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Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...

L'Homme quantique

Histoire mondiale de la philosophie de Vincent Citot

- J'ai lu ce pavé d'une façon tout à fait déraisonnable : quasiment d'une traite, ce qui rend impossible toute mémorisation quelque peu sérieuse de son contenu.

- Pourquoi en faire l'exercice ?

- Je voulais ressentir le plus concrètement possible les cycles décrits par Vincent Citot comme un automatisme de répétition, avec à la fin une certaine lassitude devant la litanie de noms qu'égraine l'auteur à l'appui de sa thèse.

- En bref, tu n'en as rien retiré ?

- Détrompe-toi. Il s'agit d'un travail phénoménal, qui ne va pas me quitter de sitôt, et j'y replongerai pour situer tel ou tel philosophe auxquels je me réfère, dans une perspective relativiste. Ensuite, et ce second point renforce le premier, il m'a permis de me décentrer un peu de mes propres points d'ancrages.

- Des exemples ?

- Ils sont nombreux et m'offriront matière à bien des médiations.

Tout d'abord Platon, situé comme "postclassique", venant après les Sophistes, définis, eux, comme "classiques". Ensuite sa mise en perspective du bouddhisme dans l'histoire philosophique indienne désacralise l'image que je pouvais me faire de Bouddha, et le rend bien plus vivant et intéressant que ce que j'en avais retiré de ma fréquentation du Centre Bouddhiste Mahayana Kaïlash de la vallée du Tir à Nouméa, il y a une petite vingtaine d'années (voir "Le hasard et la nécessité").

- Tu commençais à t'en déprendre en te référant plutôt au Taoïsme ces derniers temps...

- Oui, mais là encore, je n'ai fait que picorer au petit bonheur la chance, dans ce qui me tombait par hasard sous la main ! Il y a tant à dire sur le Taoïsme, son évolution, dans un contexte où il côtoyait le Confucianisme et les Légistes, et encore dans son opposition au Bouddhisme.

- J'ai bien compris que tu vas ruminer cette somme encore longtemps, mais s'il fallait en tirer quelque chose, là, maintenant, avant que l'impression ne disparaisse ?

- Décentrement :

"Nous avons montré en introduction que les pensées religieuse, philosophique et scientifique correspondaient aux paliers d'une décentration croissante." p. 476

Le maître mot c'est l'a nécessité de "se décentrer pour comprendre". Et déjà dans cette simple proposition, tu vois tout de suite la contradiction entre les deux termes :

  • Se "décentrer" et prendre du recul par rapport à l'objet (fut-il le Sujet lui-même);
  • Pour le "comprendre" et littéralement se l'approprier, le faire sien, l'intérioriser.

Il y a dans cette énonciation même toute la problématique de la connaissance : comment m'éloigner de l'objet me permet-il de l'assimiler ?

- Sans doute, mais tu retrouves déjà cette problématique dans la façon qu'a l'enfant de prendre conscience de l'objet en le manipulant. Il n'y aurait en fait qu'une répétition, à l'échelle d'une culture, d'un mécanisme à l'oeuvre dans les tout premiers mois de développement du Sujet... (Note 1)

D'autre part, ce bouquin t'interpelle directement : où donc pourrais-tu situer ta démarche, dans quelle partie d'un cycle philosophique s'inscrit-elle? Exercice de contextualisation un peu frustrant, puisque implicitement, il sous-entend que tu ne pourrais que répéter ce qui a déjà été dit, et compris, non pas une fois, mais dix ou vingt fois, par les Grecs, Latins, Arabo-musulmans, Indiens, Russes, Chinois ou Japonais, sans que la liste soit, bien entendu, exhaustive.

- Vu sous cet angle, c'est effectivement un peu déprimant. Autant tout balancer et aller cultiver son jardin...

Quoi que, le sous-produit de ces cycles religion → philosophie → sciences → retour du religieux, reste quand même une avancée en sciences.

- Mais, ni ta représentation de l'Imaginaire, ni les différents mouvements du Sujet dans celui-ci, tels que tu t'appliques à les représenter par des glyphes ad hoc n'ont ce caractère scientifique...

