Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...
4 Février 2016
... Comme on tue son père. Je l'écris ainsi sans l'espoir, ni même l'envie réelle d’en finir avec lui, puisqu'il est l’Autre idéal avec lequel je ne cesse de parler.
Mais il faut bien avancer, là où il ne le pouvait, faute des outils pour le faire. Le nœud de l’affaire c’est précisément son "nœud borroméen" où s’entrelacent Réel, Imaginaire et Symbolique.
Le nœud n’est pas une métaphore, une image ou une représentation du réel. Le nœud est le réel. Le nœud, s’il n’est pas une représentation, une idée de la structure, effectivement n’a pas à être pensé mais manipulé : » […] pour opérer avec ce nœud d’une façon qui convienne, il faut que vous vous fondiez sur un peu de bêtise. Le mieux est encore d’en user bêtement, ce qui veut dire d’en être dupe ".
Si je ressens la justesse de ce discours, force m'est de constater que son énonciation empâte la bouche. Tout simplement parce que son objet même (i.e.: dire cette évidence que le Réel, l’Imaginaire et le Symbolique sont "intriqués" dans le vécu du sujet) voudrait s’affranchir des nécessités formelles de son articulation, impliquant des coupures entre les concepts. C’est dire d’une même voix qu’il n’y a pas de coupure entre les concepts R / I / S, tout en utilisant pour ce faire des mots qui les discriminent et donc les isolent les uns des autres. Un yodel impossible.
Pour résoudre le dilemme, Lacan oublie qu’il en parle (coincé dans son Imaginaire) en statuant (donc en parlant) "le nœud c’est le Réel". Mais c’est une lapalissade : tout concept (i.e.: Imaginaire par nécessité) confronté au Réel subit un choc osmotique qui le fait disparaître, comme la membrane plasmique d'une cellule vivante (organisée) explose dans l'eau distillée. C'est ce que nous n'arrêtons pas de mettre en évidence, même dans les discours les plus formalisés concernant notre rapport au Réel (en mathématiques, en géométrie, en physique). En fait, on ne peut rien dire du Réel, encore moins le structurer. C’est un vaste fourre-tout qui frappe ponctuellement (par poings) notre conscience ; on ne peut donc pas dire autre chose du Réel qu’il "est", (lorsqu’il déstabilise l’Imaginaire, pour en rester au couple lacanien tuchê - automation) ; dans la plus pure tradition de l’âge classique, nous voici retournés au Siècle des lumières, tout occupé d’ontologie, à tourner autour de cet être, qui déjà fige l'étant (et le temps aussi, oui, mais pas l'étang.)
Dire (donc depuis l'Imaginaire) que le nœud borroméen joint Réel /Imaginaire / Symbolique, et le justifier en le situant dans l’une de ces instances particulière, le Réel, sorte de bouteille de Klein où tout est dans tout et vice-versa, c’est sans doute ce qui se rapproche le plus du vécu, de l’indicible, mais reste précisément indicible, et donc de peu d’utilité pour structurer un discours. N’est-ce pas ?
Et c’est cela qu’il faut dépasser, en arrêtant de prendre l’automatisme de répétition du chien courant après sa queue pour une figure de Ouroboros.
Pour faire un discours, il faut discriminer les concepts, il faut réifier les actions, figer les mouvements. Ceci dit et bien présent à l'esprit (en pleine conscience, donc), nous avons la possibilité de comprendre la structuration du discours conscient en strates superposées en prenant simplement les précautions qui nous sont maintenant familières : discriminer les concepts synchroniques et diachroniques, noter les niveaux de discours considérés, et ne pas oublier notre position relative par rapport à ce dernier. C’est une gymnastique qui doit devenir une hygiène intellectuelle.
Le discours psychanalytique se veut un discours conscient (conscient de sa propre structure) dont l’objet est un discours inconscient (i.e. : dans lequel les repères précédents s’effacent). D’où la nécessité absolue, d’avoir, en tout premier, une théorie claire sur ce qui différencie la conscience de l’inconscience. Nous avons abordé le sujet il y a déjà quelque temps (cf. l’article conscient/ inconscient.) L’erreur fondamentale serait de vouloir singer la structure (en l’occurrence le manque de structure) du langage cible (l’inconscient) dans le discours psychanalytique (conscient.) Croire que l’on est profond parce qu’insondable ou que l’écho doit raisonner puisqu'il résonne…
D’où la nécessité de poursuivre la recherche de Lacan sur les "mathèmes". Démarche collant à celle de Leibniz (i.e.: "...pour opérer avec ce nœud d’une façon qui convienne, il faut que vous vous fondiez sur un peu de bêtise. Le mieux est encore d’en user bêtement."), qui cherchait à automatiser le discours mathématique, et s’intéressait en particulier aux systèmes d’équations. Travaux qui conduiront au concept de déterminant. C’est dire que la réflexion en psychanalyse doit suivre un développement entrepris en mathématiques, il y a trois siècles.
Voilà, c’était un billet d’humeur, un signet posé en attente d'une étude systématique des mathèmes de Lacan à entreprendre. Nous les avons déjà tous un peu côtoyés et vu, par exemple, sur le schéma en L, que le discours lacanien souffrait de ne pas discriminer les différents niveaux synchroniques, de même qu’il ignore la forme canonique des mythes. Pour tout dire, c’est un discours "inconscient" de la psychanalyse… Inconscient de sa structure, bien sûr, pas de son objet ! ;-)
Je vais me faire des amis, c’est sûr.
Rendez-vous, donc, pour en discuter prochainement.
Hari.