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Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...

L'Homme quantique

L'insoutenable légèreté de l'être

- Je veux garder ici et maintenant la trace du grand trouble qui me vient en approchant d'aussi près que je peux la notion de topos.

- Tu m'inquiètes.

- Et tu as raison, hier soir j'en arrivais à vouloir tout laisser tomber de lassitude en comprenant à quel point j'étais nul. Je regardais des vidéos, l'une de Laurent Lafforgue déjà vu et revue, les autres d'Alain Connes et de Jean Benabou, et d'un coup j'ai compris que mon approche des catégories était celle d'un singe apprenant à piloter une fusée.

- Et tu renonces ?

- Écoute, j'étais tellement sonné que j'ai dormi comme une pierre jusqu'après 11h ce matin. Et puis, comme toujours, le réveil a levé mes inhibitions. Chez Benabou, j'ai relevé la distinction qu'il fait entre foncteurs "horizontaux" et "verticaux", ce qui me revoyait à ma propre différence synchronique/ diachronique. Lafforgue, me fait partager son enthousiasme pour les topos, et je comprends qu'il me faut tout reconsidérer de ce point de vue et non me contenter du simple morphisme. Quant à Alain Connes, je retiens de lui qu'avant d'envisager une géométrie commutative, doit s'imposer à nous une géométrie non commutative, ce qui me renvoie à de très anciennes interrogations que je soulevais ici. De plus, en me perdant littéralement dans sa "Non commutative geometry", dont je n'ai pas compris plus de quatre mots d'affilée, je n'ai retenu qu'une évidence concernant la notion de "mesure", qui nous renvoie à Fermat:

  • La "mesure" se fait localement, dans mon cheminement pour aller d'un point à un autre;
  • La "mesure" de la distance entre deux points se juge globalement, parmi l'ensemble des chemins potentiels entre ces deux points.

Autrement dit, la mesure qui est imaginable aussi bien dans un espace commutatif que non-commutatif, n'est pas le caractère discriminant, le pas que j'avais imaginé entre IR et I#.

- Aïe ! Tu dois donc reprendre tout ce que tu imaginais, avec cette physique symplectique que tu espérais atteindre à cette place ?

- Oui, tout à fait; mais le pas à franchir est du même coup beaucoup plus clair !

Gardons, par commodité les noms utilisés jusqu'à présent pour repérer les deux niveaux Imaginaires que je cherche à cerner.

  • En I# le principe de symétrie serait alors l'idée "d'espace commutatif";
  • La dégénérescence en IR porterait sur la non-commutativité de l'espace permettant d'écrire les équations de la mécanique quantique (en nous rapprochant du Réel).

- Et sur quoi porterait la conservation ?

- Soit a et b deux éléments :

  • en IR:  a.b=-b.a, et donc : (a+b)2=a2 + b2 ;
  • en I# : a.b=b.a et donc (a+b)2=a2 +2ab + b2.

En passant de IR à I#, apparaît une quantité "a.b" qui a tout d'une "aire" inimaginable auparavant. Je ne sais pas encore en détails de quoi il s'agit, mais je sens qu'il faut chercher en ce sens.

Quand à l'indétermination, elle tient évidemment à l'oubli en I# de savoir qui de a ou b est premier en IR.

Tu vois donc que nous avons ici quelque chose de beaucoup plus riche, plus radical, que la simple caractérisation de I# par l'idée de "forme symplectique".

L'idée générale que je retire de ma déprime, c'est qu'à partir de I01, je dois utiliser le concept de topos pour avancer. 

- Mais enfin, que comprends-tu à cette notion de topos?

- C'est Connes qui m'a convaincu, en parlant de "théâtre quantique" (j'ai commandé son livre, pour le lire à ma rentrée à Saintes), disant que la géométrie n'est pas sur le devant de la scène, comme une donnée immédiate au sens kantien du terme, mais qu'elle est relative au Sujet qui avance telle ou telle définition de l'espace en fonction de ses besoins, comme le "Deus ex Machina" (le terme est de lui) du théâtre grec.

Idée qui me renvoie à Lafforgue exprimant, le plus simplement qu'il le peut, qu'un topos T: (C,J) est une catégorie C munie d'une topologie J. Autrement dit, dans le topos, il y a d'une part l'objet que le Sujet se donne à voir, et l'espace (ainsi que la logique associée) dans lequel il situe son discours. Le topos est donc pleinement un concept rattaché à l'immanent (venant du Réel) et au transcendant (s'inscrivant dans un espace qui l'accueille et le définit) (note 0). Mais une immanence limitée à l'objet final et une transcendance limitée à l'objet initial. Dit avec les mots de J-P Changeux: la rencontre entre un percept et un concept. C'est ça un topos, et c'est donc l'objet à employer dès que le Sujet est assez éloigné du Réel pour en prendre conscience, c'est-à-dire dès I01. En corollaire, cela signifie que je reprenne ma représentation des étages supérieurs de l'imaginaire à partir de là, et pour démarrer, que je comprenne clairement ce que Benabou entend par foncteurs horizontaux et verticaux.

- Ton topos nous renvoie à Lao Tseu (note 1):

"On pétrit de la terre glaise pour faire des vases.
C'est de son vide que dépend l'usage des vases.
On perce des portes et des fenêtres pour faire une maison.
C'est de leur vide que dépend l'usage de la maison.
C'est pourquoi l'utilité vient de l'être, l'usage naît du non-être."

