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Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...

L'Homme quantique

La querelle des Universaux - Alain de Libera / Notes de lecture # 15

Hans Breder - Le multiple et l'Un

Le haut Moyen Âge et la querelle des universaux :

- Alain de Libera nous ramène au problème de Porphyre (voir #5) en commençant par se demander pourquoi il a fallu une telle période d'incubation avant que sa présentation des travaux d'Aristote, revienne sous forme de questions à résoudre.

J'avoue que ma lecture de cette partie de la problématique commence à dater, disons que la discussion entre Platon et Aristote me semble se tenir à ceci:

  • Les "idées" séparées de Platon en [♲]𓁜, sont le terme d'un mouvement transcendant S↓;
  • Les "concepts" d'Aristote en 𓁝[♲] sont l'aboutissement d'un processus immanent S↑;
  • Le passage  (𓁝[♲]⏩[♲]𓁜)𓂀  n'est pas concevable en mode ♧ (régit par une logique du 1er ordre.)

Maintenant la "substance", du domaine du sensible, en 𓁝[♲], doit être "informée" par une "forme pure", comme la cire reçoit l'empreinte d'un sceau pour représenter la figure d'un héros, ce qui suppose le passage inverse ([♲]𓁜𓁝[♲])𓂀 tout aussi problématique.

L'auteur avance l'idée que c'est cette notion de "substance" qui va relancer le débat en Occident, à partir d'une discussion autour de la Sainte Trinité : le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont-ils trois éléments d'un triumvirat ou bien sont-ils une seule  et même substance.

J'espère que tu vois comme moi la modernité du questionnement ?

- En fait de modernité, je vois surtout que la question se pose au XIIè siècle.

- Ne comprends-tu pas que tu as le choix entre considérer les trois comme les "éléments" séparables d'un ensemble, en mode ♧ , ou comme les "parties#" d'un tout en mode ♢ ?

- Je croyais qu'à cette époque il n'y avait pas de théorisation d'une pensée en mode "topologique", ♢ ?

- D'où la recherche d'une solution, qui conduira à forger notre façon de penser actuelle... La réponse moderne à cette antique question, passerait par la dualité intrication/ décohérence !

- Nous nous éloignons du sujet...

- Oui, mais je trouvais intéressant de retrouver au XIIe siècle un questionnement sur la nature de la "substance" qui garde encore son actualité.

L'universel selon Boèce :

Boèce, Porphyre et le problème des universaux :

- Pour mémoire : dans la pensée grecque (voir #12)

mode/ niveau Objet final Multiple Formes Objet initial
 "pont entre syntaxes" [1] [⚤] [♲] [1]
 "syntaxique" [1] [⚤] [♲] [1]
 "objectif" [1] [⚤] [♲] [1] 

l'impossibilité logique du passage du concept  𓁝[♲] à la forme séparée  [♲]𓁜 tient à ce que les êtres sensibles [1]𓁜 sont multiples en [1][⚤]𓁜 (dans la répétition du même), quand l'idée pure en  [♲]𓁜 découle de l'Un transcendant en 𓁝[1]: ([♲]𓁝⇆𓁜[1]⏩[♲]𓁝⇆𓁜[1])𓂀. La logique du 1e ordre en [⚤]𓁜, avec la notion de successeur menant à un processus immanent indéfini S↑, ne permet pas de "sauter le pas" du multiple à l'Un.

En l'occurrence la question porte sur les notions de "genre" et "d'espèce" :

"À la question 􏰀1􏰁 il [Boèce] répond tacitement contre Platon à partir de la Métaphysique d’Aristote. Faisant écho, mais sans le dire, à la thèse de Métaphysique, Z, qui, de fait, courra, implicitement ou explicitement, tout au long du Moyen Âge, il soutient que les genres et les espèces ne peuvent être des substances. Étant communs simultanément (uno tempore) à une pluralité de choses individuelles, ils ne peuvent être eux-mêmes dotés de l’unité numérique (unum numero) qui caractérise les êtres singuliers.
Inversement, et c’est sa réponse à la seconde branche de l’alternative, les genres et les espèces ne peuvent être considérés comme situés seulement dans l’intellect, car toute «intellection se fait à partir d’une chose qui est son sujet» ontologique (ex re subiecta) et, si les genres et les espèces n’étaient que dans l’intellect, il ne pourrait, paradoxalement, y en avoir intellection.
Il faut donc trouver un moyen d’affirmer à la fois que les genres et les espèces sont quelque chose «dans la réalité» (in rerum veritate), sans être des substances, et qu’ils sont dans l’intellect, sans être des concepts vides."
p. 161

Boèce trouve la solution en passant par l'intermédiaire de l'homme : 

"Il suffit, pour cela, de poser que l’esprit humain (animus) a la capacité de «réunir ce qui est séparé (disiuncta) et de séparer (resoluere) ce qui est réuni». p. 161

Je ne sais pas si tu vois comme moi la modernité de la chose !