- Non, c'est exact, cependant, il me semble que ma démarche radicalise à l'extrême le décentrement du Sujet par rapport à lui-même, et que j'empoigne à bras-le-corps le dualisme décentration/ compréhension; qui semble au coeur de l'automatisme de répétition philosophique tel que Vincent Citot nous le donne à voir.

- Autrement dit : en faisant la psychanalyse d'un automatisme de répétition philosophique, vu comme le symptôme d'une incapacité à dépasser le dualisme intérieur/ extérieur, (ou mieux local/ global ou encore élément/ partie, en résumé 𓁝/𓁜, car je te vois venir avec tes gros sabots); tu prends un recul par rapport à "l'objet-philosophie" qui te permettrait d'en faire une représentation à caractère scientifique ?

Sauf que la psychanalyse n'est pas une approche scientifique...

- D'où l'importance des discussions qui peuvent se nouer entre psychanalystes et mathématiciens.

- Tout ceci reste très intellectuel, théorique, la question demeure : peux-tu situer le moment du cycle dans lequel tu te situes, d'un point de vue philosophique ?

- Il y a un point de contact philo/ math/ physique, hic et nunc, qui marque certainement une rupture par rapport aux cycles philosophiques en question.

- Tu tapes haut, mon ami, mais de quoi parles-tu ?

- Du constat, en physique, de l'impossibilité de trancher entre :

  • l'intrication quantique;
  • la décohérence qui accompagne l'observation des "objets".

Nous avons ici, au plus profond de l'expérience physique, la dualité qui nous perturbe au niveau culturel le plus élevé. Or, le constat actuel, c'est qu'il n'y a pas de réduction possible de cette dualité de l'objet.

Et cette dualité est déjà là, implicite en théorie des Catégories, au coeur même des langages mathématiques : la différence entre [∃]𓁜 et 𓁝[∅]☯ !

Et c'est à partir de là que nous avons pu théoriser en mode ♡ sur une différence entre modes de penser ♢ et ♧; qui rejoint ce que Freud a commencé à observer entre les états de rêve et d'éveil... ll y a là un nexus tout à fait excitant à explorer...

- En bref, tu serais dans une approche que l'on pourrait qualifier de "classique" selon la terminologie de Vincent Citot ?

- C'est une bonne base de réflexions...


Le 21/ 07/ 2022 :

- Aujourd'hui, je te propose d'utiliser notre façon d'identifier les différents niveaux et modes de penser qui marquent les cycles philosophiques.

- N'est-ce pas artificiel ? La structure Imaginaire est avant tout celle d'un individu, et j'ai l'impression que ta démarche revient à dire que ce qui est du microcosme est comme ce qui relève du macrocosme... Une idée très archaïque...

- Je parlerais plus volontiers d'un choix esthétique, mais au fond, tu as raison : la dialectique de l'intérieur et de l'extérieur, et comment passer de l'un à l'autre sans rupture, se retrouvent déjà dans les mythes de pipe (Amérique du Nord) ou de sarbacane (Amérique du Sud) :

«... la notion de tube ou de tuyau est le point de départ d’une transformation à trois états :

  1. Le corps du héros entre dans un tube qui le contient.
  2. Un tube qui était contenu dans le corps du héros en sort.
  3. Le corps du héros est un tube soit où quelque chose entre soit où quelque chose sort.

D’extrinsèque au début, le tube devient intrinsèque ; et le corps du héros passe de l’état de contenu à celui de contenant (Levi-Strauss, La potière jalouse, 1985)" Extrait de L'Homme Quantique -

- D'où l'image d'une bouteille de Klein ?

- Oui, car le problème est toujours une question de limite ou d'effet de "bord".

- Tu peux développer ?

- Si tu veux éviter l'effet de bord à chaque extrémité du tube, la première idée, est de faire un tore, et nous revenons à nos précédentes discussions à partir du livre d'Alain Connes et Patrick Gauthier-Lafaye (voir ici en particulier). Une meilleure idée est la bouteille de Klein.
- Mais tu as toujours la nécessité de percer la surface pour faire correspondre le col avec le cul de la bouteille.

