Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...
5 Mars 2022
- Ça y est, après ce petit tour qui t'a amené à visiter Bourdieu, tu reviens à ce livre d'Alain de Ribera ? Mais dis-moi, faut-il retenir quelque chose de tes tribulations, qui puisse nous aider dans cette lecture ?
- Revenons à mes réflexions du 05/01 (voir "La querelle des Universaux - Alain de Libera / Notes de lecture # 13"), concernant mon désir d'écrire un livre sur ma démarche.
1/ En rapprochant :
Je vois très distinctement à présent, la nécessité pour tout champ de réflexion qui puisse s'offrir à nous, d'aboutir à un discours de type ([⚤]𓁜 )⇅𓂀♧.
- Ce n'était pas la peine de faire tout ce détour pour en arriver là !
- Non, tu ne comprends pas l'importance du propos.
Lorsque, par exemple, le mathématicien travaille sur une Catégorie C quelconque, il y a toujours un moment ou un autre la nécessité de la "ramener" au niveau de la Catégorie des Ensembles. D'où l'idée de sa "représentativité" par un fonceur F : C↓E.
C'est une nécessité que tu retrouves dans la démarche de Rizzi. Pour "parler" de la structure d'une langue particulière, son idée est de la ramener à la "forme générale d'une langue". Ensuite, la comparaison entre deux langues, telles que l'Inuit et le Chinois, se fait en passant par ce socle commun.
De même, en sociologie, (mais là, c'est moi qui m'avance), il est difficile de situer sa position sociale à partir de son goût pour la littérature et de son attrait pour les voyages, par exemple, sans tout ramener à un moment ou un autre en termes d'analyse marxiste, c.-à-d. de "capital" au sens monétaire du terme.
Or, ce mécanisme, nous le vivons dans notre quotidien, comme la nécessaire intégration dans notre cerveau de nos expériences de veille : c'est proprement la fonction du rêve, qui traduit en termes "relationnels" de mode ♢ notre confrontation au Réel en mode "objectif" ♧. Différence de modes qui se retrouve en physique entre la simultanéité des relations potentielles d'un objet en mode ♢, et son état actuel en mode ♧, qui s'inscrit dans la temporalité et s'exprime en termes de causalité.
- Bon, merci pour le résumé, mais quel rapport avec la querelle des universaux?
- Aristote, en définissant à part la logique, comme liée au langage, est au coeur du problème.
Je dois confesser avoir toujours eu envers Aristote une attitude très irrespectueuse, simplement due au fait que Galilée l'a mis KO d'une simple pichenette sur une bille, celle-ci continuant à rouler après ce coup d'envoi, contrairement à l'idée aristotélicienne selon laquelle lorsqu'un corps n'est plus soumis à aucune force, il s'arrête. C'est bien beau, voire nécessaire, de tuer le père pour avancer, mais l'âge venant, il faut comprendre et respecter l'oeuvre accomplie.
- Qu'entends-tu par "à part" ?
- Nous en sommes au passage d'al Fârâbî à Roger Bacon (ne pas confondre avec Francis !) et à cette période "d’euphorie épistémologique des années 1240-1260" dont parle l'auteur.
"L’abstraction est de mise aussi bien en métaphysique qu’en logique, mais pas de la même manière. En effet, le premier sens de l’abstraction est l’existence (existentia) d’une chose extérieure à la matière, d’une chose, donc, qui jamais ne fut, ni n’est, ni ne sera dans une matière.
De là, on passe à une hiérarchisation des savoirs :
Avec un positionnement à part de la logique :
"La tripartition des sciences théorétiques réelles (par opposition à la logique, science du langage, auxiliaire des sciences réelles) étant référée à une distinction tripartite entre les facultés de l’âme où la physique est mise en relation avec les sens, la mathématique avec l’imagination, et la métaphysique avec l’intellect." p. 144
Comme tu le vois, ce qui m'arrête ici, c'est cette logique entre parenthèses que l'auteur prend pour évidente.
- Il n'y a là rien de choquant.
- Non, bien entendu, mais c'est la notion de "mathématiques" qui a changé de sens au fil du temps.
Le socle premier, c'est la logique comprise comme rempart au coeur du langage pour lutter contre son appropriation par les Sophistes.
Les mathématiques sont "les formes pures" qui informent la substance, et il s'agit essentiellement ici de géométrie. Avec en particulier les 5 solides de Platon.