- Pas trop ?

- Ne vois-tu pas qu'implicitement, il introduit le Sujet dans son rapport au monde ? Il est à un cheveu d'être phénoménologue, et nous le retrouvons en neurologie, lorsque JP Changeux nous dit que la prise de conscience est la rencontre entre un percept et un concept :

"Boèce s’appuie ici sur les notions d’incorporel et de corporel utilisées par Alexandre d’Aphrodise pour expliquer le mécanisme de la sensation : les sensations présentent à l’âme comme incorporelles des choses qui, en elles-mêmes, sont corporelles. Or, poursuit Boèce, si l’esprit peut distinguer ce que les «sens lui transmettent comme mélangé (confusa) et attaché (coniuncta) aux corps» et ainsi «contempler (speculari) et voir la nature incorporelle par elle-même, sans les corps où elle est mêlée (concreta)», il a par là même le pouvoir de «considérer et de contempler» les genres et les espèces «en séparant les incorporels qu’il reçoit combinés (permixta) aux corps». p. 162

- C'est ton interprétation, mais nous sommes loin du haut Moyen Âge !

- Je dis juste que nous creusons un sillon tracé depuis fort longtemps.

"Autrement dit : les genres et les espèces n’existent pas séparément, telles les Idées de Platon, mais ils peuvent être séparés des corps et du sensible par la pensée. Cette séparation est ce que le Moyen Âge appellera l’abstraction. Reste à expliquer la manière dont elle s’accomplit." p. 162

La formation de l'universel :
La cogitatio collecta
:

"Boèce trouve une solution élégante au problème laissé pendant par Porphyre. Mais il ouvre un espace plus problématique encore, car il donne à entendre qu’une même chose peut être à la fois singulière et universelle – une thèse qui sera revendiquée, reformulée ou rejetée d’un bout à l’autre du Moyen Âge, une thèse qui, en tout état de cause, ouvre la voie à une série de paradoxes où le réalisme et le nominalisme trouveront à la fois leur aliment et l’ultime raison de leur différend.
Plus que du problème de Porphyre, c’est de la solution de Boèce que procède, on va le voir, l’impulsion initiale de la querelle des universaux telle qu’elle éclate dans le XIIe siècle latin."
p. 163

Le commentaire qui me vient, c'est qu'en ne suivant pas Boèce, le haut Moyen Âge a gratté jusqu'à l'os l'approche logique proposée par les anciens, et qu'il faudra attendre la Renaissance, pour revenir à la la place centrale du Sujet dans la perception de son environnement.

Les sectes du XIIe siècle :

Là, nous abordons les développements historiques de la dispute, entre "Nominales" et "Reales".

L'énigme des "Nominales" :

"Si l’on met ensemble toutes les thèses attribuées aux Nominales portant directement ou indirectement sur les universaux, on obtient, selon nous, la liste suivante (cf. Iwakuma-Ebbesen, 1992) :

  • Certains noms sont universels (texte no 5).
  • Genre est un nom (textes nos 40a, 44c).
  • Les genres et les espèces sont des vocables ou des sons vocaux (texte no 4).
  • Rien d’autre qu’un son vocal n’est supposé par le nom « genre » (texte no 44d).
  • Aucune expression complexe n’est un genre ou une espèce (texte no 22b).
  • La plupart des touts sont leurs parties (texte no 11).
  • Dans une prédication, des termes sont prédiqués de termes et non des choses de choses (texte no 22a)." p. 166

- Sais-tu à quoi me font penser ces efforts pour cerner très précisément la pensée ?

- Dis voir ?

- Au Tractatus de Wittgenstein ! Même fixation sur la "logique", même effort de définition des propositions premières. Par bonheur pour Wittgenstein, Gödel est arrivé juste derrière lui, ce qui lui a permis de passer à autre chose, Abélard n'a pas eu cette chance...

