Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...
28 Novembre 2023
Je m'excuse auprès de l'auteur Yann Ollivier d'avoir reproduit largement son texte, pour un usage qu'il désapprouverait peut-être, mais c'est le seul que j'ai pu trouver sur la toile, offrant de façon claire, une filiation entre les concepts de faisceaux et d'homologie/ cohomologie.
- Tu abandonnes avant-hier l'article "Faisceau" en rase champagne, si déprimé que tu jettes l'éponge en terminant par une requête à ChatGPT, et te voilà déjà de retour ?
- C'est vrai, je ne m'en sortais pas. Après que le robot a évoqué la cohomologie de Čech, j'ai fait une dernière tentative en allant voir une présentation de Yann Ollivier de 2001, mais j'ai renâclé un peu avant de m'y plonger, tant je n'aime pas l'algèbre.
Et puis ma question fondamentale : "pourquoi le concept de faisceau est-il venu à Jean Leray, après que la cohomologie se soit développée ?" a du tourner en boucle dans un coin de mon cerveau pendant que je passais à autre chose.
- Bref, tu t'es couché, et au matin, paf, un lapin, as usual ?
- Pas tout à fait : hier j'ai écrit pas mal de bêtises avant de m'en apercevoir, et j'ai dû tout jeter. Mais ce fut salutaire en un sens car au final, c'est la syntaxe de notre Imaginaire qui m'a permis de m'en rendre compte et me guide aujourd'hui.
- Si tu reprenais depuis le début ?
- Il faut revenir au schéma d'ensemble figurant le duo homologie / cohomologie, établi ici dans l'article "cohomologie #3").
𓂀♢ | |||||
𓁝[⚤]G | [#]𓁜 | ∆n+1 | |||
δn ↑ | ↓ ∂n+1 | ||||
Cn=Hom (Cn,G) | 𓁝[⚤]𓁜 | 𓁜←𓁝 | 𓁝[#]𓁜 | ∆n | |
Hn=Ker∂n/ Im∂n+1 | |||||
Hn=Kerδn/ Imδn-1 | |||||
𓁜→𓁝 | |||||
δn-1 ↑ | ↓ ∂n | ||||
𓁝[⚤]G | 𓁝[#] | ∅ | ∆n-1 |
- Oui je m'en souviens, tu étais tellement emballé d'avoir établi la passerelle [⚤]𓁝⇆𓁜[#], que tu as dit, un peu vite sans doute "une fois que la tête est passée, tu t'engouffres dans le terrier, tel Alice à la poursuite du lapin blanc."
- Et bien, il est question maintenant de faire atterrir Alice en douceur au fond du terrier.
- D'où cette illustration sans doute, mais pourquoi représenter une chute ?
- Parce que ce qui compte dans l'histoire, ce sont les symétries.
- Bon soit, merci pour le rappel, mais que vient faire Čech dans l'histoire ?
- Tout d'abord, situons correctement nos préfaisceaux et faisceaux. C'est là-dessus que j'ai galéré hier, et qui me semble enfin évident :
ils sont dans la même position Imaginaire que nos ↓ ∂n+1 sur le schéma.
- Autrement dit, tu reviens au schéma établi dans l'article sur les flèches cartésiennes de Badiou ?
discontinu algèbre |
continu topologie |
||||
𓁝[⚤]𓁜 |
⇆ | 𓁝[#]𓁜 | 𓂀♢ | ||
⇅ | Homologie ←↓ Cohomologie ↑→ |
⇅ | Rétraction↓ Section ↑ |
||
𓁝[⚤]𓁜 | ⇆ | 𓁝[#]𓁜 |
- Oui et cela fera sans doute la transition avec les topos. Mais pour l'heure, concentrons-nous sur cette cohomologie de Čech, car malgré mes préventions, la présentation d'Yann Ollivier est très claire (ce qui ne veut pas dire évidente).
"1/ Le départ : homologie de Čech d’un complexe :
Un complexe combinatoire de sommets x0,...,xn est la donnée d'un ensemble S de parties de {x0,...,xn}, tel que ∀i, {xi} ∈ S et tel que si A∈S et B⊂A, alors B∈S.
On peut se représenter un tel complexe dans ℝ2 en plaçant x0 en 0, en plaçant les xi à distance 1 sur chacun des axes de coordonnées, et en dessinant, pour tout A∈S de cardinal i, un simplexe de dimension i-1 entre les sommets inclus dans A. La condition dit alors que le bord d'un simplexe du complexe est dans le complexe.
