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Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...

L'Homme quantique

Marx à la moulinette

Bébé à la moulinette de Jean Christophe Averty

- Tu connais mon esprit "bout de ficelle — selle de cheval"? He bien je ne pouvais pas lâcher Hegel en rase campagne sans penser à sa postérité la plus évidente au sein de l'Occident : le matérialisme dialectique...

- Là, tu pars franchement en vacances de ta recherche.

- De toute façon, je n'ai pas l'esprit à poursuivre. Je dois rentrer en France d'ici peu, et je passe mon temps à faire mes adieux à des gens qui eux-mêmes sont en transit à São Paulo. Mouvement brownien d'un peuple d'émigrés... Bref, autant s'amuser à secouer le cocotier.

Comme tu t'en doutes, je n'y connais rien en la matière. J'ai bien dû subir quelques leçons sur l'aspect économique de la doctrine marxiste, mais à l'époque du DEUG, mon prof cherchait plutôt ses références du côté de Walras, et notre bouquin de chevet, c'était les 2 tomes du Barre, avec une approche résolument marginaliste de la valeur...

- Mais dis-moi, tu n'es pas là pour faire l'appel aux morts au moins? Qu'as-tu à grignoter sur ce vieil os marxiste?

- Déjà, dans cette dénomination "dialectique marxiste" qui me semble un oxymore.

- Tu peux préciser ?

- A priori : 

  • Matérialisme renvoie au mode objectif ♧;
  • Dialectique renvoie au mode relationnel ♢ (voir "Hegel — La dialectique");

Le marxisme doit donc, nécessairement, traiter du passage de l'un à l'autre, et comme tout ceci est de l'ordre du discours, nous nous retrouvons encore une fois au niveau [⚤] de l'Imaginaire :

[⚤]   =>   [⚤]
     
    [⚤]    

Maintenant, il sera peut-être intéressant, rétrospectivement, de voir comment ils se sortent de cette dualité ♧/♢, dans une démarche purement immanente S↑ (i.e.: ♧↑♢), et en récusant toute transcendance  S↓ (i.e.: ♡↓♧ ou ♡↓♢).

- Avec quand même une prise de conscience de la notion de "classe", c.-à-d. une pensée qui va, toujours a priori, jusqu'au niveau [#].

- Tu as raison, mais avec un traitement du niveau [#] uniquement en termes de langage [⚤], avec je le crains une logique limitée au 1er ordre, soit [⚤].

- Bon, tout ceci marque tes propres préjugés, avant même d'avoir la moindre idée de ce à quoi se réfère cette étiquette de "matérialisme dialectique"! Il est temps d'avancer...

- Commençons par Wikipedia, et allons directement au paragraphe :

Influence initiale de Hegel :

"Karl Marx, tout en étant fidèle à la méthode de Hegel, s'oppose diamétralement au fond de sa pensée. Hegel, en effet, est un idéaliste en ce qu'il considère qu'Histoire et idée se confondent, le développement de l'une n'étant que l'épanouissement de l'autre. L'Idée, expression de la divinité, existe de toute éternité (thèse), mais s'«aliène» à un moment donné pour s'incarner dans la nature (antithèse), la conscience de l'homme, spontanée d'abord et réfléchie ensuite fournissant la synthèse. Marx reproche à Hegel d'avoir maintenu l'idée du mouvement dans les bornes de la pensée philosophique pure, soit d'avoir fait de l'Esprit l'origine de la nature et de l'homme, niant ainsi l'être objectif de l'homme, à savoir ses rapports de dépendance à l'égard de la matière."

Que l'idée soit l'expression de la divinité nous renvoie immédiatement dans le cadre Platonicien, et nous avons déjà beaucoup dit que c'est ce cadre qu'il convenait en tout premier de subvertir. (Note 1)

Que l'idée s'aliène pour s'incarner dans la nature, nous renvoie à toute la vieille discussion en Platon et Aristote, à la querelle des universaux etc. Ça devient aussi lassant que corriger des copies de bac...

- Dis-en un peu plus, quand même !

- Il s'agit du passage [⚤]↓[⚤], où tu retrouves la dualité entre l'Un et le multiple, nous en parlions encore ici dans l'article "J'ai rêvé du Tao", et dans "Hegel — La dialectique".

- Donc, tu es assez en phase avec les Marxistes qui rejettent cette idée ?

