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Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...

L'Homme quantique

La "Grammaire de la nature" #1 de J-M Souriau

- En m'intéressant à Jean-Marie Souriau, le pape français de la physique symplectique (j'en ai déjà parlé ici), je tombe sur cette "grammaire de la nature", qui reste non-publiée. Il s'agit, tu l'auras compris, de laisser un peu refroidir mon imagination, focalisée depuis trop longtemps sur le topos entre I1, I01 et IR, pour flâner un peu du côté de I# où, à mon avis, doit s'exprimer la physique (voir "au coeur de la physique"), histoire de vérifier que de ne m'éloigne pas trop de mon objectif...

- Avoue que tu n'es pas sérieux: on dirait que tu fais tout pour ne rien achever ! Tu passes d'Évariste Galois à Michel Foucault, pour repartir sur Souriau ! Comment parviendras-tu un jour à faire un texte cohérent, publiable de tout ceci?

- C'est peut-être ça le secret! Ne rien se fixer, admettre d'avance son échec probable, pour se donner la liberté d'avancer, sans cette contrainte toute universitaire d'avoir à publier pour survivre! C'est la merveilleuse liberté du retraité, choyé par la Sécurité Sociale! Divagations littéraires qui donnent quelques fruits surprenants au demeurant.

- Tu as quelque chose en tête?

- Eh bien oui: cette lecture me ramène à mes dernières réflexions sur "Les Mots et les choses" (voir "Retour à Michel Foucault"), et au-delà, essentiellement à Emmy Noether !

À franchement parler, le livre de Souriau n'est pas très bon: c'est de la physique d'ingénieur, et l'auteur se contente de rendre cohérent ce qu'il sait déjà, sans réellement le questionner; d'où un côté bricolage qu'il est intéressant d'examiner afin de voir s'il est possible de le remettre en perspective.

- Tu y vas fort !

- Tu me comprends mal : il y a dans ce livre une expérience, un savoir-faire que je respecte, de même que je suis admiratif devant les poteries Jivaros, ce qui ne m'empêche pas de questionner la culture conduisant à élaborer le mythe de la potière jalouse pour justifier l'art de la poterie dans cette tribu.

Par exemple : Souriau parle d'entrée de jeu des "groupes", et bien évidemment, nous retombons sur Galois, ce qui est rassurant pour moi qui en sort ! Mais il commence par en parler au sujet de la géométrie, ce qui l'amène à définir ce qu'il appelle le "groupe d'Euclide", pour ensuite nous parler du temps, et de la "symétrie temporelle", c'est-à-dire une translation dans le temps, qu'il définit du terme de "groupe de Chronos", pour ensuite, en liant les deux, définir le "groupe d'Aristote".

La "Grammaire de la nature" #1 de J-M Souriau

Mais ce faisant, il n'explique pas pourquoi la symétrie temporelle est si "restreinte", si limitée par rapport à ce qui peut se concevoir dans l'espace.  Par ailleurs, il fait intervenir la dualité local/global, ou relativité, indépendamment de toute réflexion sur la nature même de la géométrie, en introduisant un "groupe de Bruno" à cet effet !

La "Grammaire de la nature" #1 de J-M Souriau

Il en découle que sa stratification des différentes étapes de la construction géométrique est un peu cul par dessus tête:

La "Grammaire de la nature" #1 de J-M Souriau

Je ne peux m'empêcher de regretter qu'il n'ait pas utilisé le langage des catégories pour en parler. Si tu reprends "Conceptual mathematics", Lawvere et Schanuel introduisent leur bouquin eux aussi par la représentation du mouvement à partir de Galilée, mais c'est bien plus construit. Et j'ai déjà discuté de cette introduction très largement sur ce blog (voir par exemple : "temps, limite et colimite")! Plus fondamental, il n'a aucune idée de la différence d'approche entre objet initial et final, ce qui le fait placer le problème du "choix" au dernier étage de sa construction alors qu'il est à l'origine même de ladite construction. Quant à l'idée de "géométrie", de "métrique" ou de "topologie", il est à cent lieues de Grothendieck, qui pourtant s'adresse à des enfants !

 - Tu es en train de me dire qu'il faut tout rejeter, qu'il n'y a rien à garder ?

- Non, surtout pas ! Par exemple, l'idée de commencer par le "point", rejoint l'idée d'objet final {*} en I1, et celle de choix entre {*} et sa négation { } en I01, délimite le champ premier de la logique et du temps. Souriau nous le sort dans le désordre, mais tout du moins ne passe-t-il pas à côté.

