Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...
13 Octobre 2022
- Un peu étrange comme titre pour quelqu'un qui se traîne au milieu de vacances sans fin, occupé de lui comme jamais sans doute...
- C'est vrai, mais dans un cerveau libre à ce point, les idées se démêlent d'elles-mêmes comme des spaghetti auxquels tu rajoutes une noix de beurre. Probablement l'effet du Soleil...
- Mais encore ?
- C'est compliqué à exposer. D'une certaine manière, je cherchais mes mots (en vue d'une vidéoconférence avec quelque interlocuteur qui m'a finalement fait défaut) pour expliquer l'importance du concept d'objet classifiant, me souvenant pour l'occasion de mes propres difficultés à évaluer correctement la présentation d'Alain Connes (voir "À l'ombre de Grothendieck et de Lacan #6"). Ensuite, ce dernier article "Ordre et chaos" qui me donne encore matière à ruminer; mêlé à quelques réminiscences d'un autre portant sur l'habitus de Bourdieu. Et puis il y a cette ambiance de guerre en Europe et l'urgence d'évoluer au plus vite pour en finir avec les malheurs découlant d'une bêtise humaine proprement insupportable.
- Tu ne vas pas te mettre à jouer les spécialistes Facebook ?
- Non, bien sûr que non, rassure-toi, mais l'actualité nous renvoie à nos préoccupations.
- Je ne te suis plus du tout...
- Poutine me fascine autant que les rats de laboratoire d'Henri Laborit. Il reste totalement bloqué dans un automatisme de répétition, déterminé par son habitus, venu de sa formation au KGB. Saisis-tu le rapport ?
- Pas trop...
- Reviens à cette photo de Poincaré que l'on retrouve après à peine quelques centaines de déformations répétées.
Et bien, pour Poutine, le monde n'a pas changé depuis l'époque de l'URSS (la première image) et malgré les changements évidents à nos yeux d'Occidentaux, il reste persuadé qu'il est possible d'y revenir (la photo 241) en répétant toujours le même geste (i.e.: en montrant sa force). Ça a marché en Tchétchénie (photo 48), et encore en annexant la Crimée (photo 239), donc, ça va encore marcher cette fois-ci.
Plus fascinant encore : hier je vois à la télé ces champs labourés par d'énormes pelleteuses pour refaire les tranchées de 14-18 !
Nous avions fait la ligne Maginot dans les années 30, avec le résultat que l'on sait, et lui s'y recolle 90 ans plus tard... Fascinant... Comme le disant Clémenceau de je ne sais plus quel député : "il n'a rien appris, il n'a rien oublié"...
- Pourtant, depuis la muraille de Chine, le mur de Berlin ou le mur de Trump, on sait ce qu'il en est.
- Certes, mais je me pose une question seconde : pourquoi les Ukrainiens, qui sont parfaitement renseignés sur cette manœuvre, laissent-ils faire ?
- Laisser l'autre s'enferrer dans ses habitudes, n'est-ce ainsi que l'on fait cuir une grenouille sans qu'elle saute de la bouilloire ?
- Voilà qui est intéressant ! J'ai entendu je ne sais où que Poutine a gardé l'habitude de singer ses interlocuteurs, vieille tactique apprise au KGB pour que l'autre se sente en confiance.
- C'est de la PNL de vendeurs de voitures, non ?
- Oui ! Et le commentateur (désolé d'avoir oublié la référence) d'illustrer son propos par une confidence de Chirac qui, s'en étant aperçu immédiatement lors de leur première rencontre, s'en amusait encore. Or donc, je présume qu'un individu si facilement identifiable, lorsqu'il est suivi par une armée d'analystes comme ce doit être le cas, doit être manipulé au-delà de tout ce qu'il nous est possible d'en savoir...
- Et tu en veux pour preuve ces énormes pelleteuses tranquillement en train de défoncer le terrain, quand elles sont si facilement repérables ?
- C'est une idée qui m'a traversé l'esprit; mais pour en revenir à nos moutons, cela impliquerait que du côté occidental, les services de renseignements seraient capables de "sortir du cadre" subit/ vécu/ reproduit par Poutine...
