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Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...

L'Homme quantique

Les neurones de la lecture - Dehaene #2 Le cerveau au pied de la lettre

Les neurones de la lecture - Stanislas Dehaene p. 76

- Tout ce que je lis me passionne, et quelle science, quelle virtuosité technique a-t-il fallu déployer pour construire ces instruments d'imagerie médicale et en extraire de l'information ! Mais, en avançant dans cette lecture, je prends conscience d'avoir très mal abordé le sujet à l'aide de mes glyphes.

- Tu atteins une limite ?

- Mon problème est plutôt d'avoir été perturbé (voir #1) par l'opposition que Dehaene fait entre un processus massivement parallèle, en reprenant la métaphore d'une assemblée gigantesque de petits démons où chacun donne de la voix pour se faire entendre (le pandominium d'Olivier Selfridege), qu'il oppose à une représentation plus "mécaniste" du XIXè siècle, avec un petit homoncule se baladant dans le cerveau pour gérer un processus séquentiel.

Je me suis senti obligé de justifier l'emploi de ma représentation du Sujet 𓁝𓁜 en balade dans son Imaginaire, qui pouvait passer pour l'homoncule en question... Je me suis trompé de bataille.

- Comment ça ?

- Lorsque Maxwell imagine un petit démon, pour agir sur des pistons, ou qu'Einstein met en scène un chef de gare et un voyageur pour nous parler de relativité, il s'agit d'expériences de pensée dans lesquelles les auteurs passent:

  • d'une description globale de la situation (...)𓂀,
  • à un changement point de vue (𓁝[α]𓁜𓁝[α]𓁜)𓂀,

Et donc, les petits homoncules 𓁝𓁜 en question sont mis là pour repérer la place d'un Sujet constitué, comme le metteur en scène 𓂀 trace une marque au sol pour indiquer sa place à l'acteur 𓁝𓁜.

Dans la réflexion de Stanislas Dehaene, la situation est tout autre : le Sujet observant son cerveau ne peut pas se représenter en train de suivre un quelconque réseau neuronal, puisque son existence même, ou tout au moins sa prise de conscience du processus décrit, résulte de celui-ci...

- Je l'ai bien compris, cependant, le Sujet peut observer le cerveau d'un autre, et s'en faire une représentation...

- Et donc, mon écriture glyphique s'attache au discours de l'auteur et non au schéma du Sujet qu'il commente !

Mon erreur a été de comparer un schéma représentatif d'un processus et le schéma représentant la façon qu'à l'auteur d'en parler.

C'est donc la posture de l'auteur qui doit retenir mon attention.

- Je ne vois pas trop... Peux-tu être plus explicite ?

- Pour nous faire ces descriptions des processus cérébraux, Dehaene se positionne à différents niveaux de discours.

1/ Mode ♧ :

  • Les schémas ou cartes sont des représentations "objectives" en [#]𓁜;
  • Le déroulement temporel des processus mesurés en millisecondes, toujours "objectifs", en [⚤]𓁜.

2/ Mode ♢ :

Beaucoup d'expériences montrent que le repérage d'un "objet" signifiant pour le processus considéré (que ce soit un trait, une lettre, un graphème, ou morphème) prend sa signification au niveau supérieur grâce à ses proximités (i.e; le trait "-" devient pertinent pour distinguer le "o" du "e"), ce qui place l'auteur en mode topologique ♢.

3/ ♢↓♧ :

Maintenant, le cheminement d'un percept dans les réseaux neuronaux obéit à de nombreuses considérations thermodynamiques. En particulier :

  • L'activité neuronale se repère en suivant les dépenses énergétiques associées, via, un afflux d'oxygène, ou en traçant les variations de flux sanguins;
  • La répétition d'un stimulus se traduit par une dépense moindre en énergie;
  • La reconnaissance d'un trait, d'une lettre, d'un morphème ou tout autre "objet" se traduit par une baisse globale d'activité dans la zone concernée.

Il s'agit donc là de considérations liées au passage d'une potentialité en mode ♢, à son actualisation en mode ♧, respectant tout ce que nous avons pu voir en physique.