Or, nous parlons plus volontiers de "mathématiques" comme d'un "langage", l'aboutissement en étant la théorie des Catégories. Le pas décisif a sans doute été fait par Descartes (ou Fermat), qui fit la jonction entre algèbre et géométrie.
Et donc, pour en revenir à mes réflexions de ce matin, dans notre arbre généalogique remontant à Parménide en passant par Aristote, Platon et Socrate, il faut comprendre la définition de la logique du premier ordre, avec le principe du tiers exclu, non pas comme un choix (au sens ou prendre l'Un comme objet initial en est un), mais comme relevant d'une nécessité liée à notre capacité de discourir rationnellement (par opposition à une pensée mythique).
- Ça me paraît être une lapalissade...
- C'est sans doute parce que je m'exprime mal. Nous en sommes, mine de rien, à discuter de l'axiome de choix en mathématiques. Or, ce qui apparaît au fil de notre discussion, c'est que la logique du premier ordre n'est pas un choix porté par un discours, puisqu'elle est la possibilité même du discours rationnel.
Le 07/ 03/ 2022 :
Et donc, dans ce livre en construction dans ma tête, si je désirais retracer a posteriori, la genèse de notre pensée actuelle, toujours à l'imitation de Michel Foucault, il faudrait commencer par Lévi-Strauss :
Le second temps de la pensée occidentale consiste à repartir de Parménide et de son désir de s'émanciper de cette pensée mythique, qui conduit Platon à définir l'Un comme "objet initial", par opposition au fouillis mythologique.
[#]𓁜m | ←[♲]𓁜m | ([∃]𓁜m ) | 𓂀m♢ | |||
↓ | ↓ | ↓ | ||||
S↓ | [⚤]𓁜e | ←𓁝e[#] | ←𓁝e[♲] | ←𓁝e[∅] | 𓂀m♧ | |
S↑ | [⚤]𓁜e | →[#]𓁜e | →[♲]𓁜e | →𓁝e[∅] | 𓂀e♧ |
- Comment justifies-tu qu'il s'agisse d'un choix et non d'une nécessité, comme pour la logique du premier ordre ?
- En observant simplement que d'autres cultures ont fait d'autres choix. Nous en avons discuté dans "Retour à Platon et Aristote".
- Si tu en reviens aux 4 discours, ton Parménide serait dans le discours de l'hystérique ? (voir "Covariance/ contravariance- les 4 discours").
- S'il s'en tenait à une posture contravariante [♲]♢𓁜m↓𓁝e[♲]♧, oui; mais ce n'est pas le cas. La philosophie n'est pas une idéologie, mais une démarche, une recherche, et en ce sens, la posture de base maître/ élève est covariante 𓁝m[∅]♢↓𓁝e[∅]♧. Parménide est donc dans le discours de l'analyste.
- Autrement dit, dans son désir de s'émanciper de la pensée mythique, sa démarche s'inscrit dans les mêmes termes que la forme canonique ? (Voir "Schéma en L et forme canonique") :
"Donc, pour chacun des deux "Sujets" 𓁝𓁜, la femme et son totem, le conteur 𓂀♢ envisagerait le schéma de leurs relations de cette façon :
Fpotière [∃]𓁜 | Fjalousie 𓁝[∅] | 𓂀♢ | |
↓ | ↓ | ||
𓁝[∅] | 𓁝[∅] | 𓂀♧ |
- Comment s'en étonner ? Nous avons déjà vu qu'il n'y a qu'une seule façon de surmonter une contradiction logique en [⚤]♧, qui est d'accepter l'existence d'une logique autre en [⚤]♢, entre [∃]♢ et [∅]♢ qui, du temps de Parménide, n'est pas formalisée.
Il y a deux conséquences à cela :
Fpotière [∃]𓁜 | 𓁝[⚤] | 𓁝[♲]𓁜 | Fjalousie 𓁝[∅] | 𓂀♢ | |
↓ | ↓ | ↓ | ↓ | ||
𓁝[∅] | [⚤]𓁜 | S↑ 𓁝[♲]𓁜 S↓ | 𓁝[∅] | 𓂀♧ |
"- Comment interprètes-tu 𓁝[⚤]♢↓[⚤]𓁜♧ ?