Ceci dit, j'accroche assez peu à la problématique débattue autour des "nominales", de savoir s'ils tirent leur nom de leur position par rapport au problème de Porphyre, ou de leur compréhension du concept de "genre" ou "d'espèce", i.e.: que "genre" soit un "son vocal", un "mot" (sermo) ou un "nom" (nomen).  

- Tu décroches ?

- Et bien oui : le Sujet est si absent du discours, que je n'arrive pas à lui donner sens.

- Mais n'assiste-t-on pas ici aux premières réflexions sur la structure du langage ? En particulier chez Abélard :

"Ce n’est sans doute pas, toutefois, pour cette thèse précise que le groupe d’Abélard a reçu cette étiquette, mais parce qu’il soutenait que, derrière la diversité des genres grammaticaux, masculin (albus), féminin (alba), neutre (album), les noms demeuraient identiques. Une théorie – la théorie de l’unité du nom –, dont Chenu a le premier montré l’arrière-plan théologique (unité de l’article de foi), en la rapprochant de la problématique de l’unité de l’«énonçable» (enuntiabile), dont les auteurs du XIIIe siècle (Bonaventure, Albert le Grand, Thomas d’Aquin) ont fait, un siècle plus tard, le signe de reconnaissance de l’antique doctrine des Nominales (dans leur esprit : Pierre Lombard et son école)." p. 167

- C'est plutôt une réflexion sur l'unicité du référé caché par la variété de l'expression. Là encore, nous pouvons suivre la postérité du questionnement jusqu'à nos jours, car cela nous mène à la différence "identité/ idempotence", ou "section/ rétraction" en topologie. Et "l'unité de l'énonçable" nous renvoie aux modernes réflexions quant à "l'observable" en physique.

- Il y a malgré tout un recul Imaginaire amenant à parler du langage en lui-même : 

"... Enfin, dès les années 1110-1120, certains commentaires sur les Catégories (comme C8, ms. Vatican Reg. lat. 230, f o 41v) distinguent les noms de première imposition, nomina rerum, et les noms de seconde imposition, nomina vocum, et ils interprètent le passage de Boèce (176D) posant que «les genres et les espèces sont d’une certaine manière des noms de noms» comme une confirmation autoritaire de l’identification des universaux à des «voix» : «Boèce confirme dans son commentaire des Catégories que les genres et les espèces sont des sons vocaux, quand il dit que les genres et les espèces sont d’une certaine façon des noms de noms.» p. 167

- Nous sommes encore très loin d'un discours linguistique, et c'est à mon sens une erreur de perspective. Nous avons appris de la physique moderne que du "Réel" nous ne puissions qu'en parler, sans jamais l'atteindre (là c'est Bohr et Lacan contre Einstein), et  nous sommes focalisés sur le langage (les maths sont un langage), quand au Moyen Âge, les "objets" sont "substantiels" en 𓁝[♲]. Néanmoins, cette façon de voir laisse des traces, j'y associe en particulier la "quantité conservée" du triptyque de Noether, en [♲]𓁜.

Pour en revenir à notre sujet, se dégage l'idée que des noms puissent être associés soit à des objets, soit d'autres noms.

"... certains textes «réalistes» (comme P 20, ms. Vienne, ÖNB, VPL 2486) présentent dès cette époque une position «nominale» en la caractérisant par la thèse que les cinq prédicables de Porphyre sont «seulement des noms de noms» (nomina tantum nominum)." p. 167

- Si je comprends bien : un mot (sermo) est

  • un "nom" (nomen) quand il est une étiquette sur un "objet"
  • un "son vocal" (voce) quand il se réfère à d'autres  "noms". 

Avec l'idée que les universaux ne sont que de "noms de noms", autrement dit, pour les Nominales, des "sons vocaux" ?

- C'est ce que j'ai cru comprendre, en effet. Mais il semble qu'Abélard lui-même ait évolué sur la question.

"si Abélard lui-même a abandonné cette théorie pour caractériser ensuite les universaux comme des sermones, il semble qu’aucun auteur de cette époque ne les ait caractérisés comme des nomina. Dans ces conditions, contrairement à l’opinion reçue, les Nominales ne tiennent pas leur nom de leur théorie des universaux, mais plus vraisemblablement de leur position sur l’unitas nominis." p. 168

Bref, les historiens s'embrouillent (et m'embrouillent) sur la question :

"Pour tenter d’éclaircir cet imbroglio, il faut revenir à l’analyse des positions «sectaires» du XIIe siècle." p. 168

Les sectes - Les Reales et les Nominales :

- Là il faut que je recentre mon attention: je n'ai aucune intention d'entrer dans les arcanes des discussions entre sectes, mais uniquement de repérer l'éclosion des questionnements qui ont encore une postérité de nos jours.

