Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...
1 Septembre 2020
- C'est toujours pareil: après avoir passé beaucoup de temps pour arriver à comprendre quelque chose qui m'échappait, ce que je trouve me semble tellement simple, rétrospectivement, que je repense à ces paroles de Grothendieck, dans "Récoltes et semailles" : "Oh, ce n'est que ça!"
- Ouais, avoue que tu as surtout peur de passer pour un imbécile tel M. Jourdain découvrant qu'il parle en prose !
- Peut-être un peu, oui. Mais bon, continuons notre chemin, et tirons les leçons de ce que nous avons trouvé dans mon dernier article.
1/ De l'objet à sa représentation :
Histoire de fixer les idées, je reviens sur l'exemple de Wildberger.
"La description de l'objet X au tableau est séquentielle:
La description de l'objet topologique consiste à repérer à chaque niveau de sa description, c'est-à-dire, pour chaque type d'éléments, quelles sont les "boucles" qu'ils forment pour entourer les "trous" du niveau supérieur.
Par exemple, pour les arêtes ou côtés de l'objet vus à l'étape X1 :
Les "bordures" sont des applications δn : Cn→Cn-1, il y a donc :
Le point fondamental est le suivant:
Je te passe l'article, pour en arriver à ce qui caractérise le groupe d'homologie:
H1(X2)= Ker δ1/Img δ2, ici H1(X2)=<a+b+c,a+b+d>/<c-d>≈Z⊕Z/Z≈Z
Pour mieux représenter la situation de ces arêtes, coincées entre les surfaces et les vides de niveau C2 qu'elles délimitent et les points en C0 qui les bordent, écrivons les applications δ comme descendantes :
La situation intermédiaire de C1 ressemble fortement à notre représentation des niveaux Imaginaires du Sujet : Ik-1<Ik<Ik+1 ou Ik+1↓Ik↓Ik-1 (il faudra que stabilise un peu mon écriture)...
- À ceci près que tu définis les sauts Imaginaires Ik+1⇅Ik comme diachroniques en un sens linguistique emprunté à Saussure, quand les sauts C2⇅C1 marquent une différence de dimension (i.e.: passage de 2D à 1D).
- Merci de me servir la soupe ! Pour compléter ta remarque, ce qui est vu ici comme relevant de l'espace (entre I01 et IR), relevait du "temps logique" de Lacan entre I1 et I01.
- Pour te suivre, le temps du physicien devient lui-même une coordonnée semblable à celles d'espace, jusque dans la représentation de l'espace-temps par un Quaternion (voir : "Réalité du temps et espace imaginaire").
- C'est une question délicate, car si en prenant le "temps" comme objet de discours, le Sujet le traite comme l'espace, lorsqu'il se situe en IR et au-delà, dans la forme de son discours il en reste à cette notion de succession qui s'exprime en I01 (Note 1). C'est ce que nous retrouvons ici, implicitement.
- Peux-tu préciser ?
- Comme objet de discours en IR, le temps viendrait après la structuration progressive de l'espace que tu veux animer, et l'on pourrait compléter notre représentation des Xi :
Les indices i de Xi, qui marquent la progression temporelle de cette construction des homologies Hx(Xi) sont des entiers naturels i∈N; et s'inscrivent donc dans une temporalité logique construite entre I1 et I01, dont tu te sers implicitement pour parler d'un temps conceptuellement d'ordre supérieur... Le récit décroche.
- Rien de bien neuf: tu retrouves ici ce que tu avais déjà développé (Note 1).
- Oui, mais je voudrais faire une analogie avec ce qui se passe au passage de IR à I#.
Et fait, j'ai utilisé de façon naïve les mots de "point", "traits", "surface" et "volume" pour alléger le langage, mais il serait plus juste, comme le fait Wildberger de parler par degré : point = objet de dimension 0 ou D0, arête de dimension D1, etc...
- Pourquoi ce retour sur ce vocabulaire ?
