu'il n'y a pas de principe de symétrie exprimable en [⚤] (i.e.: (𓁝[⚤]𓁜)𓂀), avant la théorie des groupes d'Évariste Galois ! Aristote en est donc réduit à dresser une table de vérité élémentaire entre deux variables indépendantes, faute d'en comprendre le lien profond, table que nous avons déjà identifiée (voir commentaires #7).

  in subiecto de subiecto  
Substance première (Socrate) non non  
Substance seconde (homme) non oui  
Accident particulier (blancheur) oui non homonymie
Accident universel (science) oui oui synonymie

Personnellement, devant un tel tableau, je cherche à en comprendre la signification, en le rapprochant de la théorie hylémorphique.

Nous avions compris que substance = matière + forme, ce qui me conduirait facilement à :

  • matière : évoquée en  posture 𓁝[♲] (on ne la définit pas) <=> in subiecto
  • forme : comprise en posture [♲]𓁜, on la "maîtrise" <=> de subiecto

Mais visiblement, ça ne colle pas, il y a dans les explications de Libera quelque chose qui m'a échappé!


Le 26/ 11/ 2021 :

- Mon pauvre ami, tu es tellement dans la vérification de tes propres théories, en lisant avec le clavier sous les doigts, à écrire sans recul, à peine que d'avoir lu, que ton commentaire précède le texte !

"Cette combinatoire a posé beaucoup de problèmes aux interprètes d’Aristote. Premièrement, parce que les caractères combinés sont de deux ordres distincts :

  • le premier est logique;
  • le second, ontique.

À cette difficulté s’ajoutent les particularités de la traduction latine qui va dominer, durant des siècles, la lecture d’Aristote : la traduction boécienne d’ούσία par le latin substantia, qui introduit une «connotation substrative» (Aubenque, 1985) adéquate à l’idée de la substance première comme sujet ontologique, mais peu adaptée à la notion d’ούσία􏰋􏰎􏰅􏲀􏰇 seconde entendue comme forme ou qualité – on dira plus tard comme quiddité ou essence d’une pluralité de choses synonymes (ayant même nom et même définition). Le problème est que les réponses aux questions posées par l’inconsistance du langage des Catégories ne sont pas données dans les Catégories, mais dans la Métaphysique et que, là même, diverses couches de la pensée d’Aristote, dont certaines s’accordent avec les Catégories, se trouvent juxtaposées avec d’autres, plus tardives, qui les contredisent radicalement. Cette contradiction est particulièrement nette quand on considère Métaphysique, Z, 3, 1028b33 sq., où apparaît pour la première fois l’exemple pseudo-porphyrien de la statue d’airain." p. 98

Comme tu peux le constater, il eut été pour le moins étrange que tu aies pu y comprendre quelque chose !

- OK, autant pour moi. Mais, l'exercice n'est pas inutile, car mon interpréttion naïve, brute de décoffrage, me permet de rectifier mon entendement.

1/ Dans le caractère "de subiecto", il y a bien l'idée de "parler de", et donc d'un auteur irrémédiablement ex post (...)𓂀. Dans le contexte grecque, "parler" se limite à la logique, c'est toute la discussion sur ce que je pointe comme une régression.

2/ Le caractère "ontique", là j'avoue qu'il s'agit d'un concept métaphysique que je ne maîtrise pas. En fouinant sur le net, je trouve ceci "qui est de l'ordre de l'être"... Bon, sans trop chatouiller la succeptibilité de Heidegger, il me semble bien que c'est une étiquette employée pour désigner quelque chose dont on n'a qu'une approche partielle, un peu comme des récits de chamanes connotent un symbole dans la pensée primitive.

Autrement dit, que 

  • la 𓁝substance de Platon, celle qui n'est pas définie selon Aristote, ou qu'il s'agisse de
  • sa 𓁝matière, qui a besoin d'être informée, pour être  𓁝substance

leurs caractéristiques communes, qui se retrouve dans "l'ontologie", c'est d'être abordée ex ante 𓁝,

  • soit comme concept par le philosophe 𓁝[♲];
  • soit dans une quête tournée vers le symbolique 𓁝
  • soit même sous d'autres cieux, la quête d'un vide 𓁝[∅]

- Tu ratisses toujours aussi large !

