Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...
30 Octobre 2020
- Maintenant que nous avons fait le tour du théâtre Imaginaire (☯[∃][⚤][#][♲][∅]☯) d'une pièce dont notre Sujet 𓁝|𓁜 est auteur, metteur en scène, et interprète (voir "Faisons le point sur la méthode"), il nous reste à comprendre ses évolutions sur scène, comme ses sorties côté jardin (le Réel ☯) par la porte [∃] et côté cour (le Symbolique ☯) par [∅].
- Tu changes de métaphore, en passant du livre à la scène ?
- C'est venu au fil de la plume, mais puisque nous nous intéressons à la dynamique du Sujet pourquoi pas ?
Nous sommes partis de Freud pour voir l'Imaginaire comme un "feuilleté", revenons à lui pour parler du mécanisme le plus élémentaire de la pensée:
L'automatisme de répétition :
Le psychanalyste associe ce mécanisme à la souffrance du patient qui ne parvient pas à surmonter un trauma. Freud l'avait identifié en particulier chez certains soldats survivants par chance à des situations où leurs camarades de combat avaient trouvé la mort. Sa question était : "pourquoi revivre perpétuellement une situation douloureuse dont on est sorti ?", et il y répond avec l'idée d'instinct de mort "au-delà du principe de plaisir".
Je récuse la nécessité d'un tel principe et j'en donne les raisons dans mon livre "L'Homme Quantique", précipitez-vous pour l'acquérir tant qu'il en reste des exemplaires !
- Attends ! Tu reviens à la psychanalyse ou tu nous parles de la pensée rationnelle?
- Désolé pour cette envolée, mais je dois être clair : si je récupère l'idée Freudienne d'un "automatisme de répétition", j'y vois un principe d'une tout autre portée. Pour moi, ce fonctionnement en boucle est si profond qu'il s'inscrit au niveau des synapses d'un cerveau qui n'est jamais à l'arrêt mais fonctionne toujours "en boucle", de la même façon qu'un programme d'ordinateur est constitué de "routines". Le saut d'une routine à la suivante étant toujours conditionnée par les "if", "then", "else" que tu retrouves dans tous les langages.
Pour le dire très crûment, Freud n'a pas fait sa révolution Galiléenne et en est resté à une conception Aristotélicienne du "mouvement" et de l'inertie qui l'amène à penser qu'un Sujet au repos est sans "mouvement".
- Soit, mais ces soldats sont quand même bloqués dans la répétition d'un trauma qui les fait souffrir, et je pense qu'ils aspirent à la fin de leur cauchemar récurrent, non ?
- C'est là qu'intervient le "saut diachronique" permettant de calmer le jeu.
- Explique-toi.
- Lorsque tu passes d'un niveau Imaginaire au suivant tu "tournes" moi vite, la fréquence de tes mouvements diminue. En ce sens, l'Imaginaire "filtre" le choc du Réel, et ça, par contre, Freud l'avait très bien vu. Garde cette image d'un "filtrage", car nous y reviendrons avec Alain Connes et la géométrie non commutative.
À ce tourbillon d'impulsions qui assaillent le cerveau, s'oppose une aspiration à ce que Freud appelle le "principe de plaisir" ou "Nirvana", c'est-à-dire la tranquillité intérieure.
- Tu reconnais bien l'aspiration au calme des pierres, comme le dit quelque part Lacan ?
- Oui, mais pour y parvenir, il faut sauter de niveau synchronique en niveau synchronique jusqu'à cette disparition du Sujet dans le vide : 𓁝[∅]☯⏩[∅]𓁜☯.
- En résumé: tu piques à Lacan le triptyque Réel/Imaginaire/Symbolique et à Freud :
et tu rejettes le côté obscur de la Force, Tanatos, "au-delà du principe de plaisir"?
- Tout à fait. Pour compléter cette synthèse, tu peux même dire que la démarche "entropologique", consiste à expliciter le cheminement du Sujet dans son Imaginaire, de niveau en niveau, comme répondant à un principe de moindre action, autrement dit, une façon Imaginaire pour le Sujet de diminuer son entropie. (note 2)
Différents modes de répétition :
1/ Revenons à notre Sujet en posture ☯[∃][⚤]𓁜.
