Récoltes et semailles # 01

- Ma situation relationnelle^♢ m'a échappé dès que verbalisée_⚤^♧ hier (voir "Fondation - le préquel"). Depuis, je tourne en rond dans la maison comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, craignant à tout moment d'initier quelque effet papillon ingérable et, trouvant refuge dans ma bibliothèque pour un instant, je tombe sur ce pavé en deux volumes de Grothendieck, acheté par dévotion, mais évité par flemme. Je le feuillette pour me donner une contenance, créer une bulle protectrice autour de moi, et je tombe immédiatement sous le charme de son écriture.

- Tu ne vas pas te lancer là-dedans et délaisser encore une fois le bouquin de Sanders Mac Lane ?

- Il sera toujours temps d'y revenir ensuite. Prends-le comme une distraction. Et puis laissons-nous porter par les évènements, j'ai envie de tout laisser filer ces temps-ci.

- Qu'est-ce qui t'as emballé ?

- Le ton de l'ouvrage, des convergences...

- Attention à ne pas prendre le melon mon ami, sache rester à ta place devant ce génie.

- D'accord, alors exprimons-le clairement : je suis un nain en mathématiques, non seulement devant Grothendieck, mais encore, devant le moindre prof de collège. Bon, c'est dit et assumé sans la moindre amertume, ce qui ne m'empêche pas de ressentir une certaine affinité avec lui.

Et pour bien faire ressortir ce sentiment de familiarité, je vais tenter d'utiliser mon écriture glyptique pour commenter ce pavé de la façon la plus resserrée possible, comme des pattes de mouche en marge de l'oeuvre.

- Je doute que tu ailles bien loin, mais l'on peut toujours tenter l'exercice.

- Alexandre Grothendieck (par la suite A.G.) commence par "une promenade à travers l'oeuvre", avec un sous-titre "l'enfant et la mère" qui me rappelle immédiatement ma rumination à partir des 4 discours de Lacan. (Note 1).

- Il ne parle pas du maître et de l'esclave ou du discours de l'universitaire...

- Il en parle un peu en termes d'ouvrier et de patron :

«En cours d’écriture de Récoltes et semailles deux images ont émergé, pour représenter l’un et l’autre de ces deux aspects de l’aventure humaine. Ce sont l’enfant (alias l’ouvrier), et le Patron. Dans la Promenade qu’on va faire tantôt, c’est de « l’enfant » qu’il sera question presque exclusivement. C’est lui aussi qui figure dans le sous-titre « L’enfant et la Mère ». Ce nom va s’éclairer, j’espère, au cours de la promenade.» p. 12 

Et si tu comprends la mère en posture d'accueil 𓁝, opposé au patron en posture fermée 𓁜, il vient immédiatement que :

• Le duo enfant 𓁝 / mère 𓁝 se réfère au discours de l'analyste (b1), quand
• Le duo ouvrier 𓁝 / patron 𓁜 nous renvoie au discours du maître (a1).

Comme tu le vois, je peux faire court !

Donc, il organise son discours à l'intention d'un enfant dont il serait la mère, de la même façon que je stigmatise dans mes articles de blog ta posture en 𓁝 dans un dialogue imaginaire où je me présente tantôt en recherche 𓁝, comme toi; tantôt dans une posture plus déterminée lorsque je risque une formulation réfutable 𓁜. La seule différence étant que je t'ai assigné une place typographique, derrière le tiret "-" du dialogue, ou césure entre nous 𓁝 / 𓁜 ou (𓁝 / 𓁝)𓂀. (Note 2)

- Merci pour cette attention.

- Donc, dès l'ouverture du livre, je retrouve chez A.G. une réflexion sur l'écriture qui me travaille également.

Ensuite, et je trouve ceci extraordinaire, il commence son texte proprement dit par une réflexion sur sa découverte du sens du rythme dans la phrase, suivi de sa passion pour les mots croisés et son blocage sur le concept de volume !

- Je te vois venir :

• Au niveau [⚤] : La parole,
• Au niveau [#] : L'aspect graphique du langage;
• Au niveau [♲] : le concept de volume.

- Exactement ! D'autant plus qu'il embraye directement sur sa découverte de Lebesgue, là où nous nous sommes arrêtés dans la lecture de "Form & Function" (voir "Concepts of calculus #10"). En une petite vingtaine de pages, il nous introduit directement au point où j'en arrive par une réflexion toute différente !

«L’intuition du volume, disons, était irrécusable. Elle ne pouvait qu’être le reflet d’une réalité, élusive pour le moment, mais parfaitement fiable. C’est cette réalité qu’il s’agissait de saisir, tout simplement — un peu, peut-être, comme cette réalité magique de « la rime » avait été saisie, « comprise » un jour» p. 25

Bien entendu, il faut mettre un bémol de la taille de Platon au concept de "réalité", mais nous y reviendrons sans doute en temps et en heure. (Note 3)

Et puis, enfin, last but not the least, la question de la solitude, qui me pèse de temps en temps, mais que je sens si nécessaire, si consubstantielle au travail de recherche.

« Pour le dire autrement : j’ai appris, en ces années cruciales, à être seul. J’entends par là : aborder par mes propres lumières les choses que je veux connaître, plutôt que de me fier aux idées et aux consensus, exprimés ou tacites, qui me viendraient d’un groupe plus ou moins étendu dont je me sentirais un membre, ou qui pour toute autre raison serait investi pour moi d’autorité. » p.29

- Avec le génie en moins...

- Oui, c'est dire ma très grande solitude ! Ceci dit, je resterai prudent quant à la possibilité d'une réflexion strictement solitaire : nous avons suffisamment souligné qu'il n'y a pas de construction purement immanente (ou S↑) mais rencontre entre deux mouvements S↓ et S↑, je ne développe pas... En l'occurrence, pour rejeter le concept de "volume" que l'on tente maladroitement de lui inculquer, ce rejet lui-même s'articule en opposition à un dit lui préexistant...

Comme tu le vois, j'ai à peine entamer l'ouvrage qu'il suscite en moi de multiples réactions : c'est un ouvrage dynamique, et je pense que nous n'allons pas nous ennuyer à le parcourir !

- Amen !

Hari

Note 1 :

Voir :

• "2022/01/covariante-et-contravariance-2-les-4-discours-de-lacan.html"

Note 2 :

Le (...)𓂀 marquant la nécessaire fermeture du discours par l'auteur malgré ce qu'il peut exprimer de son ouverture 𓁝.

Note 3 :

Je n'insiste pas ici, mais je renvoie les curieux à ce texte :

• "Qui a tué Platon"