- Dans une représentation en 3D, oui, mais pas en 4D. De même que les brins d'un noeud semblent coupés dans une image en 2D, mais ne le sont pas en 3D. 

- Mais tu parlais de "choix esthétique" ?

- En effet, parce qu'il y a une étroite relation entre cette idée très générale et archaïque de voir ce qui est en soi comme ce qui est hors de soi, et notre ruban de Moébius qui nous sert à décrire notre cheminement Imaginaire sur différents "modes" :

La bouteille de Klein comme double du ruban de Möbius - Groupe Henri Paul de Saint-Gervais

La question demeurant d'en "parler". Sur un tore, l'idée d'Alain Connes, pour "en parler", c'est de passer par une topologie à 1D (un fil), et de "dérouler le fil du récit". C'est ce que fait notre Sujet 𓁝𓁜 en passant d'un niveau à l'autre, puis d'un mode au suivant dans notre schéma général de l'Imaginaire :

[∃] [⚤] [#] [♲] [∅]
[∃] [⚤] [#] [♲] [∅]
[∃] [⚤] [#] [♲] [∅]
[∃] [⚤] [#] [♲] [∅] 

- Bon, OK, tu enracines ta représentation de l'Imaginaire dans une problématique venue du fond des âges, mais quel rapport avec le repérage des cycles philosophiques ?

- Nous avons vu hier, en suivant Vincent Citot, que le cycle religion/ philo/ sciences/ religion, tenait à un effort constant du Sujet "philosophant" pour se distancier de l'objet de son attention, et de son échec final, le ramenant à la case départ... Nous pouvons considérer cet effort comme une tendance à s'émanciper de la loi de la tribu, énoncée en [♲]𓁜 par la caste dirigeante, pour coller à la réalité vécue au plus près du Réel, et identifiée en [⚤]𓁜 par les membres du groupe.

- Je ne vois pas le rapport ?

- ll arrive un moment où le vécu à partir de l'expérience quotidienne S↑ ne colle plus avec le récit officiel S↓:

S↑ ([∃]𓁝⇅𓁜[⚤]⏩[∃]𓁝⇅𓁜[⚤]𓁜⏩[∃][⚤]𓁜)𓂀 
S↓ ([#]𓁝⊥𓁜[♲]𓁜⏩[#]𓁝⊥𓁜[♲]𓁜⏩[⚤][#]𓁝⊥𓁜⏩[⚤]𓁝⇅𓁜[#]𓁜⏩[⚤]𓁝⇅𓁜)𓂀

- Tu en reviens à des discussions que nous avons déjà eues autour de Bourdieu, et de son habitus, non ?

- Oui, nous tournons toujours autour des mêmes schémas, au plan social chez Bourdieu, ou au plan interpersonnel, dans les 4 discours de Lacan, voire au plan politique chez Corcuff (le couple critique sociale/ émancipation).

Et donc, pour en revenir à notre Sujet philosophe, le récit de la tribu ne lui permet plus de "comprendre" l'objet, tel qu'il s'impose à lui (S↑), d'où la tendance à "prendre du recul" pour s'en faire une idée "neuve", dans le même temps qu'il veut coller au Réel en multipliant les expériences qu'il en a, d'où un regain d'intérêt pour l'approche scientifique. Le blocage institutionnel tient à la place, la classe ou la caste sociale, qui s'impose peu ou prou à lui au niveau [#]. D'où l'importance du contexte politico-socio-économique qui conditionne les possibilités d'un changement de paradigme.

"L'âge classique commence quand la vieille aristocratie cléricale ou civile représentant la tradition est concurrencée par une nouvelle classe d'hommes imposant progressivement sa vision du monde - marchand grecs, membres de la classe équestre à Rome, mawâlî en islam, kshatryia en Inde, lettrés chinois promus par voie d'examens etc. En un mot, la bourgeoisie (marchande, administrative, voire militaire) devient une force sociale, culturelle et intellectuelle incontournable." p. 479

Cette période "classique" de Vincent Citot correspond donc à une volonté de certains intellectuels de remettre en question les idées reçues, ou "habitus" socioculturel. Citot en parle comme d'un moment extrêmement bref, de l'ordre de 50 ans à un siècle, guère plus. 

