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Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...

L'Homme quantique

Etude du système pulsionnel

Etude du système pulsionnel

J’ai envie de vous faire partager mon enthousiasme pour ce livre riche d’enseignement et d’une grande facilité d’accès : "Le cerveau et le monde intérieur" de Mark Solms et Olivier Turnbull.

Il se veut un pont entre une réflexion psychanalytique freudienne, et la recherche, au niveau neurologique, des mécanismes cérébraux qui y seraient associés. C’est pour moi, une occasion d’avancer d’un pas pour voir dans quelle mesure les mécanismes Imaginaires que nous avons identifiés, pourraient encore être repérables, en dessous du seuil de conscience qu’il nous faut atteindre pour en parler.

La question que je me pose étant de savoir si l’organisation telle que je la caractérise (i.e. en niveaux synchroniques, hiérarchisés selon un axe diachronique) est repérable dans la structure même de notre cerveau. L’objectif étant d’arriver à identifier le point d’émergence de notre conscience (donc de notre repérage du temps) dans cet étagement diachronique.

Il y a des indices, accessibles à chacun par observation directe de soi-même qu’une telle reconstruction par niveaux existe, bien en dessous du seuil de conscience. Prenez par exemple votre propre vision. Faites, maintenant, un panoramique pour repérer votre entourage. Vous constaterez qu’en fait, et malgré tout le soin que vous y mettrez, lorsque vous tournez la tête d’un mouvement continu, sans mouvement relatif de vos yeux par rapport à votre tête, l’image bouge par à-coups. De fait, vous raccordez vos différentes vues sur des points saillants, qui vous servent à situer une image par rapport à l’autre. Exactement comme ces programmes informatiques qui raccordent des photos pour en faire un panorama. Autrement dit, l’image mentale de votre environnement n’est pas un simple reflet de ce que transmettent vos yeux à votre cerveau. Ce dernier fait tout un travail de mise en forme à partir de ce matériau brut. Nous pourrons y revenir à l’occasion (voir ici une excellente présentation de la représentation de l’espace dans le cortex.)

Mais pour l’instant, je voudrais montrer l’intérêt de l’approche que je vous propose en traitant des pulsions, à partir de ce que je tire de ma lecture.

L’idée générale des auteurs est que le cerveau sert l’animal que nous sommes à mettre en relation son « intérieur », c’est-à-dire son corps, avec son environnement pour assurer sa survie. L’approche est donc tout à fait entropique : pour vivre (diminuer son entropie), une entité (quelle que soit sa nature) doit emprunter de l’énergie dans son milieu extérieur. La question primordiale restant celle de manger ou d’être mangé, comme nous le rappelle Lacan.

Il y a donc une opposition primitive intérieur / extérieur. Qui se repère, dans la prise d’information comme dans les systèmes d’actions.

Très schématiquement, la montée d’information de notre état intérieur, passe par le tronc cérébral, pour aboutir, à la base du cerveau dans le mésencéphale. La descente des commandes de régulation interne suit un chemin inverse.

Les spécialistes s’accordent ensuite à définir le « système limbique », comme un ensemble constitué de différents noyaux prolongeant le mésencéphale. Au centre de ce système se trouve l’hypothalamus, autour duquel se distribuent les autres structures du système limbique.

Nous partageons largement l’architecture précédente avec l’ensemble des mammifères, c’est dire qu’il suffit à lui seul à satisfaire la majorité de nos fonctions vitales sous le seuil de conscience au sens où nous l’entendons (i.e. : la pensée s’articulant comme la parole.)

Ces structures profondes sont très étroitement connectées au cortex, c’est-à-dire, phylogénétiquement, la partie la plus évoluée du cerveau. Ce qui nous permet de ressentir ces informations internes sous forme d’émotions.

Cette différenciation anatomique se double d’une différence de nature des connexions. Le cortex est câblé en « fonctions canal », c’est-à-dire que les liaisons entre neurones sont très sélectives. Et, par exemple, le cortex possède des « cartes » représentant telle ou telle zone visuelle ou du toucher. Cartes que l’on repère très finement.

Par contre, les centres nerveux du système limbique, sont constitués de petits groupes de neurones, qui sont interconnectés à de très grands nombres de récepteurs, non spécifiquement localisés dans le cortex. On parle de « fonctions état ». Là aussi, au niveau limbique, il y a bien des « cartes du corps interne », mais beaucoup plus rustiques, moins différenciées. Autre différence : les fonctions états utilisent des neurotransmetteurs de nature spécifiques, différents de ceux des neurones du cortex. L’« état » mental dans lequel se trouve le sujet retentit donc sur l’ensemble de ses fonctions « canal ».