- Si l'on s'intéressait au Yi King, je dirais que [⚤] est le trait "mutable" de la figure, qui conduit à s'interroger 𓁝[⚤]♢ sur le lien logique entre le fait d'être potière et jalouse. Nous savons juste :
De ce point de vue, ce hiatus entre S↓ et S↑ en mode ♧ va s'enkyster en [♲] sur lequel bute le Sujet :
jusqu'à ce que Spinoza introduise un entendement de 3e espèce, que l'on peut situer en mode ♢ pour conjoindre les deux premiers.
En présentant la démarche philosophique sous cet angle, la querelle des universaux, avec des allers-retours entre Platon et Aristote, apparaît dès lors comme un automatisme de répétition, symptôme d'un manque à penser sur deux modes ♧ et ♢.
Le 08/ 03/ 2022 :
- En fait tu tournes en rond : tu nous as déjà dit tout ceci...
- Oui, c'est vrai, mais l'éclairage change au fur et à mesure que j'apprivoise ces idées, surgies bien souvent au fil de l'écriture. Je me relis avec un filet pour récupérer ce qui est devenu papillon.
Ici, par exemple, ce qui me semble intéressant, c'est de caractériser le "choix mathématique" par le retournement du Sujet 𓁝♢↓𓁜♧ accompagnant le changement de mode ♢↓♧, qui est tout à fait similaire à l'actualisation d'une potentialité, que l'on retrouve en physique au coeur des équations de Lagrange, et que ce mouvement soit en germe, dès l'origine de la démarche philosophique, dans l'intention même de Parménide.
Voilà le lieu philosophique où s'enracine la question, très mathématique, de l'axiome de choix.
Et puisque nous en sommes aux mathématiques, nous avons vu que l'impossibilité du passage de 𓁝[♲] à [♲]𓁜 déroule directement de l'a priori philosophique platonicien limitant le discours à la pure logique du premier ordre.
En 1/ nous sommes dans la logique de Platon, quand 2/ est une approche topologique non conceptualisée à l'époque.
- Tu nous l'as déjà dit et redit.
- Oui, mais les matheux en creusant la frontière entre les deux vont tomber sur l'hypothèse de la continuité; autre point très âprement discuté, et la nécessité d'un point à l'infini pour "clore" la droite des Réels.
Dis autrement : si Platon bute sur l'obstacle, c'est parce que sa pensée suit rigoureusement son choix de l'Un comme objet initial. C'est pourquoi, rétrospectivement, j'éprouve un profond respect pour toute cette famille philosophique qui s'est frottée au cours des siècles à la question des universaux, en restant au plus près qu'ils le pouvaient, d'une logique implacable.
D'ailleurs tu retrouves des discussions picrocholines de même nature en mathématique concernant l'expression d'espaces topologiques (i.e.: constitués de "parties" ou "ouverts") en termes ensemblistes (i.e.: en partant "d'éléments") (voir ici).
- Tu es en train de dire que la question n'est pas réglée ?
- Si : par le passage au topos qui est "le lit commun du discret et du continu", selon le mot de Grothendieck. (voir "La Sujet comme topos" et "Comment parler de l'âme avec François Cheng").
- Si je te suis bien, la réponse à Platon vient de Grothendieck ?
- Ça ne s'est pas fait d'un coup et l'évolution porte en gros sur deux ou trois siècles, ce qui au regard de l'histoire, est relativement court, mais oui.
D'ailleurs, souviens-toi de ta propre surprise en retrouvant, derrière certains concepts, pratiquement contemporains, des a priori d'un autre âge.
Par exemple Freud qui imagine un Thanatos pour expliquer l'automatisme de répétition (partant de l'idée aristotélicienne que s'il y a mouvement, c'est qu'une force est en action). Ou encore, tout dernièrement chez Bourdieu, sa façon de définir l'habitus par son contenu au lieu d'y voir une forme vide (voir "Découvrir Bourdieu").
- En somme, si je te suis bien, il y aurait urgence à changer d'épistémè en se calant sur l'idée de topos ?
- Oui, et là encore, la physique montre la voie : son langage est actuellement celui des catégories !
- Ok, je vois le contexte, mais si tu en revenais à al Fârâbî et aux péripatéticiens?
- Demain mon ami, il faut encore que je rumine tout ceci.