Ensuite viennent les périodes "postclassiques" où les systèmes prennent corps: on passe au niveau [♲], mais, bien entendu, les systèmes développés en [♲]𓁜, dépendent d'un choix primitif à faire en 𓁝∅], nous en avons déjà passablement discuté (voir "Retour à Platon et Aristote").

- Rien de neuf chez Vincent Citot ?

- Disons qu'il permet de confirmer (en élargissant l'horizon philosophique) ce que nous avons pu dire a priori :

  • de la différence [∃][⚤]𓁜/ 𓁝[∅];
  • du choix de l'objet initial en [∅].

Quant au choix lui-même, il est en fait assez restreint et porte :

1/ D'une part sur la conception unitaire ou duale que l'on se fait du Sujet comme du Cosmos (équivalence archaïque macrocosme/ microcosme):

  • Soit le Sujet est "un", on parle de "monisme";
    • Monisme "matérialiste" : tout vient du Réel (S↑): [∃]𓁜 (impliquant l'atomisme);
    • Monisme "idéaliste" : tout vient de l'esprit (S↓): 𓁝[∅];( associé à un hylozoïsme archaïque)
  • Soit on distingue l'âme du corps :
    • le premier principe appréhendé ex ante 𓁝[∅];
    • le second ex post [∃]𓁜;

2/ D'autre part sur le choix d'un principe primordial en [∅] (Sauf pour le monisme matérialiste, pour lequel la question n'a pas de sens):

  • Soit un principe unitaire, comme nous l'avons vu en détail chez Platon [1]=>[∅], et que l'on retrouve très majoritairement, et en particulier dans les 3 religions du Livre;
  • Soit un principe vide (du vide ∅ tout peut advenir) que l'on retrouve en particulier :
    • Dans le Bouddhisme (matérialiste/ moniste/ idéaliste)
  • Soit une dualité (pour nous : [∃]𓁝/𓁜[∅]);
    • Dans le Jaïnisme (dualité atomes/ âmes);
    • Dans le Taoïsme (le Tao étant la voie du juste milieu entre Yin et Yang).

- Quelle est ton propre choix en la matière ?

- Nous en avons parlé dans l'article "anima-animus" en commentaire d'une vidéo d'Alain Cheng.

- Tu serais donc taoïste ?

- Cette philosophie a dégénéré en religion au fil d'une très longue histoire "postclassique" chinoise. En ce sens, non, je ne m'inscris pas dans cette mouvance.

Je peux juste souligner une sorte de congruence intellectuelle entre la propriété universelle attachée aux objets initial/ final de la théorie des catégories et cette assertion de Lao Tseu, à l'origine de cette évolution :

"Trente rais se réunissent autour d'un moyeu. C'est de son vide que dépend l'usage du char.
On pétrit de la terre glaise pour faire des vases.
C'est de son vide que dépend l'usage des vases.
On perce des portes et des fenêtres pour faire une maison.
C'est de leur vide que dépend l'usage de la maison.
C'est pourquoi l'utilité vient de l'être, l'usage naît du non-être."

(au chapitre 11 Livre 1 du Tao Te King, traitant du Tao)


Le 22/ 07/ 2022 :

- Tu ne trouves pas ta présentation un peu simpliste tout de même ?

- Effectivement : nous n'avons traité ici que du passage d'un niveau à l'autre, avec un Sujet philosophant entre les niveaux [∃][⚤][#][♲][∅].

Pour en revenir à l'image utilisée par Alain Connes (voir ici), ce serait le devant d'une scène, où l'acteur passerait du côté jardin/ religieux [♲] au côté cour/ rationnel [⚤], pour se retrouver côté jardin en passant par les coulisses.