Nous aurions donc maître Pierre (sans doute Abélard) du côté des Nominales, s'opposant aux Reales. Chaque clan se déployant en sectes, autour de certaines prises de position sur les thèmes suivants :

  • La problématique de Porphyre (et l'approche de Boèce);
  • la mérologie (qui traite du rapport entre les parties et le tout).

Le rapport entre les deux tient à la théologie, comme nous l'avons déjà vu de façon naïve en introduction.

"La liaison entre la problématique des universaux, héritée de Porphyre et des Catégories, et les problèmes méréologiques, effleurés par l’Isagoge, n’est pas le fruit du hasard. Elle a des raisons théologiques, liées à la manière particulière dont Roscelin de Compiègne semble avoir argumenté sa théologie trinitaire. Elle a aussi des raisons philosophiques intrinsèques qui expliquent pourquoi Roscelin a inclus des arguments méréologiques dans sa théologie de la Trinité : les rapports entre universaux et particuliers/singuliers peuvent être dans une large mesure analysés en parallèle avec les rapports des touts et de leurs parties." p. 170

Mais comme il n'y a aucune place pour penser la relativité de l'expérience au Sujet, avec un discours strictement conditionné par la logique du 1e ordre, il est évident que le questionnement reste dans l'automatisme de répétition, sans échappatoire.

Néanmoins, le rapport du tout et des parties est bel et bien posé dès le XIIe siècle, à cause d'un concept trinitaire, que Dumézil fait remonter à notre ascendance indo-européenne. 1, 2, 3 Soleil !

- Pardon ?

- Oui : Le 1 de Platon, le 2 de la logique (les deux branches d'une alternative), et le 3 de la Sainte Trinité.

  1. Pour échapper à la pensée mythique, Platon se focalise sur le Un,
  2. Mais afin de pouvoir "dire quelque chose", il doit abandonner Parménide pour qui "ce qui est est, ce qui n'est pas n'est pas" et poser un décalage possible entre ce qui est et ce qui en est dit, d'où la "logique".
  3. Et le trois revient en force avec la Sainte Trinité

Dumézil parle des mythes trinitaires dans les cultures indo-européennes, mais cette trinité se retrouve également dans le mythe d'Isis, dans une culture autre, et sans doute est-elle plus universelle encore. Lorsque, par exemple, Lévi-Strauss nous dit que l'on peut retrouver partout la structure du mythe d'Oedipe, ne s'agit-il pas de cela? D'ailleurs la forme canonique des mythes, bien que structurée sur 4 pôles, définit en fait le dernier par la double inversion du troisième (revoir ici).

En ce sens, la pensée mythique s'impose à nouveau sous son aspect le plus fondamental : comment passer d'une collection  d'éléments aux  𓁝parties d'un tout.

- Et tu fais le lien avec la pensée mythique ?

- Très facilement, prend par exemple le mythe d'Oedipe. Le père est pour son fils un "pair", un autre élément, un "objet a", quand il veux se "fondre dans la mère", faire partie d'elle. En ce sens, le passage de [père]𓁜 à 𓁝[mère] passe par la forme canonique, et le sacrifice du père; je te laisse faire l'exercice par toi-même. Dans la Sainte Trinité, le sacrifice porte sur le Fils, chez les Égyptiens, dans la trininté Isis/ Osiris/ Horus, c'est Osiris qui s'y colle...

- Nous nous éloignons...

- C'était juste pour mettre l'emphase sur cette émergence d'une problématique mérologique au XIIe siècle.

Thèses des Reales sur les universaux :

Là, je vais aller plus vite.

Nous avons, liée aux universaux, une opposition directe aux Nominales :

ThR1 : "Les genres sont des choses"

Ça paraît surprenant, vu du XXIè siècle. Évidemment, ça appelle immédiatement la question suivante : quelle est la "substance" de cette chose, mais bon, c'est noté. Abélard réfute cette thèse; et marque ainsi une différence très sensible entre les deux positions.

