24 Mai 2025
Le 24/ 05/ 2025 :
- Je ne sais trop comment, à partir de Bayrou tu en es venu à commenter l'Éthique de Spinoza? Il était question je crois de parler de la liberté ou non pour le citoyen Bayrou de "voir" le comportement du personnel de Bettaraham et de le juger pour ce qu'il fût. Mais je n'ai toujours pas la réponse, et surtout pas de positionnement très clair du concept de "Liberté".
- Je te propose une démarche en deux temps : nous allons préciser sur notre topos Imaginaire de quelle façon nous tenons compte d'un indéterminisme fondamental dans notre représentation des mouvements du Sujet, pour voir ensuite comment cette représentation recoupe —ou non— ce que des philosophes marquants ont pu en dire.
1/ De l'indéterminisme à la Liberté du Sujet : (cf. "Syntaxe de l'Imaginaire")
- Rappel sur les principes de base concernant les déplacements du Sujet, désigné de façon dichotomique par 𓁝𓁜:
Ensuite, nous avons vu que ces deux axes modes/ niveaux conduisent à représenter l'espace Imaginaire du Sujet sour forme d'un cross-cap.
Maintenant, lorsque le Sujet veut élargir son champ d'exploration du Monde, nous avons vu qu'il circule sur ce cross-cap selon 4 circuits principaux (voir "Un GPS pour circuler sur le cross-cap")
Tout ceci est basé sur l'idée fondamentale, issue de la mécanique quantique, que la description de ces mouvements respecte le triptyque d'Emmy Noether: Symétries/ Quantité conservée/ incertitude.
- Et c'est là que ton incertitude est en rapport avec la liberté du Sujet ?
- Il s'agit de l'incertitude de l'observateur 𓂀 dont l'attention se porte sur un "objet" dès lors qu'il devient "observable". Lorsque l'objet en observation est un Sujet, nous avons une situation de type :
𓂀♡ | 𓂀♡ | |||||
↑ voie (♧𓁜𓁝♡) ↓ | [∅] | [∅] | [∅] | |||
[∃]♡ | [⚤]♡ | [#]♡ | [♻]♡ | [∅]☯ | ||
[∃]♢ | [⚤]♢ | [#]♢ | [♻]♢ | [∅] | ||
☯[∃]♧ | [⚤]♧ | [#]♧ | [♻]♧ | [∅] | ||
[∃]⚤ | [∃]# | [∃]♲ | ||||
𓂀♡ | ←voie (☯𓁜𓁝☯)→ | 𓂀♡ |
où l'observateur 𓂀♡ se représente le Sujet observé comme une pièce sur un échiquier.
- Une partie d'échecs où le Sujet 𓁝𓁜 est l'adversaire de l'observateur 𓂀♡?
- Exactement : mon incertitude est liée à sa liberté de choix. Maintenant il y a un effet pervers : Le choix du Sujet dépend de sa propre perception de l'échiquier.
- Autrement dit la perception de la liberté du Sujet est relative au point de vue adopté ?
- Oui, et c'est ce qui rend très difficile d'en parler de façon "absolue".
- D'où l'importance du repérage des automatismes de répétition ?
- Exactement. Reviens aux 4 discours de Lacan (cf. "Les 4 discours et le cross-cap de Lacan")
et prends par exemple les rapports du Maître et de l'esclave :
2/ La liberté de l'esclave :
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1 maître | 2 esclave | 3 maître | 4 esclave |
Nous croisons ici 3 points de vue :
- Il y a en fait deux topologies Imaginaires, celle du Maître et celle de l'esclave, dont 𓂀♡Hari , ne voit qu'une partie. Pense à 𓂀♡Hari , comme un philosophe faisant une observation.
Ce que 𓂀♡Hari voit du Maître :
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1 maître | 2 esclave | 3 maître | 4 esclave |
Ce que 𓂀♡Hari voit de l'esclave :
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1 maître | 2 esclave | 3 maître | 4 esclave |
Mais est-ce, ce que le Maître et l'esclave voient de la situation ?
