Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...
27 Novembre 2021
La critique d'Aristote par Syrianus : un paradigme néoplatonicien de la problématique médiévale des universaux.
- J'avoue avoir besoin de me motiver un peu avant de reprendre les différents arguments de Syrianus (voir commentaires #9), cela me semble si fastidieux...
- Quel est l'objectif principal de ta démarche, ces temps-ci ?
- Comprendre la géométrie non commutative d'Alain Connes, ce qui passe par une nouvelle appréhension du concept de "mesure".
- OK, et la mesure de quoi ?
- D'une quantité conservée, qui est l'un des trois piliers du triptyque d'Emmy Noether : quantité conservée/ symétrie/ indétermination.
- S'il y a une filiation à établir, c'est sans doute celle qui aboutit à la notion de "quantité conservée", non ? Comment la définirais-tu, aujourd'hui avec le peu que tu sais de physique ?
- L'idée la plus simple me semble venir de la thermodynamique. À l'époque de Carnot, les physiciens ayant déterminé des lois de conservation, de transformation et de transfert de la "chaleur" en déduisirent qu'il y avait un "objet", le calorique derrière tous leurs discours. Il faudra attendre Boltzmann pour comprendre de quoi il retournait, en ramenant le "calorique" à "l'énergie", mais ce n'est pas notre propos.
L'important, c'est qu'aux yeux des scientifiques de l'époque, ce calorique était l'objet d'un discours qui n'avait rien d'une plaisanterie, puisqu'il a radicalement changé nos sociétés en permettant de développer la machine à vapeur et les chemins de fer.
- Autrement dit, c'était aussi sérieux que les discussions des philosophes autour des concepts de matière, de forme ou de substance ?
- Exactement. J'ai pris l'exemple du calorique, parce qu'il fait sourire de nos jours, mais pense au concept de masse que tu trouves dans la formule de Newton F= m d2x/dt2. Après moultes péripéties, nous en sommes arrivés à la conclusion que c'est un concept de niveau [∃] en mode ♢ soit [∃]𓁜♢, et donc totalement inconcevable dans un mode de pensée ♧.
- Et pourtant nous en parlons très facilement.
- Oui, mais nous l'utilisons comme un cache-sexe, faute de pouvoir exprimer ce qu'il cache. Autrement dit, un concept vu ex ante en 𓁝♧[♲], qui nous donne une étiquette en [⚤]𓁜♧.
Avec deux façons de comprendre ladite étiquette (nous en avons déjà parlé) :
[∃]♢ ← | [⚤]♢ |
↓ | ↓ |
☯[∃]♧ ← | [⚤]♧ |
- D'où l'analogie avec les termes de 𓁝matière♲ ou de 𓁝substance♲ chez Aristote ?
- Exactement, et dans cette mise en perspective, ce qui me frappe c'est la permanence du questionnement. Il y a chez nous une incompréhension profonde de concepts, tels que la masse dans cet exemple, qui est du même ordre que celle des anciens discutant de la matière ou de la substance.
Et en dernier ressort, il me semble que c'est ce qui se retrouve dans la "quantité conservée" d'Emmy Noether.
Il est là le fil d'Ariane, et les questions qui en découlent sont également du même ordre :
Observable, qui n'est d'ailleurs pas sans rappeler l'énonçable des stoïciens:
"Les stoïciens admettant quatre sortes d’incorporels – le lieu, le temps, le vide et le λεχτόν, c’est-à-dire l’«exprimable», ce que les médiévaux appelleront l’«énonçable» (enuntiabile) – [...]. L’«exprimable» est en effet un être «dégagé des impressions sensibles» qui représente un «stade de la connaissance où le contenu de l’expérience sensible se traduit en termes de langage. Ce contenu a deux particularités :
Comme tu le vois, nos interrogations modernes ont une vieille barbe !
- Vu de cette façon, la discussion reprend effectivement des couleurs.
- Maintenant, reviens à ce que disait Jean-Pierre Vernant de l'émergence de la pensée philosophique au VIe siècle avant JC, à Millet :
Nous nous sommes focalisés sur le point 3, mais reviens aux deux premiers. Si tu as gardé quelque peu en mémoire les deux premières formes d'entendement de Spinoza, (émergence S↑ et transcendance S↓) :
S↑ : | (☯[∃]𓁝⇅𓁜[⚤]⏩[∃]𓁝⇅𓁜[⚤]⏩[⚤]𓁝⇅𓁜[♲]⏩[⚤]𓁝⇅𓁜[♲]⏩[♲]𓁜)⇅𓂀♧ |
S↓ : | ([♲]𓁝⇆𓁜[∅]☯⏩[♲]𓁜)⇅𓂀♧ |
Le point 1/ revient à se couper du mouvement S↓, qui était privilégié dans la pensée mythique, contre laquelle les philosophes se battent.
Bien, mais dans le mouvement S↑, ce qui fait problème, c'est le passage (𓁝[♲]⏩[♲]𓁜). Notre exemple du concept de masse montre que c'est impossible en ♧, sans changer de mode de pensée.
D'où la nécessité du point 2/, qui en soit est un impératif d'ordre Symbolique, qu'on le veuille ou non, et revient donc à réintroduire une démarche S↓.
- Tu en arrives à la prise de conscience résultant de la convergence de deux mouvements percept ↑/ concept ↓, bienvenue chez JP Changeux ...
- ... Qui est contradictoire avec la volonté d'en finir avec tout recours à une quelconque autorité divine ou transcendante.
- OK, et si tu revenais au texte ?
- J'y arrive. En cherchant à savoir qui est Syrianus, il apparaît qu'il cherchait avant tout à unifier les religions (du Livre) autour de cette recherche de l'Un, c'est-à-dire pleinement dans la problématique du point 2/.
C'est ce qui caractérisera ensuite le néoplatonisme :
"Le néoplatonisme se caractérise par l'importance donnée au Premier Principe, l'Un, en métaphysique, et par des expériences mystiques. Le néoplatonisme eut pendant des siècles une profonde influence sur la philosophie juive, la philosophie chrétienne et la philosophie islamique, ainsi que sur des philosophes comme Hegel et Schelling. Il existe un néoplatonisme propre à la Renaissance appelé néoplatonisme médicéen." Wikipedia
- Autrement dit, un mouvement philosophique qui cherchait originellement à s'émanciper de la pensée mythique, est rattrapé sur le tard, voire récupéré par la pensée religieuse ?
