7 Juillet 2025
Le 07/ 07/ 2025 : Colombes
- Tu en mets du temps pour nous parler de cette semaine à Cerisy !
- Disculpe, mais pas plus tôt terminé l'aventure que je retrouvais enfin Midori à Orly, et depuis, nous marchons dans Paris comme de bons toutous. Et puis, je voulais voir si certains dans le groupe, à qui j'avais transmis des liens vers ce blog, les avaient suivis par curiosité...
- Et?
- Nada, rien, un peu déprimant tout de même.
- Laisse-leur le temps, c'est le grand départ en vacances... Mais à part ça ?
- J'ai été déstabilisé d'entrée de jeu, lors de sa présentation inaugurale, par une réponse assez verte de François Jullien à une question pourtant toute simple que je lui adressais.
- Déstabilisé en quel sens ?
- J'étais venu pour échanger et d'un coup je me retrouvais sur le banc des écoliers, sans avoir mon mot à dire.
- Raconte la scène.
- C'était pendant la présentation du 28/ 06, sur le thème "Du nouveau moment de la philosophie". Il fait du "name droping" : Foucault/ Deleuze/ Derrida, tous passés par Cerisy, manière de se placer en bonne compagnie. Voilà pour me rassurer me suis-je dit. Puis il insiste un peu sur la "différence" de Derrida, pour amener ensuite sa "dé-coïncidence", tout ceci ronronne bien. (Note du 15/07)
Et donc, ce nouveau moment de la philosophie serait inauguré par Derrida ayant pour but, avec sa "différence", de casser l'approche grecque, qu'il caractérise par :
Et là, je tique, forcément, puisque après tout ce que nous avons vu, le continu vient en [#] avec la topologie, quand la discussion autour de la substance se déroule autour de [♻]. C'est ce que je tente de contextualiser dans une question à la fin de l'exposé, en prenant soin de présenter comme je peux mon point de vue...
- À froid comme ça, tu ne devais pas être très audible !
- Sans doute ai-je été balbutiant, mais François Jullien sans même tenter de comprendre le sens de mon propos, a botté en touche en deux points :
Comprends-tu que j'ai pu être cueilli à froid ?
Deuxième effet Kiss Cool, il reprend exactement les mêmes arguments, d'un air très agacé pour répondre à un autre intervenant quelque temps après mon intervention; et là j'ai senti comme une crispation autour de son "domaine philosophique", où je retrouvais une attitude très deleuzienne :
«Chaque fois que la science, la philosophie et le bon sens se rencontrent, il est inévitable que le bon sens en personne se prenne pour une science et pour une philosophie (c’est pourquoi ces rencontres doivent être évitées avec le plus grand soin.)» (Différence et répétition, 1968)
- Mais il t'a bien confirmé que Parménide parlait de "continuité" ?
- Oui, et j'ai vérifié, figure-toi. Tout d'abord, l'étymologie du mot "continu" est latine:
🤖: "Le terme «continu» vient du latin continuus, qui signifie «sans interruption», lui-même dérivé du verbe continere («tenir ensemble»). Ce radical latin exprime l’idée de quelque chose dont les éléments sont liés sans discontinuité, que ce soit dans le temps ou dans l’espace. L’adjectif «continu» apparaît en français dès le début du XIVe siècle avec le sens de «qui est sans discontinuité dans le temps ou l’espace».
En résumé, l’étymologie de «continu» remonte au latin continuus, issu de continere, et désigne ce qui se déroule ou existe sans interruption, les parties étant tenues ensemble" (lien)
Tu remarqueras au passage que pour parler de "continu" il faut lier des "éléments" d'un ensemble, nous y reviendrons; mais passons au Grec :
🤖: "en grec ancien, il existe des notions proches de celle de «continu», même si le terme exact ne correspond pas toujours directement au latin continuus.
