6 Mai 2014
Je voudrais illustrer ce rapport entre mathématiques et physique auquel nous avions abouti en revoyant avec vous l'expérience de pensée développée par Galilée pour démontrer que l'accélération subie par un corps soumis à l'attraction terrestre est indépendante de sa masse (masse pesante ou grave).
L'idée me trottait dans la tête depuis la rédaction de ma dernière note de "L'Homme Quantique" concernant l'équivalence masses grave/inerte, après avoir visionné une conférence d'Etienne Klein sur le sujet.
Cette expérience est la suivante : en l’absence de la résistance de l’air, laissons tomber ensemble une grosse pierre et une plus petite. Si Aristote a raison, la plus grosse arrive la première. Relions maintenant ces deux pierres par une ficelle. Nous pouvons dire, d’une part que l’ensemble est plus massif que la grosse pierre seule, et qu’il tombera plus vite. Mais, l’on peut également dire que la petite pierre va freiner la grosse dans sa chute et donc que l’ensemble ira moins vite que la grosse pierre seule. Nous sommes devant deux conséquences incompatibles découlant d’un seul et même principe, il faut donc que la chute soit indépendante de la masse des pierres.
Or, il y a, dans ce raisonnement un saut diachronique entre deux plans Imaginaires qui est éludé. En effet d'une part, Galilée présente la grosse et la petite pierre comme réunies dans un seul et même corps, ils sont en quelque sorte "intriqués" à un niveau conceptuel supérieur (Ik), et ensuite, il les considère comme séparés, et présente le lien qui les unit comme un "média" entre deux corps hétérogènes l'un à l'autre. Ils sont alors vus à un niveau plus élémentaires (Ik-1) que le précédent, comme des éléments d'un regroupement qui s'évanouit par le seul fait de la différenciation qu'il opère ici.
Pour le dire autrement: Galilée aborde la physique à travers un filtre logique (c'est à dire dans un langage mathématique). Son discours est du type Ik(mathématiques)=>Ik-1(physique), avec un phénomène de décohérence qui masque une indétermination liée à ce saut diachronique.
L'attitude de Newton est tout autre: il décrit l'attraction entre éléments (i.e.: au niveau Ik-1), et la théorie des champs part de ce niveau (Ik-1), pour reconstruire un "champ de gravité" au niveau Ik. Le cheminement intellectuel est ici inversé:
Ik-1(expérimentation)=>Ik(théorisation)
Galilée descend depuis le Symbolique, vers l'Imaginaire, Newton monte depuis le Réel vers l'Imaginaire. Bien entendu chacun reste en position ex-post par rapport à son discours (i.e.: chacun de ces discours est rationnel), mais quoi que l'on fasse pour faire correspondre les niveaux Imaginaires pris en considération, ce changement de posture rend les deux démarches à jamais irréductibles l'une à l'autre.
Quelle que soit la façon d'envisager la gravité, il semble fondamentalement impossible d'éluder cet entre-deux Ik/Ik-1 qui signe une certaine indétermination au coeur même du concept de gravitation...
Je pense que le sujet n'est pas clos.
Hari
Note du 02/09/2017
Un lecteur est venu sur cette page hier, ce qui m'a donné l'occasion de la redécouvrir. Je pense que je ne l'écrirais plus ainsi. Ce raisonnement de Galilée n'est qu'un moment dans une pensée beaucoup plus ample, et Galilée est le père de la physique, précisément parce qu'il faisait des expériences, et non des raisonnements de sophiste.
Il n'y a donc pas "changement de posture", comme je n'ai écrit un peu vite, (les deux sont ex post: ils rapportent l'expérience à une théorie explicite).
De plus, la différence pointée ici : Ik=> Ik+1 ou Ik+1 => Ik n'est pas pertinente en la matière: il semble qu'ici je force le trait, je ne sais plus pourquoi.
La vraie différence viendra plus tard, et elle se traduit dans la façon de comprendre la stabilité. Soit elle s'établie "temporellement" (i.e.: Ik=> Ik+1), à force de renvoyer une pièce en l'air et de compter les piles ou face, soit de façon structurelle (i.e.: Ik+1 => Ik) en lançant une multitude de pièces en l'air. Cette dernière façon, conduit au principe de "plus court chemin" de Fermi ou de "moindre action" de Maupertuis ou à la thermodynamique de Boltzmann.
Note du 10/06/2021
C'est très étrange de constater aujourd'hui que cet article est le plus lu de ce mois-ci. Je n'avais à l'époque aucune idée de la suite bien entendu, mais l'intuition n'était pas mauvaise. Il y a bel et bien une différence d'attitude entre Galilée énoncant ce sophisme et Newton théorisant sur la notion de "champ".
Dans l'article on voit que je n'avais pas encore théoriser cette différence entre 𓁜 et 𓁝 que j'exprimais alors par la différence entre Ik=> Ik+1 et Ik+1 => Ik.