- Parce que notre vocabulaire ordinaire est trop riche de non-dits, et nous amène implicitement au niveau Imaginaire dans lequel il trouve naturellement sa place. Lorsque je parle de ligne, celle-ci est implicitement continue, la surface implique la mesure de son aire et j'ai toujours en tête qu'un volume d'eau se conserve lorsque je le transvase. Autrement dit, et en l'absence de précision de ma part :
Le passage de
En topologie algébrique, qualifier l'objet par le nombre de dimensions de ses constituants de plus haut degré, permet de nous souvenir que nous tentons autant que faire se peut, de traduire en I01, c'est-à-dire de réduire à la théorie des Ensembles, dans un langage algébrique, tourné vers l'objet final I1<Im, des objets "topologiques" de niveau IR, impliquant la possibilité d'une approche locale, tournée vers l'objet initial I'm<I0.
- Merci pour la récapitulation, mais tu ne dis pas grand chose de nouveau.
- Je t'ai brossé ce tableau juste pour comparer le passage de I01 à IR et celui de IR à I#.
J'ai donc eu tort d'utiliser ces termes de point, ligne, surface et volume, j'aurais du écouter Wildberger qui s'en tient aux éléments de niveau D0, D1, D2, D3. Tout ça pour dire qu'en topologie, le concept "général" ou générique, est celui de surface. Entendons-nous bien: il ne s'agit pas d'en mesurer l'aire, mais juste de la considérer comme un voile qui cache ce qui est derrière, un peu comme Cristo emballe le pont Neuf :
Même lorsque tu parles d'objet en D3 en topologie, il s'agit toujours d'une surface qui s'inscrit dans un espace D4. Il y a un peu de la sagesse de Wittgenstein derrière tout ceci :
"Sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence.
Wovon man nicht sprechen kann, darüber muß man schweigen."
Et "derrière tout ceci", te reste le vide.
- Nous y revoilà !
- Oui, je tiens à souligner à quel point l'approche topologique est cohérente, en te montrant la congruence entre cet objet topologique, coincé entre l'objet initial (Note 2) et l'objet final : I1<Iobjet<I0, et la situation générale du Sujet, dans son Imaginaire et au-delà : R<I1<Im<I0<S. L'objet initial en I0, étant ici "objectivé" par les groupes d'homologie Hi=0 pour i supérieur au dernier degré de l'objet en question.
Pour transcender cette description d'une surface conçue comme un voile, enveloppant in fine un vide indicible, il faut dire quelque chose de ce qui est caché derrière cette surface, ce qui se conçoit comme la "conservation" de "quelque chose" caché aux yeux: c'est le volume d'eau transvasé, c'est la conservation de l'aire d'une surface déformable, c'est la conservation de la vitesse, de la quantité de mouvement, de l'énergie etc.
- Mais de ceci aussi tu nous as déjà beaucoup parlé !
- Je voudrais attirer ton attention sur le point suivant : lorsque tu passes de I01 à IR, tu continues à faire évoluer ta représentation du temps bien que pour en parler, il te faille malgré tout te contenter d'utiliser ce que tu as conçu en I01.
Et bien, de la même façon, lorsque tu passes de IR à I#, tu continues à faire évoluer ta représentation de l'espace et du temps, et pourtant, pour en parler, tu restes encore accroché à un temps défini en I01 et à un espace défini en IR !
Je pense même pouvoir aller plus loin en disant que toute la logique que tu développes en I01 (i.e. avec la catégorie des Graphes) et au-delà, en oubliant par exemple le principe du tiers exclu, tu ne peux malgré tout que l'exprimer à l'aide de la logique de premier ordre ramenée, dans une perpétuelle hésitation, à un saut élémentaire de (*)∈I1 vers l'un ou l'autre des éléments de l'objet discriminant de la catégorie des Ensembles {0;1}∈I01 par un morphisme (*)↑{0;1}.
Nous traînons derrière nous (comme notre ADN notre évolution), toute une histoire du langage et de nos représentations que nous n'arrivons pas à dépasser, pour discuter d'objets dont la structure dépasse aujourd'hui nos capacités d'expression (Note 3).