Le 09/ 03/ 2022 :
- Reprenons donc notre lecture à :
Double action de l’intellect et cooccurrence de la forme : (p. 148) (a)
"al-Fârâbî explique le passage de la sensation à la pensée par une double action exercée par la lumière émanée de l’intellect agent. Paraphrasant Aristote, il pose que l’intellect agent émet «un analogue de la lumière» physique, une lumière intelligible, qui «agit à la fois
Avoue qu'en ayant en tête la caractérisation neurologique de J.P. Changeux, c'est assez troublant. Nous avons en effet, ici comme là, l'idée que l'intellect se développe à partir de la rencontre entre deux processus.
- Ça ne saute pas aux yeux.
- Nous pouvons déjà reconnaitre dans ce passage de la sensation à la pensée ce que Changeux appelle la "prise de conscience". Là où cela diffère, c'est que
Quant aux "concepts" de Changeux, qui sont, eux, stockés dans le cortex, pour descendre vers l'hypotalamus, al Fârâbî n'en parle pas en termes de "stockage", mais de faculté rationnelle., ce qui nous renvoie directement à la logique du premier ordre, dont nous venons de parler.
- Pourquoi insistes-tu sur ce rapprochement ?
- Pour montrer que chez al Fârâbî, le Sujet n'est pas en rapport avec le Réel, la sensation est coupée de l'extérieur du Sujet.
Essayons de mettre ceci en musique :
al Fârâbî | J.P. Changeux |
perceptions sensibles : | percept : |
S↓ : [♲]𓁜⏩[⚤]𓁝⇅𓁜[♲]⏩[⚤]𓁜 | S↑ : ☯[∃]𓁜⏩☯[∃][⚤]𓁜 |
facultés rationnelles : | concept : |
[⚤]𓁜 | S↓ : [♲]𓁜⏩[⚤]𓁝⇅𓁜[♲]⏩[⚤]𓁜 |
Rien qu'en comparant les deux approches, tu vois tout de suite que ça coince pour définir à partir de là un processus immanent chez al Fârâbî, or c'est pourtant au coeur du débat entre Platon et Aristote : comment passer de S↑ à S↓.
- Mais d'où viennent les "facultés rationnelles" ?
- Alain de Libera parle d'intellect matériel ou possible de l'homme, ce qui me fait immdiatement penser à ce processus : 𓁝[⚤]♢↓[⚤]𓁜♧ (un choix d'ordre esthétique) auquel Platon donne un sens éthique, à partir de l'Un: [♲]𓁝⇆𓁜[1]⏩[♲]𓁜⏩[⚤]𓁝⇅𓁜[♲]⏩[⚤]𓁜. Mais de toute façon, tu te retrouves avec deux mouvements S↓.
- D'où la "double action de l'intellect ?
- Oui, "l'intellect agent", que l'on peut situer dans le retournement [♲]𓁝⇆𓁜[∅] éclaire à la fois :
Interprétation qui recoupe ce qu'Alain de Libera en dit :
"Cette double action s’exerce de manière simultanée, en sorte que le modèle farabien du passage de la sensation à la pensée pointe et préserve à la fois le mystère de la cooccurrence formelle où se réalise l’acte de penser. On peut en effet décrire le passage de la sensation à la pensée en posant que,
La notion de simultanéïté, autrement dit "hors du temps", montre assez que nous sommes en [♲]𓁝⇆𓁜[∅] et non en [⚤]𓁝⇅𓁜[♲].
Quand au fait de "passer en acte" sans découler d'une potentialité, c'est dire que tout le processus se décrit en mode ♧, mon commentaire marquant une différence sensible par rapport à ce que peut en présenter Alain de Libera, qui n'a pas conceptualisé la différence de mode ♧ / ♢.
- Qui commentes-tu, al Fârâbî ou de Libera ?
- Notre approche étant fondamentalement relativiste, le socle ultime de mon commentaire, c'est moi-même, en tant qu'auteur dernier 𓂀. Il me faut donc relativiser le commentaire de Libera; or ce qu'il avance comme explication d'al Fârâbî ne peut que trahir ses propres conceptions.
- Si tu passais à la pratique ?