Le grec ancien exprime souvent l’idée de continuité ou de durée par des mots liés au temps ou à la permanence. Par exemple,
Concernant un terme plus proche de l’idée de «continu» au sens d’«ininterrompu», le grec utilise plutôt des périphrases ou des adjectifs formés à partir de verbes exprimant la permanence ou la continuité d’une action, mais il n’y a pas un mot unique qui soit un équivalent exact de continuus en latin.
En résumé, le grec ancien dispose de termes relatifs à la durée et à la continuité temporelle (comme aiôn pour la durée éternelle), mais pas d’un mot unique correspondant exactement à « continu » tel qu’en latin" (lien)
Comme tu le vois, pour les Grecs, il est question de continuité temporelle, mais pas au sens de passage continu d'un point à un autre sur une droite, dans un sens moderne.
Arrivons à Parménide :
🤖: Parménide parle bien de la notion de continuité dans sa conception de l’Être. Selon lui, l’Être est parfaitement continu, ne contenant aucune altérité ni discontinuité. Il est intelligible, non créé, intemporel, et constitue une réalité sphérique et finie. Cette continuité de l’Être est un aspect fondamental de sa pensée, qui oppose la vérité (l’Être) à l’opinion (le devenir illusoire).
Plus précisément, dans son poème De la nature, Parménide affirme que l’Être est un tout indivisible et continu, ce qui signifie qu’il ne peut être fragmenté ni interrompu. Cette idée s’oppose à la perception commune du monde sensible, où l’on observe des changements et des divisions. Pour Parménide, ces apparences sont des illusions, et seule la pensée rationnelle peut accéder à la vérité de l’Être, qui est un continuum parfait.
Ainsi, la continuité chez Parménide est liée à son concept d’Être unique, immuable et total, qui exclut toute forme de néant ou de discontinuité. (lien)
- Là, tu es coincé : François Jullien a raison !
- Attends une seconde : ce n'est que la réponse d'un robot utilisant des mots d'aujourd'hui hors contexte. Faisons-le préciser :
🤖: Le mot grec employé par Parménide pour exprimer l’idée de “continu” est εὐκυκλέος (eukukléos), qui signifie littéralement “bien circulaire”, “bien rond” ou “continu sans interruption”. Ce terme apparaît dans le poème De la nature au vers 8 du fragment 1, dans le passage suivant :
« Χρεὼ δέ σε πάντα πυθέσθαι ἠμέν Ἀληθείης εὐκυκλέος ἀτρεμὲς ἦτορ
ἠδὲ βροτῶν δόξας, ταῖς οὐκ ἔνι πίστις ἀληθής. »
Ce vers peut être traduit par :
« Apprends donc toutes choses,
Et aussi bien le cœur inébranlable de la Vérité à l’orbe pur (εὐκυκλέος),
Que les opinions des mortels, dans lesquelles
Il n’est rien qui soit vrai ni digne de crédit. »
Ici, εὐκυκλέος qualifie la Vérité (la réalité de l’Être) comme un cercle parfait, continu, sans discontinuité ni interruption, soulignant ainsi la nature continue et indivisible de l’Être chez Parménide.
Cette image du cercle parfait est centrale dans sa philosophie : l’Être est un tout homogène, immuable et continu, ce qui s’oppose à la fragmentation et au changement perçus dans le monde sensible." (lien)
Et là, oh miracle : tu vois que c'est le cercle — c.-à-d. un objet sans "substance", sans "volume" autrement dit le "bord" en [#] d'un une "Vérité" substantielle en [♻] — qui est continu.
- Du coup, ça redonne un coup de jeune à Parménide. En disant que le cercle est une "ligne qui n'a pas de bord" nous voilà avec Poincaré et les groupes d'homologie !
