Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...
6 Février 2016
En suivant les derniers articles sur le "blog à Lupus", il me semble hautement probable que nous allions assez directement dans le mur; et que notre société pourrisse par la finance. Mais, si les signes se précisent, je ne vois pas de véritable compréhension de ce qui nous arrive.
Or, ce qui nous occupe ici, sur ce blog, permet de caractériser assez simplement le phénomène en question. Et creuser les fondements comme je m'y applique, n'interdit pas de passer aux travaux pratiques, n'est-ce pas?
C'est donc l'occasion de reprendre ici quelques développements sur l'évolution sociale, tels que je les présentais dans l'Homme Quantique.
En ce début de XXIe siècle, on aurait pu penser que la doctrine libérale avait atteint son acmé, mais non, il n’en est rien : les financiers ont pris de nos jours le pas sur les capitalistes de la révolution industrielle.
Lorsque le 15 août 1975, Richard Nixon dénonce la convertibilité or / dollar instituée par les accords de Bretten Woods, la portée symbolique de cette décision dépasse très largement le but qu’il se fixait. Il ne s’agit pas d’un acte politique banal, car disparaissent alors les derniers liens entre la finance et l’« économie réelle ». La monnaie, signe jusqu’alors de la valeur d’un objet, ne renvoie plus qu’à elle-même. Les jeux spéculatifs deviennent l’essence même du champ financier, son idéal de fonctionnement. Le saut diachronique, qui portait de la rareté à sa valeur est supprimé. En conséquence, la valeur de l’argent, considéré comme simple marchandise ne résulte d’aucun acte diachronique se nourrissant de répétitions d’actes synchroniques. La création monétaire à partir de la monnaie elle-même manque ainsi du ressort nécessaire à toute création ; la finance se ramène à un simple jeu synchronique élémentaire entre acheteur et vendeur, ni plus ni moins qu’une partie d’échec ou de roulette russe.
Vous m’objecterez, sans doute, que ceci est faux, que l’argent reste lié à la valeur des marchandises, puisque nous faisons quotidiennement des achats. La preuve en est que si la monnaie ne reflète pas la valeur marchande des biens et services, il peut y avoir inflation ou déflation. C’est vrai, le mécanisme que je mets ici en évidence n’abolit pas ce rôle primaire de la monnaie, il s’y superpose. De même que la pulsion unaire venant avec le langage ne supprime pas un instinct de domination déjà à l’œuvre chez les mammifères supérieurs, il s’y surajoute, se combine avec lui pour déterminer le jeu politique.
Pour en revenir donc à l’avènement de ce nouveau paradigme financier, l’une des conséquences en est que la création financière ne suit plus les règles qui régentent la circulation de l’énergie dans les transactions portant sur des marchandises ou des services. C’est dire que le jeu financier ne respecte pas le second principe de la thermodynamique : l’argent qu’il créé peut croître ad libitum. Il n’y a aucune contrainte écologique à sa circulation ni à sa création. Le marché à terme est l’exemple emblématique de ce jeu spéculatif. Je peux recevoir maintenant le prix de la vente d’un titre que je ne possède pas, mais que je m’engage à acheter en fin de mois et gagner un bénéfice sur cette transaction si la valeur du titre baisse d’ici là. J’aurai alors créé de l’argent à partir de rien.