- Non, leur échange est limité à une rencontre sur deux niveaux en mode ♧ : (Note 1)
- Tu me donnes le tournis ! Je te pose une question simple pour définir la liberté, et tu me sors une carte du tendre où je m'y perds !
- C'est ça le problème : la réponse n'est pas absolue, mais relative au point de vue adopté. La seule chose dont je me sois assuré, c'est qu'au niveau quantique,𓂀♡Hari va retrouver une indétermination dans le passage d'états intriqués en [♻]♡ à l'objet observé en [⚤]♧.
- OK, mais essaie au moins de situer dans ta représentation le discours d'un autre observateur. Prends par exemple Sartre à la terrasse du Flore en train de juger le comportement du serveur.
"Considérons ce garçon de café. Il a le geste vif et appuyé, un peu trop précis, un peu trop rapide, il vient vers les consommateurs d’un pas un peu trop vif, il s’incline avec un peu trop d’empressement, sa voix, ses yeux expriment un intérêt un peu trop plein de sollicitude pour la commande du client, enfin le voilà qui revient, en essayant d’imiter dans sa démarche la rigueur inflexible d’on ne sait quel automate tout en portant son plateau avec une sorte de témérité de funambule, en le mettant dans un équilibre perpétuellement instable et perpétuellement rompu, qu’il rétablit perpétuellement d’un mouvement léger du bras et de la main.
Toute sa conduite nous semble un jeu. Il s’applique à enchaîner ses mouvements comme s’ils étaient des mécanismes se commandant les uns les autres, sa mimique et sa voix même semblent des mécanismes ; il se donne la prestesse et la rapidité impitoyable des choses. Il joue, il s’amuse. Mais à quoi donc joue-t-il ? Il ne faut pas l’observer longtemps pour s’en rendre compte : il joue à être garçon de café.[...]" L'Être et le néant.
Prends le même Sartre observant un maître du thé (ou “chajin” 茶人) servant le thé, ou pourquoi pas, un prêtre interprétant le Christ offrant son sang durant la Sainte Scène. De son point de vue totalement étranger à la culture imprégnant l'esprit du chajin, comme du prêtre, il pourrait les décrire pratiquement dans les mêmes termes, mais ce faisant, nous livrerait-il une observation "vraie" de ce qu'il observe, ou une projection de ce qu'il est, et conditionne son discours ? On est d'accord que l'idée de "mauvaise foi" est le jugement de Sartre (𓂀♡Sartre) porté sur la scène. Point de vue que je (𓂀♡Hari) ne suis pas forcé de partager, mon seul engament envers le lecteur, mon pari, est que je peux exprimer ce jugement de Sartre à l'aide de notre topologie Imaginaire.
- Et donc ?
- Le garçon de café rend visible qu'il est un garçon de café, en singeant l'ordre du maître dans la voie des mots 𓁝♡⚤↓♧⚤𓁜. Il magnifie la parole du maître.
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1 paraître | 2 servir | 3 | 4 |
Ça, c'est l'observation brute, rapportée par Sartre repérant ce mouvement comme "un jeu"; maintenant, l'interprétation de Sartre est que cette "projection" du Sujet en costume de serveur en [⚤]♡ ne représente pas ce qu'il est pour lui-même en [♻]♡ i.e. dans le mouvement [⚤]♡←[♻]♡.
"C’est qu’on joue à être garçon de café. Il y a là une manière de s’engager dans sa condition, de s’y emprisonner, de se faire être garçon de café, comme on se fait être bourgeois, comme on se fait être militaire, comme on se fait être amoureux. Or, ce n’est pas du tout un hasard si le garçon de café affecte de croire qu’il n’est qu’un garçon de café, comme si sa condition était de se réduire à ce rôle. C’est précisément ce que nous appelons la mauvaise foi.»" L'Être et le néant.