- Sans aller jusque-là, cela illustre au moins l'impossibilité de parler de la "continuité" d'un "objet" sans parties, puisque la continuité se définit par le passage d'un "entre-deux" (voir "Axiomes de choix et de continuité"). L'image qu'emploie Parménide est plus fructueuse qu'il l'imagine, certes, sans pour autant l'aider à nous vendre sa Vérité comme un objet sans parties, dans lequel il est, par définition, impossible de définir une "continuité".
Pour être sûr de n'avoir rien oublié dans les 148 vers du poème que la postérité nous a légué de son oeuvre, j'ai demandé à Perplexity de faire un dernier tour de piste :
🤖: "Parménide fait plusieurs autres références à la continuité dans son poème De la nature. Outre le terme εὐκυκλέος (bien circulaire) au début, il insiste notamment sur l’absence de division et la continuité ininterrompue de l’Être. Par exemple, dans le fragment 8 (vers 79-85 environ), il écrit que l’Être :
«n’est pas divisé, car il est partout semblable ; nulle part rien ne fait obstacle à sa continuité, soit plus, soit moins ; tout est plein de l’être, tout est donc continu, et ce qui est touche à ce qui est».
Ce passage souligne explicitement que l’Être est un tout continu, sans lacunes ni ruptures, où chaque partie est en contact avec l’autre, renforçant l’idée d’un continuum parfait.
Ainsi, la notion de continuité est présente à plusieurs reprises dans l’œuvre, exprimée par des termes et images qui insistent sur l’unité, l’indivisibilité et l’immobilité de l’Être, qui est à la fois plein, homogène et sans commencement ni fin. Ces références forment un fondement central de la doctrine parménidienne." (lien)
- En fait, cette "Vérité" tout d'une traite, sans possibilité d'y aller voir, d'où rien ne s'échappe et où tout ce que l'on peut en dire se tient à son horizon, me fait penser à un trou noir. (voir : "L'univers holographique : un mythe moderne").
- Exactement, et nous devrions en parler dans la posture initiale : 𓁝[∅].
- Le pari philosophique de Parménide, son choix, serait donc dans le mouvement [♻]𓁜←𓁝[∅], en affirmant le [1]𓁜 au niveau de la "quantité conservée" : la vérité est "une" de toute éternité ?
- Oui, et représenter la pensée de Parménide par ce mouvement a le triple avantage :
Il n'y a donc nul besoin de parler de continuité à tord et à travers, quand Parménide s'occupe de conservation de la "vérité" et de l"Être". Précision quant à la pensée de Parménide, qui nous permet en retour de préciser notre critique de son choix philosophique en termes intelligibles dans le mode platonicien, comme dans le monde contemporain :
- Je te sens un peu vindicatif pour le coup ?
- Désolé, mais me voir reprocher d'avancer des généralités, quand je cherche la précision m'a un tant soit peu agacé. J'avais la réputation d'être hargneux lorsque je gérais des contrats, et comme le dit Brassens, le temps ne fait rien à l'affaire...
- OK, c'est tout pour cette entrée en matière ? (Note du 16/ 09/ 2025)
- Encore un truc qui m'a titillé : lors du tout premier exposé à propos de la distinction entre "l'écart" et la "dé-coïncidence", celle dernière était présentée comme un écart, mais également un "relais", j'ai tout de suite pensé au "Ma" 間 Japonais, qui nous a passablement occupés ici sur ce blog (voir en particulier "Voies pour la culture et la pensée japonaises"). J'en ai donc fait part lorsque la parole circulait... Rien, pas une reprise ni un commentaire.
- Tu ne vas pas faire ta chochotte...
- Non, mais deux jours plus tard, en soirée, lors d'un échange informel, François Jullien reparle subrepticement du Ma, comme s'il connaissait le concept de toute éternité, en précisant (j'ai le film) que le kanji du Ma représente une porte 門, avec la Lune 月 au milieu ! Or, c'est la concept dual "Aida" qui s'écrivait naguère ainsi, sa graphie ayant depuis évoluée pour être la même aujourd'hui que celle du Ma 間, avec le Soleil 日 au milieu de la porte 門.