- Oui, et la question n'est pas près d'être résolue, si j'en juge d'après ce passage :
"... La question aristotélico-avicennienne est :
la métaphysique comme science de l’être en tant qu’être, et par là «science des sciences», a-t-elle un sujet un ?
Ce problème est celui, platonicien, du rapport de l’un au multiple. Le «problème de la métaphysique» ainsi recadré est que l’on aboutit à trois apories quelle que soit la manière de considérer le rapport.
Aristote soutenant que l’être n’est
il n’y a aucune manière de résoudre platoniquement le problème de l’être tel que le pose Aristote (il faut donc innover).
- D'accord, tu m'as convaincu : le travail que tu entreprends sur ce texte est bien lié à tes préoccupations concernant l'"observable" en 𓁝[♲] vu comme avatar de la 𓁝substance♲ et à sa mesure⚤ en [⚤]𓁜, façon contemporaine d'en parler⚤. Toute la question portant sur le pas suivant : (𓁝[♲]⏩[♲]𓁜), comme la façon d'en parler en [⚤]𓁜. D'ailleurs, comment pourrais-tu en parler ?
- La différence de posture 𓁝[♲] / [♲]𓁜 s'exprime en termes potentiel/ actif, et nous avons vu que le mode propre à la compréhension du potentiel est ♢. L'analogie est à chercher dans le passage d'énergie potentielle à énergie cinétique. Cependant, comme le niveau [#] est forclos dans la pensée médiévale, il faudrait imaginer un carré commutatif de cette sorte :
𓁝[⚤]♢ ← | [♲]𓁜♢ |
↓ | ↓ |
[⚤]𓁜♧ ← | 𓁝[♲]♧ |
- Comment le lire ?
- Très simplement :
1/ Les relations potentielles entre concepts en 𓁝[⚤]♢ s'actualisent en termes de logique binaire, de succession, d'ordre ou de causalité en [⚤]𓁜♧.
2/ La compréhension de la nécessité d'une double approche S↑ et S↓ en [♲]𓁜♢ se traduit par la position ex ante 𓁝[♲]♧ face à la 𓁝substance♲ ou la 𓁝matière♲. (Nota: sur les retournements 𓁜↓𓁝 et 𓁝↓𓁜 voir "penser la physique autrement #4")
3/ C'est dans le passage entre 𓁝[♲]♧ et [⚤]𓁜♧ que s'inscrit la discussion sur les universaux.
- Maintenant que tu as bien rongé ton os, nous allons peut-être passer à la lecture détaillée de cette critique de Syrianus, puisqu'elle est fondamentale dans le développement de la discussion au Moyen Âge, non ? Pourquoi éprouves-tu tant de réticence à t'y frotter ?
- Parce que je ne suis pas algébriste et que j'étouffe lorsque je suis ligoté par une pensée dialectique ou syllogistique. C'est comme s'il fallait lire en épelant chaque lettre. Mais, bon, puisqu'il faut en passer par là, allons-y.
Le 28/ 11/ 2021 :
Il s'agit donc de la réfutation, par Syrianus des 10 arguments avancés par Aristote contre les propositions de Platon. La critique porte sur les arguments d'Aristote avancés dans les Métaphysiques, en se référant à plusieurs reprises à ses Catégoriques. Elle se concentre sur ce que
"La réponse de Syrianus est capitale, parce qu’elle se concentre sur le statut de ce que la scolastique néoplatonicienne du VIe siècle appelle l’universel dans la pluralité (έν τοίς πολλοίς) et parce qu’elle relève le défi d’Aristote en Z, 13, 1038b1-8 : elle répond en prenant l’"universel comme une cause dans le plein sens du mot, et un principe"". p. 102
Principe de la thèse :
"La thèse générale repose sur la distinction entre
Syrianus soutient que
comme la notion (έννοια) de l’homme en tant que tel, il a raison de dire que ce ne sont pas des ούσίαι, car «elles ont tout leur être relativement à nous».
On voit ici tout l'embarras
Maintenant, j'aurais aimé que de Libera explicite ce qu'il entend par "elles ont tout leur être relativement à nous". Qui est ce nous ?
- Au vu de ce qui précède, je crois qu'il faudrait privilégier la posture ex ante 𓁝, ce qui donne immédiatement du sens à son discours, car nous avons déjà statué que la ούσία (substance) était indéfinissable en posture 𓁜, seulement approchée en posture 𓁝.
- Sans doute, tu remarqueras quand même ce "relativement à nous", qui à mon sens justifie pleinement ma façon de spécifier les postures du Sujet par rapport à son discours. Maintenant, je comprends "engendré postérieurement" comme le mouvement immanent S↑, et le "relativement à nous" comme la limite 𓁝[♲].
- Sans atteindre au concept "en compréhension" [♲]𓁜?
- Exactement, nous en restons à une appréhension en "extension" 𓁝[♲].
"En revanche,
Il n’est pas ici question d’intuition intellectuelle : l’universel «postérieur» est confiné à la sphère du φάντασμα, de ce que les commentateurs modernes appellent l’«image générique». Syrianus s’enferme volontairement dans le cadre réduit de l’aristotélisme, et il fait porter tout son effort sur une redéfinition de l’universel «dans la chose»." p.102
La position de Syrianus est très simple : si Aristote parle des universaux en compréhension, en [♲]𓁜 (il pose les universaux), pour les appliquer à une multitude en [⚤]𓁜, il n'est pas conséquent avec lui-même, puisqu'il a fixé la limite en 𓁝[♲], au terme d'un processus S↑.
Le commentaire de Libera insiste sur S↑: "l'image générique", renvoie à "Image formée par superposition d'images particulières avec effacement des différences spécifiques" (voir ici), autrement dit, dans une genèse immanente S↑, à l'exclusion de toute "intuition", qui serait un processus transcendant S↓.