La notion de relativité liée à la géométrie est bien là également (son groupe de Bruno), sauf qu'il ignore (volontairement ou non) que cette dualité est inhérente à la géométrie parce qu'elle se construit en "criblant le vide" , c'est-à-dire, en approchant de l'objet initial { } au niveau I0. par en dessous (à l'aide de comorphismes). Il passe également sous silence l'hypothèse de la continuité (et la séparabilité), pourtant à la racine du théorème fondamental de l'algèbre, qui conduit à Galois, et à notre niveau IR, où se déploie explicitement la géométrie, avec I01< IR< I0. Comprends-tu mon impression de "bricolage" ? Il n'en demeure pas moins qu'il en arrive bel et bien à la notion d'un étagement Imaginaire !

- Soit, mais tu me parlais d'Emmy Noether ?

- Oui, parce qu'il en vient à penser que son point de vue est central en physique, en ce sens qu'un "objet" c'est ce qui se décante d'un mouvement, ce qui reste inchangé dans le mouvement. Et là, nous nous retrouvons. Bien mieux : il va m'aider à situer et préciser mon vocabulaire.

Tout d'abord, il convient de dire que tout mouvement d'un objet est représenté par un "moment" J= (énergie, masse, impulsion, passage, tournoiement (voir p. 61) :

"Chaque mouvement de chaque chose possède son moment, et le seul avatar qui puisse survenir au moment c'est de se transférer partiellement d'une chose à l'autre."

"Attention ! Ce moment-là n'a rien à voir avec un "instant". Le mot "moment" utilisé depuis 1765 se rattache au latin "movimentum" qui signifie "mouvement".

Nous sommes ici pleinement dans la phénoménologie : une chose n'est connaissable que dans l'expérience que l'on en a, c'est-à-dire par un mouvement relatif au Sujet. Souriau insiste sur ce point en précisant la place du Sujet dans l'expérience:

"(le moment) Rien ne peut le faire apparaître ou disparaître. C'est ainsi qu'on peut mesurer le moment, mesurer chacun des éléments de cet objet composite.

(...) En prélevant une partie du moment de la chose et en la transférant sur l'appareil de mesure".

Tu vois sans doute en quoi ce rappel de Souriau m'intéresse: il rejoint ma façon de définir un "mouvement" par un doublet conceptuel synchronique/ diachronique. Prends un objet quelconque, un simple point en Ik, et le repérage de son déplacement en Ik+1. Ce que dit Souriau, c'est que le repérage du "moment" du déplacement est en Ik+1, et qu'à celui-ci est associée une "constante", ce qui est bien normal, puisqu'il s'agit d'un concept "synchronique", une fois le mouvement réalisé, vu ex post par rapport à son déroulement.

Autrement dit j'ai deux façons de décrire le mouvement de l'objet, soit dire l'objet (en Ik) "bouge" ou se "déforme" (entre Ik/ Ik+1), soit de le décrire par son "moment" en Ik+1, de façon synchronique, avec une certaine "constance".

La meilleure façon que j'ai d'illustrer cette "constance" dans le mouvement, c'est par ce triangle qui tout en se déformant conserve sa surface:

La &quot;Grammaire de la nature&quot; #1 de J-M Souriau

- Tu nous a déjà servi ce gif dans ton billet "de Descartes à Leibniz et Newton".

- Mais oui, parce que nous sommes ici au coeur du sujet, et de la géométrie symplectique !  Il y a au-dessus du niveau de représentation de l'objet, un niveau où ce dernier est repérable par une quantité qui se "conserve". Ici, dans l'objet "triangle", la quantité conservée, c'est sa surface.

Vois-tu la symétrie de la chose? en-dessous de l'objet (en Ik), perdu dans une série, nous repérons celui-ci par un indice (en Ik-1), dans N par exemple, et au-dessus, nous le repérons par une "surface" (en Ik+1) que se conserve dans ses mouvements. Vois-tu s'installer progressivement mon étagement I01 < IR < I# ?

Venant de relire ce que Foucault écrit au sujet des choses et de leurs "signatures" au XVIè, vois-tu en quoi nos réflexions modernes rappellent d'anciennes façons de comprendre le langage des choses ?

Et le niveau Ik+1 est également celui où se repèrent les symétries, il suffit pour cela d'être en IR, c'est toute notre réflexion autour de Galois qui se retrouve ici.

- D'accord, tu as bien ta quantité constante et tes symétries; mais quid de l'incertitude ?

- C'est là où Souriau, à mon avis loupe le coche : il en parle à la fin de sa présentation, après la relativité (essentiellement d'ordre géométrique, depuis le stade du miroir) , alors qu'elle vient d'entrée de jeu, avec la logique dès les tout premiers niveaux Imaginaires, ce qui conduit tout "naturellement" au principe d'incertitude, comme nous l'avons indiqué il y a déjà pas mal de temps ! (voir "le principe d'incertitude d'Eisenberg sans les maths"). Il espère s'en tirer en parlant de thermodynamique...

Mais je me réserve d'y revenir, car j'ai encore beaucoup à méditer sur cet ouvrage, avant de prétendre en saisir toutes les arcanes !

Hari

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