Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...

L'Homme quantique

J'ai rêvé du Tao

7h

- Nous sommes à Santiago, en partance pour Buenos Aires. Le réveil doit sonner d'ici une heure, et j'ai peu de temps pour tenter d'attraper ce rêve au vol. C'était comme une sorte d'assemblage, comme un ensemble de tiges, ou d'échafaudages, qui s'ajustait toujours à l'objet de mes pensées, pour m'en donner une représentation évidente.

Le mot c'est "évident". La chose s'adaptait à mon intention pour me rendre le Monde évident, simple. L'image s'enfuit et c'est dommage.

- Bon, soit mais qu'en tires-tu ?

- Il n'y a pas de conflit entre nos différents systèmes de représentation du Monde, tous se rejoignent, parce qu'ils sont pensés par des hommes, qui tous forment leurs idées en utilisant la même matière organique pour élaborer leurs représentations comme leurs discours. Nous voyons tous, nous entendons tous en employant les mêmes circuits neuronaux, les mêmes "routines" neuronales.

C'est vrai lorsque nous nous heurtons au Réel 𓁜, comme lorsque nous nous raccrochons à notre système Symbolique 𓁝, comme au sein d'une mère. Et le balancement entre les deux postures 𓁝𓁜 rythme nos pensées, comme nos battements de coeur et notre respiration rythment notre activité.

- Bon, ça, nous le savons déjà depuis un bout de temps... (Note 4)

- J'ai du mal à me raccrocher à ce rêve qui s'enfuit déjà, mais tout m'a semblé si simple sur l'instant. Par exemple, j'ai longtemps parlé sur ce blog de la nécessité de "tuer" Platon pour avancer... Oui et non : car son combat contre les Sophistes reste présent, et puis son recours à un principe Unitaire lui-même est dual !

- De quoi parles-tu ?

- Lorsque je réduis le schéma de son Imaginaire à cette bande de Moebius :

[1] [⚤] [♲] [1] 𓂀
[1] [⚤] [♲] [1] 𓂀

Il y a, quoi qu'il en ait, un passage du principe universel 𓁝[1] explicité en [1]𓁜, au 1 du multiple [1]𓁜 qui relève de la dualité la plus universelle. Lorsque Socrate, dans le Menon, affirme que "toutes les abeilles sont semblables en tant qu'elles sont abeilles" nous avons :

faisant 𓁝partie du genre 𓁝[1]𓁜 tout𓁜 le genre abeilles
       
  [1]𓁜 élément𓁜 [⚤]𓁜 du multiple

Je veux dire par là, que même dans sa tentative d'éradiquer toute pensée mythologique, il emprunte encore un même chemin ancestral, archaïque (Note 3). Il n'y a donc pas à combattre une pensée "unitaire", qui ne l'est pas, mais à la "comprendre".

Et c'est en cela que mon rêve, finalement, me semble exprimer l'idée que ma représentation de l'Imaginaire ne doit pas être vue comme un schéma figé :

[∃] [⚤] [#] [♲] [∅]
[∃] [⚤] [#] [♲] [∅]
[∃] [⚤] [#] [♲] [∅]
[∃] [⚤] [#] [♲] [∅] 

mais comme une sorte d'origami qui se plie et se déploie en fonction de nos besoins. Le pliage extrêmement renvoyant au symbole dual du Yin Yang.

Bon, j'arrête là pour aujourd'hui, il est temps de boucler les valises !


17h

- Puisque tu es coincé jusqu'à demain au Marriott, à cause de la grève générale d'hier en Argentine, qui a perturbé tout le trafic aérien, peux-tu nous en dire un peu plus à propos de ce rêve ?

- Trois faisceaux de pensées qui se croisent ces temps-ci.

1/ La Croix Inca ou Chacana, (ou plutôt Quechua, l'Inca étant l'empereur du peuple Quechua)

Pour les Quechuas, le monde est stratifié en 3 étages, chacun symbolisé par un animal :

  • L'étage céleste <=> le Condor;
  • L'étage terrestre des Humains <=> le Puma
  • L'étage sous-terrain des morts <=> le Serpent

- Rien de bien neuf : tu retrouves la division ternaire du Yi king. (Note 1)

- Comme celle de la société romaine, qui se perpétue chez nous jusqu'à la révolution dans la séparation Clergé/ Noblesse/ Tiers État, ou celle des dieux ternaires de Dumézil. On en parlait encore dans le dernier colloque Lysimaque. Comme tu le dis : rien de neuf, et c'est ça qui a retenu mon attention lorsque notre guide nous en a parlé en visitant Machu Picchu.

- Mais la croix elle-même ?