Le point théorique, auquel je veux vous mener est le suivant : en ramenant la monnaie, signe de la valeur d’une marchandise, au rang de marchandise, les financiers se heurtent formellement, dans le domaine économique, à un problème d’incomplétude semblable à celui que Gödel mit en évidence dans le domaine des mathématiques. En ramenant un métalangage au niveau de son langage-objet, l’opération permet l’expression de propositions indécidables. C’est-à-dire, très explicitement, qu’un gain d’un million d’Euros représente indifféremment, soit une certaine somme d’efforts pour un ouvrier sur une chaîne de production, soit un déplacement d’un bit d’information dans un programme informatique de gestion de fonds (comme un basculement entre achat / vente). Je peux très bien concevoir un tel programme fonctionnant de façon autonome, le doter d’un compte en banque, d’une mise de fonds initiale et le laisser tourner sans plus aucune intervention de ma part. Quelle est la valeur de cette activité purement mécanique ? Je peux dire, indifféremment, qu’elle vaut le gain réalisé, ou qu’elle ne représente rien, puisque sans aucune création réelle en contrepartie. C’est, dans le champ social le pendant à l’automatisme de répétition dans le champ psychanalytique, ou au principe d’inertie en mécanique. Et l’« au-delà du principe de plaisir » de Freud devient ici un « au-delà de l’équilibre économique ».
Cette stérilité fondamentale du jeu financier laissé à lui-même, spéculatif, explique qu’il soit incapable d’auto-contrôle par quelque ressort interne qui soit. Une décision politique telle qu’une dévaluation, une modification du taux interbancaire, ou du niveau des fonds propres des institutions financières, l’affecte immédiatement, sans inertie : le jeu financier s’y adapte, sans pouvoir le contrôler.
L’activité financière dépend entièrement de règles exogènes qui circonscrivent son jeu, purement synchronique. En ce sens, la puissance financière ne reflète que l’impuissance du politique à en théoriser et contrôler les mécanismes. La seule ruse, s’il en est une, de la sphère financière pour asseoir sa puissance c’est d’avoir emprunté le « laisser-faire » hérité du capitalisme industriel dont il est né, pour vider ce dernier de sa propre substance, en démantelant ses entreprises, et faire passer cette vampirisation pour une loi naturelle irréfragable. De cette façon, l’entrepreneur industriel, qui venait de plier le politique à sa loi lors de la révolution industrielle, s’est mis sous la coupe du financier à cause de l’impuissance même dans laquelle il a réduit le politique. La comédie prêterait à rire si nous n’en faisions partie.
En résumé :
L’une des conséquences de cette évolution, la plus facile à observer, est une accélération des processus sociaux lorsque l’on passe d’un système au suivant. Le politique, par exemple, doit envisager des régulations à long terme, pour garantir la survie du groupe, au-delà de l’espérance de vie de ses membres. Le profit du capitaliste se juge à plus courte échéance, typiquement au fil des bilans annuels (voir trimestriels sous la pression de la bourse). Les transactions financières à caractère spéculatif sont très rapides. Nous parlons de temps de transaction en termes de secondes.
Tant que je garde quelque recul par rapport à mes échanges, cette accélération conforte mon sentiment « d’ex-ister » (i.e. : sentiment de stabilité de type « temporel ») ; le passage à la limite se produisant dans l’instant où je perds tout recul pour me précipiter dans la pure répétition du jeu synchronique. Nous pouvons schématiser cette évolution de la façon suivante :
Dire ceci, bien entendu n’apporte pas de solution… Se représenter correctement les choses est utile, mais ne fait pas une politique… C’est juste une étape préliminaire pour bien poser le problème. Cela montre néanmoins l’enjeu Symbolique du processus. Il y a en effet, dans le passage d’une structure à l’autre un changement radical dans la dynamique du système. Les ressorts du mouvement ne sont pas les mêmes, les aspirations Symboliques non plus
L’une des très grandes erreurs de jugement, et la plus commune, est de regrouper ensemble les capitalistes économiques (dont la fortune et le pouvoir sont basés sur une "production") et les capitalistes financiers (dont le pouvoir ne s’assoit que sur des jeux spéculatifs). Nous retrouvons ici, comme toujours une sorte de dégénérescence, lorsque la structure Imaginaire s'appauvrit. Et les chocs trumatiques avec le Réel, faute de ce matelas Imaginaire, sont d'autant plus violents. J'ai grand peur que nous n'en fassions très vite d'expérience.
Sur ce, bon week-end, en attendant le déluge ; et banzaï !
Hari