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Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...

L'Homme quantique

Onde et corpuscule

Onde et corpuscule

Le chemin par lequel on aborde un sujet n'est jamais celui d'une présentation didactique. Et j'ai avancé dans ma réflexion en fonction de mes interrogations, de mes manques, poussé par une nécessité personnelle rendant difficile une exposition qui retienne d'emblée l'attention. Comme en tout, nous avançons ici par sauts brusques.

Pour en revenir à mon parcours, j'ai débuté ma réflexion par Boltzmann, et la thermodynamique. De là, mon interrogation s'est décantée pour se centrer sur la caractérisation de la différence entre espace et temps. Et c'est à partir de ce point de départ, que j'ai suivi le parcours initié par Galilée, puis Newton, Maupertuis et Lagrange. J'en suis resté là pour écrire "L'Homme Quantique".

Ensuite je sais que le chemin est pratiquement tracé jusqu'à l'équation de Schrödinger. Et c'est précisément cette évolution de l'un à l'autre que je souhaite explorer, pour me conforter dans mon développement, et éventuellement, vous intéresser.

Chemin faisant je m'aperçois de deux problématiques qu'il me faut ronger jusqu'à l'os pour y arriver.

  • La première c'est de retrouver la proximité que les physiciens ont vu entre les lois de l'optique et celles de la mécanique. Pourquoi, très tôt, il y eut un parallèle entre le trajet d'une onde et le mouvement d'un objet. Sur ce point, je crois que notre approche du temps permet de rendre la chose intuitive. C'est ce que je me propose de vous montrer dans ce billet.
  • La seconde me renvoie à mes phobies personnelles: les opérateurs différentiels, et en particulier cette formule qui me hantera tant que je ne l'aurais pas "faite mienne": Div (Rot) A = 0. Ce qui me renvoie à la nécessité de fonder, dans mon système, la représentation d'une rotation. Et me renvoie à cette question que me trotte dans la tête depuis quelque temps: est-ce qu'une accélération angulaire (V2/R avec le carré d'une vitesse) est de même "niveau imaginaire" qu'une accélération (une dérivée seconde par rapport au temps) . C'est ce que j'aborderai dans un autre billet (voir "tournez glissez").

Les fentes de Young:

A mon sens, cette proximité entre optique et mécanique, tient essentiellement à ce que le rapport entre espace et vitesse est du même ordre que celui qui existe entre élément et groupe: il faut, pour passer de l'élément au groupe ou de l'espace à la vitesse, faire, dans les deux cas un saut imaginaire diachronique. Je vous propose d'y méditer un moment à partir de cette expérience fascinante des fentes de Young.

La question qui se pose est de déterminer si la lumière doit être décrite comme une onde ou comme un ensemble de corpuscules. Pour trancher la question Young, en 1801, a réalisé un appareil destiné à mettre en évidence sa nature ondulatoire. Le principe en est assez simple : une source de lumière unique, monochromatique, éclaire deux fentes très fines et proches l’une de l’autre. Au-delà de ces fentes, un écran permet de voir la figure que forme la lumière, après les avoir traversées. On observe des raies alternativement lumi­neuses et sombres (des franges d’interférence). Notre propos n’est pas ici de faire de la physique, aussi nous épargnerais-je le détail des raisonnements qui conduisent à en déduire sans ambiguïté la nature ondulatoire de la lumière.

Or, en 1900, le physicien autrichien Paul Ehrenfest montre que cette représentation de la lumière ne permet pas d’expliquer le rayonnement du corps noir : ce fût la « catastrophe de l’ultra-violet », qui bouleversa profondément la communauté scientifique.

D’autres considérations, telles que l’effet photovol­taïque, conduisirent à voir la lumière comme formée de corpuscules (les photons[1]), dont l’énergie peut varier par quantités discrètes (d’où leur nature « quantique »). Il est même possible actuellement de produire individuellement ces photons. Mais alors, quelle peut être la réponse de ces corpuscules dirigés vers les fentes du dispositif expérimental de Young ?

