Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...
20 Septembre 2019
En rangeant mon sac de voyage, une note tombe d'une petite poche où je l'avais oubliée depuis ma présentation au groupe de travail de logique catégorique. Il s'agissait d'une référence que l'on m'avait glissée au cours de la troisième mi-temps, au "Trac" près de la fac: "A Simple Non-Euclidean Geometry and its Physical Basis" de Yaglom, Université de Yaroslav, qui est semble-t-il un classique en la matière.
- Pourquoi tous ces détails?
- Parce que ce surgissement venait tellement à point nommé qu'il m'étonne encore. En effet, Yaglom aborde la géométrie sous l'angle de la mécanique et m'offre un point de vue totalement inconnu sur un questionnement qui m'absorbe actuellement.
- Peux-tu préciser ?
- J'en suis toujours à la différenciation des niveaux IR et I#.
Plus précisément: si j'ai une bonne idée de la différence entre approche logique et topologique, ainsi qu'une caractérisation assez claire de I1, I01, IR grâce à l'utilisation de la théorie des catégories, je dois bien avouer être plus à l'aise dans l'approche "logique", orientée vers l'objet final, que dans une approche "topologique", orientée vers l'objet initial, concernant en particulier la géométrie.
À force de tâtonner pratiquement à l'aveugle, vu ma grande ignorance du sujet, j'ai malgré tout l'intuition que le concept marquant le niveau IR est celui de "l'orthogonalité", quand I# est celui où se conçoit la "conservation du volume" à laquelle, je ne sais trop comment, doit se rattacher celle de métrique.(note 1)
Or là, en feuilletant ce livre pour en prendre la température, avant de m'y plonger sérieusement, je suis tout de suite captivé.
Principe de dualité (page 54)
Il y a d'abord ce principe de dualité, que je ne peux m'empêcher de rapprocher de la double approche I'm<Im, qui s'affirme pleinement autour de IR.
Ce principe concerne l'équivalence entre les concepts de point et de ligne, qui permet des affirmations "duales". Par exemple:
Entre 2 points ne peut passer que 1 droite <=> 2 droites se coupent en 1 point.
Yaglom indique que dans un espace Galiléen, ce principe est complètement respecté quand il souffre d'exception dans un espace Euclidien; et immédiatement j'y vois une brisure de symétrie signant l'existence d'un saut Imaginaire entre les deux.
Comme plus avant dans ma lecture Yaglom évoque 9 types de géométries planes (page 242), j'essaie de retrouver sur le web une introduction Française qui fasse un peu le point sur tout ceci, et je tombe sur un article intéressant: "Axiomatique de Bachmann" par Yves Martin de l'UIFM de La Réunion.
(α)Symétries et orthogonalité
Et bingo ! Je retombe sur des questions de symétrie et d'orthogonalité !
- Pourquoi cet enthousiasme?
- Parce qu'il y avait un non-dit dans mon approche de la géométrie que j'avais soigneusement refoulé: comment dire d'une part que la géométrie s'occupe de "points" et de "droites", et d'autre part qu'il faut aborder la géométrie, non par la logique (en référence à l'objet final, le "point") mais à la topologie (en tournant autour de l'objet initial, le "vide").
Or, Bachmann définit points et droites à partir de considérations portant sur les concepts de symétries et d'orthogonalité. (p. 151):
À partir de là, Bachmann construit les axiomes communs à toutes les géométries:
J'ai recopié le texte d'Yves Martin, qui me semble très clair, pour en arriver à sa remarque:
"Dans une construction algébrique abstraite, les droites sont identifiées aux symétries orthogonales et les points à leur produit quand ce produit est d'ordre 2. On ne manquera pas d'être interpellé par le fait que ce haut degré d'abstraction dans la représentation de la géométrie est, d'une certaine façon, ce que nous enseignons aussi à l'école primaire quand nous expliquons aux enfants qu'une droite, c'est le pli obtenu par le pliage (le maître demande parfois de "repasser le pli obtenu au crayon noir"). Le point est alors obtenu par un nouveau pliage du pli sur lui-même: voici un exemple où les gestes les plus élémentaires de la géométrie contiennent en essence l'abstraction la plus aboutie de l'objet appréhendé."
Tu vois comme ce "point" qui me gênait aux entournures, se trouve ainsi propulsé aux niveaux les plus abstraits de notre Imaginaire !
- Et à quel niveau précisément ?
- A priori, le concept premier est celui d'orthogonalité, ce qui nous mène au minimum en IR. Le point serait donc "représentable" en IR, par un enchaînement de symétries orthogonales, mais le référé de cette représentation peut sans difficulté être rejeté jusqu'en I0, dans une approche résolument locale: I'm<IR<...<I0(=Im).
- Il n'y a là rien de bien nouveau.
- Sauf qu'ici, nous arrivons à cette conclusion par une voie complètement géométrique, en dehors de toute considération catégorique; et c'est plutôt rassurant de constater cette convergence !