Enfin, on sait à l’heure actuelle que l’état de conscience implique prioritairement certaines structures du tronc central, appelées « Système Réticulé Activateur Ascendant » ou SRAA. Avec ici aussi, des neurotransmetteurs spécifiques.

Bien que cette présentation soit très rudimentaire et lacunaire, je vous propose de nous y arrêter car elle suffit à aborder l’analyse de nos pulsions. En effet, les travaux des neurologues sont très instructifs : le système limbique gère 4 processus élémentaires fondamentaux :

  • Le système de défense-attaque (RAGE system)
  • Le système de défense-fuite (FEAR system)
  • Le système exploratoire (SEEKING system), associé au sous-système plus élémentaire du désir, la libido
  • Le système panique (PANIC system)

Et le travail de cette partie limbique du cerveau se retrouve sous forme d’émotions dans le cortex supérieur.

Il est toujours surprenant de pouvoir rapporter à si peu de variables un ensemble d’émotions qui nous semble si riche. Nous pouvons passer de l’amour à la haine, de la peur à la joie, éprouver plaisir et douleur dans une gamme qui nous semble infinie, mais in fine se rapportent à 4 pulsions. Mais n’en est-il pas toujours ainsi ? L’infinité des nuances de couleurs par exemple qui provient de 3 types de cônes à la surface de notre rétine, ou bien l’infinie variété des goûts, qui s’appuie sur la discrimination élémentaire entre sucré, salé, acide, amer et le glutamate.

Pour en revenir à nos pulsions élémentaires, les deux premières (la colère et la peur) n’ont pas de quoi surprendre : elles déclenchent deux types de comportements élémentaires que nous repérons chez tous les animaux, et agit même sur l’évolution phylogénétique des espèces : le cheval fuit, le rhinocéros attaque. Le qualificatif « d’élémentaire » peut ici se comprendre au sens premier du terme : il s’agit, pour un élément d’un groupe animal donné, de sa survie en tant qu’individu, avant toute considération d’appartenance à un groupe. Ceci est directement lié aux états élémentaires de conscience.

Et c’est ici que notre mise en structure peut nous aider à lire ce que le neurologue nous donne à voir.

Par exemple : les deux premiers systèmes sont plus profondément ancrés en nous (c’est-à-dire qu’ils apparaissent en premier dans l’ordre du vivant).

  • Le RAGE system est activé lors d’état de frustration, lorsqu’une action n’atteint pas son but. On distingue 3 types de rage, correspondant à différents centres nerveux, mais la plus primitive semble se situe dans l'amygdale, et réagit sur le SGPA (voir schéma ci-après.)
  • Le FEAR system est un système de réponse négatif, et situé dans la même zone que le RAGE system.

Ces deux systèmes qui semblent fonctionner en couple antagoniste ont dû apparaître à peu près en même temps pour répondre aux sollicitations de l’état conscient, qui lui est encore antérieur. L’on peut articuler ces deux pulsions en deux paires de concepts antagonistes : la peur induit la fuite (ou, plus primitivement l’immobilisme) et la rage pousse à l’attaque.

Par rapport à ces deux premières pulsions, les deux autres se rapportent plus à la vie de groupe : c’est grâce à elles que l’individu va chercher à se perpétuer au-delà de son existence propre. Et là encore, les deux pulsions s’opposent en couple antagoniste, pour pousser les individus à se regrouper.

  • Le SEEK system semble un prolongement du sous-système du désir (sexuel). Ce système de recherche a-objectal est simplement dirigé vers l’extérieur, poussé par le système de plaisir. Le neurologue retrouve là le système libidinal tel que défini par Freud :

« […] représentant psychique des stimuli issus de l’intérieur du corps et parvenant à l’âme, comme une mesure de l’exigence de travail qui est imposée à l’animique par suite de sa corrélation avec le corporel » (Freud 1915, cité par les auteurs.)

Et le fonctionnement du système de plaisir correspond précisément au principe de plaisir décrit par Freud.

  • Le PANIC system ou système de séparation-détresse est intimement lié au phénomène précoce d’attachement parent-enfant.

