Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...
7 Août 2014
Chez le jeune enfant, l’idée d’Objet se constitue à force de répétitions, alors qu’il n’a pas encore une pleine conscience du temps. Il s’agit d’un rapport très élémentaire au Réel, s’intériorisant dans un mouvement qui mène à la conscience du temps et du mouvement. Ensuite, dans notre vie d’adulte, une fois nos schémas culturels acquis, nous n’avons que rarement l’occasion de contacts aussi primaires au Réel et l’idée que les Objets de notre attention s’en détachent est fallacieuse. Ils ne peuvent se détacher que d’un pré-jugé, d’un avatar mis là en lieu et place du Réel.
Pour reprendre la parabole de la grotte de Platon, cela reviendrait à dire que non seulement nous ne voyons de « l’Objet » de notre attention que son ombre projetée sur le mur de la grotte, mais encore que de cette grotte elle-même nous n’apercevions qu’une ombre, qui se structurerait en même temps que l’Objet. Notre Objet serait plutôt comme l’oreille d’un lapin qu’un enfant rêveur discernerait dans un banc de nuages.
La dimension physique la plus élémentaire de toutes, celle à laquelle nous nous heurtons le plus tôt est sans doute l’espace, champ élémentaire qui nous permet de situer nos Objets les uns par rapport aux autres. Et même cette expérience de l’espace n’est pas immédiate. Un aveugle de naissance, par exemple, s’il recouvre la vue à l’âge adulte et « voit » pour la première fois les images que forment ses yeux, sera incapable de les interpréter. Faute d’un apprentissage (à force de répétitions), cette vision immédiate n’aura, pour lui, aucun sens.
La filiation que nous avons mise en évidence entre le mouvement d’un objet dans l’espace et l’émergence d’un Objet (d’un concept) dans notre Imaginaire résulte essentiellement de notre incapacité fondamentale à avoir un accès direct et immédiat au Réel et met en jeu un processus Imaginaire élémentaire unique :
Répétitions synchroniques (automaton) / émergence diachronique (tûchè)
Quelle que soit notre façon de procéder pour prendre conscience d’un Objet, en discernant deux Objets l’un de l’autre, ou bien, en repérant un seul Objet dans un champ quelconque d’où il se détache (i.e. : un coquelicot dans un champ de blé, ou un électron dans un champ électrique), et dans ce dernier cas, que l’Objet initial de ma prise de conscience soit l’élément (i.e. la pomme de Newton) ou le champ lui-même (i.e. la température de Boltzmann), nous avons vu que cette prise de conscience met en jeu un couple de variables synchronique/diachronique et se décrit comme un saut diachronique.
En ce sens, dire que « deux objets sont séparés » n’a pas plus de sens en soi, qu’un objet n’existe en lui-même. Leur séparation (spatiale ou autre), ne peut se rapporter qu’à moi qui, après les avoir discriminés, focalise, au grès de mes intentions, mon attention sur l’un ou l’autre ou bien sur le groupe qu’ils forment ensemble. Repérer une paire de photons intriqués, c’est les unir (en Ik) après les avoir imaginés (en Ik-1), pour les différencier à nouveau lorsque l’on veut les mesurer (Ik-1 => Ik => Ik-1), d’où leur décohérence. Ceci n’a rien de nouveau : les Amérindiens, pour distinguer le lynx du coyote (Lévi-Strauss, 1991), doivent les inclure au préalable dans une même classe d’où ils se différencient ensuite.
Et ce saut diachronique présente deux caractéristiques fondamentales :
Par exemple, pour mesurer une vitesse, nous avons vu qu’il nous faut rapporter l’image d’un objet en Ik-1 à une base de référence en Ik, ce qui permet, très explicitement, d’en mesurer les coordonnées. Autrement dit, dans ce passage nous constituons un niveau Imaginaire Ik où le repérage en Ik-1 d’un élément devient une information. Et la variable diachronique associée à l’espace dans cette opération est le temps ; couplage permettant de définir la vitesse en Ik
C’est dire que l’espace, en tant qu’attribut essentiel du Réel, ne prend sens pour moi, ne m’informe, qu’après ce recul diachronique qui me permet de le parcourir, donc en relation avec le mouvement, et le temps.
Le schéma suivant permettra peut-être de mettre en lumière ce fonctionnement intime de notre entendement :
Mais alors me direz-vous, si tout objet est un fantasme, un fruit de notre intention, de quoi s’occupe donc le physicien ?
Nous avons défini la stabilité du « Moi », de l’Observateur comme résultant de la permanence de ses réponses aux stimuli de son environnement ; réciproquement la stabilité des objets de son attention tient à leur invariance lorsqu’il change de point de vue ou qu’il multiplie les expériences. Nous sommes toujours dans l’automatisme de répétition.
Si en voyant un nuage, j'imagine une oreille de lapin, ceci n’intéresse pas le scientifique, en revanche, il s’intéressera à un nuage en forme d’enclume, car cette forme est très caractéristique de certaines conditions météorologiques, et tout pilote ou parachutiste apprend à éviter soigneusement ce type de nuage en raison du danger qu’il représente. Et la différence de statut scientifique entre ces deux formes nuageuses peut s’exprimer en termes de stabilité.
L’une est éphémère, unique, plus liée à l’histoire personnelle de l’Observateur et à sa rêverie du moment qu’à une détermination Réelle. L’enclume, en revanche est une forme plus caractéristique, plus répétitive, au point d’avoir reçu un nom de baptême latin : cumulonimbus capillatus.
L’objet se constitue scientifiquement en s’émancipant de l’Observateur.
Il y a une sorte d’effet miroir entre le Sujet et l’Objet :
Cette dualité du processus d’émergence du couple Sujet/Objet vous permettra peut-être de mieux comprendre pourquoi je m’obstine ainsi à attaquer de front deux mondes qui ont tort de s’ignorer : la psychologie et la physique. « Que nul n’entre ici s’il n’est géomètre », cela ne date pas d’hier !
Pour en revenir à l’Objet, cette façon de le considérer comme ce qui persiste au fil de nos observations et reste stable lorsque l’on change de point de vue est le fondement même du principe qu’Emmy Noether énonça en 1905 et qualifié par Albert Einstein de « monument de la pensée mathématique ».
En effet que nous dit-elle ? Que les phénomènes observables sont :
On parle de ces invariances comme de « symétries » et à chacune d’elles correspond la conservation d’un aspect particulier de l’Objet sous observation, que l’on nomme précisément « observable ».
Propositions que l’on peut résumer de la façon suivante : soit un Objet repéré au niveau Imaginaire Ik-1, dont nous nous informons par la mesure d’un observable rapporté à une base Imaginaire Ik. Si je change le système de référence utilisé sur cette base Ik, alors l’objet en Ik-1 n’en sera pas affecté (principe de conservation).
Cette opération peut être décrite par le saut diachronique suivant, qui est l’essence même du mouvement tel que nous l’avons représenté :
C’est dire, bien entendu, qu’à ce saut diachronique correspond une non-commutativité entre les mesures du couple de variables synchronique / diachronique caractérisant l’opération (i.e. : espace / vitesse, énergie / temps, orientation / moment cinétique, etc.).
Nous retrouvons donc, par cette voie, le triptyque symétrie / principe de conservation / incertitude autour duquel la célèbre mathématicienne a construit son théorème.
Si vous trouvez plus simple pour expliquer la nécessité épistémologique du théorème de Noether, laissez un commentaire : je suis preneur.
Bonne méditation
Hari