- Avoue que Lune 月 et Soleil 日 se ressemblent...
- Sans doute pour qui n'a pas étudié le duo Ma/ Aïda, mais après m'être fait renvoyer en touche, je digère moins bien les généralités...
- OK, après t'être libéré de ta bile, j'espère que tu auras autre chose de plus consistant à partager?
- Bien entendu et nous y reviendrons, mais il fallait que ça sorte.
- Dont acte.
Le 10/ 07/ 2025 : Meaux
- Avant de reprendre le détail de mes notes, je ne peux taire le dénouement du colloque, lors de la dernière séance et qu'enfin la parole a pu circuler parmi les auditeurs. Deux remarques, qui traduisaient me semble-t-il le sentiment de plusieurs d'entre-nous furent:
La défense de François Jullien en surprit plus d'un : il ne voulait pas reprendre des thèmes galvaudés par des marchands de rêves et se tenait de ce fait soigneusement à l'écart de tout ce qui pouvait ressembler à du racolage pour soins spirituels en tout genre, au risque de passer pour un gourou ou autre guide en méditation quantique...
Il en vient à nous expliquer qu'étant un personnage public, il est déjà en but à pas mal de controverses, et prend pour exemple la bataille qu'il a dû mener , assisté d'un avocat, contre la présentation faite de son oeuvre par Wikipédia.
C'est alors que ma voisine me glisse qu'il a été très affecté par un livre paru contre lui il y a déjà quelque temps.
- Tu ne vas pas faire l'inventaire des ragots qui le concernent ?
- Non, bien entendu, mais ma petite enquête va nous permettre de mettre en perspective les "concepts" sur lesquels il a bâti tout ce qui fait l'objet de ce colloque, autour de la "dé-coïncidence".
Pour changer, j'ai utilisé Chat GPT :
🤖: Voici un résumé de "Contre François Jullien" (Allia, 2006), pamphlet de Jean‑François Billeter.
- Que François Jullien ne soit pas sinologue, nous importe peu : ce qui l'intéresse, c'est changer de point de vue pour mieux "voir" notre propre occidentalisé. Personne n'a demandé à Montesquieu de connaître le Farsi pour écrire ses "Lettres Persanes".
«Je ne parle pas “de” la Chine. Je me sers de la Chine pour produire de la pensée.» L’écart et l’entre (2012)
- J'entends bien, seulement, je souhaiterais quand même savoir si ses concepts clefs reflètent effectivement une approche Orientale, ou ne sont d'une faux-nez (conscient ou inconscient, peu importe à ce stade de l'enquête) pour avancer des concepts de son cru.
🤖: Voici les principaux "concepts" ciblés par Billeter :
| Critique de Billeter | Réponse de Jullien |
|---|---|
| Tu déformes la Chine | Je ne fais pas œuvre de sinologue, mais de philosophe. |
| Tu opposes la Chine à l’Occident | Je ne fais pas une opposition, mais je crée un écart pour penser. |
| Tu essentialises | L’écart est une stratégie intellectuelle, pas une fixation culturelle. |
| Tu es flou | Je travaille des concepts vivants, pas des définitions figées. |
| Tu t’arroges une autorité sur la Chine | Je travaille à partir de la Chine, pas "sur" elle. |
Mes commentaires :
Pour tout dire, le silence complet autour de la forme canonique hurlait à mes oreilles tout au long de ce colloque, inauguré par un rappel aux morts du structuralisme dont Lévi-Strauss était gommé, comme la figure d'un camarade répudié sur une vieille photo sépia du polit-bureau, dans la pure tradition stalinienne.
Et puis, dans quel espace se déploie cet "écart", vu que, comme nous l'avons déjà constaté, F. J. n'est pas familier du concept de "Ma" 間 Japonais ?