Par ailleurs, ce concept d'orthogonalité qui me titille depuis quelque temps est précisément ce qui permet d'aller au-delà de la géométrie Euclidienne en disant de façon générale que "deux droites sont soit sécantes en un point, soit ont en commun au moins une perpendiculaire". À partir de là, il est aisé de classer les divers types de géométries (voir page 156 et suivantes).
- Je vois que tu as encore de quoi ruminer à loisir durant tes longues soirées d'hiver, mais tu as abandonné Yaglom en chemin...
- Effectivement, mais sa lecture est si neuve à mes yeux, qu'il me faut du temps pour adopter naturellement son point de vue. Avec âge, mon cerveau offre une certaine inertie !
- Arrête de faire ta coquette et dis-nous ce qui te travaille.
- Tu vas me trouver idiot, mais toute mais vie, j'ai écrit cette équation: dx=v.dt, sans avoir jamais eu l'idée que v était représentable par un angle !
- Tu as au contraire radicalisé ta démarche en disant qu'espace et vitesse sont des concepts synchroniques (Ik et Ik+1) quand le temps est un concept diachronique (entre Ik et Ik+1). Tu y vois même l'essence du principe d'indétermination !
- Oui, oui, et je maintiens que c'est la bonne approche, lorsque tu descends aux niveaux I1 et I01 de l'Imaginaire, dans une approche globale et logique : R<I1<I01<Im, en particulier lorsqu'il s'agit de décrire les observables de la physique.
Mais nous sommes ici dans une approche relativiste, nous intéressant avant tout aux changements de repères, et aux invariances par rapports à ces changements de repères. Autrement dit, une dualité des points de vue, et donc, nécessairement, dans une approche impliquant la dualité locale/globale, qui se développe pleinement à partir de IR., avec I'm<IR<I#(<Im).
Or, si l'espace le plus élémentaire est concevable à partir de trois itérations du saut I1/I01, le niveau Ik de la physique est congruent au niveau I01 du langage mathématique, ce qui permet d'envisager la congruence des niveaux Ik+1 et IR.
Nous avons vu par ailleurs, que le concept de rotation se développe en IR. Il n'est donc pas idiot, pour I'm, de "voir" la vitesse comme la pente d'une droite dans un repère (x,t).
- Mais alors, tu oublies totalement l'aspect quantique de l'espace-temps.
- Nous en avons déjà discuté, mais jusqu'à présent, nous nous sommes focalisé sur l'approche quantique, alors qu'ici Yaglom met l'accent sur l'aspect relativiste de la géométrie.
Or, ce qui me semble tout à fait intéressant, c'est de retrouver à côté du concept d'orthogonalité, nécessaire à la compréhension de la géométrie, cette notion de vitesse représentée par un angle.
- Mais du coup, tu perds totalement la distinction synchronie/diachronie que tu as établie entre temps et espace, puisque tu les lies dans un discours synchronique: dx=v.dt.
- Bien entendu, puisque nous réifions au fur et à mesure de notre ascension Imaginaire nos concepts diachroniques afin d'en parler. Le corollaire, c'est que temps et espace deviennent des concepts "orthogonaux" en IR.
- Il faudrait préciser ce que tu entends par là, car il y a malgré tout une différence de nature entre les 3 dimensions d'espace et celle de temps.
- Ah! C'est toute la question de la métrique, que j'ai placée intuitivement en I#. Or, et là, j'avoue mon soulagement, je trouve précisément que la meilleure façon de caractériser une mesure, c'est par le calcul d'une aire (voir page 175 l'introduction à la géométrie de Minkowski), qui donne corps à mon intuition.
- Tu es quand même très léger sur le sujet !
- N'oublie pas le principe de la démarche: nous partons d'une idée de base, élémentaire, celle du feuilletage "Freudien" de notre Imaginaire. À partir de là, nous situons le Sujet dans son propre discours, et petit à petit le schéma d'ensemble se forme, à chaque fois que nous buttons sur une difficulté.
Notre exploration naïve des maths sert à tester la stabilité d'une telle construction. D'où l'intérêt de retrouver a posteriori des convergences entre le langage mathématique dans son état actuel, et ce que notre approche nous en a fait préjuger.
Maintenant que je suis rassuré dans mon cadre général de pensée, je peux tranquillement avancer dans ma lecture de Yaglom, car il a une façon tout à fait séduisante d'aborder la relativité.
Le point qui me questionne, je l'avoue, c'est ce changement de coordonnées opéré par Minkowski passant de (x,y) à (X,Y) :
Pour l'instant cela me semble un numéro de trapéziste, mais je dois laisser un peu décanter pour en saisir toute la subtilité.
A priori, il s'agirait "d'homogénéiser" les coordonnées : x étant le temps et y la coordonnée d'espace, Minkowski nous offre deux coordonnées "espace-temps" X et Y; le tout étant lié par la conservation d'une mesure commune : X2+Y2=x2+y2... Le passage de (X,Y) à (x,y) marquerait de ce fait une rupture de symétrie (i.e.: signant une descente de I# à IR)? À méditer...
En attendant, je vous souhaite une bonne lecture de cet auteur passionnant!
Hari