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Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...

L'Homme quantique

Tournez, glissez

Tournez, glissez

Dans mon dernier billet, j’indiquais que pour avancer dans ma compréhension de la physique il me fallait caractériser la différence entre l’effet sur un corps d’une accélération et d’une rotation.

  • L’accélération exerce sur un corps une force dont l’intensité est proportionnelle à sa masse et son accélération : F = m. dv/dt
  • Par ailleurs, un corps en rotation, à une distance r constante autour d’un point fixe (imaginez-vous une fronde), subit une F centrifuge de valeur F = m. v2 /r

Nous avons donc, apparemment, un même effet (une force) qui peut être produit par deux causes différentes.

Mais est-ce bien exact ?

Avant d’aller plus loin, et parce que même pour mes amis lecteurs les plus assidus, ceci ressemble à des pratiques sexuelles répréhensibles sur des lépidoptères, je voudrais vous sensibiliser à la légitimité de mon questionnement.

Évacuons tout de suite un constat de base : l’équation aux dimensions de chacune des deux formules montre immédiatement qu’il n’y a pas de problème formel, tant que l’on s’en tient à leur formulation mathématique :

  • F = m. dv/dt = masse x (espace / temps) / temps

= masse x espace / temps 2

  • F = m.V2/r = masse x (espace / temps) 2/ espace

= masse x espace / temps 2

Et notre physicien, rassuré par cette équivalence mathématique repart tranquillisé : il n’a pas comparé des choux et des carottes.

Quoique…

Pour notre part, nous avons pris grand soin de différencier le saut diachronique (temps1) qui sépare le concept synchronique d’espace de celui de vitesse, et le saut diachronique (temps 2) qui sépare le concept synchronique de vitesse de celui d’accélération (voir l'espace-temps).

Problématique qui ne se limite pas à la physique, mais concerne le langage mathématique lui-même que nous employons pour en parler. Nous avons pris soin, aux tout premiers pas du langage mathématique, d'identifier et relativiser les niveaux synchroniques à partir desquels la multiplication, l’addition, la structure de groupe puis d’anneau peuvent s’imaginer. Il me faudra également parler des variations de niveaux synchroniques en jeu dans le calcul intégral/ différentiel (ce qui fera sans doute l’objet d’un prochain billet).

Et ces précautions ne sont pas de simples radotages : nous avons déjà établi une différence de nature entre masse grave et masse inerte. Qui fait qu’il est encore possible de ressentir les effets de la masse inerte, en apesanteur, en l’absence de force de gravité s’exerçant sur la masse grave, alors qu’il est impossible à l’inverse, de concevoir une seule expérience où la masse grave serait repérable, sans que la masse inerte le soit.

Toutes les difficultés sémantiques que je pointe ici ne sont pas nouvelles : elles ont été repérées de très longue date dans le discours lui-même.

Quoi de plus commun, en effet que de glisser dans une même phrase d’un référentiel à un autre. Lorsque Victor Hugo écrit dans Booz endormi : « vêtu de probité candide et de lin blanc », vous voyez que le verbe a des compléments d’objets issus d’univers différents. Et pourtant la phrase garde un sens et nous la trouvons belle et explicite. Cette figure de style s’appelle un zeugma. Très proche, nous avons la syllepse, en particulier la syllepse de nombre ; qui nous fait passer sans encombre du groupe à ses éléments :

« Entre le pauvre et vous, vous prendrez Dieu pour juge,
Vous souvenant, mon fils, que, caché sous ce lin,
Comme eux vous fûtes pauvre, et comme eux orphelin. » (Racine, Athalie, IV, 3)

Dans l’un et l’autre cas, nous rapprochons en un seul discours des plans imaginaires (soit dissociés, soit hiérarchiquement dépendants) qui, dans un discours scientifique, doivent être soigneusement identifiés.