L'idée est de définir l'homologie de ce complexe de manière combinatoire.
Soit A un anneau, on note C*(S,A) le module libre A[S] qu'on munit de la différentielle
On a ainsi défini un module différentiel gradué. Son homologie est l'homologie de Čech du complexe combinatoire S.
On peut aussi définir la cohomologie, en notant C*(S,A) le module des fonctions sur S à valeurs dans A (isomorphe au précédent... nous sommes en dimension finie), et définir la différentielle de f∈Cp(S,A) par (∂f)(σ)=f(∂σ), ou encore :
(éventuellement avec un signe -(-1)k si l'on se préoccupe d'une belle théorie de structures multiplicatives ensuite, ce qui ne sera pas notre cas). La cohomologie de Čech de S est alors la cohomologie de ce complexe (elle est bien sûr isomorphe à l'homologie).
C'est ce point de vue combinatoire, où le bord d'un k-uplet est une somme alternée de k-1-uplets, qui définira la cohomologie de Čech des faisceaux. Un formalisme très similaire apparaît dans la définition de la cohomologie des groupes. À noter que contrairement à la théorie de l'homologie singulière, on ne manipule que des modules de dimension finie.
Telle que nous l'avons construite, l'homologie de Čech d'un complexe est identique à l'homologie d'un dessin de ce complexe dans ℝn (ce n'est pas immédiat)." p.1
En très court : Čech représente algébriquement⚤ nos faisceaux, qui pour l'heure sont des objets topologiques#, à partir d'une idée très simple : il passe d'une représentation des n-chaîne par des simplexes ∆n à une représentation par des chaînes de "complexes" qui regroupent les ∆n ET leurs frontières ∆n-1.
- Dans les vidéos auxquelles tu te réfères pour aborder la cohomologie, Antoine Bourget utilise déjà une écriture similaire pour exprimer algébriquement les chaînes de simplexes à partir des sommets, le pas n'est pas si grand...
- Oui, mais maintenant que nous avons l'outil, il s'agit de faire le lien entre un "objet" défini à partir de ses sommets et notre problème de recouvrement d'un espace topologique.
"2/ Cohomologie de Čech des faisceaux :
À l'origine de cette théorie, on trouve des problèmes de recollements. Si on a un recouvrement d'un espace topologique, si on a des fonctions définies sur chaque partie du recouvrement, et si ces fonctions se recollent bien sur chaque intersection de parties du recouvrement, alors on peut définir un objet global sur tout l'espace, qui sera un élément de la cohomologie de l'espace à valeurs dans notre espace de fonctions."
On peut se représenter la fonction définie localement sur chaque partie du recouvrement comme une section, d'un espace topologique, correspondant à une co-bord dans l'espace dual. Je pense qu'elle est là l'articulation que je cherchais entre faisceaux et cohomologie !
Par ailleurs, il peut être intéressant de regarder la cohomologie à valeurs dans un espace qui pourrait varier d'un endroit à un autre. Si on a par exemple un quotient Y d'un espace X : π : X→Y, on peut vouloir obtenir des informations sur la cohomologie de X à partir de la cohomologie de Y et, en tout point y∈Y, de la cohomologie de la fibre π-1(y)." p. 2
Là je me laisse le temps de la digestion... Mais poursuivons en attendant et revenons à ce que nous avons déjà vu des faisceaux, la répétition étant à la base de la pédagogie :
"2.1/ Faisceaux.
Un faisceau F sur un espace topologique X est la donnée, pour chaque ouvert U de X, d’un module F (U), dont les éléments sont appelés sections au-dessus de U, ainsi que d’un morphisme de restriction d’un ouvert à un autre ρUV : F (U)→F(V), pour V⊂U. On demande les conditions suivantes pour tous ouverts U , V , W , qui expriment que cette restriction ressemble à ce qu’on appelle usuellement restriction :
On notera indifféremment ρUV f ou f|V .
Par exemple, l’espace des fonctions continues sur les ouverts d’un espace topologique est un faisceau. Un autre faisceau que nous utiliserons par la suite est celui des fonctions localement constantes à valeurs dans ℤ ou ℝ. Étudier les conditions de recollement de fonctions localement constantes revient exactement à étudier l’homologie usuelle de l’espace (cf. ci-dessous).