4/ Mode ♡ :

Enfin, beaucoup de considérations sur les symétries et brisures de symétries sont des réflexions en mode syntaxique ♡, et c'est peut-être ce qui nous intéresse le plus pour comprendre notre propre système de représentation de l'Imaginaire.

- Je sens que tu vas nous reparler d'Emmy Noether...

- Patiente un peu. Il y a déjà cette question : pourquoi la zone de reconnaissance visuelle des lettres dans le région occipital-temporale est-elle uniquement à gauche, la région en miroir à droite s'occupant de la reconnaissance des visages ? L'idée qui vient est que le cerveau a recyclé une zone primitivement spécialisée dans la reconnaissance des visages, pour y caser cette activité nouvelle.

- Oui, mais pourquoi systématiquement à gauche ?

- Grande question, qui rejoint celle de la chiralité des molécules servant de base à toute vie sur Terre (les acides aminés sont lévogyres). Dans tous les cas, il semble que l'objet actualise l'un de deux possibilités chirales.

Mais dans d'autres situations, il semble au contraire que le sens de l'objet se relève comme conséquence (a posteriori) des deux approches vues rétrospectivement comme images symétriques de l'objet devenant a posteriori leur cause.

- Tu peux répéter ? Je n'ai rien compris !

- Il y a fondamentalement deux façons de prendre conscience d'un objet :

  1. Soit c'est un "objet" que tu identifies à partir d'une expérience du Réel au sens d'élément:
    • Un percept ([∃]𓁜𓂀
    • est rapproché d'un concept ([♲]𓁜𓂀
    • pour être identifié en ([⚤]𓁜𓂀
    • processus double S↑ et S↓ convergent en [⚤] (ce que J.-P. Changeux définit comme la prise de conscience résultant de la rencontre d'un "percept" et d'un "concept"):
      Percept / S↑ ([∃]𓁝⇅𓁜𓁝⇅𓁜[⚤]𓁜⏩𓁝[⚤]𓁜𓂀
      Concept / S↓ (𓁝[♲]𓁜𓁝⇅𓁜[♲]𓁜⏩[⚤]𓁝⇅𓁜𓂀
  2. Soit il s'agit de prendre conscience de l'objet en terme de "volume" ou de "mesure" au niveau conceptuel ([♲]𓁜𓂀.

Dans ce deuxième cas, la prise de conscience de l'objet comme "quantité conservée" tient à une "brisure de la symétrie" de l'objet au niveau inférieur. "L'indétermination" tenant à mon choix de passer par une voie où l'autre, pour évoquer l'objet.

En l'occurrence, le sens des mots (la sémantique) tient à un accès double (de niveau [#]): soit la reconnaissance de phonèmes, soit celle de graphèmes. Si j'évoque par exemple un bateau, je peux soit entendre la prononciation du mot, soit le lire, l'essence du "bateau" n'étant jamais "présente" au sens d'un élément déterminé; et le lien causal entre le concept et son expression# n'est plus de l'ordre de la succession ou de la temporalité ⇅ (au niveau [⚤]), mais tient à une équivalence ⇆ (de niveau [♲]) . 

- D'autant plus qu'à côté du mot lui-même, te viennent à l'esprit quantités de représentations, de yole, ketch, goélette, canot, navires marchands de tout poil, corvette, porte-avions, etc. ou même des scènes vécues, d'épisodes épiques ou lamentables dans la lagune de Nouméa, voire le goût des embruns, et la nostalgie de mon voilier le Olla...

- Oui, bien entendu, et tout ceci résulte de la richesse des connexions nerveuses qui irrigent le cerveau à partir, par exemple, de la région occipital-temporale de reconnaissance visuelle des mots. Ce schéma en donne une petite idée : 

Les neurones de la lecture p. 125

Maintenant, toutes ces réflexions nous font toucher du doigt l'importance des opérations de "catégorisation", typiquement au niveau intermédiaire [#] entre [⚤] et [♲]. En ce sens, les deux voies auditive et visuelle d'appréhension d'un mot tel "bateau", peuvent être représentées comme orthogonales ⊥ de niveau [#].

- Jusqu'à présent, j'avais compris le langage parlé comme de niveau [⚤], à cause d'un processus d'élocution se déroulant dans le temps, et la lecture d'emblée au niveau [#] propre à l'appréhension de l'espace ?