Je voudrais insister sur la signification de cette expérience : elle matérialise une question intellectuelle (donc Imaginaire) que pose l’Observateur à la nature qui l’entoure. La présence de l’Observateur est bien là au plus profond de cette interrogation. Young voulait vérifier la nature ondulatoire de la lumière et son dispositif expérimental lui apporte la réponse : oui, c’est une onde.

Un physicien moderne se posera dès lors la question de savoir ce qui se passe lorsqu’il envoie un seul photon en direction des deux fentes : passera-t-il à gauche ou à droite ? S’il cherche à détecter effectivement, avec un appareil de mesure adapté, par quelle fente passe son photon, alors il constatera qu’il emprunte une seule fente, droite ou gauche. Mais la figure que formeront l’ensemble des photons qu’il va faire défiler ainsi l’un après l’autre, en passant aléatoirement à droite ou à gauche, ne présentera plus de franges d’interférence. Autrement dit, ce physicien cherche à vérifier qu’il a affaire à des corpuscules et la réponse est : oui ce sont des corpuscules.

Il y a bien là, au cœur de la physique, et dégagée de toute subjectivité, de toute faute d’attention ou autre, cette relativité dont nous parlions précédemment.

Mais nous pouvons faire un pas de plus. En ne cherchant pas à savoir[2] par laquelle des deux fentes passent nos photons émis l’un après l’autre, le fait remarquable est que l’on voit alors, impact après impact, se constituer les franges d’interférences précédentes.

Voici l’interprétation que j’en donne, en m’en tenant à ce qui vient d’être dit précédemment (cf. : Stabilité / information p. 56 de "L'Homme Quantique"). Si je considère la notion « d’onde » comme une caractéristique de l’ensemble des photons, alors, « ne pas chercher à savoir » est un principe d’organisation que je mets ici en pratique pour reporter mon attention sur le regroupement des photons[3] et il y a de ce fait un saut diachronique entre la représentation des éléments (les photons) et une onde caractérisant leur comportement de groupe. Qu’il s’agisse d’une onde lumineuse visible, ou d’une fonction d’onde quantique, peu importe. Le facteur déterminant, c’est l’évolution de mon regard : je cesse de me focaliser sur les éléments pour me concentrer sur l’effet de groupe, en délaissant les aspects qui cessent d’être pertinents, tels que savoir par où passe tel ou tel élément du groupe.

Alors, la différence de réponse entre l’expérience de Young, éclairant d’un coup les fentes et notre physicien procédant « au coup par coup » tient à la façon qu’à l’image de la réponse de se stabiliser pour l’Observateur. Dans le premier cas, il s’agit de ce que nous avons défini comme un processus de « stabilisation d’ordre structurel », dans le second, d’une « stabilisation d’ordre temporel », correspon­dant à l’émergence progressive des franges d’interférence qui se révèlent à l’Observateur, pixel par pixel, à force de répétition…

En résumé, cette « catastrophe de l’ultra-violet » nous a poussés à reprendre notre conception de la lumière, à déconstruire son aspect ondulatoire, qui devient un effet de groupe de corpuscules plus élémentaires.

Nous voyons ici, me semble-t-il, dans toute sa pureté une trace anthropomorphique très primitive de nos processus psychologiques au cœur même de la physique, dans la mesure précisément où les physiciens déploient tous leurs efforts pour s’en dégager.

Bonne méditation

Hari

[1] L’émergence de ce concept prit un certain temps. Les plus grands parmi nos savants se sont penchés sur son berceau : Planck en 1900 émet l’idée d’une énergie électromagnétique variant par quantas ; Einstein, dans deux articles parus en 1909 et 1916, fait l’hypothèse que cette énergie quantifiée caractérise des particules. Arthur Campton en fournira la preuve expérimentale en 1927, ce qui lui vaudra le prix Nobel. Quant à son nom de baptême, c’est le chimiste Gilbert N. Lewis qui le lui attribua en 1926.