- Tu insistes beaucoup sur cet "écart", ou je me fais des idées ?
- Oui, j'y insiste parce qu'au fil du colloque c'est imposé à moi l'idée que l'écart en question ne peut s'exprimer clairement qu'en termes de topologie#♢. Il s'agit de la différence entre :
Et tu comprendras ma frustration de n'avoir aucune possibilité d'exprimer cette évidence au cours de ce colloque, car dès la réponse de F.J. à ma première question, je savais qu'il n'arrivait même pas à distinguer ce qui relève de la continuité au niveau [#] ou de la conservation au niveau [♻] !
Pour terminer cet article, j'ai voulu savoir si F. J. était en discussion avec des philosophes vivants, afin de ne pas en rester aux critiques d'un sinologue, ni à mes propres biais cognitifs.
🤖:
1/ Alain Badiou – Débat indirect sur l’universel L’universel :
mathématique ou stratégique ?
Badiou défend une conception platonicienne et mathématisée de l’universel, à partir de vérités éternelles.
Jullien, au contraire, promeut un universel stratégique, non préalable, qui se construit dans l’«écart» entre cultures.
Résonance :
3/ Philippe Descola – Comparaison indirecte : structures vs écarts
"L’anthropologie des formes de pensée"
Descola, héritier de Lévi-Strauss, cartographie les formes de relations au monde (animisme, naturalisme, analogisme…).
Jullien, plus philosophique, compare les formes de pensée issues des langues et traditions – en particulier le chinois et le grec.
Résonance :
4/ François Cheng – Désaccord discret mais profond
"L’esthétique chinoise : mystique vs stratégique"
Cheng (académicien) met l’accent sur la spiritualité et la beauté dans la culture chinoise.
Jullien traite la Chine en philosophe séculier, en soulignant les logiques implicites, opératoires, sans s’attarder sur la dimension spirituelle.
Résonance :
Mes commentaires :
1/ Alain Badiou :
Nous avons déjà croisé sa route quelques fois sur ce blog (voir dernièrement "De la philosophie comme sport de combat"), et je lui adresse la même critique qu'à Parménide (voir ci-dessus).
- Ce qui n'indique pas une adhésion directe à la position de F. J. ?
- Non, bien entendu : nous ne sommes pas dans une logique du 1er ordre et les ennemis de mes ennemis ne sont pas automatiquement mes amis.
2/ Barbara Cassin :
La question de l'impossibilité de traduire une langue repose la question de la possibilité d'une syntaxe universelle, et nous renvoie au projet de Luigi Rizzi (voir "L'Imaginaire du Sujet et son langage"). Je remarque juste que Cassin invoque un "écart" entre langues pour réfuter le concept "d'écart" chez F.J., et je me demande si de ce fait, elle n'apporte pas de l'eau à son moulin...
Que ce soit "intraduisible", me semble aller de soit dès lors que l'on prend en compte notre remarque faite ci-dessus, en considérant que le traducteur est
3/ Philippe Descola : j'ai déjà fait part de ma surprise de n'avoir pas une seule fois entendu une référence à la forme canonique, je n'y reviens pas (voir ci-dessus).
4/ François Cheng : Je me sens très proche de la conception de François Cheng; voir sur ce blog :
- Tu en reviens à la discussion finale et aux manques relevés par les auditeurs quant au désir Lacanien et à la joie Spinoziste ?
- Oui, c'est pourquoi il me semblait intéressant de faire ce tour d'horizon, avant de relire mes notes de colloque (voir ci-dessus).
- OK, maintenant que tu as bien dégagé le terrain et nettoyé le chemin menant à la maison de thé, il serait temps d'assister à la cérémonie, non ?
- Suite au prochain numéro.
Hari
Note du 15/ 07/ 2025 — Thollon les Mémises
- Jérôme, rencontré lors du colloque me fait justement remarquer que Derrida introduit le terme de "différance" à dessin; ce qui me donne l'occasion d'y aller voir de plus près. Le temps des vacances favorisant ma flemme congénitale, je me satisferai des facilités apportées par l'I.A.