- Oui dans le refus, mais la méthode est obsolète : refuser toute transcendance S↓ pour rechercher une immanence pure S↑, à partir d'un "matérialisme" en mode objectif ♧ est totalement sans issu. Et d'abord cet effort S↑ pour monter vers quoi? Lis la suite :

"Pour Marx, au contraire, l'Histoire n'est pas le seul produit de l'humanité pensante, mais en premier lieu celui des forces matérielles. Le retournement opéré par Marx se fonde sur le matérialisme de Ludwig Feuerbach, hégélien «de gauche» qui, en élaborant la théorie de l'aliénation religieuse, fait évoluer l'hégélianisme vers l'athéisme. Marx et Engels adoptent dès lors l'athéisme humaniste de Feuerbach: le matérialisme de ce dernier leur apparaît cependant incomplet, car il interprète la connaissance d'après le critère immuable d'une nature primordiale, déterminée de manière abstraite."

Comme tu le vois, l'athéisme de Feuerbach se heurte au même problème : il ne suffit pas de tuer Dieu, car la place laissée vacante demande à être marquée pour assurer la posture ex ante du Sujet : 𓁝[∅]. Dans l'idée de Dieu [1], du vide [∅] ou du Yin , ce n'est pas l'étiquette qui importe, mais la posture 𓁝 du Sujet. Ici, contrairement à la blague bien connue, quand le sage te montre la Lune, ce qui compte, ce n'est pas la Lune, mais le doigt ! 

- Donc, là encore, tu es du côté de Marx ?

- Oui dans le refus, mais toujours pas dans la manière. D'abord, l'athéisme humaniste de Feuerbach, répond un peu à ma critique, en ce sens, qu'après avoir détrôné Dieu, il met une "nature primordiale" de l'Homme à la place, ce qui assure la posture 𓁝 du Sujet, devant cette nouvelle idole. L'erreur, c'est de récuser cette idole, pour limiter le Sujet à la seule posture ex post 𓁜, face au Réel : [∃][⚤]𓁜. Et donc, c'est râpé d'entrée de jeu...

Dialectique et matérialisme chez Marx et Engels :

"... Dans la théorie du matérialisme historique, le mouvement du contenu – historique, social, économique, humain et pratique – implique une certaine dialectique : à savoir celle de l'opposition des classes, de la propriété et de la privation, et du dépassement de cette privation. À cette époque, la théorie économique de Marx n'est pas encore complètement élaborée. Il faut attendre 1858 pour que revienne, sous la plume de Marx, une mention non péjorative de la dialectique, alors qu'il mène les travaux préparatoires de la Critique de l’économie politique et du Capital : il ressort de sa correspondance avec Engels que c'est à cette époque que Marx retrouve et réhabilite la méthode dialectique. En élaborant les catégories économiques et leurs connexions internes, Marx dépasse l'empirisme et en vient à redécouvrir la dialectique : en la débarrassant de son idéalisme, Marx vise à en faire la forme juste du développement des idées."

Ce qui me paraît intéressant dans ce passage, c'est que la dialectique s'impose à Marx, dès lors qu'il commence à penser en termes relationnels. Or, nous l'avons vu chez Hegel, la dialectique est implicitement rattachée au mode ♢; par ailleurs, la réflexion part des classes, autrement dit, du niveau [#].

- Tu nous ramènes à la dualité homologie/ cohomologie ?

- Oui, avec sans doute une réflexion d'ordre générale qui me vient à l'esprit, en repensant au développement de la topologie algébrique à partir des travaux de Poincaré. On commence plus facilement à penser au niveau [#], celui de la géométrie et de la topologie, du continu et d'une posture 𓁝[#] "locale", pour ensuite nous tourner du côté discret de l'expression algébrique et logique [⚤]𓁜. Poincaré pense au groupe fondamental Ω à partir d'une réflexion topologique, et d'une expression géométrique. C'est ensuite qu'apparaissent les difficultés pour exprimer algébriquement ce qui paraît simple en homotopie, d'où des simplifications d'une situation en [#], des symétrisations, pour que ça rentre dans des cases en [⚤].

Je vois là, dans l'histoire du marxisme, une évolution du même type.

Mais tu vois du même coup l'ambiguïté du développement : pour affirmer l'ancrage marxiste dans le réel, pour enraciner un mouvement purement immanent S, en [⚤], il faut partir des relations en [#] et assumer implicitement un mouvement S:

- Autrement dit il y a de facto un double mouvement :

  [⚤]
[#]  
       
  [⚤]      

- Avec tout ce que nous avons déjà vu des changements de logiques à appliquer pour passer d'une case à l'autre. Poursuivons :

"La dialectique marxiste est élaborée en partant des déterminations économiques, ce qui permet de dépasser l'abstraction pour unir la dialectique au matérialisme. En employant la méthode dialectique, Marx vise à étudier une réalité objective déterminée, en analysant les aspects et les éléments contradictoires de cette réalité : le but étant de retrouver la réalité dans son unité, soit dans l'ensemble de son mouvement".

