Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...
7 Décembre 2023
- Il m'est arrivé un truc étrange ce matin, en ouvrant mon Mac. Pour la première fois, je fais attention à un message de Siri, la petite appli sensée répondre à ma voix. Il s'agit d'une alerte indiquant qu'au regard de mes recherches, cette vidéo de Michel Raynaud devrait m'intéresser. Par curiosité je clique sur le lien et reste scotché à mon écran.
- Décidément, tu te laisses envahir par le numérique mon pauvre ami. Hier déjà dans l'article précédent, (que tu laisses en jachère), par flemme n'ayons pas peur des mots, tu as fait une requête sur ChatApp pour préciser une intuition, et voilà que tu moutonnes derrière Siri...
- Je suis tellement hors des cercles de matheux que toute ouverture est la bienvenue pour sortir de mes radotages et ne pas tourner en rond dans ma tête.
- Que crains-tu exactement ?
- J'en suis à situer le concept de "schéma" dans notre topologie Imaginaire, et j'ai proposé ceci dans l'article "Schéma-topos-motif" :
𓁝[⚤]𓁜 | 𓁝[#]𓁜 | 𓂀♢ | ||
S |
X ←↓ F
|
|||
B |
- Un peu vague...
- Oui, mais c'est au fond de ma représentation d'un "objet" topologique X, qui serait vu :
avec cette idée d'une "orthogonalité" fondamentale entre les deux.
Je rame là-dessus, en galérant au fond d'un bouquin d'Antoine Ducros "Une introduction à la théorie des schémas". Mais rien qui réponde directement à ma proposition.
- Tu ramènes quand même cette dualité à cette autre tournant autour de la compréhension d'une matrice vue :
Ou encore en pensant à la dualité homologie/ cohomologie :
- Oui, mais ce ne sont que des conjectures, tout ça manque de substance, quand cette vidéo s'invite ici et maintenant alors que j'en ai besoin.
- OK, et donc ?
- Michel Raynaud date la séparation de deux domaines géométrie analytique / géométrie algébrique vers 1958, avec les travaux de Grothendieck, en précisant pour moi ignare :
Le point capital étant ce qui s'appelait alors "le théorème des fonctions implicites".
- Je suppose que cela t'incline à positionner :
- Oui, et c'est déjà un grand soulagement de pouvoir mettre des étiquettes sur mon schéma de l'Imaginaire.
- Maintenant, il faudrait voir si ça tient la route.
- Déjà, lorsque la géométrie analytique est définie à partir de l'idée de "convergence", ça me renvoie directement à la construction des "faisceaux", définis à partir de l'inclusion, avec au bout, la fibre, et en tête de fibre le germe. J'avoue que ça me rassure un peu : le faisceau serait bien orienté "verticalement" : F : X↓B.
Maintenant j'ai besoin d'aide pour digérer la suite.
- Où bloques-tu ?
- Lorsque je regarde cette courbe au tableau, avec la fonction f(x,y) = 0, je ne peux pas m'empêcher de la voir comme un "bord" en 2D d'un objet en 3D dont le tableau offrait une coupe à z=0.
- Autrement dit cette fonction f(x,y) serait une "co-chaîne" cohomologique ? Et où est le problème ?
- Dans cette représentation, je n'arrive pas à différencier le rôle de y et de x...
- Reste sur l'idée que cette fonction f(x,y)=0 est un co-bord. Ta représentation de cette courbe 1D, sur ce tableau, comme une "coupe" d'une surface 2D dans un espace 3D me parle bien, parce que c'est visuel — je pense toujours à la circulation autour d'un flux; je n'oublie pas d'où je viens. Maintenant, en passant de 2D à 1D, tu es dans une approche "homologique" de ce bord, et tu n'as pas tiré toutes les conséquences de ta réflexion sur f(x,y) :
- Sais-tu à quoi je pense ? À Grothendieck parlant d'un phare éclairant une côte qui se révèle par points.
- Il parlait de son concept de motif, nous n'y sommes pas...
- Peu importe, c'est le geste qui compte, celui qu'est sensé capturer notre toile Imaginaire; et je fais le rapprochement avec une autre image qui m'était venu lorsque nous abordions la cohomologie (voir ici dans #3) :
- ... Remarque qu'un fellah sous Ramsès II aurait pu faire : "si le Nil inonde en partie mon champ, alors, le niveau d'eau qui coupe la clôture à droite, coupe nécessairement la clôture à gauche"
- La beauté de la chose, c'est que tu passes d'une description topologique de T2 à l'aide d'un groupe de base (a,b), du style "vecteurs", à une représentation dans l'espace conjugué (α,β) du style "formes linéaires".
