Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...
20 Août 2015
Le chemin par lequel on aborde un sujet n'est jamais celui d'une présentation didactique. Et j'ai avancé dans ma réflexion en fonction de mes interrogations, de mes manques, poussé par une nécessité personnelle rendant difficile une exposition qui retienne d'emblée l'attention. Comme en tout, nous avançons ici par sauts brusques.
Pour en revenir à mon parcours, j'ai débuté ma réflexion par Boltzmann, et la thermodynamique. De là, mon interrogation s'est décantée pour se centrer sur la caractérisation de la différence entre espace et temps. Et c'est à partir de ce point de départ, que j'ai suivi le parcours initié par Galilée, puis Newton, Maupertuis et Lagrange. J'en suis resté là pour écrire "L'Homme Quantique".
Ensuite je sais que le chemin est pratiquement tracé jusqu'à l'équation de Schrödinger. Et c'est précisément cette évolution de l'un à l'autre que je souhaite explorer, pour me conforter dans mon développement, et éventuellement, vous intéresser.
Chemin faisant je m'aperçois de deux problématiques qu'il me faut ronger jusqu'à l'os pour y arriver.
A mon sens, cette proximité entre optique et mécanique, tient essentiellement à ce que le rapport entre espace et vitesse est du même ordre que celui qui existe entre élément et groupe: il faut, pour passer de l'élément au groupe ou de l'espace à la vitesse, faire, dans les deux cas un saut imaginaire diachronique. Je vous propose d'y méditer un moment à partir de cette expérience fascinante des fentes de Young.
La question qui se pose est de déterminer si la lumière doit être décrite comme une onde ou comme un ensemble de corpuscules. Pour trancher la question Young, en 1801, a réalisé un appareil destiné à mettre en évidence sa nature ondulatoire. Le principe en est assez simple : une source de lumière unique, monochromatique, éclaire deux fentes très fines et proches l’une de l’autre. Au-delà de ces fentes, un écran permet de voir la figure que forme la lumière, après les avoir traversées. On observe des raies alternativement lumineuses et sombres (des franges d’interférence). Notre propos n’est pas ici de faire de la physique, aussi nous épargnerais-je le détail des raisonnements qui conduisent à en déduire sans ambiguïté la nature ondulatoire de la lumière.
Or, en 1900, le physicien autrichien Paul Ehrenfest montre que cette représentation de la lumière ne permet pas d’expliquer le rayonnement du corps noir : ce fût la « catastrophe de l’ultra-violet », qui bouleversa profondément la communauté scientifique.
D’autres considérations, telles que l’effet photovoltaïque, conduisirent à voir la lumière comme formée de corpuscules (les photons[1]), dont l’énergie peut varier par quantités discrètes (d’où leur nature « quantique »). Il est même possible actuellement de produire individuellement ces photons. Mais alors, quelle peut être la réponse de ces corpuscules dirigés vers les fentes du dispositif expérimental de Young ?
Je voudrais insister sur la signification de cette expérience : elle matérialise une question intellectuelle (donc Imaginaire) que pose l’Observateur à la nature qui l’entoure. La présence de l’Observateur est bien là au plus profond de cette interrogation. Young voulait vérifier la nature ondulatoire de la lumière et son dispositif expérimental lui apporte la réponse : oui, c’est une onde.
Un physicien moderne se posera dès lors la question de savoir ce qui se passe lorsqu’il envoie un seul photon en direction des deux fentes : passera-t-il à gauche ou à droite ? S’il cherche à détecter effectivement, avec un appareil de mesure adapté, par quelle fente passe son photon, alors il constatera qu’il emprunte une seule fente, droite ou gauche. Mais la figure que formeront l’ensemble des photons qu’il va faire défiler ainsi l’un après l’autre, en passant aléatoirement à droite ou à gauche, ne présentera plus de franges d’interférence. Autrement dit, ce physicien cherche à vérifier qu’il a affaire à des corpuscules et la réponse est : oui ce sont des corpuscules.