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1 paraître | 2 servir | 3 Sartre | 4 Sartre |
- Autrement dit, la mauvaise foi du serveur serait un décalage entre :
- Oui, le problème étant que nous ne savons rien de ce dernier, et qu'il s'agit ici de la valeur que Sartre lui attribue ! Nous sommes dans un exercice purement Imaginaire de Sartre pour recoller les niveaux [♻]♧ et [⚤]♡.
- Où tu retrouves la mesure en [♻]♧ comme réponse à une question en [⚤]♡?
- Exactement : nous retrouvons Dirac (cf. ici) et c'est en cela que notre topologie de l'Imaginaire garde, à toutes les échelles d'observation, cette indétermination quantique fondamentale, même lorsque l'objet de notre attention est un Autre Sujet.
Vois-tu maintenant la difficulté à partager le point de vue de Sartre sur le serveur ?
- Oui : tu n'as aucun moyen d'avoir une connaissance immédiate du niveau [♻]♡𓁜 du serveur, ni de son rapport au Symbolique [♻]♡𓁜⇆𓁝[∅]☯, et nous n'avons que la représentation que Sartre en donne.
- Soit, et la liberté du Serveur dans tout ça ?
- Il est cadré par les consignes de son patron et la commande du client en [⚤]♧, qu'il doit servir en [♻]♧ comme nous l'avons déjà repéré plus haut. La liaison [⚤]♧→[♻]♧ étant assurée, il est libre de vivre cette contrainte de la façon qu'il souhaite. Jouer à "faire le serveur" peut être pour lui une façon de donner une valeur à son expérience, ou encore d'augmenter les pourboires, ou de montrer qu'il tient à sa place, de rendre grâce à Dieu d'avoir une place en ce bas Monde, ou de se sentir heureux comme Sysiphe poussant son rocher, que sais-je encore ?
- Et s'il renversait les tables et rembarrait les clients ?
- Alors il sort du cadre. C'est une liberté d'un autre type : il change de chemin sur son cross-cap. C'était la stratégie favorite de Jacques Vergès.
- Pour retomber dans un autre de nos 4 schémas ?
- Oui, mais il peut y avoir création au passage, comme nous l'avons vu avec la forme canonique, et le carré sémiotique.
- OK, on ne va pas tout explorer aujourd'hui, mais je voudrais revenir à Bayrou, qui t'avait amené à repenser au salaud de Sartre. Quel lien entre la mauvaise foi et le salaud ?
- Petit résumé :
"— 🤖 : Sartre établit un lien direct entre le «salaud» et la mauvaise foi : pour lui, le salaud est précisément celui qui vit dans la mauvaise foi. Le salaud, selon Sartre, est celui qui refuse d’assumer sa liberté et sa responsabilité, et qui se ment à lui-même en se réfugiant derrière une identité, une fonction ou des justifications extérieures. Il feint d’ignorer la contingence et la liberté qui le définissent en tant qu’homme, préférant croire qu’il est déterminé par sa situation sociale, son rôle ou ses circonstances.
La mauvaise foi, chez Sartre, consiste justement à se fuir soi-même, à nier sa liberté existentielle pour échapper à l’angoisse qu’elle suscite. Le salaud incarne cette attitude : il se donne de fausses excuses, se persuade qu’il n’a pas le choix, qu’il n’est pas responsable de ses actes, et s’enferme ainsi dans une forme d’inauthenticité. Comme le résume Sartre, «fuir sa liberté et l’angoisse, c’est être de mauvaise foi».
En somme, la figure du salaud est pour Sartre l’exemple même de la mauvaise foi : il s’agit de celui qui refuse d’assumer sa condition humaine de liberté et de responsabilité, et qui s’invente des justifications pour ne pas avoir à se choisir authentiquement" (pour les références, suivre le lien)
- Ça coince un peu avec une approche psychanalytique du Sujet, conditionné par son histoire etc.
