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Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...

L'Homme quantique

Stanislas Dehaene - La bosse des maths

- Pendant cette petite pause (l'article sur "Mathematics form & function #2" toujours en stand-by), j'ai enfin eu le temps de lire ce second bouquin de Dehaene.

- Tu ne t'en sortiras jamais en passant ainsi du coq à l'âne...

- C'est encore pis que cela : je n'arrête pas de penser au prochain colloque de l'association Lysimaque : "mathématiques et psychanalyse", des 28 & 29 janvier prochains, faisant suite au premier, dont j'ai déjà rendu compte ici.

- Pourquoi cette excitation ?

- Parce qu'Alain Connes et Patrick Gauthier-Lafaye y seront, et que je pourrai enfin leur faire part de vive voix des interrogations qu'avait fait naître leur bouquin "À l'ombre de Grothendieck et de Lacan" (voir mes articles à ce sujet). Et donc, je cherche la façon la plus percutante, rapide et claire d'intervenir, le bon point d'application de ma parole, comme on cherche le pied de l'huître de la pointe du couteau pour l'ouvrir facilement.

- Le rapport avec tes lectures ?

- Qu'est-ce que le sens ? À quel moment ce que nous voyons (visage, objet, écrit, quantité) prend-il un "sens" dans notre cerveau. À quel moment et où ?

Et, focalisé par la perspective d'une irruption dans ce débat, je trouve que tout se rassemble pour "faire sens", précisément.

- Un peu abscons comme introduction, tu peux préciser ?

-  Commençons n'importe où;  par l'argument du colloque par exemple. Son auteur, Osvaldo Cariola, y note ceci :

"... Ce qui implique de revisiter la grande discussion sur les fondements des mathématiques qui a eu lieu au début du XXème siècle, dont l’orientation du positivisme logique (malgré Poincaré, mais avec son aide quand même) a fini par clore la discussion."

Cette remise en cause d'une approche positiviste est effectivement le point clef en l'occurrence. Préoccupation que l'on retrouve dans les activités du samedi de l'association, structurées autour de 4 thèmes  majeurs :

  • Nomologie : 
    La question du sens dans le droit, la politique et l'économie
  • Topologie :
    Le sens en topologie
  • Logotype :
    Le transcendantal contre le logico-positivisme
  • Nomopotie :
    Sens de l'opposition idéalisme/matérialisme

Où tu vois cette quête du "sens" surgir à tout propos.

Ce qui me renvoie immédiatement à la critique fondamentale que j'adressais à Alain Connes : il reste Platonicien dans l'âme, et ce, à l'encontre même de l'objet qu'il met en avant, le topos, qui nie dans son fondement le principe unitaire de Platon.

Vois-tu le drame se nouer dans cette pièce qui se joue sous nos yeux ?

- Pas vraiment...

- Platon est dans une quête du sens, essentiellement contre les Sophistes. Il est donc amené à dire qu'en parlant, on parle de "quelque chose". Quelque chose qui est et, suivant Parménide pour qui "ce qui n'est pas n'est pas", défense de parler du vide. Et quand je dis "défense", ce n'était pas une plaisanterie à l'époque ! Le problème c'est que cette "quête de sens" reste toujours d'actualité, alors que la théorie des catégories pose comme "objet initial" élémentaire (c.-à-d. à partir de la catégorie des ensembles) le vide.

Tu as donc un Sujet (Alain Connes pour illustrer notre propos) qui manie à merveille une théorie niant, dans son essence même, l'idée Platonicienne à laquelle il se raccroche pour donner "sens" (Note 1) aux objets de son attention, en particulier et de façon emblématique, les nombres.

De fait, il paraît pour le moins paradoxal qu'un "sens" quelconque puisse découler d'un principe initial vide, puisque par définition, tout et n'importe quoi peut en advenir...  (Note 2)

Et la question se retrouve au cœur de la recherche de Stanislas Dehaene dans son livre sur "La bosse des maths".

- Belle pirouette, mais le rapport avec ta lecture de "forme et fonction" ?

- Le titre même en est un indice, car je retrouve cette dualité dans le titre d'un papier que René Lew se propose de lire à cette conférence : "Peut-on définir une fonction autrement que par sa transformation en objet ?"