- C'est sans doute aller trop vite en besogne. Certes, le son physique est un processus temporel, cependant, sa reconnaissance, avant même toute parole, dès sa captation sous forme de fréquences dans l'oreille interne, en fait très vite un processus massivement parallèle, tout comme la vision. Chaque élément d'un phonème, tout comme chaque élément d'un graphème étant repéré dans un voisinage propre à chaque niveau d'abstraction considéré; nous avons dans les deux cas un processus de niveau [#] :

  • La reconnaissance vocale à partir des aires temporales supérieures
  • La reconnaissance visuelle à partir de la région occipital-pariétale.
  • La rencontre des deux processus se faisant dans la région frontale inférieure gauche.
Les neurones de la Lecture - Dehaene p. 82 - fig 2.3

« Fig 2.3 -Une image historique : les aires cérébrales du langage mises en évidence pour la première fois en 1988 par la caméra à positons (d’après Petersen et coll., 1989). Par rapport à la fixation d’un point, la lecture muette (en haut à droite) active les processus de reconnaissance visuelle des mots situés dans la partie arrière de l’hémisphère gauche, tout particulièrement les régions occipitales et la région occipito-temporale ventrale. L’information est ensuite transmise, selon la tâche, aux régions impliquées dans la représentation du son (en haut à gauche), de l’articulation (en bas à gauche) ou du sens (en bas à droite). » Extrait de Les neurones de la lecture Stanislas Dehaene"

Réciproquement, la vision n'est pas un processus purement "spatial" et d'emblée de niveau [#] : les contacts entre neurones prennent un certain temps, même très bref, et il y a des constantes de temps à prendre en compte. Par exemple un signal provenant de l'hémisphère droit prend plus de temps qu'un stimulus provenant de l'hémisphère gauche pour être pris en compte dans la région occipital-pariétale gauche qui est le centre de reconnaissance des lettres.

- Et donc, dans les deux processus, la hiérarchisation des niveaux Imaginaires [∃][⚤][#] reste pertinente ?

- Oui, ce qui montre a posteriori que mes schémas dans l'article #1 étaient faux : la discussion qui nous occupe ici, à savoir comment passer d'une pluralité oralité/ vision à l'unicité du sens d'un mot se situe entre les niveaux [#] et [♲].

  • En [#] les 2 voies sont orthogonales ⊥;
  • En [♲] le sens se dégage d'une équivalence entre les deux ⇆,
  • Le schéma général de la discussion revenant à : [#]𓁝⊥𓁜[♲]𓁝⇆𓁜[∅]

La représentation des processus en [#] pouvant sans difficulté reprendre tous les processus massivement parallèles que tu souhaiteras (pense à un espace de Hilbert de dimension infinie).

Et pour être plus complet, en situant la discussion sur deux modes (objectif/ actuel vs topologique/ potentiel) la prise de conscience du sens de la parole, à partir d'éléments identifiés de phonèmes ou de graphèmes se situe dans ce cadre :

𓂀      
  [#]   → [♲]𓁝⇆𓁜[∅] 𓂀
  ↑         ↑  
  [#]   → [♲] 𓂀

Les actions liées soit à la lecture, l'audition ou au discours (parole, écriture, gestuelle etc.) à partir d'une intention de l'auteur en [♲]𓁜 aboutissent quant à eux au niveau [⚤]  correspondant au canal particulier déterminé en [#] :

𓂀      
[⚤] ←[#] ←[♲]𓁜 𓂀
 ↓     ↓          ↓  
[∃][⚤] ←[#] ←[♲] 𓂀

Le 31/ 07/ 2022 :

- Depuis deux jours, je n'arrête pas de ruminer ce bout d'article, essayant de mettre le doigt sur quelque chose que j'ai du mal à exprimer clairement, concernant la différence entre le mot et le sens du mot.

- Ça me paraît pourtant clair : lors de la lecture, tu identifies progressivement la trace "BATEAU", ou percept, à un concept déjà là dans le cortex.

- Oui et non, car en décrivant ainsi le processus, tu donnes l'impression que le "sens" du mot, ou concept, est figé, et identifié dans la zone appropriée du cerveau, qui serait en l'occurrence la région frontale inférieure gauche.