On peut dire que c'est la posture classique de l'homme raisonnable, en ce sens qu'il juge d'un objet de niveau [∃] à partir de critères en [⚤]...
- Ton "objet final" en [∃] est assez limité, puisque unique et très élémentaire.
- Garde à l'esprit que la diversité n'est pas dans cet objet (*) mais dans le morphisme que le Sujet 𓁜 réalise en l'appliquant à un critère de jugement. Je garde la notation [∃] et [⚤] parce que je me réfère en dernier ressort au langage mathématique, mais j'ai dans l'idée que tout autre domaine de l'expérience humaine, comme tout langage rationnel s'y rapporte par une série de métaphores qu'il resterait à établir. J'en parle ici en pensant au "pont" entre topos dont parle Olivia Caramello en théorie des topos. Mais tu m'éloignes de mon sujet , restons-en pour l'instant à ☯[∃][⚤]𓁜.
Nous avons très longuement développé que l'automatisme de répétition des "sauts diachroniques" [∃][⚤], est semblable à une série de morphismes identité (*)↑{1}, et que cette répétition conduit au concept de "successeur".
- Oui, tu nous l'a rabâché ad noseum : successeur, axiomes de Peano, construction de la théorie des Ensembles et construction de N, ensemble des entiers naturels.
- Je vois que tu as retenu la leçon. En bref, nous sommes dans le domaine du discret. La dichotomie élémentaire du langage (oui/non) est discrète, l'écriture est par nature constituée d'éléments séparés, discrets, le discours articulé s'analyse en une succession de phonèmes, et le fil de nos souvenirs se présente comme les séquences plus ou moins bien montées du film de notre vie.
- Tu délaies sans rien dire de neuf...
- Je veux surtout te montrer que l'automatisme de répétition de Freud est de cet ordre de la succession.
- En rupture avec ce qui se passe au-delà ?
- Exactement, il suffit pour s'en apercevoir, d'être attentif à la suite.
2/ Le Sujet en position ☯[∃][⚤][#]𓁜.
- Je vais te la faire courte : lorsque tu passes au niveau suivant [#], la répétition n'est plus de l'ordre de la succession mais de l'orthogonalité ; et ça, personne n'en parle !
- Mais, finalement, qu'est-ce qui caractérise le saut [⚤]𓁜⏩[⚤][#]𓁜 ? Tantôt tu insistes sur la différence discret/ continu, tantôt sur la double "approche topologique local/ gobal" et maintenant sur cette évolution de l'automatisme de répétition ?
- Les 3 mon capitaine, mais ce qui fait le lien, c'est un changement de paradigme du Sujet: les premiers pas dans l'Imaginaire consistent à s'éloigner d'un Réel traumatique ☯𓁜, quand les derniers sont plutôt une aspiration à retrouver l'unité 𓁝☯ et la tranquillité du bébé au sein de sa mère. Nous en avons déjà beaucoup parlé, et j'abrège pour te montrer en quoi ce saut [⚤]↑[#] est économique en termes d'entropie.
Comme tu le vois la portée conceptuelle du saut [⚤]↑[#] est sans commune mesure avec celle du saut élémentaire [∃]↑[⚤] !
Or, de ça, Freud n'a aucune idée !
- Je vois bien le schéma, mais en s'enfonçant ainsi dans son Imaginaire, voici notre Sujet encombré d'une foultitude de concepts qu'il ne peut même plus appréhender concrètement, comme un objet à 6 dimensions ou R∞, voire א∞.
- Oui, et je pense que c'est pourquoi le Sujet a besoin de revenir sur Terre.
3/ Le Sujet en position ☯[∃][⚤][#][♲]𓁜.
- Tu veux dire qu'il redescend vers ☯𓁜?