Il y a bien là, au cœur de la physique, et dégagée de toute subjectivité, de toute faute d’attention ou autre, cette relativité dont nous parlions précédemment.
Mais nous pouvons faire un pas de plus. En ne cherchant pas à savoir[2] par laquelle des deux fentes passent nos photons émis l’un après l’autre, le fait remarquable est que l’on voit alors, impact après impact, se constituer les franges d’interférences précédentes.
Voici l’interprétation que j’en donne, en m’en tenant à ce qui vient d’être dit précédemment (cf. : Stabilité / information p. 56 de "L'Homme Quantique"). Si je considère la notion « d’onde » comme une caractéristique de l’ensemble des photons, alors, « ne pas chercher à savoir » est un principe d’organisation que je mets ici en pratique pour reporter mon attention sur le regroupement des photons[3] et il y a de ce fait un saut diachronique entre la représentation des éléments (les photons) et une onde caractérisant leur comportement de groupe. Qu’il s’agisse d’une onde lumineuse visible, ou d’une fonction d’onde quantique, peu importe. Le facteur déterminant, c’est l’évolution de mon regard : je cesse de me focaliser sur les éléments pour me concentrer sur l’effet de groupe, en délaissant les aspects qui cessent d’être pertinents, tels que savoir par où passe tel ou tel élément du groupe.
Alors, la différence de réponse entre l’expérience de Young, éclairant d’un coup les fentes et notre physicien procédant « au coup par coup » tient à la façon qu’à l’image de la réponse de se stabiliser pour l’Observateur. Dans le premier cas, il s’agit de ce que nous avons défini comme un processus de « stabilisation d’ordre structurel », dans le second, d’une « stabilisation d’ordre temporel », correspondant à l’émergence progressive des franges d’interférence qui se révèlent à l’Observateur, pixel par pixel, à force de répétition…
En résumé, cette « catastrophe de l’ultra-violet » nous a poussés à reprendre notre conception de la lumière, à déconstruire son aspect ondulatoire, qui devient un effet de groupe de corpuscules plus élémentaires.
Nous voyons ici, me semble-t-il, dans toute sa pureté une trace anthropomorphique très primitive de nos processus psychologiques au cœur même de la physique, dans la mesure précisément où les physiciens déploient tous leurs efforts pour s’en dégager.
Bonne méditation
Hari
[1] L’émergence de ce concept prit un certain temps. Les plus grands parmi nos savants se sont penchés sur son berceau : Planck en 1900 émet l’idée d’une énergie électromagnétique variant par quantas ; Einstein, dans deux articles parus en 1909 et 1916, fait l’hypothèse que cette énergie quantifiée caractérise des particules. Arthur Campton en fournira la preuve expérimentale en 1927, ce qui lui vaudra le prix Nobel. Quant à son nom de baptême, c’est le chimiste Gilbert N. Lewis qui le lui attribua en 1926.
[2] Cette formulation choquera le physicien, car il ne s’agit pas tant pour lui d’un savoir auquel il renonce, que d’une impossibilité à laquelle il se heurte. Il en impute la cause au Réel quand elle relève, à mon sens, de notre Imaginaire. Je lui propose de faire l’épochè, de suspendre un instant tout jugement a priori basé sur ses acquis pour envisager, fut-ce par jeu, que la différence synchronie / diachronie, de laquelle nous sommes partis, puisse avoir les retombées épistémologiques que nous pointons ici. Ce développement débouchera au final, c’est promis, sur le principe d’incertitude qui lui est si familier (cf. infra Décohérence / intrication). Mieux : il en justifiera la nécessité, et par là même, celle de notre démarche
[3] Le groupe pouvant se réduire à un seul élément : un photon peut interférer avec lui-même. Ceci n’enlève rien à la généralité de notre propos. La nature ondulatoire de la lumière n’est pas du même ordre que sa nature corpusculaire, de même qu’en mathématiques un groupe ne contenant qu’un élément ne se réduit pas à l’élément en question.