Par contre, j'ai du mal à comprendre ma note précédente du 02/09/2017. Rétrospectivment, je crois me souvenir qu'après avoir exposé mes idées lors du colloque "Les psychanalystes lisent Spinoza" à Cerisy, en ruminant mon intervention, j'avais le sentiment d'avoir loupé cette différence entre les deux types de stabilité, que j'avais déjà exprimée dans "L'Homme Quantique". Voir "Après Cerisy" du 09/09/2016, mais je ne retrouve plus le lien avec cette idée de posture.
Il y a sans doute quelque chose à creuser.
De ce point de vue, oui, la stabilité se construit pas à pas, dans l'automatisme de répétition : je lance la pièce en l'air encore et encore...
De ce point de vue, la fermeture Imaginaire de 𓁜, permet le calcul des probabilités (i.e.: la somme des cas envisagés =1) et donc mon espérance en 𓁝 est limité au nombre de pièces que 𓁜 envoie simultanément en l'air.
- Et si tu es dans un milieu continu ?
- Ça ne change rien à l'affaire: intrinsèquement, 𓁜 est l'horizon indépassable de 𓁝, quitte à imaginer de clore l'ensemble R par un point à l'infini.
Note du 28/ 04/ 2022 :
Très étrange de constater dans les statistiques du blog que ce texte est encore lu !
En fait, depuis mes derniers commentaires, j'ai théorisé la différence de "modes" de penser, qui se conjugue avec les différents "niveaux" accessibles dans chacun de ces "modes".
Il faut donc en premier définir si Galilée et Newton sont dans le même "mode" de penser...
Le résultat pourrait alors sembler étrange...
- Étrange en quoi ?
- Lorsque Newton s'intéresse aux lois de Képler, sa démonstration est purement géométrique, en mode "objectif" ♧. Il s'intéresse à la position relative du Soleil et de la Terre, par exemple. Il faudra attendre Lagrange pour penser en termes de "champ potentiel" et passer en mode relationnel ♢.
Ceci dit, oui, comme je l'écrivais déjà, il est bien au "niveau" [#] (i.e.: IR dans mon ancienne écriture), permettant une approche tantôt locale 𓁝[#]♧, tantôt globale [#]♧𓁜 etc...
Mais Galilée, lui, est déjà en mode ♢, car, dégagé de toute représentation "géométrique", il abstrait sa pensée au point d'avoir une approche "topologique" des rapports entre ces deux pierres (i.e.: la ficelle qui lie ces pierres n'a pas d'existence géométriquement définie), vues tantôt comme "éléments" d'un ensemble [⚤]♢𓁜, tantôt comme "parties" d'un tout 𓁝[⚤]♢.
J'ai écrit [⚤]♢, (i.e. : I01 dans mon ancienne écriture) car, oui, il est ici au niveau logique du discours, (et non pas géométrique comme Newton); et il faudra attendre Évariste Galois pour formaliser la notion de "groupes de symétries", qui traite du passage du "potentiel" à "l'actuel", dans un mouvement qui a déjà une longue histoire (voir "La querelle des Universaux #16 - Abélard")
mode/ niveau | Objet final | Multiple | Formes | Objet initial |
♤ "pont entre syntaxes" | [1] | [⚤]♤ | [♲]♤ | [1]☯ |
♡ "syntaxique" | [1] | 𓁝[⚤]♡ | [♲]♡ | [1] |
↓ | ||||
♧ "objectif" | ☯[1] | [⚤]𓁜♧ | 𓁝[♲]♧ | [1] |
- Tu ne parles pas de [⚤]♢ mais de [⚤]♡ dans ce schéma...
- Effectivement: la démarche scientifique dégagera au fil du temps un mode de penser "topologique" autonome ♢, entre ♡ et ♧, en même temps que se décante le niveau géométrique [#] entre [⚤] et [♲] pour en parler...
Pour en revenir à notre discussion autour de Galilée et Newton, tu vois donc que :
Ceci tend à illustrer le fait que le développement des idées en sciences n'est ni purement du 1e entendement (selon Spinoza) ou immanent S↑, ni purement du 2e entendement ou transcendant S↓, mais va de l'un à l'autre : historiquement nous avons Galilée/ Newton/ Lagrange/ Galois, cependant l'évolution n'est pas d'ordre historique car l'expérience de penser de Galilée mène directement à Galois.
Quand à cette idée de "stabilité" qui me préoccupait dans la note précédente, il faudra que j'y revienne en détail :
Ce que j'appelais "stabilité d'ordre temporel" est bel et bien très élémentaire, repérable en mode ♧ dans le saut diachronique élémentaire [∃]↑[⚤]𓁜, et nous sommes dans l'automatisme de répétition freudien.
Mais la "stabilité structurelle" est plutôt un concept de mode ♢. Le principe de Fermat, comme celui de moindre action de Maupertuis, s'intéressent à des "potentialités" du système, propres au mode ♢.
Or, et c'est une idée qu'il me faudra mettre à plat, il me semble que
Ce qui renvoie à l'idée que :
Je le note ici, mais il me faudra revenir sur les conséquences de cette idée, car la logique propre au mode ♧ n'est pas celle attachée au mode ♢...
- Autrement dit la cohérence entre les deux doit s'exprimer en termes de "topos" en mode ♡ ?
- Comme tu le vois, nous avons encore du pain sur la planche...