"Cette focalisation est imposée par la stratégie argumentative d’Aristote, qui, pour préparer le rejet des Formes séparées en Métaphysique, Z, 14 (i.e. le rejet de l’universel antérieur à la pluralité, πρό τών πολλών), commence par établir l’impossibilité pour l’universel d’entrer dans le singulier : avant de montrer que la Forme séparée est impossible, il prouve d’abord qu’elle est inutile puisqu’il ne peut y avoir d’universel dans la chose même. Naturellement, Syrianus a raison de dire que, ce faisant, Aristote semble contredire sa propre doctrine, puisque, précisément en Z, il pose lui-même comme substances les «universaux qui sont dans la pluralité». Le problème est que ce qu’Aristote pose dans la chose, c’est l’ειδος-ούσία- première» entendue comme «forme d’un individu concret», non la Forme participée des platoniciens. Tout en travaillant dans l’espace de jeu explicitement ouvert par Aristote en Z, 13, Syrianus s’efforce donc de retravailler indirectement le concept même d’είδος, afin de prouver qu’un Universel, au sens de Platon, peut être dans la pluralité." p. 103
Nous revenons à la motivation originelle de Platon (voir #9), à savoir s'opposer aux Sophistes, en postulant que le langage se réfère à des idées qui ne sont pas de simples jeux de langage. D'où ces "formes séparées", comprises par d'autres voies que le langage (voir la réminiscence dans Le Menon), en d'autres termes, issues d'un processus transcendant, S↓ aboutissant à [♲]𓁜. Ce qui se traduit logiquement, dans un discours de niveau [⚤]𓁜 par l'antériorité des idées sur leur expression et/ ou leur emploi.
On comprend immédiatement qu'Aristote, qui s'en tient exclusivement à la genèse S↑ des idées se heurte à Platon.
- Maintenant, quel est son argument ?
- C'est le plus difficile à comprendre car pour lui, tout ce que nous venons de mettre en perspective, pour le comprendre justement, s'écroule dans un langage de pure logique du 1er ordre. Procédons par ordre.
1/ La forme séparée "est inutile puisqu’il ne peut y avoir d’universel dans la chose même". J'ai bien une explication, mais je doute qu'elle eût été accessible à cette époque.
- Dis toujours.
- Nos avons vu que
Maintenant, sans être explicite, il y a peut-être quelque chose de cet ordre dans l'objection d'Aristote?
- Mais quelle est la nature de l'impossibilité vue par Aristote ?
- J'avance l'hypothèse que c'est le saut lui-même 𓁝⇅𓁜 autour [♲] qui reste inexprimable en [⚤]𓁜.
Et Syrianus pointe l'ambiguïté des substances qui sont des «universaux qui sont dans la pluralité», ce que nous avons caractérisé par 𓁝[♲].
- Tu es restes donc à Wittgenstein pour qui les disputes philosophiques tiennent à un embarras dans le discours?
- Je ne sais pas si c'est une généralité, mais cela semble bien être le cas en l'occurrence. Le discours logique de 1er espèce ne peut exprimer :
En termes de temporalité dans le discours de niveau [⚤]𓂀, nous avons vu que ([♲]𓁜)⇅𓂀 implique "antérieur" à (𓁝[♲])⇅𓂀, autrement dit : (𓁝[♲]𓁜⏩𓁝[♲]𓁜)⇅𓂀, selon nos conventions d'écriture, ce qui est impossible dans le mouvement S↑.
"Le combat pour le platonisme ne consiste pas à défendre contre Aristote l’existence de Formes séparées, mais à défendre, en s’appuyant sur lui, l’existence de formes participées. Cela ne peut se faire que si l’on contre la thèse centrale de Z, 13, à savoir qu’il ne peut y avoir d’ούσία universelle dans la pluralité. Il s’agit alors de montrer que l’ontologie binaire présupposée par Aristote en Z, qui ne fait place qu’à l’espèce-substance seconde des Catégories et à l’«ειδος-ούσία-première» entendue comme forme particulière, peut être dépassée et qu’il y a de l’Universel dans la pluralité, c’est-à-dire des Formes participées, ce qui établira ipso facto qu’il y a des Formes séparées." p. 103
Là le vocabulaire s'empâte, signe d'embarras s'il en est ! Il faut d'abord revenir à ce qu'Aristote écrit dans les Catégories sur :
Je trouve ceci chez Barthélemy Saint-Hilaire, dans son traité de la logique d'Aristote :
Au fil de ma lecture, je me rends compte immédiatement de ma grande ignorance, et sans doute de la vanité de lire ce texte de Libera, sans avoir lu au préalable ce dernier texte, comme prérequis.
- Tu ne vas jamais t'en sortir !
- Lorsque je glisse un peu plus bas dans le texte, je tombe immédiatement sur la définition de la quantité chez Aristote :
"La quantité est de deux espèces, discrète et continue. Les parties dont elle se compose ont position dans l'espace, ou n'en ont pas.
Et donc, contrairement à ce que j'ai pu dire jusqu'ici, Aristote a une parfaite appréhension d'un niveau Imaginaire [#] !
- Sans doute, mais le raisonnement philosophique passe uniquement par la parole, qu'Aristote place à juste raison aux côtés du discret, et donc de la logique etc. Le livre de Libera n'est pas une étude exhaustive de la pensée d'Aristote ni de Platon, il en tire juste les éléments à partir desquels les scolastiques du Moyen Âge vont débattre, nuance ! Reviens donc à ce que nous avons déjà vu :
"Dans les Catégories, 2, Aristote construit une typologie des différentes sortes d’êtres, par combinaison de deux caractères :
Le classement ainsi obtenu permet de distinguer quatre sortes d’êtres :
Il est très clair que :
C'est cette dualité [♲]𓁜/ 𓁝[♲] qu'il faudrait surmonter pour avoir de l'universel dans la pluralité, pour définir des "formes participées". Dont acte :
"Pour ce faire, Syrianus retourne contre Aristote lui-même certaines thèses des Catégories empruntées non à la définition superficielle de la substance seconde en Catégories, 2, mais à d’autres passages, ambigus ou contraires, moins favorables à une exploitation antiplatonicienne." p. 104
Ce qui, selon Libera circonscrit le champ de la dispute des universaux au Moyen Âge :
"En pratiquant de la sorte, Syrianus affronte les questions qu’affronteront les réalistes et les nominalistes au Moyen Âge, l’essentiel du débat médiéval portant moins directement sur l’existence de Formes séparées (puisque, à quelques exceptions près, ce qu’on appelle alors les «Idées de Platon» est presque unanimement rejeté) que sur le statut de l’universel in re. Par bien des côtés, en effet, la thèse historiographiquement dite
Une fois le terrain déblayé, passons maintenant au détail de l'argumentation de Syrianus pour contrer la critique d'Aristote envers Platon.
