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Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...

L'Homme quantique

Kant über alles

Kant über alles

Pour une fois, ce billet est repris de celui que j'ai écris hier sur le blog Mediapart. Je dois dire qu'il n'y a eu aucun écho à ce jour... Dois-je m'en étonner?

Si je le reprends ici, c'est pour vous montrer un changement de posture par rapport à un concept. Nous y reviendrons en fin de billet (après l'exposé du cas).

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Curieusement, depuis quelques années, je n’arrête pas de me heurter à Kant. Ceci commença par cette confidence de Lévi-Strauss à Jean Petitot:

«… D’ailleurs, dans De près et de loin, Claude Lévi-Strauss se déclare kantien:

  • Au fond, je suis un kantien vulgaire. […]
  • Quels principes avez-vous retenu de Kant ?
  • Que l’esprit a ses contraintes, qu’il les impose à un réel à jamais impénétrable, et qu’il ne le saisit qu’à travers elles. »

Puis, je le retrouve sous la plume de Zizek, qui y fait référence dans un remarquable parallèle entre les évolutions de l’Allemagne et de la France au Siècle des lumières. Il disait (de mémoire) qu’il a manqué à Kant une révolution.

J’avoue ne jamais m’être intéressé à Kant, tout simplement parce que je n’en avais pas éprouvé le besoin; une grande flemme intellectuelle, oui, je sais.

Donc, à la suite de ces piqûres de rappel, je cherche un peu autour de son nom, pour retrouver ce concept d’«impératif catégorique», qui se décline en plusieurs énoncés (ce qui est assez rassurant quant à sa nature «symbolique»).

  1. «Agis seulement d’après la maxime grâce à laquelle tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle.»
  2. «Agis de façon telle que tu traites l’humanité, aussi bien dans ta personne que dans toute autre, toujours en même temps comme fin, et jamais simplement comme moyen.»
  3. «L’idée de la volonté de tout être raisonnable conçue comme volonté instituant une législation universelle.»
  4. «Agis selon les maximes d’un membre qui légifère universellement en vue d’un règne des fins simplement possible.»

Assez rébarbatif, vous en conviendrez.

D’autant plus que dans un premier temps, ceci me renvoyait à un autre philosophe qui lui aussi cherchait à graver dans le marbre des «vérités premières» susceptibles de former les fondements irréfragables d’une philosophie, je veux parler de Wittgenstein et de son Tractatus. Or, donc, Wittgenstein lui-même rejeta cette approche car cette recherche en elle-même n’a pas de sens.

Si donc ce dernier se casse les dents dans le domaine de la pure logique, a fortiori, me disais-je, dans un domaine aussi élaboré, culturellement déterminé que l’éthique ou la morale, il doit être impossible de fonder un tel «impératif catégorique».

Et puis, en discutant au fil des billets de ce blog Mediapart, je me surprends à me référer moi-même à Kant. Tout simplement parce qu’il est évident.

Dernièrement j’ai une prise de bec, ici même au sujet d’une déclaration de ce type (je cite de mémoire) :

«tous ces émigrés Syriens, il n’y a qu’à les transporter aux USA, source lointaine de tous les maux de la région».

Et je suis choqué plus encore de voir une vingtaine de «recommandés» attachés à cette réflexion.

Je réplique à l’auteur, qui s’en offusque (car c’est un bon et brave «gentil», puisqu’il vote à gauche), en lui faisant remarquer qu’il utilise les Syriens comme des objets, que l’on peut brinquebaler de droite ou de gauche, sans leur demander leur avis. En gros «que les USA se les prennent sur les bras et s’en débrouillent, ça leur fera les pieds», sans considération pour les personnes en question.

Nous avons là, indéniablement une violation de notre impératif dans sa seconde expression.

Et puis, toujours à propos de cette émigration, qui finalement est un grand révélateur, les Hongrois ferment leurs frontières. Et quelques commentateurs se disent et écrivent : «au fond, les Hongrois, en résistant à l’Europe qui leur impose une politique dont ils ne veulent pas, ont bien raison d’exprimer leur désaccord». En gros : vive le souverainisme. Là ça ne passe dans aucune des acceptions de l’impératif catégorique Kantien. Et j’en reviens à ce qui me paraît évident, et que je cherche à faire passer dans nombre de mes commentaires : il n’y a d’échappée que par le haut, qu’en réformant notre Europe, et jamais en nous repliant sur nous-mêmes.

