Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...
13 Juin 2014
Note du 16/ 07/ 2023 :
Il faudrait reprendre cette analyse à partir d'une distinction entre modes et niveaux Imaginaires, cf. l'analyse du rêve de Chouang Tzu dans l'article "Métalepse et narratologie")
Quel est le temps du rêve, celui de l'éveil, peuvent-ils se confondre ou communiquer? Qui en parle, d'où et dans quelle posture d'ailleurs? A l'évidence, employer le même terme de "temps" à l'état d'éveil comme dans le rêve est une facilité qu'il nous faut dépasser. Mais, alors, comment décrire cet instant particulier où le fils mort réveille le père qui le rêve, tandis que la chambre funéraire où il gît est en feu? Cet instant de l'éveil où Tchang Tseu ne sait plus s'il est un papillon rêvant qu'il est Tchouang Tseu ou l'inverse.
Dans l'un et l'autre cas, il y a un instant de trouble où l'esprit se rassemble: je suis qui et ici c'est où? Ressort théâtral séculaire, comique ou tragique, selon l'humeur de l'auteur.
Restons-en si vous vous le voulez bien à ce point d'éveil pour voir ce que notre approche peut en dire. Nous verrons dans l'exercice que nous restons dans les pas de Lacan.
Ce devrait être une évidence, pour qui me suit: s'éveiller, c'est passer d'un état (Imaginaire ou inconscient) à un autre (Imaginaire). Donc, sans développement supplémentaire, il est naturel qu'un tel saut diachronique (par nécessité logique) soit emprunt d'une certaine indétermination (cf.: "L'Homme Quantique".)
Dans le séminaire XI (voir cette claire présentation par exemple), Lacan, pour parler de "clocherie de la causalité", (que j'assimile au principe d'incertitude) déroule un argumentaire moins direct. Mais ses efforts pour le faire, vont nous servir de fil conducteur....
En particulier, il en arrive à représenter l'inconscient comme un "écran" qui filtrerait les traumas survenant du Réel. Pourquoi cet artifice? Pour expliquer que le discours inconscient ne se déploie pas selon les structures logiques du langage parlé, mais plutôt comme un langage s'exposant sur une surface. Nous en arrivons donc, par des voies différentes, au même constat final, celui qu'il nous faut expliquer: la parole ne peut pas s'y déployer.
D'ailleurs, Lacan précise lui-même: "... la fonction temps est d’ordre logique et liée à une mise en forme signifiante du Réel. La non-commutativité en effet n’appartient qu’au registre du signifiant». Fulgurance qui marque d'un coup deux points essentiels (j'en reparlerai plus longtemps dans mon approche de la "théorie des catégories" en particulier #5 et #6) :
En contrepoint donc de l'état conscient où la parole se déploie, l'inconscient est celui où la parole se replie, faute de temps, si je puis dire. Dans notre langage, il s'agit d'un état synchronique.
Soit, mais dire que l'inconscient est synchronique n'est pas discriminant. Après tout, chaque niveau Imaginaire -dont les potentialités sont définies au niveau d'un métalangage- est lui aussi synchronique. Quelle différence ente l'écran dont nous parle Lacan, et le mur de la caverne de Platon où se projette le monde extérieur? Et bien, c'est précisément ma position, celle de mon "Moi", qui fait la différence. Dans sa caverne, Platon est conscient, en recul par rapport aux parois sur lesquelles s'image le Réel. Je suis "inconscient", lorsqu'au contraire je n'ai plus cette distance, lorsque je suis dans le songe < conscient ou à la limite, lorsque je suis cet inconscient.
Avant de continuer, il nous faut garder à l'esprit ce qu'il nous avons dit de la contiguïté, sur un même plan, du "Cà" en rapport avec le Réel, et du "Symbolique" à l'autre extrémité de l'Imaginaire. Ceci bien pris en compte, nous retrouvons notre représentation de l'Imaginaire comme une sorte de structure se déployant entre le Réel et le Symbolique; en relation avec la perception du temps. (note du 02/12/2019) Autrement dit:
Tout ceci étant mis en place, nous pouvons revenir à notre question initiale: qe ce passe-t-il au moment de l'éveil?
Il y a d'abord une activation des sens du père somnolent: une odeur de brûlé, le bruit d'une chandelle qui tombe. On peut supposer (c'est une thèse vérifiable par IRM) qu'une alerte "danger" se déclenche à un niveau élémentaire de la pensée, sous le seuil de la conscience, le Moi encore en sommeil.
Par ailleurs, ce père douloureux d'avoir perdu son fils peut avoir du remord (c'est la thèse de Lacan) de n'avoir pas suffisamment pris soin de lui lorsqu'il souffrait, pris par les fièvres (en feu).