- Maintenant que mon petit schéma m'apparaît comme un moule "potentiel" de tout Imaginaire, je ne vais pas me gèner ! 

Tu remarqueras également le mélange des genres, entre une combinatoire du domaine de la logique formelle, dans le langage ([⚤]), et les explications d'ordre métaphysiques (en  [♲]), qui saute aux yeux, puisque je l'ai noté à la lecture immédiate du texte.

- Et si tu avançais un peu ?

- Oui, et nous n'en avons pas fini avec cette "substance" ούσία

"Dans ce passage, Aristote

  • (a) explique que «l’􏰋􏰎􏰅􏲀􏰇ούσία se prend sinon en un grand nombre d’acceptions, du moins en quatre principales : on pense d’ordinaire, en effet, que l’ούσία􏰋􏰎􏰅􏲀􏰇 de chaque chose est
    • soit la quiddité,
    • soit l’universel,
    • soit le genre, soit,
    • en quatrième lieu, le sujet ». Puis
  • (􏰐b)􏰑 il définit ce qu’est un sujet : « Ce dont tout le reste s’affirme, et qui n’est plus lui-même affirmé d’une autre chose.»Cette définition correspond à celle de l’«􏰋􏰎􏰅􏲀ούσία première» dans les Catégories. Ayant noté
  • (􏰐c)􏰑 que «dans l’opinion courante, c’est le sujet premier d’une chose qui constitue le plus véritablement son 􏰋􏰎􏰅􏲀􏰇ούσία», il précise que «ce sujet premier, on dit,
    • en un sens, que c’est la matière,
    • en un autre sens, que c’est la forme et,
    • en un troisième sens, que c’est le composé de la matière et de la forme».

C’est pour illustrer ces trois sens de l’expression «sujet premier» dans l’opinion courante qu’il introduit l’exemple de la statue d’airain:

  • «Par matière, j’entends par exemple l’airain,
  • par forme, la configuration qu’elle revêt et,
  • par le composé des deux, la statue, le tout concret. »

Puis il conclut 􏰐:

  • (d􏰑) «Il en résulte que si
    • la forme est antérieure à la matière, et
    • si elle a plus de réalité qu’elle, elle sera aussi, pour la même raison,
    • antérieure au composé de la matière et de la forme.»

Le texte repris par Porphyre dans l’Isagoge a donc pour fonction de suggérer que ce qui est le plus souverainement 􏰋􏰎􏰅􏲀􏰇ούσία est la forme." p.99

Comment veux-tu articuler logiquement des concepts aussi polymorphes que ούσία ? Franchement ?

- De Libera te donne au moins un tableau qui te permet de retrouver à peu près tes petits.

- Oui, je vais le garder sous la main pour poursuivre ma lecture. arrête-toi cependant au point (d).

Que la "forme" soit antérieure à la "matière" est à mon sens l'expression en [⚤]𓂀 (avec la notion de temps et de successeur, qui accompagnent la logique) d'un positionnement gauche/droite que l'on retrouve dans notre schéma: ([⚤][♲])𓂀  (i.e. : exprimé en [♲]𓂀).

- C'est un peu compliqué.

- Mais non, souviens-toi de ce que disait Lévi-Strauss: dans la pensée mythique, les symboles et les mythes nous viennent des "Grands Anciens" dans une ère précédant celle des hommes. Là comme ici, la primauté d'un concept, ou l'autorité d'une loi, se traduit par une antériorité.

À partir de là, le point suivant me semble d'une importance extrême. Cette antériorité est assimilée par Aristote à plus de "réalité" !

- Ça ne me choque pas : de même que le mythe est connoté par une multitide de versions différant d'une tribu à l'autre, sa pérennité tient précisément à cette diversité, ce qui te ramène à ton cher Diderot, comme tu le notais encore ici ! Autrement dit la "réalité" de la forme tient à la multiplicité de ses emplois.

- Prends du recul.

1/ Sous d'autres cieux, l'idée maîtresse est que seul le "changement" ou "mutation" des choses, le balancement Yin/ Yang est immuable.