- C'est pour cela que le mathématicien passe tant de temps à préciser le contexte dans lequel il définit les objets dont il parle.
- Bien sûr, mais je te dis que malgré toutes ses précautions, sa façon d'en parler n'est pas en accord avec le niveau auquel il se réfère.
Tout ceci nous bloque dans ce que nous pouvons entendre et voir, et nous avons beaucoup de peine à représenter ce qui ne se voit pas. Nul n'a jamais "vu" le volume d'un objet. Seule sa surface nous est accessible, et encore, partiellement.
- Bon d'accord, mais pourquoi insistes-tu si lourdement sur ce que tu nous a déjà dit peu ou prou tout au long de tes articles ?
- Parce que je pense à inscrire le topos dans cette histoire.
- N'en as-tu pas déjà parlé (voir "Imaginaire et topos").
- Si, bien sûr, mais je me demandais si le topos de Grothendieck, qui conjoint le discret et le continu ne serait pas le concept de niveau IR le plus complet, et pour tout dire indépassable, pour aborder les concepts de conservation, de niveau supérieur I# ?
- Je ne te suis pas.
- Nous avons vu que toutes les logiques se racontent à l'aide de la logique élémentaire, que pour parler du temps et de l'espace relativistes, il faut se contenter d'un temps logique et d'un espace physique ordinaire, et donc, dans la foulée, je pose la question de savoir si le topos n'est pas l'objet de niveau IR nécessaire à l'exploration de I#.
- Et ça t'amène à quoi ?
- À dire que le concept de "pont" entre topos d'Olivia Caramello serait un questionnement de niveau I#, comme la construction de "métaphores" tel que nous en avons parlé (cf.: "Métonymies et métaphores-bis"). Le "pont" d'Olivia serait la métaphore mathématique de notre façon la plus générale de construire des métaphores.
- Ça n'amène rien de concret...
- Non, mais ça situe un peu les possibilités, les outils qui s'offrent au Sujet pour explorer et/ou développer son Imaginaire (Note 4).
2/ La stabilité de l'objet :
Je me suis beaucoup préoccupé de stabilité, en particulier dans "L'Homme Quantique", concept que l'on peut situer en I01, avec ceux d'information et d'entropie, bref avec tous ceux qui manipulent les "éléments" de l'objet... Avec un temps attaché aux concepts de succession et de dénombrement.
Mais ici, la succession porte sur l'ajout d'une dimension dans l'espace, et non plus d'un simple point sur la droite N, et nous avons vu que la description de l'objet par ses groupes d'homologies varie.
Revenons à H1(X2)= Ker δ1/Img δ2, il se construit en deux temps.
Le Sujet peut arrêter de monter dans les dimensions à sa discrétion, soit, néanmoins, dès qu'il atteint le niveau où il ne rencontre que du vide, soit C4 dans l'exemple, δ4 est nulle, Ker δ4 aussi et H4 également. La conséquence en est que la description de l'objet est figée (i.e.: le calcul des Hi est fini) à la 4ème itération.
3/ L'objet inimaginable :
Tout semble couler de source jusqu'à présent, il y a pourtant une conséquence de tout ceci qui a des répercussions proprement philosophiques.
- De quoi parles-tu ?
- La construction par étapes, qui consiste à construire en C1, les boucles B1 "autour des vides" en C2, pour retrancher dans une seconde étape, l'image des objets en C2, de ma représentation en C1, implique :
D'une certaine façon, l'objet se définit d'être dans un vide comme toile de fond.
Par ailleurs, les groupes d'homologie ne peuvent qu'être des restrictions d'étage en étage, à partir du groupe de départ H0(C0), pour tendre vers Hn(Xn)=0.
Maintenant si l'objet se définit à l'origine par un groupe cyclique, comme pour définir les racines d'un polynôme...
- Tu reviens à Galois ?
- Oui, il serait temps, après plus de deux ans à tourner autour !
Si donc ton groupe de départ, cyclique comme S5 par exemple, n'a pas de sous-groupe, tu ne peux pas avancer dans ta démarche pour "délimiter" l'objet, en l'occurrence les racines du polynôme en question !