Pour en revenir à mon interrogation liminaire, est-ce qu’en disant « le patineur se rapproche de moi en faisant un double axel » je ne mélange pas des perceptions visuelles de niveaux différents en les décrivant dans un même langage ? Il serait intéressant de voir ce qu’en dirait un neurologue. Mais restons-en pour l’heure à notre physicien. Est-ce que le physicien ne fait pas une « syllepse » sans le savoir, comme Monsieur Jourdain faisait de la prose ?

« Mais il est fou » dirons les irréductibles : le temps c’est le temps, il n’y a pas plus de différence entre « temps 1 » et « temps 2 » que de beurre en broche au-dessus d’un barbecue.

En êtes-vous si sûr ?

Pour moi, le temps élémentaire (temps 1), qui forme couple avec l’espace, est caractérisé par le temps de Planck, avec cette formule : lp = c x tp, que nous avons déjà rencontrée au sujet de la vitesse limite (voir ici).

C’est dire que le temps 2, saut diachronique entre vitesse et accélération, n’a aucune raison d’obéir à la même contrainte imaginaire. Or, en physique il est possible d’observer des phénomènes où la vitesse est supérieure à celle de la lumière (c).

En optique, par exemple, si une onde simple est bien limitée par cette vitesse c (sa « vitesse de phase »), un « paquet d’ondes » va produire une modulation du signal élémentaire (caractérisé par sa vitesse de phase). Mais cette modulation (d’un niveau imaginaire supérieur) pourra se déplacer avec une « vitesse de groupe » supérieure à la vitesse de phase. C’est trop important pour que je n’y revienne pas en détail dans un autre billet. Retenons ici simplement, que la contrainte c, spécifique du saut espace / vitesse ; n’est plus pertinente au saut imaginaire suivant. Ce qui démontre à mon sens leur différence de statut.

J’espère ainsi vous avoir sensibilisé à la problématique qui est ici la mienne :

  • Soit Ik le niveau de repérage de l’espace (l’éther) où je repère la position d’un mobile ;
  • Soit Ik + 1 le niveau où je repère la vitesse, avec t1 concept diachronique entre Ik et Ik + 1 ;
  • Soit Ik + 2 le niveau où je repère l’accélération, avec t2 concept diachronique entre Ik + 1 et Ik + 2 et F (ik + 2) la force associée.

L’accélération détermine le niveau imaginaire Ik + 2 où je peux repérer la force liée à cette accélération. Mais, est-ce à dire que la « force centrifuge » associée à la rotation est repérable en Ik + 1 avec la vitesse ?

Si tel était le cas, j’aurais un gros problème de cohérence théorique.

En fait, c’est le langage mathématique employé pour décrire le phénomène qui m’induit en erreur.

La « vitesse constante » de mon mobile n’est qu’une reconstruction imaginaire d’un repérage plus élémentaire. En effet, un mobile tournant à « vitesse constante » autour d’un point, est repérable, sur un plan cartésien par ses coordonnées qui varient de façon sinusoïdale :

  • X = r.cos (wt + b)
  • Y = r.sin (wt + b)

« w » étant la vitesse angulaire (c’est-à-dire da/dt) et « b » la phase à l’origine des temps. Et cette « vitesse angulaire constante » se décompose selon les axes x et y en vitesses variables.

Mon mobile présente donc, sur chacun des deux axes, une accélération, qui est la dérivée par rapport au temps des vitesses selon les axes x et y :

  • Vx = dx/dt = - r.w.sin (wt + b) = > d (Vx)/dt = -r.w2.cos (wt + b)
  • Vy = dy/dt = r.w.cos (wt + b) = > d (Vy)/dt = - r.w2.sin (wt + b)

Le glissement sémantique (la syllepse du physicien), tient à ce que le module de la vitesse reste constant malgré ces variations, repérables sur les axes de projection et que le module de l’accélération soit lui-même constant et exprimable en fonction de la vitesse angulaire :

  • Vitesse : V2 = (dx/dt) 2 + (dy/dt) 2 = (r.w) 2 = constante
  • Accélération : dV/dt = r.w2

Autrement dit cette « vitesse angulaire constante » est associée à une accélération selon les axes x et y. Mais le regard ne « voit » plus cette accélération élémentaire, car il reconstruit d’instinct la constance de la vitesse, malgré le changement de direction.