2/ En Europe, Galilée va inverser complètement l'approche : une idée millénaire peut être invalidée par une simple expérience. C'est ce qui l'a conduit à définir son principe d'inertie, contre l'idée aristotélicienne de la cause du mouvement. Un gosse jouant aux billes dans une cour de récré est plus près de la réalité qu'un philosophe définissant l'ούσία en se promenant autour.

3/ Enfin, dans une approche lacanienne, le Réel, c'est ce qui perturbe le rêve intérieur, et très précisément, ce qui n'est pas imaginé. 

Tout ceci pour te dire que le rapprochement antériorité/ réalité est une véritable prise de position philosophique, découlant d'une expression limité à la logique du 1er ordre, et il faudra quasiment deux millénaires pour passer de 𓁝 à 𓁜.

- Merci pour la leçon, mais ce n'était pas le sujet.

- Oui, Aristote cherche à établir une hiérarchie, ou un "ordre" logique entre concepts à partir du seul concept de succession; mais il me semblait intéressant de souligner toutes les implications de l'exercice!

Par ailleurs, ce n'est apparemment pas suffisant : 

"On est ainsi face à un double paradoxe :

  • d’une part, la thèse de Z, 3 et de Z, 7 est incompatible avec la thèse des Catégories affirmant que «ce qui est souverainement, premièrement et le plus 􏰋􏰎􏰅􏲀􏰇» est ce qui n’est
    • ni dans un sujet (comme les accidents universels ou particuliers)
    • ni dit d’un sujet (comme l’􏰋􏰎􏰅􏲀􏰇 seconde);
  • d’autre part, l’exemple même de la statue d’airain, qui, en Z, 3, sert à introduire la thèse que la forme est «sujet premier», sert, chez Porphyre, à illustrer la thèse contraire, à savoir que la forme (différence) est seulement qualité.

Si l’on ajoute à cela les effets induits par la «connotation substrative» du terme substantia, traduction boécienne d’ούσία􏰋􏰎􏰅􏲀􏰇, correspondant à ce que Boèce lui-même comprenait dans le grec 􏰎􏰊􏰉􏰅􏰀􏰇􏰅􏰄􏰈, on voit quel imbroglio ontico-logique a dû affronter la première exégèse médiévale d’Aristote. On mesure aussi quelles difficultés a dû affronter la seconde, une fois la Métaphysique traduite en latin. Comment, en effet, comprendre la véritable ontologie d’Aristote en ignorant la thèse de Z, 7, énonçant que la forme est l’«ούσία 􏰋􏰎première» de chaque être ? Réciproquement, comment, à partir du langage substratif des Catégories, comprendre le sens de Métaphysique, Z, une fois celle-ci traduite ?" p.99

Sais-tu à quoi je pense en lisant ceci ?

- C'est une question réthorique, puisque je suis toi !

- Certes, et bien je me dis : est-il possible que la pensée Occidentale ait pu se développer pour conquérir le monde à partir d'un tel galimatias ? A-t-on idée du travail énorme de Copernic, Giordano Bruno ou Galilée, pour renverser une telle scholastique ? Et Descartes pour donner le dernier coup de canif en tuant Dieu, la plus stable des "réalités" au sens aristotélicien du terme, pour rapporter au Sujet son expérience du Réel ?

- D'où l'intérêt de ce bouquin, et si tu avançais un peu plus vite, on arriverait peut-être à suivre le fil de cette histoire.

- D'accord, je passe donc directement au VIe siècle avec  Syrianus:

La critique d'Aristote par Syrianus : un paradigme néoplatonicien de la problématique médiévale des universaux.

Je quitte le mot à mot du texte, pour me centrer sur la problématique d'Aristote. En fait c'est assez simple à comprendre à l'aide de ma représentation :

  • L'universel relève de la compréhansion d'un concept en  [♲]𓁜;
  • La pluralité tient à la multiplicité des points de vue locaux en 𓁝[♲] à propos d'un concept que l'on n'arrive pas à "maîtriser".

Maintenant l'expression de cette différence d'approche des concepts conduirait idéalement (dans une pensée du XXIe siècle) à :

  • une rationalité logique [⚤]𓁜 pour l'universel ;
  • une recherche de symétries en 𓁝[⚤] pour cerner la multiplicité. Je te rappelle par exemple la façon moderne d'appréhender les solides de Platon en caractrisant leurs axes de symétrie.