Or, ce n'est pas cela du tout : cette zone est seulement le lieu où l'équivalence entre excitations résultant de plusieurs circuits neuronaux se constitue (est reconnue).

- Tu pinailles : le sens du mot "bateau" est effectivement défini, il suffit d'ouvrir un dictionnaire : 

"Un bateau est un moyen de transport capable de flotter sur l'eau et de s'y déplacer, dirigé par ses occupants." Wikipedia

- Tu ne comprends pas de quoi je parle. Le sens du mot échappe à cette lecture d'autres mots. Lorsque je lis ce mot, le sens qu'il a pour moi, dans le moment de ma lecture dépend de mon état d'esprit, de mon intention, comme de l'objet de mon attention.

Si je lis, par exemple : "la douane italienne vient d'arraisonner 150 migrants perdus en Méditerranée sur un bateau de pêche", ce bateau est à la périphérie de mon attention, et n'a rien à voir avec celui qu'évoque Arthur Rimbaud "Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche Un bateau frêle comme un papillon de mai." dans Le bateau ivre.

- Tu nous l'a déjà dit : nous actualisons, dans l'instant de la prise de conscience, une potentialité.

- L'important c'est de bien comprendre que le processus ne peut pas s'exprimer sous forme causale.

- Encore une fois, c'était déjà implicite lorsque tu as délimité le champ Imaginaire où se forme le sens du mot au-delà du niveau [⚤]♧ 

𓂀      
  [#]   → [♲]𓁝⇆𓁜[∅] 𓂀
  ↑         ↑  
  [#]   → [♲] 𓂀

- Même en prenant la précaution de préciser ainsi la posture du Sujet dans ce processus de compréhension du sens d'un mot#, je m'étonne encore de ne pas pouvoir "mettre le doigt" sur le sens du mot, autrement dit, d'être incapable de le figer comme dans un dictionnaire.

Je vais essayer de le dire autrement : j'ai spontanément l'idée que le sens du mot est la cause de ce dernier, qui en serait la trace, alors qu'en fait, le sens que je lui donne, est une reconstruction a posteriori. (Note 1)

- Bref, tu es tout simplement Sartrien : l'existence précède l'essence !

- Eh non, car, réciproquement, il faut bien, dans ma lecture, que je reconnaisse le mot en tant que percept correspondant à un concept déjà acquis (cf. Le Ménon). Il y a une oscillation entre ce déjà-là et cette constitution du sens, qui n'est pas épuisé dans une présentation de niveau [⚤], or Sartre en s'exprimant en termes de succession temporelle n'est tout simplement pas dans la bonne posture (i.e. (l'existence⏩l'essence)𓂀Sartre) pour en parler ! Vois-tu comment l'utilisation de mes glyphes permet simplement de débusquer les discours portant à faux?

- Soit, tu deviens un peu lourd, mais je commence à comprendre que l'essentiel du processus est au-delà du niveau [⚤]. Est-ce tout que que tu voulais clarifier ,

- Il y a plus. Chaque niveau de la structure que nous commentions dans l'article précédent :

Les neurones de la lecture p. 58

peut se comprendre comme un lieu où l'on identifie des éléments du niveau inférieur avant de les renvoyer au niveau supérieur, qui leur "donne sens". Autrement dit, notre discussion précédente est extrêmement générale, et le système en lui-même présente un caractère "fractal".

- Tu retrouves des intuitions déjà fort anciennes (voir "L'Imaginaire factal").

- Certes, mais nous pouvons comprendre à présent qu'une différence se creuse, d'un niveau à l'autre : le choix entre les traits significatifs des lettres est très réduit. Le choix entre lettres l'est déjà un peu moins, mais il s'élargit ensuite considérablement lors de l'élaboration des mots, puis des blocs signifiants, phrases etc.  Autrement dit :

  • dans les instants d'identification 𓁝⏩𓁜, on retombe toujours en [⚤]𓁜 ;
  • alors qu'en attente d'une signification, en posture 𓁝, l'éventail des voix potentielles (le pandominium) ne cesse de s'élargir.

- Je ne te suis pas ?