Aïe, là ça fait mal ! On retrouve, tout au fond du fond, l'idée que dans cette démarche S, il y a une unicité à retrouver !

- Autrement dit on a bien le mode syntaxique ♡ pour chapeauter le tout ?

- Comment pourrait-il en être autrement ? Poursuivons :

"... En s'inspirant de Hegel, la méthode marxiste affirme que l'analyse suffisamment approfondie de toute réalité atteint des éléments contradictoires : le positif et le négatif, le prolétariat et la bourgeoisie, l'être et le néant ; cette importance des contradictions, reprise de Hegel, est appliquée par Marx à l'analyse de la réalité sociale et économique."

Bon, là il y a évidemment une erreur de taille. Appliquer la logique du 1er ordre, en [⚤], aux rapports sociaux économiques, de mode ♢, ça ne tient pas la route une seconde. Pense au traité de non-agression Staline — Hitler : avoir un ennemi commun n'implique pas que l'ennemi de mon ennemi soit mon ami (i.e.: ¬¬ami≠ami) ! Ça donnera dans les années 70 le terme de "compromis historique", qui est le constat politique de l'existence stable d'une frontière entre 2 états antagonistes, bref le tiers exclu de la logique du 1er ordre.

"... Dans chaque réalité, il faut appréhender des contradictions propres et son mouvement propre : la méthode permet d'en aborder efficacement l'étude en saisissant l'aspect le plus général de chaque réalité étudiée"

L'idée que l'Imaginaire se réfère à une "réalité" dont on connaîtrait la structure intrinsèque conduit à la même erreur de perspective déjà relevée chez Hegel : la contradiction n'est jamais une donnée du Réel, mais une reconstruction Imaginaire, à partir d'un percept qui s'oppose à un concept acquis. C'est ce que l'on retrouve en cohomologie lorsque l'on veut construire le triangle de Penrose en 3D à partir d'éléments 2D (voir ici dans "Parole et création #1"). Il y a la "dernière dimension" qui s'oppose "au reste". (Note 2)

- Et c'est grave docteur ?

- Oui, car celui qui présente la contradiction comme "allant de soi", disqualifie toute discussion sur son identification, en catalysant l'énergie de l'interlocuteur sur les moyens d'avancer, ou un choix à faire, dans le rapport dialectique ainsi instauré. En être convaincu, c'est une erreur, mais on peut également arguer de cette "réalité" pour manipuler l'Autre (Note 3)

- On n'est pas loin d'Orwell...

- En plein dedans, veux-tu dire ! D'ailleurs la méthode est séculaire, reviens à Socrate face à Menon, ou même à son jugement, lorsqu'il compare l'éducation des enfants à l'élevage des chevaux. C'est même une tactique de vente très connue: au lieu de demander au chaland s'il veut acheter un tapis, on lui demande s'il préfère le rouge ou le bleu.

- Tu en restes à des critiques liminaires, mais qu'apportent les marxistes à la dialectique de Hegel ?

- Tu as raison, revenons au texte :

"Marx et Engels distinguent trois «lois de la dialectique», à savoir le passage de la quantité à la qualité, la négation de la négation et l'unité des contraires."

Avec un renvoi au travail de Georges Labica et Gérard Bensussan, Dictionnaire critique du marxisme, Presses universitaires de France, 1982, 1240 p. (ISBN 978-2-13-049872-8).

- J'ai l'impression que tu t'attaques à du lourd, là !

- Je n'en ai pas les compétences. Je cherche juste de quoi picorer dans ce qui se présente à mes yeux, et les 3 thèmes me semblent intéressants. Malheureusement la suite du texte de Wikipédia me semble un peu verbeuse, et je ne trouve que ceci pour m'éclairer :

  • "La loi du passage de la quantité à la qualité signifie que tout changement qualitatif a pour base objective une modification quantitative de la réalité dont il est le résultat ; d'autre part, toute transformation matérielle s'accompagne d'une rupture qualitative
  • La loi de la négation de la négation considère que le développement de toute réalité s'explique par le mouvement de ses contradictions internes.
  • Enfin, la loi de l'unité des contraires signifie qu'aucune contradiction ne se ramène à une opposition mécanique : la lutte des classes n'est donc pas l'affrontement de groupes sociaux autonomes, mais de contraires objectifs – la bourgeoisie et le prolétariat unis par leur appartenance commune au système capitaliste."