C’est donc par un « abus de langage », que nous ramenons une accélération à r.w2 en utilisant des concepts intellectuels d'ordre supérieurs, à savoir le calcul trigonométrique et le théorème de Pythagore (i.e.: sin2 + cos2=1).

Revenons à la description du mouvement d’un corps en rotation par rapport à un point fixe, vu d’un axe quelconque passant par celui-ci : nous avons bien deux sauts diachroniques, un premier pour passer d’un repérage spatial à une vitesse :

  • Temps 1 : Vx = dx/dt1 = - r.w.sin (wt + b)

Le second pour passer de la vitesse à l’accélération :

  • Temps 2 : d (Vx)/dt2 = -r.w2.cos (wt + b)

Dans ces conditions, notre relation d’une force centrifuge F = m. r.w2. = m.V2/r est bien congruente, à celle donnée par une accélération : F = m.dV/dt

Ouf…

Maintenant, au-delà de ce tripatouillage un peu fastidieux de fonctions trigonométriques, comment interpréter simplement l'étagement imaginaire que nous utilisons instinctivement pour percevoir conjointement les mouvements linéaires et les rotations d'un corps?

De quelle façon est-ce que je prends conscience de ce patineur virevoltant sous mes yeux ?

Le plus simple me semble être de décomposer ma prise de conscience du mouvement d’un corps en deux temps :

  1. Saut diachronique 1 (temps 1) : Repérage du corps par rapport à un premier référentiel, soit (O, x, y, z)
  2. Saut diachronique 2 (temps 2) : Repérage du mouvement de ce premier référentiel par rapport à un second (O’,x’,y’,z’)

C’est un point de départ, il faudrait ensuite passer en revue les différents cas de figure, en fonction du premier mouvement repéré, soit d’abord une rotation, suivi d’un déplacement ou l’inverse.

Je pense que ceci doit permettre d’introduire intuitivement le « spin », comme un repérage initial d’un corps par rapport à un repère lié : notre patineur tourne d’abord sur lui-même, fermé dans son monde, avant d’évoluer sur la glace.

Voilà ce que j’avais sur le cœur depuis un petit moment. C’est encore brut de décoffrage, mais permet de faire le point.

Profitez des vacances pour danser sur les pistes, sans vous occuper d’autre chose que du plaisir d’être porté par la danse… Rock'n roll is still alive.

Hari

 

PS : comme toujours, mes billets ne sont pas des leçons de physique, et je vais un peu vite : ce qui m’intéressait ici, c’était de mettre en évidence que w2.r est bien l’équivalent d’une accélération. Maintenant, si vous êtes attentif au signe des dérivées trigonométriques, vous vous apercevez que le vecteur vitesse est perpendiculaire au vecteur qui passe de l’origine à notre mobile (la corde de notre fronde), et que l’accélération imprimée par cette corde, qui oriente le vecteur vitesse, est colinéaire à la corde, et dirigé vers l’origine. Chaque dérivation est accompagnée d’une rotation de 90° dans le sens trigonométrique (anti-horaire). Donc, la corde induit une force centripète au corps, dont la réaction, est égale et de sens opposé (force d’inertie centrifuge) tant que le système est en équilibre. De même que dans une fusée, l’accélération au départ est orientée dans le sens de la vitesse, et le corps réagit par une force d’inertie de sens opposé (c’est le coup du lapin en voiture).

Le fait qu’un corps en rotation, comme notre fronde soit "en équilibre", bien qu’une force constante s’exerce sur lui, tient à ce que le travail de cette force soit nul (la force est perpendiculaire au déplacement). Alors que dans un système Galiléen, à savoir un corps à vitesse linéaire constante, aucune force ne s’exerce sur le corps.

Vous voyez qu’il y a quand même quelque chose d’étrange dans ce parallèle que nous faisons entre mouvement rectiligne et rotation, qui indique qu’ils ne sont pas représentés au même niveau imaginaire…

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