- Une identification passe toujours par un état définissable : dans le discours, le Sujet identifie l'élément en [⚤]𓁜, ce qui correspond, dans son cerveau à quelques neurones qui s'activent vivement, voire un seul, dans une zone qui par contraste est inhibée.

À l'inverse, la posture d'attente 𓁝[α] n'arrête pas de s'ouvrir au fur et à mesure que le point focal (l'identification précédente) monte dans la hiérarchie de la structure. Par exemple :

  • au niveau des lettres, le trait "-" permet, de distinguer le "e" du "o";
  • au niveau des mots, la combinaison des lettres A T N I, renvoie à une analyse combinatoire déjà plus complexe, etc.

Et ceci aboutit, d'une façon générale à notre discussion autour du "sens". Nous parlions ce matin du "sens" des mots, mais l'ouverture se poursuit par le "sens" d'un énoncé, et l'on pourrait sans difficulté (mais après beaucoup de travail) arriver à notre façon socioculturelle de donner "sens" à notre façon de penser, voir même au "sens" très général que nous donnerions au récit de notre vie en particulier et du Monde en général.

Dans le cerveau, ceci doit correspondre à une extension des zones mises en relation après chaque étape de l'identification des éléments du discours, puisque, comme nous l'avons déjà vu, le processus se représente très vite en termes d'espace et d'orthogonalités entre processus se déroulant en parallèle, pour se recouper aux points de "convergence" ou d'identification sans doute de moins en moins bien structurées ou identifiables au fur et à mesure de la montée du sens...

« Nous savons au moins une chose, c’est qu’il serait naïf de penser que le sens se borne à un petit nombre de régions cérébrales. Au contraire, la sémantique fait appel à de très vastes populations de neurones distribuées dans toutes les régions du cortex. Les régions frontales et temporales gauches, présentées dans la figure 2.18, ne sont que la face visible du réseau sémantique. Bien sûr, elles s’activent dès qu’une personne effectue un travail conceptuel. Cependant, leur fonction n’est peut-être pas de recueillir directement le sens des mots, mais plutôt de faciliter l’accès à des connaissances sémantiques représentées ailleurs, dans des régions distantes du cortex. Elles fonctionneraient comme des «zones de convergence», pour reprendre l’expression du neurologue Antonio Damasio, qui échangent des signaux avec de très nombreuses régions cérébrales du cortex associatif. Elles recueilleraient ainsi des fragments de sens épars, et les associeraient en faisceaux qui constitueraient, à proprement parler, le sens des mots.» p. 136

- Si nous passions à la suite pour vérifier tout ceci ?


Le 02/ 08/ 2022 :

- Dehaene évoque le phénomène du mascaret, que l'on observe en Gironde, pour expliquer de quelle façon le choc initial, intrusif, du mot sur un support matériel quelconque, le Réel, se propage dans notre cerveau, telle une onde activant au fur et à mesure de sa propagation, des réseaux neuronaux plus om moins profonds, comme l'onde du mascaret provoque des vagues dans tout un réseau hydraulique dont la seule ouverture (d'un point de vue énergétique) est sa connexion à la mer via l'embouchure de la Gironde.

- Tu ne vas pas nous retranscrire ici ce que le livre exprime si bien ?

- Tu as raison : l'écriture de Dehaene est très limpide, il suffit de s'y reporter. Mais lorsqu'il indique que la reconnaissance de l'écriture suit deux voies en parallèle, l'une passant par la reconnaissance auditive, l'autre celle du sens, avec une intensité, ou une célérité propre à chaque langue particulière, je me demande s'il ne serait pas possible de rapprocher la notion de "niveaux" Imaginaires tels que je les symbolise à l'aide de double crochet [...] comme des "zones de convergence" au sens que donne Antonio Damasio à certaines régions particulières du cerveau.

- Qu'as-tu en tête ?

- C'est bien la question en effet : qu'est-ce qui s'agite dans ma tête ? Prenons le processus de "lecture".

Je me demande si l'on ne pourrait pas poser ceci :

  • [∃]𓁜 : la perception visuelle dans la zone occipitale de la vision primaire;
  • [⚤]𓁜 : l'identification de ce qui est vu, comme étant du domaine de l'écriture, dans la zone occipito-temporale ventrale.