1er argument d'Aristote:
"l’ούσία de chaque chose est propre à chaque chose et la «caractérise» : donc, comme l’universel ne peut être l’ούσία de chaque chose prise une à une, puisque alors il ne serait pas universel, mais particulier, il n’y a pas d’ούσία universelle.
On peut comprendre le décompte des choses, dans la répétition (au sens d'automatisme de répétition freudien) du mouvement ([⚤]𓁝⇅𓁜[♲]⏩[⚤]𓁝⇅𓁜[♲])⇅𓂀 soit le multiple, avec l'impossibilité d'un passage unique (𓁝[♲]𓁜⏩𓁝[♲]𓁜)⇅𓂀. Conclusion logique⚤ : il n’y a pas d’ούσία universelle (ou substance universelle).
Réfutation de Syrianus :
"l’ούσία peut être conçue comme «une seule en toutes les choses» et comme «ούσία de toutes les choses». Cette ούσία πάντων est ούσία non au sens de l’ούσία particulière, mais au sens d’ούσία universelle «qui n’est pas circonscrite dans une particulière, mais comprend la communauté de toutes les ούσία». Elle n’est donc pas une au sens de l’«unité numérique», mais au sens de «une quant au genre». Quand Aristote dit que, si l’universel est dans le multiple, il doit être soit l’ούσία de toutes les choses, soit l’ούσία d’aucune, et qu’il conclut qu’il ne peut l’être d’aucune parce qu’il ne peut l’être de chacune, il a tort : il y a une ούσία de toutes les choses, qui précisément n’est celle d’aucune en particulier." p. 104
Franchement c'est bien alambiqué !
- Il faut te mettre à la place de Syrianus, et reprendre ses outils conceptuels !
- Difficile, mais tentons ceci : pour Platon, les idées (ou les formes pour Aristote) ont une substance, c'est-à-dire, que l'on peut suivre leur dégénérescence : (𓁝[♲]𓁜⏩𓁝[♲]𓁜)⇅𓂀, qui donnerait une substance unique associée à une forme unique "quant au genre" et donc une ούσία de toutes les choses. À ne pas confondre avec la multitude des ούσίαί dont chacune est attachée à une chose. Pour reprendre ma fille de 6 ans "il y a les ούσίαί des chevals et l'ούσία des chevaux".
"Syrianus répond donc que l’ούσία universelle est l’ούσία de toutes en général parce qu’elle n’est celle d’aucune en particulier." p. 105
2e argument d'Aristote:
Il s'agit d'un syllogisme, que Libera retranscrit ainsi :
La compréhension du syllogisme est immédiate:
L'argument portant sur "ce qui est dit d'un objet", en [⚤]𓁜 est en accord avec la forme syllogistique.
Réfutation de Syrianus :
"ce syllogisme n’est pas concluant, car son moyen terme, l’expression «ce qui est dit d’un sujet» (τσ χαθ'ύποχειμένου) est homonyme (équivoque) : elle n’a pas un seul, mais deux référents possibles.
La majeure n’est vraie que pour l’un de ces deux référents, elle est fausse pour l’autre.
c’est le cas d’animal, qui à la fois se prédique de différents sujets (par exemple des hommes) et est substrat d’universaux contenus par lui («raisonnable», «mortel», etc.). Il est donc faux de poser en ce sens qu’aucune ούσία n’est ce qui est dit d’un sujet. Ce qu’il faut dire, c’est que «quelque ούσία (par exemple l’animal) est ce qui est dit d’un sujet», mais, dans ce cas, le raisonnement d’Aristote ne tient plus." p.106
Là encore, la lecture est immédiate :
C'est ce que souligne de Libera :
" [..1..] C’est ce même référent qui vérifie la mineure et que l’on retrouve, par équivalence, dans la conclusion.
Le raisonnement d’Aristote ne vaut donc que sous la forme suivante :
Que je retranscris ainsi, pour t'habituer à mon écriture :
La construction est bien entendu un discours tenu en ([⚤])𓂀♧ avec ¬¬a=a.
- La réfutation tient donc à l'adjonction d'un second référent de type [♲]𓁜 à la construction d'Aristote ?
- À ceci près, si l'on en croit Libera, que le point de vue d'Aristote lui-même évolue au cours du temps, prêtant ainsi le flanc à cette réfutation.
"En pointant l’équivocité de l’expression «ce qui est dit d’un sujet», Syrianus touche à nouveau juste. Au passage, il met l’Aristote de Métaphysique, Z, 13, en contradiction avec celui de Catégories, 2, qui, précisément définissait l’«ούσία seconde» par la relation «être dit d’un sujet » (χαθ'ύποχειμένου). Enfin, il dénonce par avance, comme reposant sur une homonymie de l’expression «ce qui est dit de», la lecture «nominaliste» de la notion aristotélicienne d’ούσία seconde." p. 106
Je crois qu'il va falloir faire très attention entre "dire quelque chose", au niveau du langage ([⚤])⇅𓂀, et le référé de ce qui est effectivement dit; le terme "ce" dans "ce qui est dit" qui lui, est de niveau ([♲])⇅𓂀.
Toute la discussion portant sur la posture du Sujet 𓁝 ou 𓁜 auquel 𓂀 attribut le concept en question (ici ούσία) : soit
Avec cette confusion supplémentaire dûe à la clôture du discours rendant équivalents ([♲]𓁜)⇅𓂀 et ([♲])⇅𓂀 (i.e.: "je dis que je sais" équivaut à "je sais").
- Pourquoi ces précisions ici ?
- Parce que je pense que nous y reviendrons lorsque nous parlerons des "nominalistes". Il y aura certainement un glissement de sens entre :
3e argument d'Aristote:
"Le Stagirite prétend enfermer les platoniciens dans un dilemme méréologique.
L'intéressant, me semble être le recours à la notion de "partie", dans une pensée qui cherche à se cantonner exclusivement au niveau logique du raisonnement.
