Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...
11 Septembre 2007
En ruminant (comme d’habitude) mon dernier article, et en particulier le parallèle que j’y esquissais entre la « Voie » bouddhiste et la « Voie » taoïste, la curiosité m’a pris d’aller voir sur le net si j’avais bien interprété la différence entre ces deux « Voies ».
Il semble qu’une branche chinoise mêlant les deux approches se soit constituée (le bouddhisme Chan, qui a évolué ensuite vers le Zen japonais).
Or, le moins qu’on puisse dire est que les différences culturelles entre Indous et chinois y éclatent franchement. En effet, si la technique méditative a été retenue (Chan veut dire « méditation silencieuse »), les buts divergent radicalement et avec une virulence dans les propos que je n’aurais pas imaginée :
Les bodhisattvas sont des ouvriers qui transportent du fumier... Le nirvana et la bodhi sont de vieilles souches où attacher vos ânes. Les douze catégories d’enseignement sacré ne sont qu’une liste de fantômes, du papier pour essuyer le pus des furoncles..qu’est-ce que tout cela a à voir avec la salvation ?
Les sages ne s’adressent pas au Bouddha, ce grand assassin qui a attiré tant de gens dans les pièges du démon proxénète (Xuanjian)
Et le but lui-même du Bouddhisme, c’est-à-dire l’Illumination, n’est certes pas leur préoccupation majeure ; voyez ce conseil du même Xuanjian
Habillez-vous, mangez, chiez, c’est tout. Il n’y a pas de cycle des morts et des renaissances à craindre, pas de nirvana à atteindre, pas de bodhi à acquérir. Soyez une personne ordinaire, sans rien à accomplir.
Donc, fidèles à leur pragmatisme viscéral, les chinois ne s’intéressent qu’à l’aspect opératoire, c’est-à-dire la technique de méditation.
Ce contraste met en relief un aspect proprement indo-européen du Bouddhisme : l’exaltation du héros. Bouddha lui-même est le héros qui, par l’Illumination, échappe aux vicissitudes du Monde et atteint son objectif. Dans le même temps, chez les Grecs, Ulysse mène sa barque contre vents et marées pour suivre la voie qu’il se trace. Les buts sont différents, les domaines également, mais cette façon de se fixer un objectif et d’exalter les vertus des héros qui luttent contre les éléments pour l’atteindre, fût-il extra-mondain, relève d’un patrimoine commun.
Il y a bien sûr d’autres points qui nous semblent familiers dans la doctrine bouddhiste, et ramènent à Dumézil, mais c’est de l’érudition qui nous éloignerait du propos (en fatiguant le lecteur !).
On s’étonne moins, maintenant de retrouver la « mètis » que l’on croyait propre aux Grecs, dans cette manipulation particulière, proche de l’autosuggestion qu’est la méditation bouddhiste.
Le propre du Bouddhisme, c’est un acte de foi, un pas que l’on s’engage à sauter. Les efforts pour arriver à la contemplation du Vide (après avoir compris la vacuité de nos représentations et de notre « Moi »), conduisent à un état indicible : l’Illumination.
Pour y tendre, toutes les « techniques » sont bonnes, y compris la manipulation de son propre esprit. L’adepte sait qu’il hallucine le monde, mais au lieu, comme le taoïste de nettoyer sa vision du Monde, de coller au terrain, il travaille cette vision, il la modèle, manipule et oriente son esprit pour atteindre son but.
C’est l’antithèse d’une attitude taoïste
Cet oubli du Monde me gène dans la démarche bouddhiste : le but visé est tout pour l’adepte. Sa vie quotidienne, le monde tels qu’ils lui apparaissent doivent s’effacer, seule doit rester la détermination à atteindre le but.
Que l’Univers soit le tout de mon cru n’est pas forcément une pensée eschatologique, si vous me suivez bien (ça va être difficile à traduire !)….
Je ne vois pas tout à fait les choses ainsi. Je comprends, bien sûr, tout ce qui nous est dit sur la perception du Monde (qui est très proche du discours lacanien en fait), le fait même que nous hallucinions le monde, mais derrière cela, il doit rester quelques mécanismes que l’on ne peut rejeter si vite. Pour tout dire, je ne pense pas que le Bouddha, après l’Illumination (je fais même ce pari) puisse se passer totalement de l’existence des êtres inférieurs, que le Dharma puisse exister hors du Samsara.
La nature nous montre partout (malgré tous les biais dont sont affectés nos sens) qu’il y a une hiérarchie des êtres, que de façon générale les gros mangent les petits et qu’il faut beaucoup de proies pour nourrir un prédateur.
Or, le bouddhisme prescrit la recherche par l’adepte, d’un refuge auprès des Bouddhas, il y a également la nécessité de leur faire des offrandes pour s’attirer leur bénédiction. Des flux sont donc établis des uns aux autres (la roue continue de tourner), pourquoi dès lors exclure que ces flux (ces transactions) puissent répondre à une certaine économie ?
« Tu es mon seiaigneur oh berger ! » encore et toujours la même petite musique quelque part dans ma tête, propre à faire reconsidérer les formules un peu rudes de l’ami Xuanjian….
J’ai l’air dubitatif, mais ne puis m’empêcher d’espérer quelque part, que le « Grand Véhicule » des bouddhistes soit le vaisseau que je recherche, celui qui nous ouvrirait les portes de l’Univers ?
À suivre donc….