La difficulté pour parler de la pluralité au Moyen Âge, tiendrait alors à l'impossibilité de penser l'appartenance à une catégorie (faute des postures Imaginaires 𓁝[#]𓁜), qui prélude à la théorie des groupes en 𓁝[⚤].

Ayant ceci en tête, nous pouvons rapprocher le débat universel/ pluralité de ce que nous venons de voir au sujet de l'antériorité. et de la réalité. Du point de vue d'Aristote, il semble immédiat que :

rapport de l'universel à la pluralité
posture en  [♲]  expression logique en [⚤] 
  1. pluralité en 𓁝[♲]
  2. universel en [♲]𓁜
  • Universel : antérieur à pluralité
  • Universel  réalité supérieure pluralité
  • pluralité < universel

Je te rappelle au passage que c'est pour éviter d'utiliser ce signe "<" trop lié à la notion d'ordre en [⚤], que j'ai abandonné mon écriture première (R<I1<I01<IR<I#<I0<S) pour ces glyphes.

Maintenant, est-ce qu'un universel peut être dans la pluralité ? Il y a un glissement de sens lorsque tu repasses de la logique au concept.

  • En toute logique [⚤]𓁜, la temporalité va de paire avec la causalité: la cause précède l'effet et donc l'universel est cause de la pluralité;
  • Ce qui invalide une approche immanente de la création du concept S↑, à parir de la pluralité des expériences. Comment un universel issu d'un processus  S↑, pourrait-il être déjà dans une multiplicité dont il procède?

- Il y a de quoi s'amuser un moment avec ces paradoxes !

- Et ils ne s'en s'ont pas privé les bougres.

Mais je fatigue un peu à lire toutes les arguties de Syrianus, et pour lever le nez du texte, je continue en diagonale jusqu'à ceci :

"... Ce foyer manquant, cette tache aveugle, cette suture oubliée réside dans une thèse particulière des commentateurs tardifs d’Aristote, qui n’a reçu que depuis peu l’attention qu’elle méritait. Le programme en est simple : il s’agit de mettre en relation la doctrine des trois états de l’universel avec une sémantique et une psychologie reprenant la distinction (développée par Simplicius) entre les mots (􏲃􏲇􏰍􏰇􏰏φωναί, λέξεις ou όνόματα) et les choses (􏰊􏰂􏲄􏱻􏰆􏰇􏰀􏰇πράγματα), qu’il s’agisse des réalités singulières ou des Réalités transcendantes, tout en ajoutant aux «concepts abstraits» aristotéliciens des images psychiques des Formes intelligibles, sortes d’idées innées susceptibles d’ouvrir au regard de l’âme une vision desdites Formes pures." p. 132

Il y a bien sûr une distinction concepts/ idées sur lesquels l'auteur s'attarde un peu avant, mais ce retour au mots et aux choses, qui me raccrochent à Foucault, me font espérer que cette pénible lecture de Syrianus ne sera pas veine, mais ce sera une autre fois...

C'est Black Friday, et j'ai des courses à faire !

Hari

Note du 25/ 11/ 2021 :

En parlant du développement de la géométrie, ne pas oublier que Thalès, fondateur de l'école milésienne, fît un voyage, vu par certains comme initiatique, en Égypte, où il développa sa géométire.

La géométrie égyptienne s'est elle-même développée sous la nécessité de redessiner les contours des champs inondés à chaque crue du Nil. Nécessité qui se fait sentir dans une culture où l'écriture n'est pas semblable au Grec, mais glyphique, comme le Chinois...

Ce qui vient à l'appui de la thèse d'un "oubli" dans la culture grecque lié au développement de luttes verbales, retranscrites comme verbatims.

Ce qui donne une philosophie que l'on peut discuter en marchant, (i.e. les péripatéticiens) quand le géomètre a besoin de dessiner pour développer sa pensée.

De nos jours encore, les matheux se répartissent entre analystes et géomètres, et pensent par des voies différentes, selon donc deux traditions :

  • La géométrie venue d'Égypte ancienne;
  • l'algèbre venue des Arabes.

Il serait intéressant de le vérifier à l'aide de l'imagerie médicale (encore un bon sujet de thèse) !

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