  [∃]𓁝⇅𓁜[⚤]𓁝⇅𓁜[#]𓁝⊥𓁜[♲]𓁝⇆𓁜[∅]   coulisses 𓂀
cours ( [∃]𓁝⇅𓁜[⚤]𓁝⇅𓁜[#]𓁝⊥𓁜[♲]𓁝⇆𓁜[∅]  jardin scène   𓂀
bâbord spectateur/ lecteur tribord    

- Et qu'est-ce qui t'amène à penser qu'il y a effectivement un mouvement en coulisses ?

- J'ai actuellement mon ami T. entre la vie et la mort, et en discutant de son état avec V. je me suis souvenu des différentes phases qui accompagnent le départ d'un Sujet, comme le deuil de ses proches :

  • Déni,
  • Colère,
  • Marchandage,
  • Dépression,
  • Acceptation.

Et en repensant à cet article en cours d'écriture, je me suis dit qu'il y avait quelque chose de cet ordre dans les cycles socio-philosophiques dont nous parlons.

- Quel rapport entre la mort et la philo ?

- La philosophie n'a-t-elle pas toujours été vue comme une "préparation à la mort", et la religion comme une consolation de la mort ? Et j'ai tendance à voir cette "mort" comme un "effet de bord", lorsque pour "raconter" le Sujet évoluant sur le ruban de Moébius de son Imaginaire, nous coupons celui-ci entre Symbolique/  et Réel/  pour le représenter à plat.

La finitude du Sujet, prenant conscience de lui-même à partir d'un ensemble de constituants qui existent depuis le Big Bang, et continueront leur route après sa mise en bière, ou encore, comme enfant de ses parents et parent de ses enfants, résulte bien d'un découpage dans le récit qu'il fait pour se "présenter" à lui-même et se "représenter" aux autres, et plus généralement, trouver sa place dans la société en écrivant son CV.

- Bon, d'accord, mais je ne vois toujours pas où tu veux en venir ?

- Si nous continuons notre parallèle entre l'Imaginaire du Sujet et celui plus général d'une société prise dans son ensemble, cet effet de bord, ou de mort, correspondrait au clap de fin d'un récit religieux, annonçant sa renaissance au cycle suivant, correspondant à l'âge classique dans la terminologie de Vincent Citot. En ce sens, l'âge classique suivant la mort d'un récit social moribond, devrait suivre les phases du deuil d'un proche.

  1. Le déni : on continue les rites quand la foi disparaît;
  2. La colère : les révoltes sociales contre l'ordre établi;
  3. Le marchandage : ou comment continuer d'exister en passant par les coulisses;
  4. La dépression : philosophie tournant à l'exégèse (névrotique 𓁝[♲]) des textes sacrés, déprise du rapport au Réel (divorce philosophie/ science);
  5. L'acceptation : ralliement religieux à la nouvelle orthodoxie, recherche d'un syncrétisme idéologique.

Arrêtons-nous à la phase du "marchandage" (Note du 25/ 07), qui sous-entend un principe économique, et typiquement le changement de mode ♢/ ♧.

- Pitié, tu ne va pas nous passer en revue ce que tu ressasses depuis plus de 6 mois sur ce blog ?

- Je veux juste te montrer les traces d'une telle problématique dans le champ philosophico-religieux. Un Français pensera en premier au pari de Pascal, bien entendu, mais si tu y réfléchis un peu, l'homme ne cesse de marchander avec les dieux, voire de les utiliser à son profit, depuis la nuit des temps.

Repense, par exemple à notre cher mythe de la Potière Jalouse : c'est quand même plus simple pour les Jivaros de trucider la déesse Engoulevent pour préserver leur structure sociale, que de revaloriser le statut de la femme, non? Pense aux Grecs, qui offrent à leurs dieux les os et la graisse indigestes et se réservent les bons morceaux à l'instigation de Prométhée. Pense à Osiris découpé en morceaux par Seth et rafistolé par Isis, assurant du même coup la cohésion des treize provinces d'Égypte. Pense à Abraham, qui sacrifie un bélier en lieu et place de son fils Isaac. Pense aux Bouddhistes qui préfèrent tourner un moulin à prières que de les réciter... Repense à toi, enfant, marchant sur les bordures des trottoirs en évitant les jointures, c'était encore un marchandage dans l'espoir d'une bonne note à l'école...