- La symétrie entre les 4 branches renvoie aux 4 points cardinaux, et là encore, cette quadri partition me renvoie à une autre, plus ancienne, en Chine cette fois-ci. (Note 2)

Mais plus encore : lorsque je ferme mon schéma de l'Imaginaire, pour y faire circuler mon Sujet, passant d'un niveau au suivant :

[∃]   [⚤] [#] [♲] [∅]

en fait, les niveaux [∃] et [∅] sont "collés l'un au revers de l'autre, et notre Sujet n'a que 4 espaces de jeux (je te renvoie à tous les articles récents du blog): 

  • [∃]𓁝𓁜[⚤]
  • [⚤]𓁝𓁜[#]
  • [#]𓁝𓁜[♲]
  • [♲]𓁝𓁜[∅]

Et donc, lorsque je fais tourner notre Suzanne dans son tore, je pourrais très bien utiliser cette croix Inca pour exprimer la même chose : imagine notre Suzanne sauter d'un étage à l'autre auprès chaque tour.

- Ça renvoie également à l'idée que Bouddha, doit faire tourner 3 fois la roue du Dharma pour que l'adepte puisse atteindre au Nirvana.

- Si tu veux, mais l'important, c'est l'universalité de la chose, derrière ses différentes représentations.

- Bon, OK, je vois à peu près pourquoi cette croix Inca t'a tiré l'oeil. Et le second faisceau ?

2/ L'équerre et le compas :

- Pour des raisons que je tairai ici, j'ai été amené à penser aux Francs-Maçons, et ça m'a frappé tout d'un coup : les 5 niveaux [∃][⚤][#][♲][∅] sont tellement universels qu'ils trouvent leur expression dans n'importe quel langage, même dans la symbolique maçonnique.

- Curieux de voir ça !

- Très simple à partir de cette évidence :

  • [⚤] <=> l'équerre;
  • [#] <=> le compas;
  • [♲] doit marier les deux (comme le lit commun du discret et du continu).

- C'est un peu court !

- Je te laisse des indices : il y a 3 façons de marier l'équerre et le compas, en fonction du grade auquel on ouvre les travaux en Loge (i.e.: apprenti/ compagnon/ maître).

- Et les extrêmes [∃] et [∅] ?

- Regarde bien à l'Orient où sont placées la pierre brute sur laquelle tu travailles 𓁜 et la pierre taillée à la perfection de laquelle tu aspires 𓁝 ... 

- Soit, et ton dernier faisceau ?

3/ Bouddhisme Chàn :

- Figure-toi que j'ai reçu avant-hier un message —ne m'était certainement pas destiné— qui a attiré mon attention sur le terme de "Bouddhisme Chàn", me renvoyant à un très vieil article écrit en 2007 : "Le mariage de la carpe et du lapin". J'avais été étonné à l'époque de trouver ceci :

"Les bodhisattvas sont des ouvriers qui transportent du fumier... Le nirvana et la bodhi sont de vieilles souches où attacher vos ânes. Les douze catégories d’enseignement sacré ne sont qu’une liste de fantômes, du papier pour essuyer le pus des furoncles... qu’est-ce que tout cela a à voir avec la salvation ?
Les sages ne s’adressent pas au Bouddha, ce grand assassin qui a attiré tant de gens dans les pièges du démon proxénète" (Xuanjian)

Or, le message en question traite des différents types de logiques à envisager, objet de la Note 1 de l'article de présentation de la méthode à HEC.

J'y explicitais assez en détail le problème de fond, syntaxique, qui joue derrière le choix d'une logique.

Me référant au cas de l'Homme au rat, qui avait été évoqué lors d'un atelier de psys, il m'était apparu évident, au fil de la discussion, que l'incohérence apparente de l'attitude de l'homme aux rats envers l'objet de son attachement, fait d'attirance et de rejet, s'expliquait assez facilement en considérant que la logique de mode ♢ s'occupait, par principe, d'un état "frontière", à l'oeuvre dans l'Imaginaire, mais indicible en mode ♧. Cette frontière, c'est le tiers exclu, qui met en défaut le principe de non-contradiction.

- Où veux-tu en venir ?

- Et bien, ce rappel inattendu m'a permis de voir sous un autre angle cette diatribe de Xuanjian : elle est du même ordre que les démonstrations de haine de l'homme aux rats envers l'objet de son affection. Les logique à l'oeuvre derrière ces discours sont de mode ♢.