Un morphisme de faisceaux φ : F→G est simplement une collection de morphismes φU : F(U)→G(U) pour tout ouvert U, commutant à la restriction. Le noyau d’un morphisme de faisceaux est un sous-faisceau du faisceau de départ, défini sur chaque ouvert comme le noyau du morphisme sur cet ouvert. C’est bien un faisceau." p. 3
Je ne dis pas que je me sens comme un poisson dans l'eau avec ces définitions, mais je crois que, pour autant que j'en puisse juger, tout ceci précise ce que nous avions déjà situé dans notre schéma :
𓁝[⚤]𓁜 | 𓁝 | [#] | 𓁜 | ||
ρUV ⇆ |
U ⊂ V⊂ |
𓂀♢ | |||
φ ⇆ | Homologie ←↓ Cohomologie ↑→ |
F (U) | ↓ | F | |
X U |
Dans un premier temps, je passe sous silence la définition des faisceaux quotients, pour en arriver au plat de résistance :
"2.2 / Définition de la cohomologie de Čech
La cohomologie de Čech à valeurs dans un faisceau représente l’obstruction au recollement de solutions locales dans le faisceau, en une solution globale. On étudie un exemple d’où sort naturellement le formalisme de Čech.
Soit le problème de Mittag-Leffler : sur une variété complexe, trouver une fonction méromorphe ayant des pôles prescrits, et holomorphe ailleurs. Localement (dans un ouvert Ui contenant un seul pôle prescrit), le problème est trivial. Soit donc fi une solution méromorphe au-dessus de Ui. On veut trouver une fonction globale f telle que sur chaque Ui, gi= fi−f soit holomorphe. Il est donc nécessaire et suffisant de trouver des gi holomorphes et se recollant bien i.e. sur Ui∩Uj, gi−gj =fj−fi. Si l’on introduit les fij=(fi−fj)|Ui∩Uj, le problème revient à écrire les fij définis sur chaque intersection d’ouverts, comme différence de fonctions définies sur ces ouverts. On dira alors que les fij sont un (co)bord. Cependant, les fij ne sont pas tout à fait quelconques : ce sont des différences de fonctions (méromorphes, pas holomorphes comme on le souhaiterait) sur Ui et Uj. Elles vérifient, en particulier, la relation fij+fjk+fkl=0. On dit qu’elles forment un (co)cycle. Au final la question est d’écrire un (co)cycle comme un (co)bord.
Cohomologie de Čech.
On définit les cochaînes de degré k à valeurs dans F comme les applications qui à chaque k-uplet d’ouverts du recouvrement, associent une section sur leur intersection :
On définit l’opérateur bord ∂σ ∈ Ck+1(Ω,F) pour σ ∈ Ck(Ω,F) par
Écrivons pour l’exercice, cette définition en degré 0 et 1 :
La cohomologie de Čech du faisceau F pour le recouvrement Ω est la cohomologie de ce complexe : .
Tout ceci dépend de notre choix de recouvrement. On a évidemment une application naturelle de la cohomologie sur un recouvrement vers la cohomologie sur un recouvrement plus fin. Ceci permet de définir rondement la cohomologie de Čech de l’espace X comme la limite inductive, sur tous les recouvrements, de la cohomologie ci-dessus :
Je te propose de faire une pose afin de méditer sur tout ceci...
Le 29/ 11/ 2023 :
- Hier soir, je suis parti à rire en me traitant d'idiot de ne pas y avoir pensé plus tôt.
- Peut-on savoir ?
- Tout ce que nous venons de voir revient à dire qu'une courbe (une variété de dimension Dn plus généralement) peut être vue comme la clôture d'une surface (un espace de dimension Dn+1) tout simplement. Un plan horizontal, parallèle à la surface de base, correspond à une fonction constante (f(x) = constante).
Est-ce tu vois le changement de perspective ?
- Je crois que oui : au lieu de voir une ligne dans le plan comme un ensemble de points, tu pars de la surface, pour regarder son périmètre. Cependant, toute courbe ne se referme pas sur elle-même.
- C'est un problème secondaire. Nous sommes ici, avec la cohomologie de Čech dans un espace fini, mais je suppose que d'autres cohomologies, comme celle de de Rham, si importante en physique, permettent d'envisager des objets infinis. De toute façon, ça se termine toujours par la clôture de l'espace par un point à l'infini...