Le premier point
Je ne sais pas à quel point cela pouvait être conscient à l'époque, mais, stricto sensu, dans une construction en [⚤] basée sur l'utilisation de la succession, comme N à partir des successeurs de 1, le "tout" est indéfini (pour tout n il y a toujours n+1), et les nombres, comme "parties de N", ne peuvent être pensés à partir d'un "tout" indéfini, par nature. Donc, en toute logique (au sens propre limité au 1er ordre), l'assertion d'Aristote est vraie.
Maintenant, dans une telle pensée logique, et avant toute idée de "groupe", il est impossible de définir la "partie" d'un "tout". La notion de fermeture ne venant que dans une pensée catégorique, en [#].
- Attends ! Si Aristote emploie le mot, c'est qu'il est capable d'y penser, non ?
- Oui, en [♲]𓁜, au sens où l'on pense par équivalence 𓁝⇆𓁜, conjoignant le discret et le continu (c'est le sens du Sujet vu comme topos (voir ici), mais il manque une marche entre ce niveau de pensée et son expression logique, à partir du continu, et non du discret...
Le point faible de la construction aristotélicienne me semble être l'idée que puisque, dans un mouvement S↑ l'universel naît des choses singulières, il en fasse partie depuis le début: il est déjà là. Or ce "déjà là", nous vient de la réminiscence de Socrate, qui suppose une approche S↓...
L'expression en [⚤]𓂀 de cette impossibilité est tout simplement que l'universel ne peut pas à la fois
Le second point
réaffirme que pour Aristote, le plafond de la démarche S↑ est 𓁝[♲], et donc qu'en [♲]𓁜 un concept en compréhension (unique) ne peut être issu d'une approche en extension (multiple).
Réfutation de Syrianus :
Syrianus répond que tout ce raisonnement repose sur une équivoque du mot «partie». Une équivoque d’autant plus inexcusable que c’est Aristote lui-même qui, dans les Catégories, a dégagé l’homonymie du terme μέρος (partie). De fait, Catégories, 7, 8a13-b24, distingue soigneusement entre
Or une telle partie, universelle et non particulière, se prédique du tout, c’est-à-dire peut être «conçue comme existant dans toutes les choses selon ce qu’elles ont de commun» (dans l’exemple choisi : de tous les hommes en tant qu’ils ont des mains). On peut donc définir l’universel comme «partie universelle» de l’ούσία d’une chose, sans compromettre pour autant l’unité de l’individu. L’erreur d’Aristote est de prendre le terme dans un seul sens, alors qu’il a lui-même établi le principe de la distinction entre les parties (particulières) des premières et celles (universelles) des secondes. Ainsi, une nouvelle fois, Syrianus oppose aux thèses de Z, 13 une thèse tirée des Catégories – ce qui confirme le privilège exercé par cet ouvrage tant dans l’exégèse platonicienne d’Aristote que dans la genèse de la problématique des universaux." p. 107
- Étrange cette distinction entre "partie particulière" et "partie universelle", non ?
- J'y vois une tentative pour contourner l'impossibilité de distinguer des parties dans un langage au niveau [⚤]𓁜, tout en ayant conscience du concept en [♲]𓁜.
Sans doute avons-nous là une tension entre le concevable et le dicible, qui mènera au fil du temps à ce niveau [#] en gestation ?
4e argument d'Aristote:
"Le quatrième argument dénonçait l’absurdité de la thèse aboutissant à dériver «une chose particulière et une substance d’une simple qualité»." p. 107
Immédiat : comme chez Aristote, le mouvement S↑ est privilégié, et limité à 𓁝[♲], le saut (𓁝[♲]𓁜⏩𓁝[♲]𓁜)⇅𓂀, qui s'inscrirait dans un mouvement S↓, est impossible.
Réfutation de Syrianus :
"Syrianus répond qu’ici, comme précédemment, Aristote fonde son argumentation sur une équivoque, puisqu’il «traite comme une seule et même chose la “simple qualité” et la qualité essentielle»." p. 107
On retombe sur la même distinction entre
Là encore, c'est Aristote qui donne dans les Métaphysiques, les verges pour battre l'Aristote des Catégories.
"L’Aristote de Catégories, 5, admet donc, contre celui de Z, 13, que la «substance individuelle procède des universaux», puisqu’il pose lui-même que la substance seconde détermine la qualité essentielle des substances premières." p. 107
Un point intéressant à relever dans l'argumentaire de Syrianus :
"Dans sa réponse à Aristote, Syrianus rend visible le premier geste qui caractérise le réalisme platonicien des formes participées : le passage d’une expression comme «les choses communiquent entre elles» à une expression comme «les choses ont en commun ceci» (à savoir un universel présent en elles toutes comme fondement de leur communication), passage opéré originairement par Socrate dans la séquence Q2-R3’ du Ménon." p. 108
Or, évoquer les liens ente les choses, est une pensée en mode ♢, ce qui confirme, à mon sens qu'il y a une régression du mode ♢ à ♧ chez Socrate, Platon et Aristote, ce dernier marquant sans doute le terme de cette involution en étant le plus strictement résolu à s'en tenir à logique du 1er ordre (sans y parvenir comme l'indique Syrianus) :
𓁝[⚤]♢ ← | [♲]𓁜♢ |
↓ | ↓ |
[⚤]𓁜♧ ← | 𓁝[♲]♧ |
5e argument d'Aristote:
"Le cinquième argument démontrait l’absurdité de la thèse de la substantialité des universaux en montrant qu’elle conduisait à dire que, l’ούσία animal étant posée comme existant en Socrate, il y aurait en lui une ούσία qui serait ούσία de deux choses, i.e. de Socrate et de homme (et non de la classe des animaux, comme le suggère à tort Tricot, p. 427, n. 2)." P. 108
On en revient toujours au point de départ du projet de Platon : réfuter les Sophistes en disant que les mots se réfèrent à des idées, et donc, partir d'une coupure entre le monde des idées et celui des mots pour en parler.
L'argument d'Aristote très donc spécieux, car il confond volontairement :
Il n'y a aucun besoin de parler d'une substance ⊂ de l'animal ⊂ dans Socrate.