Dans notre civilisation européenne, ces marchandages ont conduit à la simonie, d'où la révolte de Luther conduisant aux guerres de Religion. Sans, bien entendu, que le marchandage s'arrête pour si peu chez les Protestants : pour se rassurer d'être au nombre des Élus en haut, il suffit ici-bas de faire prospérer ses talents...

- Tu deviens lourd...

- Attends ! Pour te la faire courte, c'est quand même dans cette culture européenne que Fermat et Maupertuis en sont venus à considérer un "principe de moindre action" qui imprègne absolument toute notre vision de la physique. Souviens-toi de cette prise de conscience de Maupertuis :

"... Maintenant, voici ce principe, si sage, si digne de l’Être suprême: lorsqu’il arrive quelque changement dans la Nature, la quantité d’Action employée pour ce changement est toujours la plus petite qu’il soit possible.

- En bref la physique moderne serait l'aboutissement du projet prométhéen de ravir aux dieux leur puissance?

- Son expression scientifique sans doute, mais les considérations énergétiques auxquelles conduisent Maupertuis, via Lagrange, Einstein, Heisenberg ou Emmy Noether, est plus universelle. À côté de notre concept européen d'énergie, tu retrouves le Karma en Inde, commun à plusieurs philosophies (Bouddhiste et Jaïnisme, en particulier), ou le Qi dans le Taoïsme chinois, et notre principe de moindre action fait écho à la loi karmique indienne ou au Feng Shui chinois.


Le 23/ 07/ 2022 :

- Tu as réussi à nous replacer Emmy Noether dans le sillage de Prométhée ! Chapeau...

- Tu regardes le doigt quand je te montre la Lune ! Emmy Noether nous invite à comprendre l'objet de notre marchandage sous forme de "quantité conservée".

Si, visiblement, le Sujet perd son anima du côté de ([∃]𓁜𓂀, en dépassant la sidération de la mort et son incompréhension des lois divines (𓁝[∅]𓂀, pour marchander sa survie, il va objectiver ses rapports à son environnement (en mode ♢) sous forme d'un aminus dont le principe de conservation serait de niveau  [♲]𓁜, adossé à un principe d'équivalence en ([♲]𓁝⇆𓁜[∅]𓂀; qui règle, comme nous venons de le voir dans le dernier article, les mouvements du Sujet entre modes ♢/ ♧.

Je vais le dire autrement :

  • L'anima du Sujet, ou son corps, existe, et s'accommode d'une approche atomiste en [⚤]𓁜;
  • L'animus du Sujet, ou son âme, se conçoit comme un principe de conservation en [♲]𓁜, dans une vision très primitivement hylozoïste.

La métaphore que l'on pourrait en offrir serait celle d'un bol (anima) contenant un volume d'eau (aminus). L'idée de "transmigration" viendrait de notre expérience quotidienne (à partir de l'âge de 9-10 ans) qu'un volume d'eau se conserve lorsqu'on le transvase d'un récipient dans un autre.

- Tout ceci est bien spéculatif...

- Certes, mais d'une esthétique extrêmement minimaliste.

- Peux-tu préciser ?

- Il y a une oscillation entre atomisme/ hylozoïsme, que l'on retrouve parfaitement en langage catégorique entre "élément"/ "partie" ou discret/ continu, et j'éprouve un plaisir purement esthétique à faire ce lien entre cette représentation, tournant autour de la notion de topos, très moderne en mathématiques, et un débat philosophique qui s'enracine dans la pensée mythique la plus primitive. J'en parlais déjà dans l'Homme Quantique, en citant Lévi-Strauss :

«Les sociétés froides les plus éloignées ont déjà le sentiment d’être situées à la charnière de deux mondes très différents, l’un aérien, porteur des principes les plus simples, unifiés et stables, l’autre, chtonien, mouvant, impur, où règne le multiple. Chez les Bororos, par exemple, deux personnages particuliers font le lien entre la société et l’univers.