- Reporte-toi à ce passage :
"Cette indécision est la marque structurelle du rejet du platonisme dans un système fondé sur l’élimination du moyen terme entre
En agissant dans la faculté rationnelle, l’intellect agent y actualise ce qui n’y était pas déposé, fût-ce en puissance, mais était ailleurs, c’est-à-dire dans la faculté non rationnelle, en puissance d’y être déposé. Les sensibles ne peuvent s’actualiser qu’à se produire hors du lieu de leur stockage mental. Mais, faute de moyen terme, ce changement de place ne peut être décrit sur le mode d’un transit. Tout ce que l’on peut dire est que ce qui était en puissance dans la faculté imaginative apparaît en acte dans la faculté rationnelle : «Quand dans la puissance raisonnable se produit, à partir de l’intelligence agente, cette chose qui est dans la même situation que la lumière par rapport à la vue», à savoir la lumière intelligible, άνάλογον spirituel de la lumière physique, «les sensibles se réalisent», c’est- à-dire passent à l’acte «à partir de ce qui est conservé dans la puissance imaginative et deviennent intelligibles dans la puissance rationnelle»." p. 149
Le terme d'indécision me semble inadapté, car il marque une hésitation entre deux termes d'une alternative, or, là, il s'agit de deux processus en même temps. Autrement dit, Libera est lui-même dans une logique du 1er ordre: [⚤]𓁜.
Dans une telle posture, qui est somme toute platonicienne, la question est toujours de faire coïncider S↑ et S↓, en termes d'évolution (𓁝[♲]𓁜⏩𓁝[♲]𓁜)⇅𓂀Libera. Nous avons vu que cela demeurait impossible en mode ♧...
D'où le passage par la "puissance imaginative", séparée de la "puissance rationnelle".
- N'est-ce pas ce que tu désignes par ce mode relationnel ♢ ?
- Si, bien entendu, relis le texte avec ceci en tête, et il s'éclaire immédiatement. Vois-tu pourquoi je voulais te mettre le nez dessus ?
- Pour dire que la différenciation ♧ / ♢ s'impose d'elle-même ?
- Exactement. Regarde maintenant comme l'approche d'al Fârâbî :
prend alors de l'épaisseur, et annonce Lagrange ! En ce sens, c'est à très juste titre que de Libera qualifie cette approche d'al Fârâbî de topologique.
Le second point soulevé par de Libera confirme la coupure radicale du Sujet de tout contact de type "traumatique" (en référence à Lacan) avec un Réel venant réveiller le Sujet et le sortir de son Imaginaire.
"Cette approche topologique n’est pas le seul legs d’al- Fârâbî à la psychologie médiévale. Il en est un autre, plus ambigu encore. Quels sont, en effet, les intelligibles ainsi produits sur la scène de la pensée ? S’agit-il des natures simples des choses, de leur ούσία appréhendée sans les conditions sensibles qui l’accidentent dans l’image ? On peut le penser. Mais al-Fârâbî lui-même esquisse une autre piste, que le Moyen Âge aura toutes les peines du monde à distinguer de la première. Dans al-Madîna al-Fâdila, le Traité des opinions de la cité idéale, il explique que les premiers intelligibles sont des classes de propositions : celles de la science mathématique, de l’éthique, de la physique et de la métaphysique." p. 150
Ce qui confirme qu'il n'y a plus du tout de processus immanent S↑ chez le Sujet, et que l'on attaque directement en [⚤]♧𓁜 les propositions sur le sensible, qui en devient "actualisé".
On peut alors comprendre l'approche d'al Fârâbî comme un déplacement d'une problématique posée par Platon et Aristote autour de 𓁝[♲]𓁜, qui se retrouve en [⚤]𓁜, au niveau du pur langage. Il faudrait sans doute faire le rapprochement avec Wittgenstein, pour qui les problèmes philosophes traduisent un embarras du langage...
Relecture :
- Horrible impression d'être passé à côté !
- De quoi parles-tu ?
- À la relecture, ayant encore en mémoire cette idée de mémoire imaginative dont vient de parler Alain de Libera en fin de texte, je retombe dessus au début du texte (a) :
Dans le cours de l'écriture, avec ma mémoire de poisson rouge, j'avais complètement zappé.
- Et tu t'es trompé ?