[2] Cette formulation choquera le physicien, car il ne s’agit pas tant pour lui d’un savoir auquel il renonce, que d’une impossibilité à laquelle il se heurte. Il en impute la cause au Réel quand elle relève, à mon sens, de notre Imaginaire. Je lui propose de faire l’épochè, de suspendre un instant tout jugement a priori basé sur ses acquis pour envisager, fut-ce par jeu, que la différence synchronie / diachronie, de laquelle nous sommes partis, puisse avoir les retombées épistémologiques que nous pointons ici. Ce développement débouchera au final, c’est promis, sur le principe d’incertitude qui lui est si familier (cf. infra Décohérence / intrication). Mieux : il en justifiera la nécessité, et par là même, celle de notre démarche

[3] Le groupe pouvant se réduire à un seul élément : un photon peut interférer avec lui-même. Ceci n’enlève rien à la généralité de notre propos. La nature ondulatoire de la lumière n’est pas du même ordre que sa nature corpusculaire, de même qu’en mathématiques un groupe ne contenant qu’un élément ne se réduit pas à l’élément en question.

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G
Ok, merci pour tout cela. Donc si je comprends bien, lorsqu'on stoppe le flux de photons servant à observer les électrons, on stoppe le " figement " des franges (comme dit Wikipedia : " L'interaction du photon avec un autre au niveau de l'une des fentes provoque un « effondrement de la fonction d'onde » et de l'état superposé ") <br /> Ce qui signifie à ce moment là, que à notre échelle humaine, où nous voyons des franges, les photons n'interagissent pas entre eux ou avec autre chose, ou si peu, qu'aucune rencontre sur leur trajet n'effondre leur fonction d'onde ?
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G
Merci pour tout cela, ce commentaire m'aide à toucher du doigt la façon dont articules la description à l'objet d'étude, et certaines choses que tu dis de la place du réel dans ta pensée.
S
C'est à mon avis plus simple que tout ceci: soit je regarde des objets (à un niveau imaginaire Ik) et alors, l'information pour passer de l'un à l'autre ne dépasse par la vitesse de la lumière (vitesse repérée en Ik+1); soit je repère des "ondes", dont la description ne peut se faire qu'en Ik+1; et alors ce que je disais en Ik n'a plus de sens. Mais du coup, je ne parle plus d'objet mais d'onde. Qu'est-ce qui tu veux que je te dise de plus simple? En géométrie, soit tu parle du théorème de Thalès (en Ik), soit tu parle des axiomes de la géométrie en Ik+1, et la somme somme des angles d'un triangle fait du yoyo (en fonction de la courbure de l'espace). Changement de niveau, changement de langage. L'intérêt de la physique, c'est que tu te rapproche tellement du réel, que ce que tu vois se délite en même temps que ton langage pour en parler.
G
Je relis cela, et je relie cela :) à la question que je t'avais posée. D'abord, il serait souhaitable (et je vais m'y employer) de comprendre dans quelles conditions exactement les franges d'interférences " réapparaissent". Est-ce que ce n'est pas relié à " vouloir savoir", en ce sens que c'est simplement en augmentant le débit de photons au-delà de ce qui en rendait l'observation possible ?<br /> Si c'est le cas, cela répond simplement à la question (et élimine un peu de la magie, mais on en a bien besoin). Mais cela ne répond pas à celle de l'apparition, ou ré-apparition, peu importe donc, des franges. <br /> En fait, c'est parce que ces franges témoignent d'une addition de valeurs intermédiaires " continues" (comme quand on superpose deux courbes mathématiquement) alors qu'on ne devrait avoirr que 2 ou trois types de zones si les valeus lumineuses s'additionnaient par quant, que cela gratouille, c'est cela ?
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A