- Oui, je vois : d'un côté fonction/ forme et de l'autre fonction/ objet...

- Il y a plus. Souviens-toi qu'en abordant le livre de Stanislas Dehaene sur la lecture, cela m'avait un peu perturbé car il remettait en question ma propre représentation du Sujet dans son Imaginaire (voir "Dehaene #1"), ce qui m'avait ramené au  Lemme de Yoneda :

"Les transformations naturelles de Â par F correspondent bijectivement aux éléments de F(A).

Tu retrouves à partir de là notre discussion autour des mouvements contravariants 𓁝[#][#]𓁜 et covariants [#]𓁜[#]𓁜♧ (voir "Covariance et contravariance du Sujet et de l'Autre").

- Et donc, tu situes tous les petits démons d'Olivier Selfridege comme autant d'éléments d'une catégorie pointant vers un élément donné A, et la cible A de l'ensemble des morphismes Â = Hom (- ;A) comme ton homoncule ?

- Je dirais plutôt que le "Sujet" se dégagerait d'un ensemble de transformations naturelles... Mais sans développer plus avant, l'important, pour ce qui nous occupe ici, est la possibilité de passer d'un pandémonium à notre homoncule,

  • d'un processus "massivement parallèle", dans le passage entre modes ♧ et ♢,
  • à un processus temporel, dans la narration en mode ♧.

La leçon que je retire de la lecture de Dehaene, c'est que le Sujet, tel que je l'ai représenté 𓁝𓁜 est très "construit", et non une donnée immédiate.

Et donc la question de René Lew trouve ici une expression en termes catégoriques : toute fonction est-elle "représentable" ?

- Tu pouvais plus rapidement dire que passer de la fonction à l'objet revient à changer d'objet final : de "•" en mode ♢ à "•" en mode ♧, autrement dit dans le mouvement ♢↓♧ du Sujet. Mais la question de René Lew demeure : peut-on en rester au mode ♢, sans revenir au mode ?

- Poser la question, c'est y répondre : oui, à condition de rester dans ses rêves... Ce que fait une majorité de nos concitoyens, sans intention de polémiquer bien entendu...

Plus sérieusement, et là, nous retombons chez Dehaene : comment le sens peut-il advenir dans le cerveau ?

Déjà, dans "Les neurones de la lecture", nous en avions une petite idée. Le sens se dégage comme une invariance par rapport à des facteurs changeants. Par exemple le sens de la lettre "L" se dégage d'une série d'avatars en quoi elle pourrait s'incarner, selon différentes tailles, fontes, positions spatiales etc...

- Ce qui rappelle la notion d'idempotence ?

- Oui, il y a quelque chose de cet ordre. La lettre "vue relativement" en 𓁝♢, renvoie à un ensemble de potentialités ♢𓁜, et chacune renvoye à son tour à la même "base" 𓁝♢↓♧𓁜, où tu retrouves cette idée de "représentation" d'une fonction par le lemme de Yoneda.

- Dans une "transformation naturelle", il y a l'idée que d'un point de départ on aboutisse à une arrivée commune par deux voies différentes...

- C'est effectivement à ce point que j'en suis de ma lecture de Saunders Mac Lane (voir #2), d'où un rapprochement intéressant avec les observations de Dehaene concernant la formation des "nombres" dans notre cerveau.

- Deuxième pirouette ?

- Sans doute est-ce en cela que ça fait sens... Mais poursuivons sur les nombres. Il y aurait, semble-t-il une appréhension très basique de la "quantité" chez les animaux, parfaitement repérable chez les singes comme chez l'Homme, dans les zones pariétales droite et gauche. 

Dans cette zone, cette compréhension primitive des "nombres" est associée de façon "analogique" à des quantités appréhendées de façon "continue", de même que la couleur "rouge" se différencie de la couleur "bleue" sur une palette continue.

Bien entendu, avec l'invention de l'écriture, et du langage, il y a une autre façon d'appréhender les nombres, avec cette fois-ci une spécialisation de certaines neurones dans la zone occipito-pariétale : 

Ici, le codage est plutôt semblable au reste du langage, à savoir discret.

Enfin, intervient dans l'interprétation des nombre, le cortex préfrontal qui assure la balance entre les différents signaux qui lui parviennent.