- C'est très critiquable, tu viens toi-même d'en constater les limites à propos du concept de "continu".
- La flemme n'empêche pas la vigilance, mieux : elle la rend nécessaire. Or donc, j'ai fait un petit tour par Chat GPT, et le résultat m'a paru intéressant; je te le livre ici, on en parle ensuite :
🤖: "Le concept de "différance", forgé par le philosophe Jacques Derrida, est central dans sa déconstruction de la métaphysique occidentale. Ce néologisme (différance avec un "a") joue sur l’ambiguïté entre "différer" au sens de "remettre à plus tard" et "être différent". Il est à la fois un jeu linguistique et un concept philosophique majeur.
📌 Résumé du concept de "différance" :
La différance désigne un processus fondamental du langage et de la pensée par lequel le sens n’est jamais fixe, mais toujours différé et dépendant d’autres signes. Autrement dit, un mot ne prend sens que par sa différence avec d'autres mots et jamais par une présence pleine ou immédiate.
✳️ Caractéristiques de la différance
📚 Exemple simplifié :
Le mot "chat" n’a de sens que par sa différence avec "rat", "chien", "chapeau", etc. Il ne renvoie pas à une essence fixe du chat mais à un jeu de différences dans le système de la langue. Et le sens exact dépend du contexte, donc il est toujours en suspens, jamais définitivement clos.
En résumé :
La différance est ce mouvement indéfinissable qui rend possible le sens tout en le différant et en l’inscrivant dans un réseau de différences. Elle défie la logique de l'identité, de la présence, et de la vérité pleine. C’est un outil critique majeur pour repenser le langage, le sens et la philosophie."
- Ne trouves-tu pas tout ceci fort réjouissant ?
- Ton sens de l'humour m'échappe un peu...
- Je ne saurais trop remercier Jérôme de m'avoir forcé à ce petit détour par Derrida, et vois comme ça s'emboîte avec notre syntaxe de l'entropologie, comme papa dans maman. Je te fais une revue de détail, en remettant la synthèse à plus tard :
/image%2F0964014%2F20250715%2Fob_979bb8_capture-d-ecran-2025-07-15-a-13-31.png)
- Et là, tu recolles avec ce que tu as dit de la dé-coïncidence de F. J. ?
- Exactement, d'où mon amusement de ce matin en lisant ce résumé de Chat GPT ! Et, cerise sur le gâteau, le point 5, ramène à la "déconstruction" de Derrida, quand j'en reviens, de façon plus rustique et fondamentale, à la forme canonique de Lévi-Strauss. Je l'avais déjà relevé dans 'L'Homme Quantique" il y a douze ans, et nous restons droit dans nos bottes, malgré toute mon évolution depuis lors !
Mieux : dans l'exemple proposé —mais là, il faudrait approfondir— le processus par lequel le sens du mot "chat" se construit de n'être pas "rat", "chien" ou "chapeau", me fait irrésistiblement penser à un processus similaire à celui de la cohomologie — que l'on retrouve déjà dans les schémas d'apprentissage de la lecture (voir "Les neurones de la lecture - Dehaene #1 Comment lisons-nous ?") à la réflexion...
- Je ne te pensais pas si proche de Derrida ?
- il faudra sans doute y revenir !
Note du 16/ 09/ 2025 — Istanbul
- Par le hasard du scrolling, je tombe hier sur une petite vidéo parlant de la dispute entre Stoïciens et Sceptiques. Ces derniers rejettent la propension des Stoïciens à "catégoriser" de façon trop formelle l'objet de leur analyse; L'exemple donné est celui d'un tas de sable : à partir de combien de gains de sable peut-on parler de "tas" ?