Si, comme nous l'avons vu, il y a mise à plat, au niveau inconscient de l'ensemble des signifiants; qu'ils proviennent du Réel comme du Symbolique -s'ils sont "intriqués" pour le dire clairement- alors, la voie la plus rapide pour que le signal "danger" éveille le père est sans doute de mettre en scène son remord par cette image: "père ne vois-tu pas que je brûle". Et cette énonciation se déploie dans le temps de l'éveil du "Moi" du père. Le moment de décohérence de l'inconscient étant déclenché par le bruit de la chute du chandelier. Alors, reléguant sa peine au second plan, le père s'emploie à éteindre l'incendie.
Maintenant, aux yeux d'un observateur extérieur, tel que Freud, cette voie particulière prise par le signal "danger" pour provoquer l'éveil, peut servir à révéler un certain état d'esprit, et orienter par la suite ses investigations. Notre Freud spectateur, peut alors relever la similitude entre la situation "réelle", à savoir la dépouille du fils menacée d'être consumée, et celle d'un fils mourant adressant un tel reproche à son père; ce que nous pouvons rapprocher du phénomène d'adhérence dont nous avons discuté par ailleurs.
Je peux moi aussi jouer au metteur en scène, en vous conviant -après Lacan- à regarder ce tableau de Psyché et Eros peint par Jacopo del Zucchi. Qu'y voyons-nous?
Psyché éclairant Eros, qui lui avait interdit de le faire. Dans son mouvement, une goutte de cire vient brûler le sexe d'Eros, ainsi révèlé à Psyché. Elle s'éveille (ou se révèle) dans le mouvement qui brûle ce qu'elle n'est pas. De même que le père se réveille dans l'instant où son fils brûle.
Que puis-je tirer de ce rapprochement second? Je pourrais dire par exemple (sans vouloir être exhaustif) que Psyché et le père sont vivants (ou s'éveillent) de n'être pas celui qui brûle (ou qui meurt). Et l'on pourrait certainement enrichir le propos par d'autres rapprochements. Par exemple Horus, issu du sexe manquant (remplacé par un substitut de cire) d'Osiris, son père mort et rapiécé par sa femme Isis. Lui aussi vit de l'absence de son père.
Toutes ces scènes (Imaginaires) semblent faire système, et l'on peut donc tenter de retrouver le Symbole manquant qui permettrait d'en préciser la structure.
Qu'avons-nous dans chacun de nos trois cas?
La question que l'on pourrait se poser est la suivante: si les deux sont liées, quelle est l'évolution de celui qui survit?
Souligner, comme je le fais ici, les rapports d'homologie que je discerne entres des situations qui me semblent faire système, est utilisé depuis la nuit des temps par toutes les cultures et désigné sous le nom de "pensée mythique". Et Lévi-Strauss a pu en dégager la structure universelle (la forme canonique des mythes, cf.: "L'Homme Quantique".)
PS au 10/12/2016 : voir ce billet : "le mythe de la potière jalouse")
J'indiquerai simplement ici le résultat que fournirait la formule appliquée à la question que je soulève: l'un vit parce que l'autre meurt.
Nous retrouvons bien ainsi ce retour à la pensée mythique indiqué par Lacan, mais définie ici comme un procédé Imaginaire, pour ne pas dire "logique", et non pas situé dans l'inconscient. Ce qui n'aurait aucun sens: temps/ logique/ évolution sont inconcevables dans l'inconscient.
Il faudra y revenir.
Hari
J'ai bien entendu avancé depuis cet article qui, comme toujours, marque une étape de ma propre évolution.
Vous remarquerez en particulier un a priori qui va me bloquer longtemps: l'idée que le temps est un concept diachronique par "essence", lorsque l'on passe d'un saut Ik/Ik+1 au suivant Ik+1/Ik+2.
Il n'en est rien.
Le caractère "diachronique" du temps marque simplement son entrée dans l'Imaginaire sous la forme de la prise de conscience d'une "succession" d'expériences ou de situations dans l'automatisme de répétition. Il est ensuite retravaillé lorsque l'Imaginaire recule en lui-même.
Concernant le rapport du vide à l'existence qui se développe ici, dans un mode de pensée mythique, mes derniers développements (voir "du lemme de Yoneda à la constitution du Sujet") me rapprochent encore de Lao Tseu:
"... On perce des portes et des fenêtres pour faire une maison. C’est de leur vide que dépend l’usage de la maison. C’est pourquoi l’utilité vient de l’être, l’usage naît du non-être." (Tao Te Kin)
Pensée sur 4 pôles qui peut être reprise sous forme canonique.
Pensée autour de laquelle je médite depuis fort longtemps. J'en parlais déjà dans mes tous premiers billets de blog ! Voir par exemple "Tao Te King et Dharma", qui était déjà une réflexion sur des écrits antérieurs.
Note du 21/01/2020
Reprendre cette lecture après avoir lu mes derniers développements concernant la représentation du temps. Voir :