Ce autour de quoi s'agite Xuanjian faute de l'exprimer, c'est le geste de Bouddha exprimant parfaitement son enseignement : (Note 5)

"Pour tenter d'expliquer un point de son enseignement, il se contenta de cueillir silencieusement une fleur d'udumbara. Aucun des disciples n'aurait compris le message qu'il tentait de faire passer, à l'exception de Mahakashyapa, qui aurait souri au Bouddha. Celui-ci lui aurait alors dit devant l'assemblée qu'il lui avait ainsi transmis son trésor spirituel le plus précieux. C'est une préfiguration de la description du chán que l’on prêtera à Bodhidharma : «Pas d’écrit, un enseignement différent [de tous les autres], qui touche directement l’esprit pour révéler la vraie nature de bouddha" Wikipedia

- Bon, soit, mais quel rapport avec les deux premiers points ?

- Je ne sais pas, je cherche mon ami, je cherche !

Hari

Note 1 :

J'en parle dans "L'homme Quantique"

«... dans les idéogrammes du Yi King : les deux traits supérieurs représentent le Ciel, les deux du milieu l’Homme, les deux du bas la Terre. Le «Grand Commentaire» du Yi King, attribué à Confucius, commence par :
« Le Ciel est élevé, la Terre est en bas
Ainsi sont déterminés l’Initiateur et le Réceptif
À travers cette disposition de bas en haut
Le plus et le moins de valeur sont en place.» p. 40 en version 
ebook.

Note 2 :

Voir "Convergence" et et « la pensée chinoise » de Marcel Granet.

-         books_003.png

« Le Ming t’ang (p. 90) constitue une prérogative proprement royale et la marque d’un pouvoir solidement établi. C’est une Maison du Calendrier, où l’on voit comme une concentration de l’Univers. Édifiée sur une base carrée, car la terre est carrée, cette maison doit être recouverte d’un toit de chaume, rond à la façon du Ciel. Chaque année et durant toute l’année, le souverain circule sous le toit. En se plaçant à l’orient convenable, il inaugure successivement les saisons et les mois... ». Par des moyens symboliques, l’empereur règne sur le monde au moyen des images qu’il transmet.

Note 3 :

Cette opposition entre le principe Unitaire, et un autre que l'on pourrait dire "entropie" du multitude allant jusqu'au désordre et la corruption (cf. l'opposition entre le Ciel et le monde sub-lunaire), Lévi-Strauss l'a retrouvé chez les Bororos dans l'opposition entre le bari et l'aroettowaraare.

« Chez les Bororos, par exemple, deux personnages particuliers font le lien entre la société et l’univers. D’une part, le bari, est lié aux forces naturelles :

« … Le bari est aussi dominé par son ou ses esprits gardiens, ils l’utilisent pour s’incarner. (…) Celui-ci est comptable envers l’esprit de ses flèches cassées, du bris de sa vaisselle de ses rognures d’ongles et de cheveux. Rien de tout cela ne peut être détruit ou jeté, le bari traîne derrière soi les détritus de sa vie passée. Le vieil adage juridique : le mort saisit le vif, trouve ici un sens terrible et imprévu. (…) On voit donc que, pour les Bororos, l’univers physique consiste dans une hiérarchie complexe de pouvoirs individualisés ».
La société se situe en dehors du monde physique :
«À côté de l’univers physique, l’univers sociologique offre des caractères tout différents. Les âmes des hommes ordinaires (je veux dire ceux qui ne sont pas sorciers), au lieu de s’identifier aux forces naturelles, subsistent comme une société ; mais inversement, elles perdent leur identité personnelle pour se fondre dans cet être collectif, l’aroe, terme qui, comme l’anaon des anciens Bretons, doit sans doute se traduire par : la société des âmes. »
L’intermédiaire entre la société des hommes et la société des âmes c’est le maître du chemin des âmes ou aroettowaraare.
« Il se distingue du bari par des caractères antithétiques. (…) Le bari est possédé par les esprits, l’aroettowaraare se sacrifie pour le salut des hommes. » La société des hommes, située entre ces deux mondes, gère son équilibre par l’intercession du duo antagoniste aroettowaraare / bari. Et, pour assurer son identité, pour survivre à l’existence particulière de ses membres, elle traite la mort des individus comme un « passage » entre ces deux plans. »  L'homme Quantique p. 41

 Note 4 : 20/ 03/ 2024

Les statistiques du blog montrent que l'article "Tao Te King et Dharma" est lu par quelques-uns ces temps-ci. Par curiosité, je m'y reporte, pour constater qu'effectivement je tourne encore autours des mêmes pensées qu'en 2008.

Note 5

Cette histoire sans parole, me renvoie à une autre, d'oiseau cette fois, sur laquelle j'avais fait un article "Le hasard et la nécessité" toujours en 2008. Je revenais alors de Nouméa où j'avais fréquenté la Sanga de la vallée du Tir...

 

 - De quoi parles-tu ?

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article