Tout ce qui est déjà connu concernant ces 4 systèmes est extrêmement riche et détaillé, mais je veux juste ici, dans ce billet, vous montrer de quelle façon ce que je développe se retrouve très simplement dans ce fonctionnement. La difficulté de l’exercice étant de souligner cette simplicité, en élaguant la présentation, sans tordre les faits.

J’ai repris ici les schémas des auteurs représentant l’implantation de ces 4 systèmes élémentaires.

Etude du système pulsionnel

Vous voyez immédiatement que nos deux systèmes rage et fuite sont très « courts », se bouclant au niveau du diencéphale, tandis que les deux autres systèmes, recherche et panique, sont plus longs, se rebouclant au niveau du présencéphale. C’est dire qu’il y a au moins une différence dans le développement et l’acquisition des schémas qui les gouvernent.

Je propose de caractériser cette stratification anatomique et fonctionnelle du cerveau par une distanciation d’ordre diachronique entre le plan où s’articulent ces deux dernières pulsions avec le plan où s’articulent les deux pulsions précédentes : la survie de l’espèce primant la survie individuelle (faute de quoi, nous ne pourrions pas observer d’espèce viable.) Le dernier niveau étant celui où siège l’état de conscience primitif dans le RSAA, et que l’on peut assimiler au « ça » freudien.

Ce qui nous donne le schéma suivant :

Etude du système pulsionnel

Le rapprochement entre notre schéma « imaginaire » et la cartographie du cerveau nous suggère les mises en perspectives suivantes :

  • L’état du ça est ressenti sans inertie : le bébé qui a faim hurle immédiatement, sans aucune inhibition
  • Les 4 « boucles » ou systèmes élémentaires repérés dans le cerveau, sont des bouclages diachroniques : une impulsion venant du ça (toujours en position ex-ante) provoque au premier niveau (attaque/fuite) un choix de conduite, qui tend à orienter immédiatement l’action en fonction de ce choix (passage ex-ante / ex post) ;
  • La réponse elle-même (la descente diachronique) se fait en fonction des schémas de réponses enregistrées à ce niveau (l’actualisation d’un état synchronique de niveau 1 proprement dit) ;
  • L’état du ça (niveau 0) et l’état des systèmes attaque/fuite (niveau 1) sont transmis au niveau 2 (recherche / panique) : deuxième saut diachronique
  • Le niveau 2 actualise l’un des schémas potentiels acquis (actualise son état synchronique), et impacte les niveaux inférieurs.

Il ressort de cette mise en perspective, des conséquences qui doivent pouvoir se vérifier par l’expérience :

  • Une différence de vitesse dans les temps de réaction à chaque niveau 0 / 1 / 2
  • Un principe général du fonctionnement qui serait une restriction et un enrichissement  (ou une focalisation) progressive de l’action réflexe pure ;
  • Une complexification des réponses, avec à chaque passage d’un étage à l’autre, des possibilités de conflit entre niveaux. Par exemple, un trop fort désir sexuel (niveau 0 du ça, transmis au niveau 2) peut pousser un sujet plutôt orienté vers la fuite (niveau 1) à agresser un rival.
  • Une énergie de transmission de l’information de plus en plus faible au fur et à mesure que l’on monte diachroniquement.

Le paradoxe qu’il nous faudra résoudre est celui-ci : la demande initiale du ça est globale et immédiate, et les réponses qui lui parviennent, basées sur une expertise, une mémoire innée ou acquise, structurent progressivement le possible, limitent l'actuel, en frustrant ou contraignant le ça. Et cette restriction est d’autant plus grande que la réponse se charge de sens.

Encore une fois, cette présentation est très élémentaire, mais ne me semble pas déformer le sens de ma lecture.

Ceci me conforte grandement dans cette exploration de la neuropsychologie, à laquelle je m'étais déjà frotté dans cet article concernant le phénomène d'adhérence. Il y a me semble-t-il ici un terrain où la mise en pratique de la théorie que j'avance doit être assez fructueuse.

Comme vous le voyez, il y a du pain sur la planche!

Appel aux neuropsychologues qui par hasard liraient ce billet: merci de vos commentaires. Je suis intéressé par toute discussion que vous souhaiteriez amorcer: je n'aurai jamais les compétences pour mener à bien une telle exploration tout seul !

Sur ce, je pense qu'il est l'heure de l'apéro.

Hari

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