- Eh non justement! Non, cette descente-là serait due à son impuissance à concevoir ce qui l'agresse, comme lors d'un accident, ou encore quand l'expérience casse son jouet imaginaire, comme la catastrophe ultraviolette. L'idée, c'est de tricoter entre tous les concepts orthogonaux qu'il vient de démultiplier à profusion, des "objets" qui les reconnectent entre eux.
- Je ne te suis pas.
- Nous en avons parlé succinctement dans le dernier article (voir "Faisons le point sur la méthode"): il s'agit de concevoir la "conservation" du volume d'un objet en [♲]𓁜 dont le Sujet pourrait appréhender la surface en [#]𓁜, et qu'il décrirait à la limite algébriquement en [⚤]𓁜.
- Tu en reviens toujours à Noether et son triptyque conservation/ symétrie/ incertitude ?
- Oui, et je ne vais pas le développer ici à nouveau. Notre réflexion d'aujourd'hui porte sur les avatars de l'automatisme de répétition en lien avec la diminution d'entropie ressentie par le Sujet.
Je pense qu'à ce niveau Imaginaire, le concept de répétition signale un "défaut d'unité", parce qu'il s'agit en [♲] de ramener la complexité Imaginaire du niveau [#] à la simplicité du vide en [∅]. En ce sens, l'échec des physiciens dans leur tentative d'unifier la gravité aux trois autres forces [#]𓁝|𓁜[♲] fait symptôme d'un manque conceptuel.
Pour en revenir à notre réduction entropique, tu vois comme moi je l'espère, la formidable réduction Imaginaire à laquelle il faut travailler pour réduire la théorie standard de la physique à trois groupes de symétrie exprimables en [⚤] par U(1) pour l'électromagnétisme, SU(2) pour l'interaction faible et SU(3) pour l'interaction forte.
- Au passage, je note que tes idées de haut niveau [♲]𓁜 cherchent à s'exprimer au niveau le plus élémentaire [⚤]𓁜...
Le bouclage Imaginaire :
- Oui, effectivement, et j'y verrais un "automatisme de répétition" d'ordre supérieur.
- Comment cela ?
- Sauf à s'échapper côté jardin ☯ ou côté cour ☯, notre Sujet est coincé dans son Imaginaire et ne peut que tourner en rond.
- Dans ces conditions pourquoi vouloir à tout pris s'élever vers ☯ ?
- Parce qu'à chaque saut, la fréquence des tours diminue, un peu comme sur une montre l'aiguille des secondes tourne plus vite que celle des minutes, qui va plus vite que celle des heures.
- Mais alors pourquoi ne pas rester collé au plafond ?
- Mais mon ami, c'est ce que fait la plus grande partie de l'humanité, en réglant sa conduite non pas en fonction de son expérience du Réel ☯, mais en adoptant des règles en [♲] venant de n'importe où, c'est-à-dire du vide [∅] ou d'un dieu placé en ☯.
L'immense majorité du troupeau humain ne veut surtout pas bouger ! C'est également le principe le plus primitif d'un animal traqué : se figer. Mais lorsque tu n'arrives plus à cette réflexion sur toi-même 𓁝|𓁜, rester figé dans l'une ou l'autre des deux postures fondamentales 𓁝 ou 𓁜 te conduit à une dérive clinique.
- D'accord, mais tu n'as pas répondu : pourquoi ?
- Parce que le Réel nous rattrape toujours à un moment ou un autre or, si tu restes dans les nuages et n'as plus l'agilité suffisante pour t'adapter à lui, c'est-à-dire, très fondamentalement, si tu ne réponds pas assez vite, tu meurs, c'est aussi brutal que ça.
- On est dans les Darwin Awards là...
- Ce ne sont pas des considérations oiseuses pour faire joli sur un blog, non il s'agit bel et bien d'une question de vie ou de mort, en ce sens les exemples militaires sont peut-être les plus parlant. J'ai toujours en tête les deux suivants:
Les pilotes de chasse, sous forte contrainte physique et charge mentale élevée s'entraînent sans relâche pour automatiser le plus possible sous forme de réflexes des enchaînements Imaginaires assez complexes, afin de réagir au plus vite à la réalité, tout en gardant assez de capacité intellectuelle pour évaluer la situation avec recul et élaborer une stratégie de combat. La chaîne Imaginaire centrale [⚤][#][♲] doit pour cela pouvoir être parcourue aussi vite que possible, sans blocage.