- Oui, il y a chez Sartre cette angoisse face au néant, dans la posture 𓁝[∅] qui est postulée d'office, ainsi qu'une "liberté" posée comme "absolue" face à ce vide [∅]. De ce point de vue, la fuite consiste à se reporter en 𓁝[♻], après avoir intégré des valeurs étrangères en [♻]𓁜, pour fuir un vertige devant l'indétermination du mouvement [♻]𓁜⇆𓁝[∅], qui pour Sartre est le propre de l'Homme.
- C'est typiquement fuir la névrose en 𓁝 pour se fixer dans une psychose en 𓁜?
- C'est une interprétation à discuter entre philosophes et psys...
- Mais soit, nous avons ici matière à discuter, l'important étant de pouvoir représenter sur notre cross-cap la situation de Sartre observant le serveur du Flore. A priori donc, ce serveur est dans la situation de l'esclave face au Maître et, semble-t-il, il adopte ou singe une posture du maître qui permet au circuit de tourner en boucle. Et dans le cas de Bayrou ?
- L'idée que l'on peut s'en faire est qu'il est coincé entre diverses injonctions :
3/ La liberté de l'hystérique :
- Comme tu le vois, il y a conflit entre toutes ces injonctions au niveau [♻]𓁜, et nous avons caractérisé la démarche de l'hystérique par la séquence :
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1 | 2 |
Autrement dit, il ajuste la question en [⚤]♡ à la mesure en [♻]♧.
- Comme Averell Dalton dessine la cible autour de l'impact de la balle qu'il vient de tirer sur un mur ?
- C'est un peu le principe, ce qui lui permet ensuite de se juger comme un excellent tireur, puisque la balle est au centre.
- En quoi le schéma est-il pathologique ?
- Deux caractéristiques :
1/ Il n'y a pas de connexion Réel/ Symbolique :
2/ Le Sujet ne se remet pas en cause, il refuse d'adapter le niveau [♻]♡𓁜 qui le définit à la réalité, et donc il l'évite (savoir s'il y a forclusion ou refoulement demande une analyse du Sujet).
- En fait ce qui manque ici, c'est le discours de Sartre ?
- Oui : Sartre fantasme un chemin pour établir une circulation sur cette topologie imaginaire du Sujet, à partir de l'expérience qu'il en a, chemin que l'hystérique refuse d'emprunter.
- Et où est la "liberté" du Sujet dans l'affaire ?
- C'est étrange à dire, alors que nous venons de voir que le Sujet refuse de remettre en cause la Loi à laquelle il se soumet 𓁝[♻]♡, mais cette "liberté" consiste à refuser le contact du Réel dans la voie des choses en (☯𓁜𓁝☯), pour s'évader dans la voie des mots (♧𓁜𓁝♡).
- C'est le film "Dont' look up" ?
- Oui...
3/ La liberté du choix esclave/ hystérique :
- Pour récapituler, et sans prétendre épuiser le sujet, je te propose ceci :
La posture 1/ Est saine, en ce sens qu'il y a une circulation sur toute la surface topologique de l'Imaginaire, quand la seconde est pathologique car le Sujet reste figé dans sa posture [♻]♡ occultée, comme le point aveugle de l'oeil.
- En quoi est-ce important de savoir si l'Autre est dans l'un ou l'autre des schémas ?
- Tu peux négocier avec un type de mauvaise foi, mais pas avec un hystérique. Essaie de convaincre un platiste que la Terre n'est pas plate, par exemple.
- Et Bayrou ?
- Je n'en sais pas suffisamment pour me prononcer, la question reste ouverte.
Amen !
Hari
Note 1 :
Je reste ici dans un cadre platonicien, limité à deux niveaux [⚤] & [♻] et deux modes ♧ ♡, ce qui est compatible avec notre cross-cap (réduit à un ruban de Moébius)..