D’une part, le bari, est lié aux forces naturelles :

« … Le bari est aussi dominé par son ou ses esprits gardiens, ils l’utilisent pour s’incarner. (…) Celui-ci est comptable envers l’esprit de ses flèches cassées, du bris de sa vaisselle de ses rognures d’ongles et de cheveux. Rien de tout cela ne peut être détruit ou jeté, le bari traîne derrière soi les détritus de sa vie passée. Le vieil adage juridique : le mort saisit le vif, trouve ici un sens terrible et imprévu. (…) On voit donc que, pour les Bororos, l’univers physique consiste dans une hiérarchie complexe de pouvoirs individualisés ».

La société se situe en dehors du monde physique :

« À côté de l’univers physique, l’univers sociologique offre des caractères tout différents. Les âmes des hommes ordinaires (je veux dire ceux qui ne sont pas sorciers), au lieu de s’identifier aux forces naturelles, subsistent comme une société ; mais inversement, elles perdent leur identité personnelle pour se fondre dans cet être collectif, l’aroe, terme qui, comme l’anaon des anciens Bretons, doit sans doute se traduire par : la société des âmes. »

L’intermédiaire entre la société des hommes et la société des âmes c’est le maître du chemin des âmes ou aroettowaraare.

« Il se distingue du bari par des caractères antithétiques. (…) Le bari est possédé par les esprits, l’aroettowaraare se sacrifie pour le salut des hommes. »

La société des hommes, située entre ces deux mondes, gère son équilibre par l’intercession du duo antagoniste aroettowaraare / bari. Et, pour assurer son identité, pour survivre à l’existence particulière de ses membres, elle traite la mort des individus comme un « passage » entre ces deux plans.» Extrait de L'Homme Quantique

- Tu n'as pas l'impression de tourner toi-même en rond dans ton Imaginaire ?

- À ceci près qu'en prenant conscience de cette oscillation, nous en faisons un principe syntaxique, en mode supérieur ♡, traitant des rapports entre modes ♢ et ♧.

- Bref, tu en reviens à Wittgenstein seconde manière, pour qui tout problème philosophique est un hiatus dans le discours...

- Laissons les philosophes en discuter entre eux ...

Hari

Note 1 :

Hier, en faisant un tour à la déchetterie pour évacuer du verre; V. toujours en quête de livres, s'arrête au dépôt "recyclage" et y dégotte quelques bouquins dont "La représentation de l’espace chez l’enfant" de Jean Piaget et Bärbel Inhelder. Je m'empresse de le copier à mon tour à partir de Z-Library, pour le lire à loisir, et en feuilletant les premières pages, je tombe naturellement sur ses développements concernant l'aspect fondamental de l'appréhension de l'espace de façon "topologique" et non "géométrique", qui me renvoient à mes derniers articles...

Et comme je finissais de lire l'ouvrage de Vincent Citot, le rapprochement développement culturel/ individuel, s'est imposé de lui-même...

Je le note ici, parce qu'encore une fois, j'ai l'impression que les choses se mettent en place d'elles-mêmes... C'était déjà l'objet de l'article "Le hasard et la nécessité"...

Note du 25/ 07/ 2022 :

- À la relecture, je me rends compte que mon propos pourrait paraître sibyllin à qui n'a aucune notion d'économie.

- Un coup de blues ?

- Je me souviens avec nostalgie de l'Université de Caen où, jeune ingénieur, j'ai suivi les cours de l'IAE, poursuivi un DEUG, et abouti (en prenant mon temps) à un doctorat. Avec la figure tutélaire du professeur Le Duff (mon directeur de thèse), qui révérait particulièrement les Walras père et fils, célèbres pour avoir développé l'économie sur les concepts de "valeur" et de "rareté". Cette approche mène au marginalisme, que nous apprenions très studieusement dans la Bible en deux tomes de l'époque : le "Barre", qui doit encore traîner quelque part dans ma bibliothèque.