- Disons qu'il faut y revenir :
J'ai tout de suite fait le rapprochement avec J.P. Changeux, et me suis appliqué à instruire le procès d'al Fârâbî à l'aune de la neurologie actuelle. Tout tient au terme de "stockage". Effectivement, ce que l'on stocke en premier dans le cortex, ce sont des étiquettes, que l'on pose sur des objets, pour les reconnaître, faire le lien entre eux et, passant par l'hyppocampe, en garder la trace dans la mémoire événementielle. Nous sommes, donc au plus élémentaire des processus mentaux, en mode objectif ♧, avant la réalisation du lien, qui nous porte en mode ♢.
Mais en fin de parcours, la "faculté imaginative" se révèle être le domaine du "potentiel", c'est-à-dire une pensée relationnelle en mode ♢. En ce sens, il y a une certaine "incohérence" (de mon point de vue) entre :
Nous nous heurtons ici à une difficulté conceptuelle que nous avions relevée, dans un autre contexte chez Bourdieu, lorsqu'il parle de "capital♧ de relations♢ sociales " (voir "Bourdieu #3").
- Il faut donc reprendre le mécanisme S↓ : [♲]𓁜⏩[⚤]𓁝⇅𓁜[♲]⏩[⚤]𓁜 que tu prêtais à al Fârâbî ?
- Tout du moins l'étoffer. Nous avions déjà pointé qu'al Fârâbî s'aventure en mode ♢ dès lors qu'il explicite l'objet initial par sa cosmogonie: [∃] ♢𓁜↓𓁝♧[∅], il s'avère maintenant qu'il nous faut compléter le schéma:
[∃]𓁜 | 𓁝[⚤] | ←[♲] | 𓁝[∅] | 𓂀♢ |
↓ | ↓ | |||
[∃] | [⚤]𓁜 | ←[♲] | 𓁝[∅] | 𓂀♧ |
Je ne m'aventurerais pas à traduire la démarche d'al Fârâbî en termes de "transformation naturelle", à cause de l'incohérence que nous avons pointée plus haut, cependant, tu retrouves assez naturellement deux voies (ici fléchées bleu et rouge) convergeant en [⚤]𓁜.
Ceci remis d'équerre, le reste du commentaire n'en est pas trop affecté.
Le 10/ 03/ 2022 :
- J'ai bien conscience de ne pas complètement cerner cette double action de l'intellect, ni la "cooccurrence de la forme", mais en avançant dans le texte, j'espère que la représentation que je m'en fais va s'éclairer.
Je retiens pour l'instant que, faute d'arriver à faire la jonction de S↑ et de S↓ en [♲], al Fârâbî arrive à une convergence en [⚤] de deux mouvements S↓.
Concepts premiers ou principes premiers ?
L’empirisme en question
L'étape suivante semble marquée par Averroès. Malheureusement le texte m'apparaissant comme très dense et touffu, il nous faut l'attaquer tout d'un bloc :
"Averroès décrit en effet le rôle de l’intellect agent dans ce que la scolastique appellera
habilitation qui suppose que l’intellect possible soit doté de principes de connaissance susceptibles d’être formulés et de servir de point de départ reconnu à l’enchaînement propositionnel aboutissant aux conclusions qui constituent la science.
Dans la perspective d’Averroès,
Du point de vue de la psychogenèse de la connaissance, il est donc premier (par rapport à l’exercice effectif de la puissance de raisonner par inférence propositionnelle), mais il semble d’un autre ordre, en un mot «postérieur» à la saisie des premiers intelligibles entendus au sens des premiers concepts susceptibles d’entrer comme termes dans des propositions : il y a là, en 1 principe, «deux stades distincts de l’activité intellectuelle».
On peut toutefois éprouver un certain malaise devant cette distinction : qui possède le concept du tout n’est-il pas ipso facto en possession du principe selon lequel «le tout est plus grand que la partie» ?
En outre, il ne semble pas que les deux stades distingués s’enchaînent. Quand Averroès définit le mode de présence des premières propositions en l’homme, c’est pour dire que «nous ne savons ni quand elles nous sont venues, ni d’où, ni comment» (quas nescimus quando extiterunt et unde et quomodo), soulignant par là une dimension d’innéisme, qu’il peut certes expliquer par le rôle, caché à l’âme elle-même, de l’intellect agent se servant d’elles comme «d’instruments pour actualiser l’intellect possible», mais qui ne semble pas dériver de l’appréhension des natures simples." p. 150- 151
Commençons par situer les concepts.