Alain de Ribera fait remonter cette thèse au développement argumentatif du Ménon, dont nous avons déjà discuté (voir "Retour à Platon et Aristote")

􏰀ThR2􏰁 «Il y a quelque chose en dehors du particulier» (aliquid est praeter particulare).

L'auteur reconstitue cette thèse à partir de la position des Nominales, qui s'y réfèrent pour s'y opposer. (p. 173). Nous y reviendrons.

Thr3 "De l'impossible rien ne suit"

Thèse qui s'oppose frontalement à la thèse Nominaliste : "De l'impossible suit n'importe quoi".

- Ça ne te rappelle rien ?

- Si, bien sûr : l'objet initial vide en théorie des catégories, et je trouve la filiation de l'impossible au vide très intéressante à suivre. Reviens à la définition de l'ensemble vide dont nous discutions en addendum de l'article précédent :

"Lorsque l'on définit l'objet discriminant en [⚤]𓁜 comme "l'ensemble P(E) des parties de l'ensemble E singleton {*}, à savoir :

  • le singleton lui-même {*};
  • et "l'ensemble vide { }", coincé entre la "peau de l'ensemble" {...} et le singleton (qui est lui-même un ensemble) {*};

on enfonce des chevilles rondes (les parties) dans une mortaise carrée (un ensemble), et P(E) me semble une construction monstrueuse !"

Cet ensemble vide ressemble d'assez près à "quelque chose d'impossible", ou "d'absent", non ? D'ailleurs, il semble que le "zéro" ne soit introduit en Europe que vers 1202 par Fibonacci (voir Wikipédia), et l'on peut soutenir la thèse que cette absence de vide correspond à "l'impossible" en question.

Il y a donc bien, chez les Nominalistes, l'amorce d'une rupture d'avec l'Un Platonicien, d'où tout découlait depuis Parménide... Rupture selon deux axes :

  • Questionnement quand à l'objet Initial;
  • Passage de l'élément à la partie.

Qui annonce le relativisme de la Renaissance.

Thèses des Nominales sur les universaux :

"Les Positiones Nominalium formulent clairement les deux thèses centrales de la secte ou des sectes «nominales» : «Nos théorèmes concernant les universaux sont au nombre de deux :

  • premièrement 􏰀ThN1􏰁, nous nous accordons à penser que les universaux comme les genres et les espèces sont des noms ;
  • deuxièmement 􏰀ThN2􏰁, nous posons contre l’opinion des Reales que rien n’est en dehors du particulier » (nihil est praeter particulare)»" p. 173

Autrement dit la dualité Un/ multiple se redouble d'une autre quant au statut des formes séparées (universaux), qui, procédant de l'Un, ne "sont pas", autrement dit, ne sont pas extraites du Réel : ce sont des noms.

- Il y a un refus de Platon qui, pour s'opposer aux Sophistes, pose que le référé des noms n'est pas dans le champ de discours, non ?

- Il faut suivre ce qu'en dira de Libéra.


Le 24/ 03/ 2022 :

J'ai beaucoup de mal à suivre Alain de Libéra, car sa culture débordant de partout, il passe allègrement de Porphyre (Syrien de Tyr), à Boèce (Romain), Roscelin (de Compiègne), Abélard (Poitevin) ou Occam (bloqué dans sa carrière à Oxfrod) et j'en ai le tournis !

J'ai besoin de me fixer les idées (en passant Plotin, Syrianus ou al Fârâbî faute de place):

Porphyre [234/310]                    
Boèce     [480/524]                
Roscelin         [1050   1121]        
Abélard           [1079   1142]      
Occam                   [1285       1347]

- Nous nous intéressons plutôt aux Nominales qu'aux Reales?

- C'est ce qui se dégage effectivement de texte, pour la simple raison, semble-t-il, que la voie empruntée par les Nominales conduirait à notre façon de voir les choses, Occam étant vu par certains comme le père de la démarche scientifique. C'est le fil rouge que je vais tenter de dégager du texte.