Réfutation de Syrianus :
"Animal n’est donc pas en Socrate l’ούσία de deux choses, mais prédiqué de l’ούσία de Socrate en tant qu’homme." p. 108
Je crois que c'est ce que nous avions vu.
Le 30/ 11 / 2021 :
6e argument d'Aristote:
"Le sixième argument d’Aristote était peu clair" p. 108
- Ça fait craindre le pire !
- De l'exposé de Libera, je retire ceci : pour Aristote, chaque partie, en tant qu'essence individuelle devrait être associée à sa propre ούσία. Par exemple, en tant qu'objet chaque part de tarte a sa substance particulière de "part de tarte", qui est différente de celle la tarte entière.
- Il confond "élément" et "partie".
- Maintenant que nous y sommes attentifs, cela saute aux yeux immédiatement. Mais Sylrianus ne peut porter sa réfutation sous cette forme aussi distingue-t-il entre
Il nous suffira de comprendre:
- Que veux-tu dire par [#]𓁜 manque ?
- Que faute des concepts d'appartenance propres à [#]𓁜, l'auteur ne peut qu'en parler à tort avec les outils de la logique du 1er ordre, nous en avons déjà discuté en commentant le 1er argument d'Aristote...
- Il tourne en rond, oui, et nous aussi. En termes freudiens, ça s'appelle "automatisme de répétition".
- Ça me rappelle cette histoire qui date du retour de Napoléon. Il questionne le maire d'un village qui n'a pas fêté comme il se doit sa remontada, le maire lui répond "votre Excellence, nous n'avons pu le faire pour 49 raisons. La première: la cloche du village est cassée". Cette raison me suffit répond l'empereur.
- Eh bien il semblerait qu'Aristote soit moins convaincant que ce maire de village, faute d'argument choc.
7e argument d'Aristote:
- Nous revenons à l'argument du 3e homme, dont nous avons déjà discuté (voir commentaire # 8):
Seuls les êtres deux en puissance peuvent être un en entéléchie.
Ce qui nous donne l'occasion d'aborder le sujet sous un autre angle, en suivant Syrianus. Je te rappelle que nous partons toujours de l'hypothèse que la notion de "partie d'un tout" est, à l'époque, et jusqu'à Évariste Galois, pour être précis, cantonné au niveau [♲]𓁜. Pour frapper ton imagination par une image forte, pense au Dieu Catholique 𓁝☯ qui tout en étant Un, est en trois parties [♲]𓁜 (le Père, le Fils et le St Esprit).
- Ici il s'agit de 2 et non 3...
- Il faudrait sans doute voir chez Dumézil comment les Grecs logiciens (0;1) ont investi un mythe sémitique (unitaire) pour l'accommoder à une culture indo-européenne (trinitaire) pour nous léguer le néoplatonisme... Mais, franchement, ce sera un autre jour, parce que là, je voudrais avancer dans ma lecture.
L'auteur insiste beaucoup sur l'importance pour la suite des évènements, de la réfutation de Syrianus :
"Syrianus l’aborde en considérant qu’il s’adresse à la doctrine platonicienne de la participation telle que l’a résumée Alexandre d’Aphrodise dans son Commentaire sur la Métaphysique : « Ils [Platon et les platoniciens] disent que ce qui est mutuellement semblable est mutuellement semblable par participation à quelque chose d’identique, qui est cela au sens propre, et l’Idée est cela. » La réponse de Syrianus est d’une importance capitale, car elle formalise contre Aristote et, en partie, avec ses propres termes, un modèle de l’universel causal, qui, sous des formes diverses et par des canaux variés, se retrouvera tout au long du Moyen Âge." p. 109
Comme nous venons juste de le voir : ici les "parties" sont correctement appréhendées, comme "parties d'un tout", qui serait "l'idée".
- Ça va, j'ai compris : pour parler de "parts de tarte", il y a avant tout une "tarte".
- Exactement, et comme l'argumentation se situe en [⚤]𓁜, le fait qu'il y ait une tarte, avant d'en faire des parts, se traduit en termes de :
L'intéressant, c'est de voir comment Syrianus passe de [♲]𓁜 à [⚤]𓁜, sans passer par la case [#]𓁜.
"Le cœur de la thèse porte sur la notion de similitude. Il y a, selon Syrianus, deux sortes de ressemblances.
La ressemblance du modèle à sa copie est celle de la cause efficiente à ses effets.
Il faut donc bien distinguer
Socrate est la cause efficiente de la pluralité des images de Socrate qui se forment dans l’esprit de ceux qui le voient, il est cause de la ressemblance de ses images entre elles. C’est cette double ressemblance qui est à l’œuvre dans la théorie de la participation injustement stigmatisée par Aristote et Alexandre, et qui frappe d’invalidité leur recours à l’argument du Troisième Homme : il n’y a pas, sous prétexte que homme se prédique aussi bien des choses particulières que de l’Idée, à poser «un troisième homme en dehors de l’homme particulier et de l’Idée, ni un quatrième, prédiqué du troisième, de l’Idée, des hommes particuliers, et ainsi de suite à l’infini». Des choses singulières sont semblables entre elles et semblables à l’universel en vertu d’une même «unité d’origine», mais la cause efficiente de cette ressemblance est l’universel lui-même, ce qui bloque la régression à l’infini." p. 110
- Sais-tu à quoi tout ceci me fait penser ? À notre grande discussion autour des concepts d'identité et d'idempotence et à l'introduction à la théorie des catégories de Lawvere.
- Est-ce le moment d'y revenir ?
- Je pense que oui, parce que cela signifierait une très grande permanence des questions que l'homme se pose quant à son propre entendement. Par ailleurs, ce point de vue pourrait être éclairant pour la suite. Je vais juste éviter l'aspect mathématique pour reprendre les deux exemples de Lawvere :
a/ Problème du directeur de musée :
Pour une exposition concernant les mammifères, notre directeur doit choisir un spécimen particulier pour "représenter" chaque classe retenue. Soit A = le groupe des "mammifères" et B l’ensemble des spécimens à sa disposition. Une première opération serait de "regrouper" les spécimens selon leurs classes respectives.