Quiddités simples :
Je suis si peu habitué au terme, que j'ai cherché dans le dictionnaire :
La notion de "chose en soi" est tellement éloignée de notre univers, qu'il faut faire un effort d'imagination : ce serait l'objet, coupé de toute relation avec son environnement. Nous sommes donc en mode ♧.
Par ailleurs, ce n'est pas l'existant, tiré du monde, puisqu'il en est "coupé"; nous sommes donc en [♲], et l'idée la plus contemporaine que nous pourrions nous en faire serait sans doute la "quantité conservée" d'Emmy Noether, qui comme cette quiddité est en [♲]♧.
Formation des quiddités simples :
"obtenue par l’action de l’intellect agent sur les «intentions imaginées» ou fantasmes, dont l’agent a besoin (comme d’un instrument) pour actualiser l’intellect possible en produisant en lui la «première appréhension»."
- À quel niveau Imaginaire ? [♲] ou [⚤] ?
- Je lis qu'il y aurait plusieurs "opérations de l'esprit", correspondant sans doute à une différence de niveau, c'est ce qu'il convient de vérifier.
Je te propose ceci :
- Et tu retrouves ton carré ?
[∃]𓁜 | 𓁝[⚤] | ←[♲]𓁜 | 𓁝[∅] | 𓂀♢ |
↓(2) | ↓(1) | |||
[∃] | [⚤]𓁜 | ← (3) 𓁝[♲] | 𓁝[∅] | 𓂀♧ |
- Il eût été très gênant qu'il en soit autrement ! Cette remise en perspective étant faite, on peut comprendre la discussion de savoir qui est premier de l'oeuf ou de la poule, comme résultant d'une nécessité de rapporter en termes de processus, dans un temps narratif, ce qui, au-delà de 𓁝[♲], se situe hors de toute temporalité logique.
Autre point : le rapport entre concept 𓁝[♲] et principe [♲]𓁜.
"On peut toutefois éprouver un certain malaise devant cette distinction: qui possède le concept du tout n’est-il pas ipso facto en possession du principe selon lequel «le tout est plus grand que la partie» ?"
Le concept approché (understood) en posture ex ante 𓁝[♲], n'arrive pas, strictement parlant à l'évidence du principe du "tout" (compris) en position ex post [♲]𓁜; c'est ce à quoi se heurtent Platon et Aristote, et ce qu'élude al Fârâbî, ou Averroès, comme nous venons de le voir. Qu'Alain de Libera s'en étonne montre qu'il n'a lui-même pas surmonté cette difficulté, et reste donc, peu ou prou, coincé dans cette approche néo-platonicienne.
L'auteur termine ce chapitre par un retour à Syrianus :
"Ignoré comme tel, le modèle concordataire de Syrianus ne cessera pas pour autant de se re-présenter sous des formes variées, dans toutes les doctrines latines tentant d’articuler l’abstraction aristotélicienne avec la théorie augustinienne des Idées divines et de la vision en Dieu. De l’exégèse néoplatonicienne d’Aristote, un thème, pourtant, demeurera quasiment inchangé jusqu’à la fin du Moyen Âge : la théorie des trois états de l’universel. Avant de le retrouver à l’œuvre au XIIIe siècle, après une longue syncope, il nous faut reprendre la translatio studiorum sur son trajet gréco-latin et, délaissant pour un temps les affaires d’Orient, revenir à ce XIIe siècle chrétien d’Occident où, sur le fragile héritage de Boèce et de Porphyre, se fonde et s’alimente ce qui va devenir la querelle des universaux." p. 154
Tu noteras que, dans la critique que Syrianus fait d'Aristote, nous étions arrivés, dans l'article #10 au même schéma Imaginaire :
𓁝[⚤]♢ ← | [♲]𓁜♢ |
↓ | ↓ |
[⚤]𓁜♧ ← | 𓁝[♲]♧ |
En ce sens, oui, Syrianus est toujours là comme critique fondamental d'Aristote.
Ouf, nous allons pouvoir attaquer le corps du sujet : dans le prochain article la querelle des universaux proprement dite !
Hari
Note 1 :
D'où un double aspect de la tradition philosophique ésotérique/ exotérique: (voir la note du 25/02/ 2022 de l'article "Bourdieu #2 - La distinction")
Différence que l'on retrouve dans toutes les écoles de pensée, à travers les âges.