Le problème semble se nouer autour de la nature de ce qui est prédiqué : est-ce la chose ou le mot

À la différence des Reales qui disent que la prédication consiste à prédiquer une chose d’une chose (rem de re), nous [i.e.: les Nominalistes] disons qu’elle consiste à prédiquer un terme d’un terme» (terminum de termino)
[...]
Ce que ce texte montre, c’est que la discussion porte sur les termes et les choses au sens de «signifiés des termes». Le débat des Nominales et des Reales ne porte donc pas brutalement sur la question de savoir si la prédication joue entre des choses ou des mots, mais si ce qui est prédicable est le terme lui-même ou le signifié du terme.
[...]
La question est ainsi de savoir

  • si ce qui est prédiqué, c’est le terme signifiant «substance, animée, sensible», à savoir le terme animal prédiqué d’un autre terme, par exemple Socrate, dans «une proposition vraie, affirmative, au présent, au moyen du verbe substantif», c’est-à-dire de la copule est – une telle proposition étant vraie si les deux signes linguistiques sont coréférentiels, i.e. renvoient à la même chose singulière –,
  • ou si ce qui est prédiqué, c’est le signifié du terme «animal» considéré comme une chose, une réalité (quel que soit le type de réalité recouvert par le mot «réalité», par exemple une forme), prédiquée d’une autre chose (par exemple la chose singulière signifiée par le nom propre «Socrate»), au moyen du verbe est, signifiant ici non plus l’identité entre deux termes coréférentiels, mais l’inhérence d’une forme caractéristique à une chose singulière.." p. 174-175

Je ne peux m'empêcher de vouloir rapprocher cette problématique de celle qu'évoque Foucault à l'Âge Classique autour de la "grammaire générale" :

« C'est là que se situe ce domaine épistémologique nouveau que l'âge classique a appelé la «grammaire générale». Ce serait contresens d'y voir seulement l'application pure et simple d'une logique à la théorie du langage. Mais contresens également de vouloir y déchiffrer comme la préfiguration d'une linguistique. La Grammaire générale, c'est l'étude de l'ordre verbal dans son rapport à la simultanéité qu'elle a pour charge de représenter. Pour objet propre, elle n'a donc ni la pensée ni la langue : mais le discours entendu comme suite de signes verbaux.» Extrait de: Michel Foucault. « Les Mots et les choses. » Apple Books. p. 331

- Tu sautes vraiment du coq à l'âne.

- Je le sais, mais laisse-moi continuer sur mon erre. Le signifiant, ici, c'est comme dans le "Chien de Baskerville" ce qui manque au tableau.

- Et quel est-il ?

- Le fait que l'on parte du vocalisme de Roscelin sans s'attarder à aucun moment au fait que l'énonciation d'un mot (sa vocalisation) se déroule dans le temps

- Et ça te mène où ?

- Je n'en sais trop rien, mais j'imagine qu'après la logique de Frege et la machine de Turing, nous nous sommes habitués à comprendre le calcul propositionnel comme un processus; or là, la "prédication" est donnée d'un bloc, sans distinction de la cause et de l'effet...

- Non, c'est pourquoi l'on parle de mérologie : du tout et de la partie, et non pas de succession, mais d'inclusion.

- Pourtant lorsqu'il s'agit de savoir si le tout (i.e.: "la maison") est d'un bloc ou constituée de parties, (i.e. : comme "les murs"), et si elle subsiste lorsque l'on abat un mur, la dispute porte sur la succession : 

  • Roscelin soutient que le terme "maison" n'est plus approprié et que l'on doit parler de "maison incomplète"
  • Abélard soutient que le terme "maison" reste approprié.

"Roscelin ne nie pas qu’une maison soit constituée de parties prises ensemble, dont chacune lui est antérieure. Mais il pose que seul existe le tout, la partie de cette maison n’existant pas comme substance autonome. Abélard lui oppose une sémantique de la signification fondée sur le principe d’une corrélation entre les mots et les natures des choses." p. 181

Bien que Roscelin n'évoque pas explicitement le déroulement temporel des "flatus vocis", tu vois bien qu'il est malgré tout travaillé par cette problématique, comme en atteste l'idée que le tout se constitue après les éléments qui le constituent.

- Encore une fois, où te mènent ces réflexions ?

- À pointer un manque entre l'espace propre aux universaux en [♲] (qu'il serait plus juste d'appeler [間], si le terme Ma 間 était mieux partagé) et le temps propre à la succession et la logique du 1er ordre en [⚤]. 

- Autrement dit un espace de niveau [#] permettant d'aborder une pensée topologique en mode ♢ ?

- Exactement : les discussions mérologiques découlent d'une différence de postures  𓁝/𓁜 au coeur de l'approche topologique. (a)

  • Éléments : [⚤]𓁜 / Tout : [⚤]𓁜 (Roscelin) (Note 1);
  • Parties : 𓁝[♲] / Tout : [♲]𓁜 (Abélard).

et leur irréductibilité est le symptôme d'un manque à penser la topologie en mode ♢, associée à un espace propre en [#] pour l'exprimer.