Un exemple de blocage destructeur, c'est le comportement de Staline lors de l'opération Barbarossa, avec 10.000 morts par jour à la clef. Il est resté bloqué trop longtemps [♲]𓁜 sur l'idée fausse que les Allemands respecteraient le pacte de non-agression signé en 1939, malgré les renseignements dont ses services l'abreuvaient ...
- Ça paraît loin !
- Que penses-tu du succès des idées conspirationnistes aux USA, ou de l'adhésion de certains à des idées islamistes ou sectaires ? Tant que l'idée tient, le Sujet se sent rassuré de ne pas bouger.
Mais plus l'idée directrice est rigide, plus la force de rappel du Réel est grande, voire mortelle.
Regarde à l'inverse où nous a conduits la remise en cause profonde de nos idées les plus établies en physique ! Rappelle-toi qu'à la fin du XIXème un grand physicien comme Lord Kelvin pouvait dire que toute la physique était explicite et qu'il n'y avait que deux petits nuages à régler: la constance de la vitesse de la lumière, indépendamment de la vitesse de l'observateur et la catastrophe ultraviolette... Depuis cette raclée mémorable, les physiciens, et d'une façon très générale tous les scientifiques, sont d'une prudence de Sioux quant à la validité de leurs théories.
La leçon à en tirer, c'est que pour progresser il faut accepter les râclées, comprendre qu'une marche n'est qu'une suite de chutes rattrapées, et qu'un enfant tombe mille fois avant de savoir marcher.
- Tu nous fais la morale ?
- Ce n'est pas mon but. Cette confusion entre stabilité et immobilisme, qui nous ramène à Aristote, encore partagée par Freud, comme nous l'avons vu, me semble être une plaie du monde actuel, et me semble gagner du terrain. Vois, par exemple, comment Google ou Facebook sclérosent ton Imaginaire en t'enfermant dans tes convictions et te revoyant sans cesse à tes propres ides, préjugés et limites.
- Et que proposes-tu ?
- Un retour à une très vieille philosophie Orientale, qu'elle soit Bouddhiste, avec cette idée d'un mouvement perpétuel entre le Yin et le Yang ou Taoïste, avec cette idée d'adaptation au terrain.
Je pense qu'il est de la plus extrême importance de considérer le mouvement en lui-même comme la plus haute "constance".
- N'est-ce pas où nous arrivons en relativité ?
- Tout à fait, et lorsque les physiciens l'auront intégré, c'est-à-dire, lorsqu'ils auront théorisé la place du Sujet dans la perception de l'objet, alors nous aurons peut-être une chance d'unifier la gravitation, qui se développe en [♲]𓁜 avec le reste de la physique est en [#]𓁜 !
Hari
Note 1 :
Voir une série d'articles tournant autour de cette problématique, en particulier
Note 2 :
Avant de tenir ce blog et de m'intéresser au Sujet lui-même, j'ai développé cette idée dans le cadre des relations au sein d'un groupe d'individus en vue d'une application au conseil en entreprise et à l'amélioration de l'efficacité des organisations. J'en ai fait une thèse conjointe avec mon ami Roger Goglu en 1982. J'ai ensuite développé et présenté cette approche dans un article des "Techniques de l'Ingénieur" en 2006 :
Note 3 :
Nous avons là ce que Edmund Husserl appelait une "réduction eidétique" ou épochè, à savoir un éloignement du Réel pour atteindre à la pure "essence" des choses. Eh bien le premier pas de cette réduction conduit à passer d'une pensée se déployant en mode de succession avec la multiplication du même à une pensée se déployant par addition de compléments orthogonaux entre eux. Franchement, je ne sais qui pourrait encore s'intéresser à cette problématique, mais s'il en reste un, ce que j'avance ici est cadeau pour lui.
Note 4 :