Et c'est dans cet état d’esprit que je tombe sur ce texte de Varoufakis dans un billet de Monica M., que j’aurais aimé écrire si j’en avais le talent. Complètement d’accord avec l’ensemble de son analyse, et là encore, il se réfère à Kant.

Donc, Kant me colle à la peau, mais je ne veux pas l’accepter au nom d’une morale particulière, car ce serait en affaiblir la portée.

De quoi s’agit-il, au fond ? Kant s’adresse aux individus (il parle de l’éthique à laquelle chacun doit se référer pour diriger son action) et il leur parle comme un maître à ses élèves: fait ceci, pas cela. Et de quoi, Kant est-il maître ? Dans l’idée que l’homme évolue vers une fin. Je le tire de Wikipedia :

Dans ses Opuscules sur l’histoire, Kant émettra l’hypothèse d’un système téléologique de la nature permettant de faire l’hypothèse du progrès historique de l’humanité. Il ne le présente donc pas comme certain, mais seulement comme un «idéal régulateur». C’est le fameux «comme si» de Kant (als ob): la connaissance des fins dernières de l’humanité échappe à l’expérience, mais cela n’empêche pas de postuler, dans et pour la pratique, l’idée de progrès à des fins morales. C’est en raison de ce même avantage pratique (mais irréductible à utilitaire) que Dieu est pour Kant une idée «pratique».

Donc, étant lui-même (en Ik) en recherche de cette fin (il est en position ex ante par rapport à son propre système Symbolique Sk) ; il se retrouve vers nous (en In) qui en savons moins que lui (ça, c’est facile à accepter) pour nous expliquer les conséquences découlant de sa propre quête. Il est donc en position ex post par rapport à nous. Ce qui se résume, de son point de vue à : In<Ik<S.

Et, de la position ex ante où je me situe par rapport à ce discours, je ne peux accepter ce que Kant me dit, que si je partage avec lui la même aspiration symbolique…

Si je la partage... ou si je peux l’intégrer dans un système plus large.

En effet, Kant s’inscrit dans un registre «moral» et les impératifs catégoriques sont des devoirs qui s’imposent à tous sans égard au bien, à l’objectif. Ce qui est un peu raide comme attitude. Charles Péguy pourra dire «Le kantisme a les mains pures, mais il n’a pas de mains.»

C’est pourquoi je propose d’abandonner cette attaque moraliste pour en adopter une autre, plus conforme à ce que nous savons depuis Freud, de notre nature humaine. Autrement dit, moi (représenté en Iasn) j’imagine que le système symbolique de Kant (soit Sk) est un avatar d’une nécessité plus haute (mon propre système Symbolique S).

In<Ik<Sk<Iasn<S

Et dans cette nouvelle position je déconstruis la morale kantienne en disant qu’elle résulte tout simplement de ce que Lacan appelle une «pulsion unaire», qui pousse la matière à s’organiser (i.e. : à décroître localement son entropie) et se traduit pour tout individu ou regroupement humain, par la nécessité vitale, de se «regrouper» ou se «rassembler» autour d’un principe fédérateur d'ordre symbolique.

C’est en fait assez facile à voir dans la formulation des impératifs: chaque sentence décrit un «saut diachronique», l’impératif lui-même, entre deux niveaux imaginaires: celui des éléments ou individus («tu», «tout être», «ta personne», «tout autre», «membre») et celui de leur regroupement («loi universelle», «humanité», «législation universelle»). De ce point de vue purement structurel, ces impératifs sont des pulsions.

  • Il y a chez l’individu une propension à se «regrouper» en un tout identifiable, par lui en premier lieu et qu’il appelle son «Moi», point stable, qui subsiste (plus ou moins bien) aux vicissitudes de son existence.
  • Il y a l’équivalent au niveau d’une nation ; que ce soit la Révolution de 89 ou la Reine d’Angleterre, peu importe.
  • Et si une nation «regroupe» des individus ou des sous-structures (provinces, départements, villes, villages, familles, partis, etc.) il doit en être de même à l’étage supérieur. Actuellement, pour nous ici et maintenant il s’agit de l’Europe, qui regroupe des états nations. Et en ce sens, il doit y avoir une certaine convergence dans la conduite des affaires, d’un état à l’autre.