"Pour Abélard, les noms s’attribuent aux choses selon leur signification, c’est-à-dire selon la définition de la chose, par exemple, pour homme, «animal, sensible, raisonnable, mortel», c’est-à-dire selon l’essence de la chose, qui persiste indépendamment de l’altération qualitative ou de la diminution quantitative subie, au long du temps. Pour Roscelin, les mots réfèrent à des choses singulières dont les qualités ne se séparent pas, «à des touts dont les parties restent solidaires», en sorte que, si ces choses «s’écartent de leur perfection», perdent leur toit, leur mur ou «quelque partie cachée», les mots qui les désignent ne renvoient plus à elles, même s’ils subsistent eux-mêmes comme flatus vocis. Ce sont ainsi deux sémantiques qui s’affrontent, l’une de la signification, l’autre de la référence." p. 181

Cette différence de posture colore le rôle dévolu à la copule "est".

  • En [⚤]𓁜 : "a est b" traduit une égalité logique (le signe = sera introduit en 1557) a=b:
  • 𓁝[♲] : dans "a est b", a est en substance b ;
  • [♲]𓁜 : dans "a est b", a est informé par b.

Bien entendu, la différence entre les deux "Touts", selon Roscelin ou Abélard, est  vite identifiée et conduit à une distinction entre :

  • Tout "intégral" en  [⚤]𓁜; (Note 2)
  • Tout "universel" en  [♲]𓁜.

Le 27/ 03/ 2022 :

- Je finissais avant-hier sur les significations du verbe "être", et la suite du texte porte sur l'absence de l'être dans une approche mérologique qui ne peut se développer qu'à partir du Sujet !

L'aporie mérologique du sujet de la rationalité :

L'homme est-il constitué d'un corps et d'une âme ?  (Note 4)

Nous pouvons très simplement nous représenter le problème et comprendre en quoi la question est délicate : 

  • Le corps de l'homme s'identifie en [⚤]𓁜, au niveau de la logique;
  • L'âme procède de  Dieu, et se comprend en [♲]𓁜.

La secte des Melidunenses a mis le doigt dessus et développé à partir de là une thèse suivant laquelle l'âme n'est partie d'aucun homme (nullius mominis pars est anima).

- Elle n'imprime pas la substance de l'homme en 𓁝[♲] ?

- Ça découle d'Aristote, mais avoue que ça pose quand même problème, non?

"Or on pouvait objecter à cela que la rationalité n’était pas une propriété du corps, mais de l’âme, qui ne figurait pas dans le dispositif. Cela entraînait d’autres questions. L’âme et le corps étaient-ils les parties de l’homme ? Et si oui, comment l’homme, pris comme tout, et l’une de ses parties, le corps, pouvaient-ils partager une propriété, la rationalité, sans la partager aussi avec l’autre partie, l’âme ?" p. 184

Je reprends le texte à l'aide de notre symbolique :

  • "L'homme pris comme tout" : [♲]𓁜;
  • "L'âme et le corps comme parties de l'homme" : 𓁝[♲];
  • Alors :
    • L'homme comme tout [♲]𓁜 et son corps  𓁝[♲] partageraient la "propriété rationnelle" en [♲]𓁜 (par hypothèse)
    • Sans que l'âme en 𓁝[♲] la partage.

La conclusion des Melidunenses est que l'âme n'est pas une "partie" de l'homme. Toujours est-il que cette thèse sera attribuée au Nominales. (note 3)

Tu vois immédiatement que l'absence du niveau [#] ne permet pas de penser "âmecorps", comme orthogonaux entre eux. Ici, âme et corps en 𓁝[♲], ne peuvent conduire qu'à des paradoxes logiques ([⚤]𓁝𓁜[♲]⏩[⚤]𓁝𓁜[♲])𓂀.

Autrement dit l'expression logique limite la tentative d'approche "mérologique".

- Et c'est grave docteur ?

- Comme nous commençons de le voir, la physique se construit entre modes ♢ (énergie potentielle) et ♧ (énergie cinétique), dans un langage de formes symplexiques de niveau [#] (voir par exemple "la grammaire de la nature de J.-M. Souriau" ou "L'entendement de 3e espèce"), il était donc difficile pour les médiévaux de développer une pensée très consistante en physique.