- Autrement dit, en revenant à ce que tu développes dans "Ikebana", face à un Poutine bloqué dans une pensée limitée à la logique du 1er ordre (conditionné par son habitus):
☯[∃]♧ | [⚤]♧ | ☯ | 𓂀♧ |
les services en questions feraient montre d'une pensée se développant au minimum ainsi :
[∃]♢ | [⚤]♢ | [#]♢ | ☯ | 𓂀♢ | |
☯[∃]♧ | [⚤]♧ | [#]♧ | 𓂀♧ |
- C'est ce que j'espère en tout cas ! Comprends-tu maintenant ce sentiment d'urgence que je ressens ?
- Précise...
- Nous sommes actuellement dans une période où notre destinée est plus incertaine que jamais, non à cause de cette guerre en Ukraine, mais plus profondément parce que nos actions humaines impactent durablement tout l'écosystème qui nous supporte, au double sens que tu auras compris. Nous avons ici, chez Poutine, l'exemple tératologique de la bêtise humaine en action, oui, mais il n'est pas seul. Que penser de l'obsession anglo-américaine de "punir" les Russes après la chute du mur, laissant Gorbatchev s'enliser dans l'indifférence, ce qui a conduit à Elstine, faisant le lit de Poutine? "Vae victis", n'avons-nous donc rien appris depuis les Romains, depuis le traité de Versailles de 1919 ? Il n'est pas seulement intéressant de comprendre de quelle façon nous pensons intimement, mais vital d'avancer rapidement dans cette étude, pour mieux comprendre la place de l'Homme dans la nature, selon le souhait de Teilhard de Chardin !
Il y a une urgence vitale à philosopher.
- En gros, oui. Maintenant, le problème est d'inviter "les autres" dans l'aventure, pour progresser un peu plus vite que je n'arrive à le faire. Après tout, le suis rattrapé par l'âge et mes neurones prennent un peu l'eau...
Mais là encore, la crise Ukrainienne actuelle peut servir de déclencheur.
- Franchement, je ne vois pas très bien...
- Lorsque je dis que Poutine doit être facilement manipulable, et que nos services Occidentaux le démontrent journellement, par une action en deux bandes (avec les Ukrainiens seuls sur le train), cette hypothèse revient à dire qu'ils se déplacent en modes objectif ♧ (le terrain) ET topologique ♢ (la stratégie). Mais concrètement qu'est-ce à dire ? Que par son agression cet imbécile de Poutine a réussi à : (Note 1)
Je ne vais pas refaire l'histoire, mais enfin, lors de l'engagement en Syrie, il était déjà question d'intervenir sur le transport du gaz et du pétrole (voir ici par exemple), et le terrain d'opération était une affaire juteuse pour les vendeurs d'armes... Et l'on pourrait remonter à la guerre en Irak...
- Tu fais dans le complotisme ?
- Tu n'y es pas du tout. Lorsqu'un capitaine arrive à bon port après avoir traversé une tempête, ou des vents contraires, tu ne dis pas qu'il a comploté avec Neptune pour que les vents lui soient favorables, nous ne sommes plus au temps des Grecs. Tu te dis plus simplement qu'il sait lire une carte météo et connaît bien les capacités de son voilier, en bref que c'est un bon capitaine. Et bien dans cette guerre en Ukraine, je dis que les Américains sont de cette trempe, quand Poutine en est à offrir de la chair à canons aux mânes de ses ancêtres pour survivre à la tempête.
Et nous, Européens, sommes ballottés dans cette histoire, entre un imbécile et des Américains dont nous ne partageons pas les valeurs.
- D'où la nécessité de passer en mode syntaxique ♡ pour rester à la table de jeu ?
- Oui, comme au bridge il faut savoir quand changer de couleur. Avec une nuance cependant : dans notre "jeu" de l'Imaginaire, le nombre de plis est lié à la couleur, comme nous l'avons vu dans "Ikebana" :
Le passage au niveau [♲]
implique le développement de la pensée en mode syntaxique ♡.