Et donc il est impossible de trouver une procédure algébrique qui définisse les racine d'un polynôme de degré 5 ! CQFD.
D'une certaine façon, tu retrouves ici notre bon vieil automatisme de répétition: tant que tu n'as pas compris cette impossibilité, tu oscilles entre I'm et Im...
Ceci dit, la question proprement philosophique qui pointe derrière est celle-ci: que voyons-nous du Réel ? Ou plutôt: qu'est-ce qui échappe à toute description rationnelle ?
4/ La position du Sujet :
J'ai glissé dessus, mais nous avons δδ=0. En effet, quoi qu'il y ait en C2 (vide ou élément), la bordure de la bordure est nulle. C'est dire que C0 ne voit rien de C2 : les "points" ne bordent que les "droites", les "droites" que les "surfaces" etc.
Ceci permet de confirmer la place du Sujet dans son Imaginaire, en particulier celle de I'm. Il est bien, localement, en position ex ante par rapport à l'objet perçu globalement par Im, en position ex post.
Pour exprimer que I'm est en position ex ante (ne comprenant pas ce qui le dépasse), tourné vers l'objet initial en I0, mais néanmoins capable de se repérer dans son contexte local, lorsque j'écris H1(X2)= Ker δ1/Img δ2
Maintenant, en se retournant vers l'objet final, dans une posture rationnelle logique I1<I01≤I'm, qu'il partage alors avec Im, le Sujet toujours dans une description locale de C1, peut faire le compte des boucles et rapporter ceci en C0 , vers la position qu'il occupait au coup d'avant.
- C'est bien compliqué !
- Oui parce que la situation l'est.
Dire I'≤IC1; c'est passer sous silence C1≤C2, avec sans doute l'hypothèse du continu pour "comprendre" ce qu'est une ligne autrement dit I'≤IC1=IR≤Im<I0.
Maintenant, en se retournant vers l'objet final, I'm perd la notion du continu, pour ne s'exprimer qu'algébriquement !
Est-ce que tu vois bien ce retournement autour de C1 ?
- Mais la description de δ2 : C2↓C1 est également algébrique, non ?
- Oui, mais le discours est alors porté par Im : IC2≤Im; en position ex post, puisque I'm ne peut rien en dire !
C'est comme si, à chaque itération du calcul, I'm prenait la place de Im au tour précédent.
Il faut encore que je clarifie mon écriture, mais le schéma Imaginaire, la circulation du Sujet autour de l'objet qui se précise au fur et à mesure des itérations d'un changement de posture I'm/Im, me semble clair, grâce à l'analogie que l'on peut faire avec ce processus de calcul des groupes d'homologie.
- Il y a encore du boulot !
- Ça avance, ça avance...
Hari
Note 1 Voir:
Note 2 :
La notation "0" renvoie à l'élément neutre de l'addition, qui en toute rigueur est l'image de (*) en I1, par le morphisme identité (*)↑{e} en I01. Tu vois que la description d'un objet par ses groupes d'homologies respecte parfaitement ce que nous avons déjà vu des changements de posture du Sujet autour de l'objet :
Note 3 :
Je pense qu'en cela, il faudrait discuter la position de Lacan, pour qui le langage modèle et conditionne l'Imaginaire.
Qu'il le conditionne ne fait aucun doute, cependant, nous arrivons, de temps en temps à imaginer au-delà des mots à notre disposition. C'est ce que fait le mathématicien lorsqu'il invente un symbole comme référant d'un concept qu'il ne sait exprimer. Par exemple "π" ou "e" et construire des phrases du type : eiπ=-1.
En un sens purement littéral, l'introduction d'un nouveau symbole mathématique permet de couper cours à un processus de calcul indéfini, autrement dit à transcender une situation de bloquage qui se traduit par le fait d'être dans un automatisme de répétition... Merci Freud.
Note 4 :
En ce sens, il faudra que je restitue la forme canonique des mythes de Lévi-Struss dans ce contexte élargi (voir "Le mythe de la potière jalouse").