"Ici, il suffit de noter que les médiévaux ont toujours eu des difficultés à confronter l’Arbre logique de Porphyre avec la réalité physique. Que ce soit au niveau de la distinction entre deux types de touts ou à celui de l’aporie du sujet de la rationalité, le rapport inconsistant du logique et du physique au sein de l’univers porphyrien a été mis dans une lumière spéciale par les problèmes méréologiques, indépendamment ou en complément de ce que les médiévaux pouvaient développer dans le cadre tout différent, principalement appuyé sur les premiers chapitres des Catégories et du De interpretatione, des rapports entre mots, concepts et choses. Il est temps d’en venir à Abélard." p. 185


Le 28/ 03/ 2022 :

Pierre Abélard et la critique du réalisme :

- Comme cet article commence à être long, je passe au suivant. See you there.

Hari

Note 1 :

1/ Dans ce schéma où le "Tout" est constitué de ses éléments dans une démarche purement constructiviste, la substance du Tout se définit après sa constitution : ([⚤]𓁝𓁜[♲]⏩[⚤]𓁝𓁜[♲])𓂀.

2/ La construction immanente S↑ aboutit comme toujours à 𓁝[♲];

3/ Faute de franchir le pas (𓁝[♲]⏩[♲]𓁜)𓂀; le "Tout" reste un "mot" au niveau du discours [⚤]𓁜, au même titre que ceux désignant ses éléments.

Note 2 :

Avec sans doute la possibilité de suivre l'évolution du terme "intégral", jusqu'à la répétition d'un même geste dans l'intégration au sens mathématique du terme, avec Leibniz et/ ou Newton... En tout cas associé à un processus immanent S↑, quand le tout "universel", découle d'un principe transcendant S↓.

Note 3 :

- Si, comme tu l'indiques ici, la logique est de niveau [♲]𓁜, alors ton schéma de l'Imaginaire tombe de lui-même !

mode/ niveau Objet final Multiple Formes Objet initial
 "pont entre syntaxes" [1] [⚤] [♲] [1]
 "syntaxique" [1] [⚤] [♲] [1]
 "objectif" [1] [⚤] [♲] [1] 

- La question est effectivement très délicate, et nous l'avions déjà évoquée dans le dernier article (#14)

"... Ce qui apparaît au fil de notre discussion, c'est que la logique du premier ordre n'est pas un choix porté par un discours, puisqu'elle est la possibilité même du discours rationnel."

La voie que nous suivons est tracée par Lévi-Strauss lorsqu'il remarque que la pensée mythique est une tentative de surmonter les paradoxes nés d'un discours fondamentalement dichotomique : "Si le totem de la femme est l'engoulevent, alors comment peut-elle être potière " ? D'une certaine façon, c'est en prenant du recul S↑ par rapport à une expression logique [⚤]𓁜, que nous sommes portés à un autre niveau Imaginaire [♲]𓁜. Penser, ensuite, que la logique découle d'un processus transcendant S↓ est une reconstruction a posteriori. Donc, je garde ce schéma de l'Imaginaire.

- C'était juste pour vérifier...

Note 4 :

- À noter que notre façon moderne de nous représenter le Sujet n'a guère évolué ! Pense à la différence faite en psychanalyse entre :

  • le Je ou S intriqué à l'Autre au niveau Symbolique;
  • le Moi petit a' face à "l'objet petit a" au niveau Imaginaire.

qui structure le schéma en L de Lacan. Il y a une filiation évidente avec la dualité corps/ âme telle qu'elle se développe alors, en termes purement logiques en mode ♧.

- Tu veux dire que nous n'avançons pas dans notre réflexion ?

- À moins que cette approche duale de nous-mêmes, ne traduise une façon très profonde que nous avons d'être au Monde, nous inclus ... D'où sans doute l'importance de toujours enraciner notre réflexion au plus profond de la pensée mythique, et revenir encore et encore à la forme canonique de Lévi-Strauss... (voir ici, j'insiste !).

- Pourquoi ce "nous inclus" ?

- Je t'invite à regarder les schémas des postures prises pour établir :

pour comprendre que de nos jours, notre entendement se noue dans ces passages de modes ♧ à ♢ (en termes de "transformations naturelles" sans doute, au niveau de la syntaxe), qui est la version évoluée du passage de 𓁝[♲]♧ à [♲]𓁜  discuté entre Platon et Aristote, jusqu'au XIIe siècle, en attendant la suite .

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