La suite est plus complexe :

Il faut d'abord partir de l'idée que l'audition doit suivre un schéma similaire à celui de la lecture :

  • [∃]𓁜 : la perception des sons dans l'aire auditive primaire, dans la zone temporale;
  • [⚤]𓁜 : l'identification de ce qui est entendu, comme langage, dans l'aire de Wernick.

Maintenant, pour rechercher la signification d'un mot écrit dont le sens échappe de prime abord, le cerveau tente de le déchiffrer en passant par sa prononciation, exercice plus facile en italien qu'en Chinois.

Pour décrire le mécanisme, il me semble qu'il faille comprendre les deux voies vision/ audition comme deux "catégories" indépendante (i.e. : orthogonales ⊥ entre elles).

- Comment passes-tu d'un repérage physique dans le cerveau des niveaux [∃] et [⚤] propres à chaque voie, au niveau [#] où tu nous amènes à présent ?

- C'est la nature même des expériences conduites par Panagiotis Simos et ses collaborateurs de l’Université du Texas qui nous le suggèrent. Ils ont classé les "mots" lus par leurs sujets en :

  • pseudo-mots comme "traphe" ou "glos";
  • pseudo-homophones comme "grau" ou "taite";
  • mots authentiques à la prononciation irrégulière comme "oignon" ou "femme".

L'expérience montre qu'après avoir atteint la zone occipital-temporale gauche, les pseudo-mots comme les pseudo-homophones activent la région temporale et plus particulièrement le plenum temporale, siège des aires auditives, et plus particulièrement la prononciation des sons du langage, quand les mots irréguliers activent directement la "zone temporale moyenne" ou zone de "convergence" sémantique.

Autrement dit, la vague se propage, mais "accroche" tantôt la voie orale, tantôt la voie sémantique, en fonction de sa catégorie#. Je me représente le phénomène ainsi : il y a une "course au sens", et si le signal envoyé active directement le sens (comme "oignon"); alors la prononciation suit le sens, sinon, et plus laborieusement, le cerveau tente de trouver les phonèmes correspondant au graphèmes pour remonter jusqu'au sens.

- Ton écriture glyptique permet-elle de représenter ces deux processus ?

- Les phénomènes que nous évoquons ici peuvent être vus comme l'actualisation d'une potentialité parmi différents chemins possibles. Il faut donc résonner sur deux modes  ♧ et  ♢. Les "catégories#" dont nous parlons ne sont pas données d'avance, mais sont repérables a posteriori, par la mesure de l'activité  cérébrale effectivement observée.

- Je ne comprends pas ?

- Lorsque Panagiotis propose trois catégories de mots, l'expérience indique qu'en fait, les deux premières (pseudo-mots et pseudo-homophones) ne sont pas effectivement discriminées, et que seule la coupure entre (pseudo-mots et pseudo-homophones) avec les mots authentiques l'est. 

En ce sens, on peut comprendre le phénomène de cette façon :

  • L'onde primaire, provoquée par la vision, se propage uniformément, et peut se comprendre comme un "volume" d'eau déplacé, qui se conserve (on néglige les phénomènes d'entropie) au cours de la propagation de l'onde initiale. C'est ce qui définirait le mode ♢, celui de toutes les "potentialités".
  • L'actualisation d'un canal particulier auditif/ sémantique, devrait alors être décrit comme un passage du mode ♢ (le potentiel) au mode ♧ (l'actualisation, objective) d'une voie.

- Attends une seconde ! Tu ne peux pas commencer par nous dire que la vision commence par un percept en [∃]𓁜, pour ensuite nous dire que ce choc initial est à l'origine de l'activation de l'Imaginaire, au plus haut et à la limite en 𓁝[∅]☯ !

- Bien sûr que si. Reviens sur ce que nous avons dit pas plus tard qu'il y a 2 jours : nous devons comprendre l'objet selon deux points de vue différents : comme "élément" d'une part et comme "volume" ou quantité conservée d'autre part. C'est la seule façon d'introduire une compréhension en termes énergétiques d'un processus quelconque. Nous avons commencé par la physique (voir "Penser la physique autrement"), ne t'étonnes pas d'en retrouver ici la trace. 