- Je ne vois pas bien...
- Reviens à notre schéma de l'Imaginaire :
𓁝[⚤]G | [#]𓁜 | ∆n+1 | |||
δn ↑ | Espace vectoriel | ↓ | |||
𓁝[⚤]𓁜 | 𓁜←𓁝 | 𓁝[#]𓁜 | ∆n | ||
𓁜→𓁝 | |||||
δn-1 ↑ | Formes linéaires | ↓ ∂n | |||
𓁝[⚤]G | 𓁝[#] | ∆n-1 |
Et ce retournement a des allures matricielles : d'une base (a,b), tu passes au conjugé (α, β).'
- Où veux-tu en venir ?
- Tout ce que je peux voir pendant ma construction cohomologique, c'est la trace de la "clôture" sur une seule dimension. Car, et ça c'est également une réflexion qui m'était venue à cette occasion : dans cette construction purement immanente, que j'ai représentée sous l'étiquette S↑, l'attention du Sujet se braque sur une direction à la fois (ce qui permet de garder la notion de successeur).
Autrement dit, si la clôture encercle une surface 2D, je ne peux voir :
- Mais sur la figure du tableau, tu ne verrais pas la boucle intérieure ?
- Exact.
- Tu n'as pas résolu ton problème : il y a bien une différence entre y et x, par exemple, si tu veux représenter la fonction y2-x= 0 par le graphe y = ±√x, on sort des fonctions algébriques avec l'extraction d'une racine carrée.
- Oui, il faut y réfléchir, cependant, la différence n'invalide pas ce que nous venons de voir : la parabole découpe bien un intérieur et un extérieur, à condition de considérer que le second point sur la ligne y=0 est à l'infini.
- Et une courbe en x3 ? Là tu as 2 ou 4 (en évacuant les points à pente nulle)...
-... Il faut aller dans le détail bien sûr, l'approche homologique considère des formes convexes...., mais je crois qu'il y a quelque chose à garder dans cette approche;
Tout du moins, c'est dans le droit fil de ce qui a été vu d'homologie/ cohomologie, et ça rentre si bien dans le schéma de l'Imaginaire que je ne vais pas tout de suite balancer le bébé avec l'eau du bain.
- OK médite là-dessus et à demain !
Le 09/12/2023 :
- Plus je revois cette vidéo, plus je me conforte dans mon idée, à la fin ça devient évident.
- Une évidence que j'aimerais partager.
- La difficulté tient à ce que nous représentons sur une même surface géométrique deux approches différentes, algébrique et analytique. Je te propose de n'utiliser ce tableau que comme représentation d'une expression analytique de cette courbe. Quant aux formules algébriques nécessaires à ce qui ne peut s'exprimer analytiquement, tels que les points de rebroussements, points double (croisements et tangente verticale) écrivons-les sur la partie gauche du tableau.
- Tu reproduis ainsi visuellement la séparation Imaginaire entre [⚤] & [#] ?
- C'est l'idée. Maintenant, à chaque difficulté, tu exprimes une relation entre points, que tu dois regarder comme une restriction au regard de potentialités concernant cette courbe en 1D.
- Par exemple ?
- C'est simple (voir à 7mn) :
C'est ce que propose Grothendieck et tu vois immédiatement que cette idée vient dans une suite logique, après l'approche duale homologie/ cohomologie et le concept de faisceau, qui lui est tout entier au niveau [#].
- Oui, j'ai compris : maintenant, pour formaliser ce que sont les "bons morceaux analytiques" d'une courbe, il est simple de les caractériser par le fait qu'on peut les projeter sur une droite sans recoupement. Avec l'idée que chaque portion de courbe de ce type est décrit sur un calque séparé, comme nous venons de le voir à l'instant, tu décris la courbe globale en précisant algébriquement, comme il faut recoller les calques entre eux...
- Tu vas un peu vite : à 8mn, Michel Raynaud définit la projection de cette courbe sur l'axe de x de deux façons différentes :
"C'est une propriété très belle et très forte, il faut la glorifier et la première étape va consister à donner un nom à ce type de flèche : on va dire que la projection est une flèche ou un morphisme étale". 7mn30
À partir de cette dualité, on peut s'abstraire de toute représentation "géométrique" en ne revenant plus à un corps ℝ ou ℂ.