Notre directeur a une vue de A et B, il est donc en position ex post, en 𓁜. Son objectif est d'offrir aux spectateurs une représentation des collections dont il dispose. Le spectateur est donc en position 𓁝 par rapport au directeur. L'enchaînement des actions s.r=e (i.e.: rétraction suivie de section = idempotence ou "semblable") indique qu'il a réussi son exposition (r), dans la mesure où le spectateur réussit, à partir de ce spécimen, à reconnaître (s) le groupe qu'il représente aux yeux du directeur:
"- Et ça mon petit qu'est-ce que c'est ?
- C'est un loup, Monsieur.
- C'est exact: c'est bien un loup."
b/ Problème de l'observateur d'oiseaux :
Le point de vue de notre observateur diffère de celui du directeur de muséum, en ce sens qu’il cherche à définir à quelle espèce peut correspondre l’oiseau qu’il observe. Pour s’aider, il dispose d’un manuel avec, pour chaque type d’oiseau répertorié, une photo ou une image "caractéristique". Dans son cas, la "section" lui est donnée : c’est le choix effectué par l’auteur du catalogue. Il va donc chercher, par différences et répétitions, à voir si son oiseau "se rapproche" de telle ou telle figure emblématique de son catalogue. La question qui vient alors, seconde par rapport à la section, c’est de définir la rétraction : nommer son oiseau.
Dans ce cas, notre observateur se focalise sur le spécimen qu'il a sous les yeux: il peut l'identifier en tant qu'objet 1A, au sens où j'identifie le singleton (*)↑{*}. Mais il veut rapporter cette identification "globale" (i.e.: [⚤]𓁜) à ce qu'en dirait l'auteur du catalogue, autrement dit, confronter son point de vue 𓁝[♲] à celui du spécialiste [♲]𓁜. Il va donc tourner les pages du catalogue (s) (i.e.: une page est une section du livre) jusqu'à ce qu'il puisse établir une correspondance entre 1A, et ce que lui renvoie le catalogue (r) (i.e.: l'image sur la page), avec r.s=IA. Il est à noter que c'est l'observateur qui localement juge de la correspondance.
Il a fallu attendre Mc Lane dans les années 1950 pour décortiquer la façon commune des mathématiciens de penser à ce genre de problème, mais nous voyons bien ici que Syrianus se posait des questions du même type.
- Ton rapprochement n'est pas évident...
- Tentons ceci :
Imagine toutes les images au-dessus de Socrate vu comme "base" de référence. Si tu passes de Socrate à l'une de ses images pour revenir à Socrate: l'opération est section, suivi de rétraction, et tu retombes sur l'identification de Socrate autrement dit r.s= 1A (nota : l'enchaînement des applications se lit de droite à gauche). C'est le problème de l'observateur d'oiseaux.
On peut dire que Socrate est la cause formelle de la ressemblance entre ses images; identifiable en [⚤]𓁜.
Ici, la démarche est inversée : on part de l'image, pour dire que Socrate lui ressemble (rétraction) pour revenir à une autre image (section) s.r=e. Nous ne savons pas qui est Socrate, mais nous l'approchons à travers l'ensemble de ses images, qui sont entre elles idempotentes.
Pour reprendre l'approche de Syrianus, Socrate est la cause efficiente de la ressemblance entre les images, quoique nous ne puissions l'avoir devant nous; mais cette fois-ci, le référé en 𓁝[♲] de "ce qui est dit de Socrate", n'est plus identifié en [⚤]𓁜.
- OK, ceci mis en place d'où vient ce troisième homme ?
- Pour nous, il y a évidemment un troisième homme, l'auteur du discours (...)𓂀, qui peut à la fois exprimer les deux postures du Sujet 𓁝𓁜, nous en avons déjà parlé. Le principe de clôture (exprimable en [#]𓁜) permettant d'écrire l'équivalence ((...)𓁜)𓂀<=> (...)𓂀 pour éviter une régression à l'infini.
- Mais dans le champ de la discussion Aristote/ Syrianus ? N'oublie pas qu'ils n'ont que la logique du 1er ordre à leur disposition.
- Nous avons déjà pointé que "l'infini" dont ils parlent est en fait un "indéfini", et reconnu qu'effectivement, le "tout" ne peut être pensé à partir de là.
La montée du multiple en [⚤]𓁜 vers l'Un en [♲]𓁜 passe par une fermeture de l'Imaginaire en [#]𓁜, avec en particulier la notion d'infini à "l'extrémité" de R. De façon plus imagée : c'est la perspective des tableaux de la Renaissance, par rapport au regard de l'observateur, qui referme l'infini sur la ligne d'horizon.
Or ici, cette perspective n'existe pas et oui, à partir de la logique du 1er ordre, il est impossible de "clore" le tout à partir d'un dénombrement⚤ d'éléments⚤. C'est la position d'Aristote, qui est logiquement exacte.
Pour contourner l'obstacle, Syrianus postule donc qu'il doit exister une cause efficiente, en [♲]𓁜, repérable dans une multitude d'images 𓁝[♲] auxquelles on se réfère pour parler en [⚤]𓁜 de Socrate (dont on dit qu'elles ressemblent à Socrate). Et derrière tout ceci, Syrianus réintroduit un mouvement S↓ à partir de [♲]𓁜, qui est rejeté par Aristote dans les Catégoriques.
L'argument du troisième homme est donc rejeté au même titre que notre tarte, parce qu'aussi indéfinissable qu'elle, au sens strict, au niveau [⚤]𓁜.
"En faisant de l’universel la cause efficiente de la ressemblance des images entre elles, Syrianus lui attribue un dynamisme causal d’un type particulier qui produit à la fois une pluralité d’effets et l’unité de cette pluralité. Exprimé dans le langage aristotélicien de la théorie des quatre causes, la puissance causale de l’universel n’a pas encore son vrai nom platonicien. Ce pouvoir causal entendu non plus comme chose, mais comme cause, que l’on retrouvera à nouveau sous des formes diverses au Moyen Âge, est nommé plus proprement dans la réponse au huitième argument." p. 111
Il me semble intéressant de noter qu'en définissant la cause efficiente, Syrianus quitte le pur domaine des "objets", propre au mode de pensée ♧, pour commencer à penser en termes de "relations" (dynamisme causal), autrement dit en mode ♢, ouvrant ainsi la voie à ce que nous avons vu rétrospectivement dans l'enchaînement de mouvements soit r.s soit s.r.