- Oui, je vois : il y a une sorte de continuité entre les "quelques gains" et "un tas", avec un passage flou entre les deux.
- Exact, et en entendant cela, j'ai eu un doute : Les Grecs avaient-il à l'époque de Zénon (3e siècle av. J.-C. pour fixer les idées) une idée de la continuité au sens où nous l'entendons actuellement, contrairement à ce que j'en ai dit ? Comme je suis en mode vacances, je le note juste pour y revenir si nécessaire, mais ça me tracasse et histoire de me rassurer un peu avant de passer de Sainte Sophie à la Mosquée Bleue, je pose la question à Perplexity : (lien ici)
— Q : Les Sceptiques ont-ils la notion de «continuité» au sens moderne, mathématique ?
— 🤖: Les Sceptiques antiques, notamment ceux du pyrrhonisme, n'ont pas la notion de «continuité» au sens mathématique moderne. Leur démarche philosophique est centrée sur la suspension du jugement (épochè) et la mise en opposition des arguments pour éviter l'affirmation dogmatique, sans développer une analyse mathématique précise des concepts comme la continuité. La continuité au sens moderne est une notion mathématique formalisée bien plus tard, au 19e siècle avec Bolzano et Weierstrass, et implique une propriété topologique des fonctions, ce qui dépasse clairement la sphère des préoccupations des sceptiques anciens. Ils cherchent plutôt à exercer un doute systématique et à suspendre le jugement indéfiniment, sans avancer de concepts mathématiques formels sur la continuité.
— Q : Ok mais lorsque par exemple ils se demandent à partir de combien de grains de sable on peut parler d’un tas de sable, n’y a-t-il pas l’idée d’une variation continue ?
— 🤖: Quand les sceptiques se demandent à partir de combien de grains de sable on peut parler d’un tas, ils abordent un problème que l'on appelle aujourd'hui le «paradoxe du tas» ou «paradoxe sorite». Ce paradoxe souligne la difficulté de situer précisément un point de transition entre le non-tas et le tas à cause de l'imprécision du langage. Cette interrogation implique une idée intuitive de variation graduelle, une sorte de passage progressif d'un état à un autre, qui peut s'apparenter à une idée de transition continue. Cependant, contrairement à la notion mathématique précise de continuité, il s'agit surtout ici d'une notion floue, vague, liée à la composition linguistique et aux catégories floues, plutôt qu’une variation continue au sens strictement mathématique. Le paradoxe met en évidence cette difficulté à tracer une ligne nette entre deux états, ce qui est proche d’une intuition de variation continue, mais dans un cadre conceptuel fondamentalement différent de celui des mathématiques modernes."
- Ouf ! Je suis sauvé : la dispute se situe dans la voie des mots (♧𓁜𓁝♡) , et la question porte sur l'insuffisance du vocabulaire pour identifier les choses, quand la question mathématique se situe dans la voie des choses (☯𓁜𓁝☯). La distinction continu/ discontinu a trait au référé, au monde physique, et non au vocabulaire pour en parler.
- Tu remarqueras quand même que l'idée de "continuité" est associée au "mouvement" : pense à la tortue de Zénon.
- Oui, il y a sans doute quelque chose à creuser:
- D'une certaine façon la question revient toujours à la définition d'une frontière...
- Qui est abordée en [#]♢ par cet aphorisme qu'un bord n'a pas de bord....
- Et donc, nous en revenons bien à cette circulation sans fin autour de [#]♢, tant que l'on n'a pas le recul nécessaire pour comprendre le cross-cap, visible de ce point de vue central. (voir "Un GPS pour circuler sur le cross-cap")
Note du 04 / 10/ 2025 — São Paulo
La discussion sur le concept de continuité se poursuit dans l'article "Du ruban de Moebius au cross-cap". J'avais besoin d'y revenir en revenant à la caractérisation du circuit Imaginaire de l'âge Classique, en suivant le texte de Foucault.