- Il est vrai que tu n'a plus pensé à l'économie depuis des lustres, à part ton emprunt à la comptabilité des termes  "ex ante" - 𓁝/𓁜 - "ex post". Mais pourquoi faire remonter ces souvenirs ?

- Parce qu'il y a certainement quelques rapprochements à faire entre ces notions de valeur et de rareté et le désir ou la pulsion des psychanalystes.

Pour le capitaine Haddock, la soif qu'il ressent dans le désert, à cause du manque d'eau (sa rareté), lui fait valoriser celle-ci au prix du champagne. En d'autres termes, sa pulsion (qui est ici tout simplement l'instinct de survivre) prend "forme" si je puis dire, en termes de "valeur".

Nous sommes ici en [♲]𓁜, où se définit la loi du Sujet, où il juge et où il mesure (au sens où la mesure d'une surface est son aire (ou "volume" au sens générique du terme), avec une métrique). La valeur économique est donc, strictement parlant la mesure de l'objet de son attention, en fonction de son intention.

- C'est bien verbeux tout çà...

- Je fais ces détours pour te faire comprendre que la "valeur" de l'objet est un concept de niveau [♲]𓁜, qui se manipule comme un "volume d'eau", ou comme l'animus du Sujet.

De ce point de vue, il est alors facile de comprendre les "objets" ordinaires que nous manipulons, tels des bananes ou un billet de concert aux Francofolies, comme classés en catégories orthogonales entre elles, et donc, de façon générale en [#]𓁜. La question économique étant maintenant de marchander un ticket d'entrée contre quelques kilos de bananes ou quelques heures de travail.

J'insiste sur le positionnement en [#], parce que nous savons qu'à ce niveau, il est impossible d'y appliquer un raisonnement purement logique pour comparer deux objets entre eux. C'est ce que nous rappelle Alain Connes, en parlant d'objets cartésiens (i.e.: repérés par des coordonnées indépendantes l'une de l'autre), voir le raisonnement sur les "couples" en début d'article "À l'ombre de Grothendieck et de Lacan #1").

- Mais la monnaie n'est-elle pas leur commun dénominateur ?

- Ah ! Nous y sommes ! Le repérage de la valeur de l'objet#, au plus proche du Réel (et de l'échange), est son prix, en [⚤]𓁜. Autrement dit, nous ramenons des objets, incommensurables entre eux par nature, à leur "prix" discret (la monnaie) permettant leur hiérarchisation. Le marchandage entre acheteur et vendeur se faisant dès lors au niveau du langage, en [⚤]𓁜.

On comprend alors que le Sujet peut échanger de l'argent contre un objet lorsque, de son point de vue, y a équivalence [♲]𓁝⇆𓁜[∅], et l'on pourrait sans doute embrayer sur une approche par les topos...

Plus simplement: l'échange peut s'interpréter en termes très généraux de "moindre action", et nous pourrions aisément raccrocher le discours économique à des principes très généraux de physique, je n'insiste pas...

- Tu montes dans les tours, là...

- Tu as raison, mais plus prosaïquement, nous pouvons déjà constater que l'on peut marchander, au niveau [⚤]𓁜, sans être de la même caste (ou de la même culture) en [#]𓁜, ni partager les mêmes valeurs en [♲]𓁜

- On peut faire un pas de plus : s'il y a échange, c'est parce qu'il y a une différence d'appréciation de l'objet# entre le vendeur et l'acheteur, tenant, soit à une différence de classe# au sein d'une culture donnée, soit entre cultures, ce qui permit aux Hollandais d'acheter Manhattan aux Indiens pour 60 florins...

- Sans doute, mais pour en revenir à l'objet de la discussion : c'est en "tournant autour" de l'objet, par évaluation plurielle de son "prix" au cours de marchandages multiples (automatisme de répétition de Freud, et symétries de Noether) que la valeur de l'objet se dégage (quantité conservée), et que la transaction se fait ou pas (la liberté des Sujets faisant l'indétermination de la transaction)...

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