Donc, ce qui se lit, dans ces impératifs catégoriques, en deçà de leur contenu moral, c’est une nécessité purement anthropomorphique.

=> Pour être en accord avec notre nature humaine, toute action doit tendre à l’universalité.

Il en résulte :

  1. L’impératif kantien en sort renforcé : non plus simple nécessité morale, mais pulsion vitale, identifiable, à chaque niveau de l’organisation humaine.
  2. Mais il est aussi relativisé : la morale kantienne n’est qu’un avatar d’une nécessité vitale.

Je sais, en particulier que l’on ne peut pas créer d’ordre quelque part, sans capter d’énergie et donc, créer du désordre ailleurs. Chaque jour je mange et détruit des légumes et de la viande.

J’ai donc bien conscience de la finitude comme de la contingence de ces impératifs dits «catégoriques».

Néanmoins, tels quels, ils sont extrêmement efficaces pour pointer facilement les comportements déviants.

Par exemple, le terrorisme n’est en aucune manière une action «universalisante». Au sens le plus profond du terme, il est mortel, inhumain.

De la même façon les murs de la Hongrie sont une pure régression qui montre un défaut d’intégration culturelle du pays à l’Europe. Et tous les pays de l’Est, récemment intégrés commencent à retrouver leurs vieux réflexes grégaires. Ces attitudes si elles persistent appellent à la mort de l’Europe, qui s’est bâtie pour lutter contre un repli des nations sur elles-mêmes conduisant par deux fois à des guerres mondiales.

Et lorsque je constate cela, je ne m’en réjouis pas.

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Maintenant que nous sommes entre nous, j’aimerais revenir sur le mouvement de bascule que je décris ici :

1/ Dans un premier temps, je suis au niveau (In) de l’élève de Kant (Ik) et j’accepte la leçon, j’apprends, je suis à la place assignée par le maître : In<Ik<Sk ;

2/ Dans un second temps, je discute le système symbolique du maître (Sk). Bien entendu, pour "m’en faire une idée", il faut bien que je réduise celui-ci à mon discours : je ne peux donc que produire une interprétation de ce que ce système est réellement pour Kant : je n’ai pas effectivement accès à sa propre vérité ;

3/ Ce faisant, de la position In (ex ante) par rapport au discours de Kant (en Ik), je saute par-dessus sa tête, pour ainsi dire, pour discuter, en position ex post, la pertinence de son système symbolique. In<Ik<Sk<Iasn<Sasn ;

4/ Pour réaliser cette opération, qui est typiquement une déconstruction du système symbolique Sk, il faut trouver son complément, ce qu’il n’est pas, pour conjoindre les deux concepts antagonistes. Or, que dit Kant ? Qu’il faut être toujours vertueux, sans égard pour l’objectif à atteindre. C’est ce que fait Socrate en buvant la ciguë. Mais cette position elle-même n’est pas "universalisable". Si tout le monde accepte sa disparition, il n’y a plus de population. Donc, ce à quoi s’oppose le système Sk, c’est le principe de réalité ;

5/ Si l’on conjoint l’aspiration morale de Kant, au principe de réalité, on obtient un système symbolique plus englobant (le mien, oui) Sasn, dans lequel le mouvement ou l’évolution humaine, conjoint une pulsion unaire (ce dont parle Kant) et un principe d’inertie; ce dont parle Freud sans le savoir (i.e.: l’automatisme de répétition);

6/ Dans ce nouveau contexte symbolique, les impératifs catégoriques kantiens gardent leur pertinence : toute action humaine doit tendre vers l’universel. Mais il y a un bémol : l’inertie dont il faut tenir compte pour survivre. Ce qui est un clin d’œil taoïste sur cette recherche de perfection occidentale.

Pour moi, la gymnastique commence à relever de l’évidence, j’aimerais tellement que ça le soit pour vous…

Hari

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M
Via votre "post" récent sur le blog supersymétrie de A.EDAAL, je découvre le présent Site avec éblouissement : vous faites partie des quelques "Wic de la Wirandole du Web" que je recherche.<br /> <br /> Au plaisir de fréquenter assidûment votre actualité virtuelle... MarcPier (www.chesstrend.com)
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H
Merci pour votre commentaire. J'espère recueillir également vos réflexions: le plus intéressant étant pour moi de faire surgir en vous de nouvelles idées... Par ailleurs: si le buzz pouvait se développer !