8e argument d'Aristote:
"une thèse centrale de l’ontologie d’Aristote que reprendront inlassablement les nominalistes du XIVe siècle : l’unité de la substance. Il est impossible qu’une substance contienne en elle d’autres substances en acte. Donc, aucune substance ne peut provenir d’ούσίαί universelles qui seraient présentes en elle en acte. En d’autres mots : la Forme séparée, universelle et transcendante des platoniciens ne peut être participée en entrant comme partie en acte dans l’ούσία particulière. «Une substance une ne peut provenir de substances contenues en elle.»" p. 112
Je crois qu'il faut faire très attention à ceci :
Cela se comprend assez bien, mais avoue que cette notion de substance est plus embarrassante qu'autre chose, puisqu'il faut sans cesse prendre des gants pour en parler, sans que son utilité saute aux yeux !
- Souviens-toi : s'opposer aux Sophistes !
- Ça me fait penser au dessinateur qui malencontreusement trace le contour de son doigt sur le dessin d'une autoroute, et que l'on se demande quelques années plus tard pourquoi l'autoroute fait un virage en plein champ...
- Tu plaisantes ? Quid de la quantité conservée♲ d'Emmy Noether dans son triptyque quantité conservée♲/ symétrie♲/ incertitude♲ ? Quid du rapport entre celle-ci et l'observable⚤, dont on parle par des mesures⚤ ? Ça m'a tout l'air d'être en relation avec une substance en acte, non ?
- Oui, effectivement, j'ai parlé trop vite. Comme quoi nos concepts les plus modernes ont de vieilles barbes ! Désolé, je l'ai sans doute déjà dit, et je me rabâche, signe que ce n'est pas encore totalement intégré à ma façon de penser.
Mais ne nous éloignons pas de Syrianus. À l'affirmation "Une substance une ne peut provenir de substances contenues en elle.", il répond :
"qu’une substance particulière, un homme individuel par exemple, dérive à l’évidence d’autres substances qui sont présentes en lui tout en exerçant leur acte propre :
Le problème est d’expliquer ce qui assure l’unité des diverses parties en acte d’un même tout, l’unité fonctionnelle des parties du corps comme l’unité des ούσίαί qui donnent naissance à l’ούσία de l’homme et de tout homme comme animal raisonnable mortel.
C’est pour expliquer le principe de cette unité que Syrianus introduit le vrai nom platonicien de l’universel comme puissance causale. Pour lui, en effet, le principe garant de l’unité de toute substance individuelle est ce qu’il appelle la «puissance unifiante», l’ένωτχή δύναμις, qui unifie en un tout les multiples parties essentielles qui la composent, l’«unition» (ένωσις) «qui circule en elles toutes, comme dans le corps»". p.113
Je trouve cette notion de "puissance causale" extrêmement intéressante !
- Développe.
- J'en reviens à Lacan et sa "pulsion unaire". De fait il ne dit pas autre chose !
Ou plutôt: le "besoin humain" d'aller vers l'Un, privé du recours au sacré par le projet philosophique Grec, se retrouve ici dans cette conception d'une "puissance causale", que l'on retrouvera plus tard chez Spinoza avec la vertu (au sens latin de puissance virile). On peut même voir la tension entre énergie potentielle et cinétique comme l'un de ses lointains avatars (la circulation entre les corps relevant typiquement du mode ♢).
Nous sommes là entre un principe unificateur en [♲]𓁜 et une multitude de substances en attente d'unification 𓁝[♲], avec une tension, nécessitant une énergie pour provoquer un mouvement, étiquetée de "puissance causale".
Incidemment, Syrianus s'est bien éloigné de la logique pure pour avancer une telle conception.
9e argument d'Aristote:
"C’est cette puissance unifiante qui est cause de l’unité du nombre." p. 113
Là, Libera est un peu trop sibyllin pour que je puisse commenter quoi que ce soit.
9e argument d'Aristote:
"Ce qui fait que, contrairement aux craintes formulées par Aristote dans le problème qui clôt tout son développement, les substances, même unes, ne sont pas pour autant simples, mais composées d’autres substances et donc définissables par elles. Il ne faut pas confondre unification et simplicité." p. 113
Certes, Syrianus répond à Aristote, mais, comme nous venons de le voir, en sortant largement du champ clos par la logique du 1er ordre, sans toutefois aller jusqu'à développer une théorie de niveau [#]𓁜, qui lui permettrait d'articuler entre elles les différentes "parties" d'un tout, ou encore de composer ou décomposer les connaissances, en arborescences et tableaux, comme le feront plus tard Linné ou Darwin voire Vinci disséquant des cadavres...
Plutôt que platonicienne, la notion de «puissance unifiante» est évidemment néoplatonicienne. L’intérêt de l’analyse de Syrianus est justement de poser un principe fondamental du néoplatonisme, la notion d’universel comme puissance d’unification causale en acte dans ses effets, contre un principe fondamental de l’aristotélisme : l’impossibilité pour une substance de contenir d’autres substances en acte." p. 113
Bien cette fois-ci, je pense que le décor est planté. Laissons Libera conclure :
"L’arrivée de l’ένωτχή δύναμις dans la formalisation de la doctrine platonicienne de la substance a joué un rôle capital dans l’histoire de la doctrine des universaux. Par elle, c’est l’hénologie néoplatonicienne qui s’empare de l’ontologie, un geste prolongé par Proclus, puis, à travers Proclus, par Denys le pseudo-Aréopagite, qui l’a transmis au monde latin médiéval. L’affrontement de Syrianus et d’Aristote sur les questions soulevées par Métaphysique, Z, 13, constitue l’une des structures profondes de la problématique des universaux." p. 113
Dont acte.
Ouf, cette revue des 10 arguments d'Aristote contre Platon, suivie de leur réfutation par Syrianus m'a épuisé !
- Pourquoi t'y astreindre ?
- Je voulais voir si mon approche pouvait apporter quelque chose ou si au contraire elle serait disqualifiée. Il semble, que l'approche tient le choc.
L'heureuse surprise étant de voir dans ce débat, les prémisses de concepts qui nous paraissent nouveaux alors qu'ils sont déjà en discussion depuis des millénaires.
Hari