Bonjour Guillaume,<br /> Non, ce n'est pas du tout cela. Tu continues à vouloir te raccrocher à tes acquis, pour ne pas voir ce que je donne à lire. Un simple et unique photon peut interférer avec lui-même. Il n'y a donc aucune question de quantité là dedans. C'est ou corpuscule ou onde, avec une coupure dans le passage entre les deux. C'est pourquoi on parle de "quanta". D'ailleurs l'impossibilité de combler le fossé entre les deux par la multiplication du même est bien à l'origine de l'hypothèse quantique. par exemple tu peux bombarder tant que tu veux une plaque photo avec une lumière inactinique (dans le rouge) tu n'arriveras jamais à l'impressionner. Il y a une quanta d'énergie nécessaire à chaque photon, pour déclencher une réponse des atomes de la plaque. Etc... C'est pareil pour "comprendre" quelque chose: il y a un moment où "tu as compris", avant, tu peux toujours multiplier les réflexions sur le sujet, l'envisager sous tous les angles, et revenir toujours sur ce que tu sais déjà (automatisme de répétition): tu ne sauteras pas l'obstacle. Après (s'il y a un après, ce n'est pas automatique!), tu ne comprendras même plus ce qui t'empêchais d'avancer. À l'école la maîtresse note "acquis" ou "pas acquis" pour chaque notion de calcul enseigné. Et, par exemple, un élève peut passer des mois avant de savoir lire l'heure sur un cadran, l'année d'après, c'est évident pour lui. Il y a eu un déclic quelque part. Bonne journée.
G
Intéressant, merci.
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G
Là pour une fois je te suis. J'ai peur que pour les machins de rotation, ce soit moins le cas :)<br /> Pour ce qui est des fentes de Young, ne serait-ce pas parce que la représentation de la lumière fut un temps séparée en deux inconciliables (onde et corpuscules) qu'un modèle où cette dissociation n'existait pas produisit une surprise ? Une voiture qui navigue sur l'eau n'est étonnante que pour une personne qui inclut, dans sa définition de la voiture, le critère " ne flotte pas", non ?<br /> Mais j'avoue que jusqu'à récemment, " j'y ai cru " aussi, aux fentes de Young :) C'est bonne magie.<br /> Blague à part, ce comportement collectif en troupeau où les dos des moutons courant font une onde mouvante qui épouse les reliefs du terrain irait presque jusqu'à me faire imaginer quelque chose de similaire pour les points, rapport aux paradoxe de Zénon. Le pluriel d'un point, c'est une droite, comme le pluriel d'un corpuscule est une onde.<br /> Ceci dit, j'ai récemment entendu une opinion comme quoi ce serait une question d'agitation. N'importe quel corps, même une molécule, présenterait à très basse température un comportement ondulatoire, ce qui permet d'étendre le " comportement quantique " à une échelle plus grande. Mais bon, sans garantie aucune.
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A
J'aime bien l'idée de ces moutons qui ondulent en épousant le vallonnement du terrain. Mais l'idée, c'est que "des moutons" n'est pas du même niveau intellectuel que "un mouton". Je n'ai ni les mêmes références, ni le même langage pour décrire un mouton que pour en décrire le comportement de groupe.<br /> C'est un principe qui s'est radicalisé en mathématiques, ce qui nous a permis d'avancer dans de nombreux domaines. Et c'est lié également aux paradoxes qui naissent, lorsque l'on oublie cette différence de niveaux. Mais nous en avons déjà parlé...<br /> Quant à l'agitation, se serait plutôt lorsqu'il n'y a plus ou pratiquement plus d'agitation, que les corps (par exemple l'hélium 4) adopte un comportement "d'ensemble", qui lui permet de diminuer "globalement" son énergie, mais en en dépensant localement de façon étrange. Par exemple l'hélium 4, sous forme liquide, visqueuse à quelques fractions de degré au-dessus de zéro, peut s'échapper d'un récipient, pour atteindre un niveau plus bas (donc diminuer son énergie potentielle au final, mais après l'avoir augmenté pour y arriver). C'est dire que dans ce cas, le comportement de l'hélium ne peut pas être expliqué comme on explique les chocs entre des boules de billard, mais comme un champ, à un niveau imaginaire supérieur, de groupe et non plus d'élément. Il y a d'autre expériences qui montrent des objets quantiques de très grande taille. http://www.futura-sciences.com/magazines/matiere/infos/actu/d/physique-video-record-masse-interferences-quantiques-molecules-37863/