Du coup, je repensais à l'exemple de calcul de cohomologie présenté par Antoine Bourget et qui m'était complètement passé au-dessus de la tête, souviens-toi : (voir à 50' de cette vidéo) :
Je n'arrivais pas à comprendre comment il passait des points en haut à gauche à cette série de droites en bas, ni sa règle du jeu : les droites s'appuient sur un seul point bleu, pas de droite entre deux.
Pour comprendre la construction, il te suffit de considérer cette image comme la vue de dessus de la projection d'un espace X sur sa base B, où sont repérés les points bleus.
Et du coup, tu comprends maintenant que ces courbes en violet soient évidemment orthogonales aux fibres en jaunes.
- Je vois que ça se met en place tout doucement dans ta tête. Maintenant, rétrospectivement, pourquoi était-ce si dur à comprendre, et en quoi la syntaxe de ta représentation t'a aidé ?
- Je m'étais focalisé sur une remarque de Cartier concernant l'importance de la représentation du "point" (voir ici dans "La folle journée"), et je pensais bêtement passer du point à la ligne, dans une démarche purement constructiviste.
Pour construire le point en mode ♧:
Ce qui nous donnerait le schéma :
Groupe | 𓁝[⚤]𓁜 | → | 𓁝[#]𓁜 | 𓂀♢ | ||
↑ | ↓ | fibre | ||||
élément | 𓁝[⚤]𓁜 | ← | 𓁝[#]𓁜 | 𓂀♧ | ||
point | germe |
Et j'étais parti sur cette symétrie entre la fibre ↓ et le passage ↑ du point à ℤ...
- Et qu'est-ce qui coince ?
- Le germe ne peut pas être de mode ♧, il n'y a pas de dégénérescence ♢↓♧, dans le passage de la fibre au germe, les deux concepts n'ont de sens qu'en mode ♢ et je confondais le germe et sa représentation géométrique.
- Il y avait de quoi se tromper, puisque Yann Ollivier remarque lui-même :
"Telle que nous l'avons construite, l'homologie de Čech d'un complexe est identique à l'homologie d'un dessin de ce complexe dans ℝn (ce n'est pas immédiat)."
- Certes, mais ça ne collait pas avec la dualité homologie/ cohomologie, qui ne peut qu'être toute entière en mode ♢.
- Et quel a été le déclic ?
- Tout simplement de ne pas m'accrocher à cette pseudo-symétrie, pour repartir de la construction homologie/ cohomologie, qui nous en montre une autre beaucoup plus subtile: il suffisait pour cela de décaler la représentation de la fibre d'un cran :
𓁝[#]𓁜 | 𓂀♢ | ||||||
↓ | fibre | ||||||
Groupe élément | 𓁝[⚤]𓁜 | ⇆ | 𓁝[#]𓁜 | germe | |||
↑ | ↓ | représentation | |||||
{*} | [⚤]𓁜 | ← | 𓁝[#]𓁜 | 𓂀♧ | |||
singleton | point |
- La symétrie te semble meilleure ?
- Oui, car tu retrouves dans cette construction une double approche :
immanence — S↑/ S↓ — transcendance
d'une très grande généralité, et qu'il est heureux de retrouver ici, dans le langage le plus épuré, celui des maths. D'ailleurs tu as pu le constater par toi-même : en partant de la surface pour imaginer une courbe comme son contour, tu "surplombes" une conception plus primitive, qui y verrait un ensemble de points.
La beauté de la chose, si je puis dire, c'est que cette symétrie ⇅, qui se développe entre modes ♧ & ♡, se double d'une autre ⇆ entre niveaux [⚤] & [#], et cela conforte l'idée d'un mode ♢ vu comme intercesseur entre ♧ & ♡ | ♡ | => | ♢ | ||
⇘ | ⇙ | ||||
♧ |
Je repense à mon école d'ingénieur, et à mon incompréhension des lois de l'électromagnétisme... J'aurais été tellement heureux de voir l'équation e =-dφ/dt sous un autre angle !
- Je comprends ta nostalgie, mais que fait-on maintenant ? On reviens à la physique, ou on avance vers les topos ?
- Il faut continuer d'avancer. Nous étions partis de la remarque de Grothendieck dans "Récoltes et semailles" concernant une "idée bébête" qui lui était venue à partir de ces concepts de cohomologie et de faisceaux, il serait temps d'avancer là-dessus.
- En faisant un détour par Cartier, qui nous faisait une présentation du parcours de Grothendieck peut-être ?
- Soit, revenons donc à cette "folle journée".
Hari.