- Ça ne nous éclaire pas beaucoup...

- Non, et plutôt que de passer beaucoup de temps à fouiller les archives, j'aime mieux rester à l'écoute de ce que cela évoque en moi. Après tout, n'est-ce pas pour aller gratter des idées neuves que nous faisons cet exercice ?

Quantité et qualité : Sincèrement, rien ne me vient à l'esprit : qu'est-ce que la quantité ?, Qu'est-ce que la qualité ?

- Tu fais la bête : la quantité c'est l'accumulation du même, nous sommes en [⚤]𓁜 !

- Mouais, mais c'est limité au discontinu. Pour mesurer l'aire d'une surface en [#], il faudra comme nous l'avons vu aller jusqu'en [♲] pour définir une mesure, qui s'exprime en [⚤]. Donc le terme de "quantité" manque de précision, sans parler de son évolution d'un mode à l'autre ♧/♢/♡!

Quant à la qualité, c'est encore plus vague.

- Pense au "processus qualité"...

- Oui, en ce sens, la qualité tiendrait à un jugement par rapport à une grille de lecture ? Mais ce n'est pas suffisant : une quantité se rapporte également à une autre quantité prise pour unité.

- On parle de "saut qualitatif". Par exemple tu passes d'un "pâté de sable" à une "brouette de sable", avec un effet de seuil.

- Autrement dit le passage de la "quantité" à la "qualité" tiendrait à un changement de grille de lecture ? En ce cas l'assertion : "tout changement qualitatif a pour base objective une modification quantitative de la réalité dont il est le résultat" me semble bien pauvre, et surtout elle manque d'indiquer le choix du Sujet de changer de grille de lecture. Franchement, et à première vue, je ne vois pas trop l'utilité de cette assertion. Peut-être faudrait-il revenir à Žižek... Je me souviens d'en avoir parlé il y a une dizaine d'années dans un article sur "La relativité d'échelle".  Il y a peut-être un lien à creuser entre cette relativité, qui mène à une représentation fractale et ce passage de quantité à qualité ?

Négation de la négation : Si dans une dualité (a,b) la négation de la négation fait "avancer" le processus dialectique, c'est que ¬¬a≠a, sinon on reviendra au point de départ a, et donc nous n'appliquons pas la logique du 1er ordre, mais celle propre à [⚤], c'est une confirmation de ce que nous avions déjà avancé. 

L'unité des contraires : j'aime mieux dire que les parties forment un tout. Autrement dit chaque classe, prolétariat ou Bourgeoisie, est en posture 𓁝[#] d'un tout, qui est la société capitaliste [#]𓁜.

  • Le lien social s'exprime en [#], dans une logique sans tiers exclu;
  • Les représentations sociales sont des projections [#]↓[#].

Et franchement, pour discuter de la manipulation sociale par la bourgeoisie, je préfère en revenir à Bourdieu ! (Note 4)

- C'est tout ? C'est un peu maigre...

- D'où l'urgence politique de se bouger le cul... À bon entendeur 😉

- Amen.

Hari

Note 1 :

Très franchement, j'en ai suffisamment parlé pour que ceux qui me suivent le sachent vraiment; bienvenue aux nouveaux venus et bonne exploration du blog en faisant une recherche sur "Platon".

Note 2 :

Le meilleur exemple qui me vienne, c'est celui du langage LISP qui permet de programmer à partir des concepts d'élément distingué (CAR) et de reste de la liste (CDR).

Note 3 :

En écrivant que quelqu'un peut présenter comme allant de soi une construction de son fait, me fait bien sûr penser au "salaud" de Sartre, mais c'est un développement qui nous éloignerait encore du sujet...

J'ai piqué ceci à la volée :

"Pour Sartre, l’adulte est un «salaud» :
«Le salaud est celui qui, pour justifier son existence, feint d’ignorer la liberté et la contingence qui le caractérisent essentiellement en tant qu’homme », montre-t-il dans La Nausée (1938).
Trois traits permettent de le définir : l’importance sociale, l’esprit de sérieux et la mauvaise foi."  voir "l'adulte est un salaud" article de Martine Fournier  Sciences Humaines N° 193 - Mai 2008

Dans le contexte, on peut assimiler la posture de l'adulte à celle du docteur de la loi, celui qui détermine les deux pôles de la dialectique...

Note 4 :

Voir : 

 

 

 

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