[∃]♡ | [⚤]♡ | [#]♡ | [♲]♡ | ☯ | 𓂀♡ |
[∃]♢ | [⚤]♢ | [#]♢ | [♲]♢ | 𓂀♢ | |
☯[∃]♧ | [⚤]♧ | [#]♧ | [♲]♧ | 𓂀♧ |
Concomitamment, la couleur ♡ ouvre l'Imaginaire jusqu'au niveau [♲], celui où l'on apprend à jouer sur les habitus (et l'on en revient à Bourdieu voir "La distinction #3"), selon ce schéma :
[#]𓁜m | ←[♲]𓁜m | ([∃]𓁜m ) | 𓂀m♢ | |||
↓ | ↓ | ↓ | ||||
S↓ | [⚤]𓁜e | ←𓁝e[#] | ←𓁝e[♲] | ←𓁝e[∅] | 𓂀m♧ | |
S↑ | [⚤]𓁜e | →[#]𓁜e | →[♲]𓁜e | →𓁝e[∅] | 𓂀e♧ |
L'action qui nous intéresse ici étant surlignée en jaune.
- De quel type d'habitus s'agit-il ?...
- Je ne sais plus si j'y ai déjà fait allusion sur ce blog, mais tant pis si je radote car l'anecdote m'avait beaucoup frappé à l'époque. J'étais assis dans un avion à côté d'un Japonais qui prenait des notes. J'admirais sa façon de tracer des signes sans signification pour moi, quand, tout d'un coup je le vois passer à l'anglais pour faire une sorte de plan d'exposé; et au fur et à mesure de son écriture, je comprends qu'il s'agit d'un papier sur la théorie des jauges. Par curiosité, je l'interroge alors sur ce changement de langue. Ma question l'a surpris, le passage lui avait semblé aller de soi et il n'y avait pas lui-même prêté attention.
Et bien, les habitudes de penser auxquelles nous devons être attentifs sont de cet ordre-là.
- Tu veux orienter la Novlangue, style 84?
- Tout de suite la caricature... Mon intention n'est pas d'orienter ni de fermer l'Imaginaire du Sujet, mais au contraire qu'il s'ouvre à la conscience de sa propre nature. Ceci implique le passage au niveau [♲] (le topos) et au mode ♡ (la syntaxe).
Deux exemples pour te montrer qu'il s'agit bien de cela :
Dans le premier cas, il s'agit d'un emprunt Oriental fait par l'Occident, et réciproquement dans le second, mais tu vois bien qu'il s'agit toujours pour nous de mettre en lumière ce qui se joue inconsciemment.
- Dans ces conditions, comment le passage au mode ♡ pourrait-il modifier le jeu en faveur des Européens, sans interférer autrement sur nos amis Américains ?
- Il faut faire le pari de l'intelligence:
L'intelligence est la voie du moindre effort.
- OK, tu reviens à l'entropologie de Lévi-Strauss, non ?
- Bien sûr, et le principe le plus universel est sans doute le principe de moindre action de Maupertuis.
Or, toute la pensée anglo-saxonne actuelle est conditionnée par la croyance en un principe de moindre action plus limité : celui d'Adam Smith, résumé par Bernard Mandeville en 1704 : «Les vices privés font la fortune publique». (voir "Le divin marché")
- Plus limité en quoi ?
- Limité par une philosophie profondément platonicienne, focalisée sur un principe fédérateur unique dépassé. En l'occurrence, l'idée d'Adam Smith est que l'action libre des agents économiques tend à un équilibre, comme s'il était défini par une "main cachante". Idée d'autant plus prégnante qu'elle se développe dans une culture restée très protestante (i.e. : penser à la parabole des talents, relevée par Max Weber) avec une tendance certaine au prosélytisme... Et c'est à ce niveau qu'il faut attaquer.
- Mais Maupertuis n'était-il dans cette même approche unitaire avec son "Être suprême" ?
- SI, bien entendu. La fortune veut que son principe ait donné naissance à la physique, qui a pu dépasser cette première approche (commune à Fermat) pour nous donner la mécanique générale, quantique et relativiste, dont l'expression mathématique actuelle nous renvoie à un objet initial vide; alors que la pensée néo-libérale actuelle, elle, s'est enkystée sur ce point fondamental comme une colonie de moules sur un bouchot.
- Il suffirait donc de changer de paradigme pour agir concrètement sur le cours des choses ?
- "Il suffirait" n'est pas le mot juste car rien n'est plus difficile que ce type de changement... La seule issue étant de montrer concrètement qu'un tel changement induit une économie intellectuelle...
- Mais concrètement ?
- Si je le savais mon ami, je n'en serais pas réduit à écrire sur ce blog en sirotant des caipirinhas...
Hari