Bien entendu tout ce que je rapporte ici n'est qu'un très pâle reflet d'un texte que j'invite à lire, tant il donne à réfléchir, mais ça nous donne malgré tout quelques pistes intéressantes pour notre discussion, concernant le "sens" des nombres.

- Je ne vois pas très bien ?

- À part pour les tous petits chiffres 1, 2 et 3, qui semble-t-il sont codés spécifiquement, le "sens" du nombre, ou de tout autre opération mathématique s'articule entre :

  • Un fond neurologique déjà chez le singe et chez le bébé de quelques jours, câblé autour d'une appréhension sensible, continue de la quantité (comme un son ou une couleur), et une métrique logarithmique (plus sensible aux petits nombres qu'aux grands);
  • Un fond culturel (avec pour les occidentaux l'idée de la "droite numérique" orientée de gauche à droite ou de bas en haut) et une approche discrète et monotone (même espace en 1 et 2 qu'entre 30 et 31);
  • Une pondération entre les deux approches (pour aller "au plus vite" ou "au plus économique").

- Et tu y vois, je suppose, ton triptyque Imaginaire :

  • [⚤] discret;
  • [#] continu;
  • [♲] topos (liant discret et continu) ?

- Avoue que c'est tentant, non ? Mais plus fondamentalement, je vois dans toutes ces notions que nous brassons depuis ce matin, une raison d'en revenir à Emmy Noether et son triptyque à elle, bien plus fondamental : symétrie/ quantité conservée/ indétermination. En effet ce qui "fait" le nombre n'est-il pas précisément ce jeu intérieur entre différents centres neuronaux, autour de "quelque chose" sur lequel le Sujet porte son "attention" à un moment donné. Ce qui donne "sens" au nombre n'est-ce pas ce jugement [♲]𓁜 que nous portons en étiquetant une quantité ressentie [#]𓁜 par le signe [⚤]𓁜 que nous y apposons ?

- Il faut savoir si tu nous parles de changement de niveaux [⚤], [#], [♲] ou de modes ♧, ♢, ♡ ?

- Très certainement des deux mon capitaine !

Avec notre lecture de Saunders Mac Lane, nous abordons le mode syntaxique ♡, et rétrospectivement, toute notre approche se traduit en termes de topos (voir "Ikebana") :

[∃] [⚤] [#] [♲] 𓂀
[∃] [⚤] [#] [♲]   𓂀
[∃] [⚤] [#] [♲]   𓂀

C'est comme une partition dans laquelle la mélodie ([⚤], [#], [♲]) serait jouée sur plusieurs tons (♧, ♢, ♡)...

- Sans oublier le tempo marqué par les mouvements primaires du Sujet 𓁝/𓁜.

- Comme tu le vois, nous n'avons pas fini d'y revenir encore et encore !

- Et si pour commencer, tu poursuivais ta lecture de Saunders Mac Lane #2 ?

Hari

Note 1 :

Je fais référence ici aux échanges entre Alain Connes et Jean Pierre Changeux dans leur livre commun "Matière à pensée".

Il faudra que j'en fasse une recension, d'autant plus que Stanislas Dehaene fait plusieurs références tant à Alain Connes qu'à Jean-Pierre Changeux dans ses deux livres sur la lecture et les maths.

Pour mémoire : je me réfère très souvent, dans mes articles à J.P. Changeux selon qui, la prise de conscience est la rencontre entre un concept et un percept.

Accessoirement, Dehaene est également dans le rejet d'une approche platonicienne, ce qui nous situe dans le débat de Lysimaque : Le transcendantal contre le logico-positivisme...

Note 2 :

En parlant de ça, j'ai toujours la vision du vaisseau utilisé par le héros du film H2G2, dont la propulsion est assurée par "un générateur d'improbabilité infinie". Pour avoir une idée du film voir ici

Pour avoir une idée d'un tel voyage : 

H2G2 - vaisseau à propulseur d'improbabilité

Quant à la théorie elle-même :

La théorie du générateur d'improbabilité infinie

Vous l'aurez compris : Douglas Adams, l'auteur, ne pouvait qu'être Anglais, comme Lewis Caroll ou les Monty Pyton !

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