Personnellement c'est cette superposition des deux analytique / algébrique au tableau qui brouille un peu nos idées, et de ce point de vue, il me semble que notre représentation orthogonale des deux permet de bien différencier les postures du Sujet qui y sont attachées.
- Mais ton faisceau reste bien vertical en [#] ?
- A priori, sa définition relève de la pure topologie, en termes d'inclusion d'ouverts, et tout ce que nous avons vu jusqu'à présent m'incite à le laisser aux côtés de l'homologie, en [#]. Par contre, sa structure, elle, est algébrique, pointée vers [⚤].
Cependant, ce que je comprends de cette vidéo questionne ma représentation : il y a bien la topologie qui s'extrait historiquement de la géométrie, pour en arriver à cette idée de faisceaux, en partie [#], mais Grothendieck ne se contente pas de chercher un "pont algébrique" entre ces faisceaux et leur structure : il veut une représentation algébrique [⚤] d'un domaine purement analytique [#].
- Un peu comme ceci ?
𓁝[⚤]𓁜 | 𓁝[#]𓁜 | 𓂀♢ | ||
X ↓ f |
← |
X ↓ F |
||
S | B |
- Oui, et ça me pose problème car, pour réussir à faire un parallèle entre f: X↓S et F: X↓B, je n'ai pas de problème avec les flèches, mais il me faut une définition algébrique de la structure de X comme de S.
- Le test est effectivement vital pour ta représentation, peux-tu t'en sortir ?
- Contentons-nous d'écouter Michel Raynaud expliquer de quelle façon le théorème de la fonction implicite s'évanouie dans l'approche de Grothendieck, et ça en vaut la peine ! (à 9mn)
X | ← | XSͯX |
f étale ↓ | ↓ ↑ (i) | |
S | ← | X |
Alors il existe une flèche "naturelle" qui est l'application diagonale de X↑XSͯX,
avec ce commentaire embarrassé (il faut écouter Michel Raynaud) :
"cette application diagonale devient un isomorphisme de X sur une partie ouverte ... la diagonale est ouverte..., et donc, quitte à faire ce changement de flèche, on est ramené au cas où au voisinage de la diagonale on a un isomorphisme local.
Donc, ce que l'on disait avant : "quitte à passer dans l'analytique, on obtient un isomorphisme local", est devenu : "quitte à faire un changement étal, ça devient un isomorphisme local" , et on avait une perception de la chose qui était purement algébrique, on n'avait plus à passer aux séries. Et ensuite ça a eu des prolongements tout à fait remarquables..."
- Le moins que l'on puisse dire c'est que c'est bien alambiqué pour retrouver des ouverts...
- Tellement que je reprends confiance.
- Parle-nous du produit fibré, qui me semble être le noeud de l'affaire.
- Commençons par cette définition du produit fibré :
"Le produit fibré est utilisé notamment en géométrie algébrique pour définir le produit de deux schémas, ou en topologie algébrique pour construire, à partir d'un espace fibré (tel un revêtement), un autre espace de même fibre, le fibré induit, en remontant le long d'une application entre les deux bases, d'où l'appellation en anglais pullback («tiré en arrière») parfois utilisée en français.
Définition ensembliste :
Étant données deux applications E et A vers un même ensemble B
Le produit fibré de A et E au-dessus de B est défini comme le sous-ensemble des couples du produit cartésien dont les composantes ont même image : f(a)=p(e). Il se note :
Le produit fibré de A et E étant un sous-ensemble du produit cartésien, les projections sur chaque facteur permettent de compléter le carré commutatif :
Dans des catégories ensemblistes tels que des espaces topologiques ou des espaces vectoriels, le produit fibré lui-même est un objet de la catégorie". Wikipédia
Donc, expliquer X à partir de XSͯX me semble être un tour de passe-passe, et toute la littérature qui se tricote autour (j'ai surfé sur le net pour m'en faire une idée) renforce cette impression.
- Soit, il y aurait un gap [⚤]/[#] en mode ♢, il faut donc passer par ♡ pour faire le pont, non ?
- À mon sens, oui, d'où l'utilisation de la propriété universelle pour définir notre fameuse "flèche naturelle" présentée par Michel Raynaud comme le i sur le diagramme :
- Il n'y a donc pas de propriété topologique de niveau [⚤]♢ ?