Au demeurant, il n'y a rien d'absurde à dire que les "mots" sont chargés d'une énergie. Elle n'est pas bien grande si tu évoques le vol d'un papillon au bord d'un étang, mais sit tu cries "stop" au conducteur de la voiture, il y a toutes les chances que tu mobilises immédiatement toute son attention, déclenches une montée d'adrénaline et sans doute qu'il se mette en condition d'appuyer sur le frein.

Maintenant, le point qui me préoccupe c'est de comprendre l'émergence du niveau [#].

- Tu nous l'as présenté à partir d'un automatisme de répétition qui porterait sur des orthogonalités, et donc dans une représentation spatiale, ou géométrique. Avec l'idée de continuité, par opposition à l'aspect discret en [⚤].

- Oui, sa caractérisation la plus simple serait peut-être de présenter ce niveau comme résultant d'un "partition" d'un tout donné d'avance.  Le parallèle avec la structure du cerveau serait alors assez évidente : les différentes "zones" en particulier l'aire de la reconnaissance des graphèmes, se constitue à partir de l'existant...

- Tout ça pour en arriver où ?

- Historiquement, j'ai commencé à prendre conscience de ce niveau [#] à partir des travaux d'Évariste Galois (voir "Le point #7"), bien avant d'introduire la notion de mode. Mais, rétrospectivement, je peux dire que ma présentation d'alors ne reposait sur aucune considération énergétique. Or, toute genèse, comprise comme de l'ordre surgissant localement d'un chaos ambiant, implique la transformation d'une énergie.

C'est ici qu'il faut revenir à ce que nous avons tiré de l'étude de Lagrange, et conduit à considérer tout processus énergétique comme un passage de ♢↓♧.
C'est ici que Dehaene nous permet d'avancer, en décrivant les processus cérébraux comme des processus énergétiques.

- Beaucoup d'emphase pour nous ramener à ce qui a déjà été présenté :

... En situant la discussion sur deux modes (objectif/ actuel vs topologique/ potentiel) la prise de conscience du sens de la parole, à partir d'éléments identifiés de phonème ou de graphèmes se situe dans ce cadre :

𓂀      
  [#]   → [♲]𓁝⇆𓁜[∅] 𓂀
  ↑         ↑  
  [#]   → [♲] 𓂀

Les actions liées soit à la lecture, l'audition ou au discours (parole, écriture, gestuelle etc.) à partir d'une intention de l'auteur en [♲]𓁜 aboutissent quant à eux au niveau [⚤]  correspondant au canal particulier déterminé en [#] :

𓂀      
[⚤] ←[#] ←[♲]𓁜 𓂀
 ↓     ↓          ↓  
[∃][⚤] ←[#] ←[♲] 𓂀♧     

-J'en conviens, nous tournons en rond, mais à force de répétition, le sillon commence à se creuser. Ce n'est encore qu'une piste à explorer, bien entendu, mais tu vois sans doute le rôle pivot joué par le niveau [#]. 

En manière de métaphore, on pourrait comprendre que le passage ♧↑♢ est laborieux (comme Sisyphe remontant son rocher), quand le passage inverse ♢↓♧ est instantané (comme le passage de l'énergie potentielle à l'énergie cinétique). Dans ce contexte, il faudrait expliquer la constitution progressive du niveau [#] comme une voie de moindre énergie.

- Et ça te mène où ?

- Je n'en sais encore trop rien... Il faut que ça décante.

- Et si nous passions au chapitre 3 ?

- Amen.

Hari

Note 1 :

On peut encore le dire autrement à partir de la différence entre identité et idempotence (voir Identité et idempotence)

Sens / [♲] s↑∘↓r : idempotence
section s ↑/ ↓ rétraction r
Mot / [#]  r↓∘↑s : identification

L'enchaînement des fonctions ((lire de droite à gauche) donne :

  • r∘s = identité. À partir d'un percept, il y a identification ou prise de conscience du mot, correspondant à l'un des sens potentiel du mot;
  • s∘r = idempotence . Le mot renvoie, d'un concept auquel on l'a identifié, à un autre concept, auquel il fait penser, il y a idempotence du sens. 

 

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