- Non en termes de topologie d'une surface, il faut parler en termes de morphismes :
"Autrement dit, le produit fibré est la limite (au sens des catégories) du diagramme formé à l'aide des deux applications initiales f f et p p. Il est aussi possible de le voir comme le produit (au sens des catégories) dans une catégorie des morphismes vers B. Plus généralement, le produit fibré dans une catégorie quelconque est la limite d'un tel diagramme, lorsqu'elle existe, ce qui est le cas dans les catégories abéliennes." Wikipédia
S'il y a bien un "environnement" en [⚤]♢ autour du X d'un "schéma", il découle d'un point de vue en [⚤]♡ et exprime une "propriété universelle en termes de morphismes et foncteurs, et non pas d'un point de vue en [#]♢ en termes d'ouverts topologiques.
Ensuite, la liaison directe [⚤]♡↓[⚤]♧, pour donner un sens concret aux "points" de X, passera très certainement par le lemme de Yoneda, mais là j'anticipe.
- Soit, mettons que nous ayons X⚤ et X#, mais comment définir le gap entre les deux, quel est le changement de posture du Sujet 𓁝/𓁜 pour passer de l'un à l'autre ?
- Très simple :
C'est dire que la dualité 𓁝/𓁜 trouve ici son expression particulière d'une dualité d'ordre générale en mode ♢:
limite injective — 𓁝/𓁜 — limite projective.
- Continue sur ta lancée, quid de B et S ?
- Je te propose ceci :
- Et comment passer d'un faisceau F : X#↓B en [#] à la flèche d'un schéma f : X⚤↓S en [⚤]?
- C'était l'objet de l'introduction de Michel Raynaud : le faisceau doit être un morphisme étale de X sur B. Pas de vague donc : pas de point double, ou de rebroussement etc...
- OK, et que devient ton schéma ?
- Nous allons illustrer l'idée que la partie algébrique en [⚤] est un "schéma" de la partie géométrique en [#], en calquant visuellement f: X⚤↓S sur F : X#↓B (en supprimant mes petits dessins) :
[⚤] | [#] | 𓂀♢ | |||
topologie étale | X⚤ | X# | topologie | ||
morphisme étal |
↓ f |
← homologie cohomologie→ |
↓ F |
||
S | B |
- Je ne retrouve pas bien le schéma que tu as fait pour les chaînes et co-chaînes ?
𓂀♢ | |||||
𓁝[⚤]G | [#]𓁜 | ∆n+1 | |||
δn ↑ | ↓ ∂n+1 | ||||
Cn=Hom (Cn,G) | 𓁝[⚤]𓁜 | 𓁜←𓁝 | 𓁝[#]𓁜 | ∆n | |
Hn=Ker∂n/ Im∂n+1 | |||||
Hn=Kerδn/ Imδn-1 | |||||
𓁜→𓁝 | |||||
δn-1 ↑ | ↓ ∂n | ||||
𓁝[⚤]G | 𓁝[#] | ∅ | ∆n-1 |
- Reporte-toi à notre introduction : il faut 3 niveaux 0D, 1D et 2D pour représenter d'une part la courbe comme bordure d'une surface en [#] et d'autre part comme formée de points en [⚤].
Situation qui se généralise : la description algébrique de l'objet se fait couche par couche, sur une dimension à la fois —pour garder la notion d'ordre— coincée entre deux autres. Le "schéma" d'ensemble d'un objet doit donc se présenter comme un "feuilleté", donc chaque feuillet présenterait la structure que l'on vient de voir. Il faudra prendre le temps d'en proposer une représentation en 3D (si j'y arrive avec mon Mac!)
- OK, si c'est clair, il faudrait le vérifier en revenant à l'article précédent "Schéma - topos - motif".
- Juste un dernier visionnage de la vidéo pour voir s'il n'y a rien à ajouter.
À 14' : on voit bien comment l'on passe de l'inclusion U⊂V⊂W en topologie à l'enchaînement des morphismes étales Z↓Y↓X...
À 15' : "mais on a perdu le point de vue initial où les ouverts étaient des parties de l'espace initial, et c'est comme cela qu'est apparue la topologie étale."
À 15'30" : "le formalisme des faisceaux s'étend à ce contexte-là [topologie étale et écriture catégorique], il y aun travail à faire, mais Grothendieck l'a fait"
Ensuite l'auteur évoque l'évolution du concept de faisceau, depuis Leray, mais rien qui remette en cause ce que nous venons de voir. Je regrette juste que cette vidéo soit tronquée à 30mn, car la suite s'annonçait passionnante !
- En attendant cette suite éventuelle, si nous retournions à "Schéma - topos - motif" ?
- Amen
Hari