- Je crois que c'est effectivement la meilleure façon de terminer !

Hari 

PS: Ah oui ! j'oubliais le titre: pourquoi "l'insoutenable légèreté de l'être" ?

Je repensais à Alain Connes commentant sa discussion avec J-P Changeux au sujet de la question de savoir si les maths préexistent au Sujet, ou s'il les détermine. Comme toujours, s'il y a discussion entre deux points de vue parfaitement défendables, c'est que la question elle-même n'a pas de sens; ou plus précisément que les deux options inconciliables sont exprimées à un niveaux Imaginaire Ik qui peut être dépassé en Ik+1. Ici, bien entendu, c'est l'existence du Sujet qui pose question... 

Ce qui te renvoie à Lao Tseu ou Shakespeare selon ton humeur, et à cette idée (si elle a un sens !), que le Sujet lui-même ne serait qu'un "topos vide", ou un repli de la vie s'attardant un "moment" avant de s'effacer "comme à la limite de la mer un visage de sable"...

Note du 29/ 04/ 2019

- Dans mon semi-sommeil ce matin, je m'amusais à l'idée d'un Sujet représentable par un "topos vide", jusqu'à ce qu'un vendeur me sonne au téléphone.

- Tu ne vas pas remettre ça, occupe-toi déjà de comprendre de quoi tu parles.

- Oui, oui, mais j'aime bien bousculer un peu les idées neuves qui me trottent dans la tête, comme on roule un choupa chups sous la langue jusqu'à sucer le bâton.

Je n'ai trouvé aucune référence à un "topos vide", mais imaginons que la catégorie en soit l'objet vide, et la topologie associée n'importe laquelle; la seule condition étant que le Sujet puisse en imaginer une, et donc ait franchi le stade du miroir lui permettant de se "représenter", autrement dit adopter un point de vue local ou global sur lui-même; en bref imaginer une "topologie".

Comment avons-nous démarré "L'Homme quantique" ? Par l'idée de dichotomie de Lévi-Strauss: tout concept se présente par paire d'opposés, ce qui implique le tiers exclu.

Avec ce que nous avons appris depuis, tu vois tout de suite qu'il s'agit là d'un Imaginaire très élémentaire, qui peut se développer entre I1 et I01. Et en ce sens très profond de notre entendement, la logique telle que nous la tenons des Grecs, et avant eux des peuplades dites "froides" au sens de Lévi-Strauss, d'avant même la période historique, peut être vue comme fondamentalement primitive.

Et donc, cette simple opposition élémentaire, nous apparaît maintenant comme un désir de symétrie. Or, si la dichotomie s'installe comme une opposition dialectique, c'est-à-dire un concept synchronique, la symétrie, qui appelle la dissymétrie, installe une dynamique par essence diachronique:

  • Le concept synchronique en Ik,
  • Se déconstruit en Ik-1 en deux concepts antagonistes.

Tu peux comprendre :

  • Le passage Ik => Ik-1 dans les termes de la mécanique quantique : intrication => décohérence; avec au passage une indétermination;
  • Le chemin inverse Ik-1 => Ik comme l'émergence en Ik d'une quantité ou d'un concept qui se conserve.

Tu vois donc de quelle façon nous prolongeons l'approche de Lévi-Strauss en définissant un nouveau paradigme, en rupture avec une logique du premier ordre qui doit être regardée comme une régression au stade de la pensée primitive.

- Pas sûr que toute notre élite dirigeante si férue de logique soit enthousiaste à l'idée d'être réduite à la pensée primitive....

- Peu importe, mais regarde au plus près du Symbolique.

Nous retrouvons évidemment tout ce que nous avons déjà présenté à partir de Lacan et du Sujet résultant de la décohérence d'un objet Symbolique qui serait Sujet ∪ Autre (voir le schéma en L).; mais nous pouvons préciser le mouvement en parlant d'une rupture de symétrie entre Sujet/ Autre, qui s'initie précisément au stade du miroir...

Maintenant, avec cette idée d'un Sujet qui serait une simple projection, tu vois que nous avons tout loisir d'imaginer ce complément de symétrie au Sujet !

- Tu en reviens à Aristophane expliquant au cour du Banquet que l'homme originel a été coupé en deux. 

- Oui, bien sûr, mais tu vois que la dynamique de cette recherche perpétuelle de l'Autre pour satisfaire son désir dépend bel et bien de l'acte initial des Dieux, qui est la rupture de symétrie en elle-même, et toute l'histoire gagne en clarté à être vue de ce point de vue quantique.

Si j'avais l'esprit religieux, je pourrais également enrichir toute  théologie que tu me présenterais en adoptant ce point de vue.

Si j'étais idéologue, je pourrais construire le rapport "peuple" / "citoyen" selon le même schéma.

Si j'étais Jungien, je reconstruirais selon le même schéma le concept d'archétype;

- En bref, tu peux dire tout et n'importe quoi !

- Bien entendu, puisque étant ce topos vide, je peux définir ma propre topologie pour y inscrire un objet vide qui m'échappe.

  • Le référé m'échappe toujours, puisque localement, en I'm je suis en position ex ante par rapport à ce que je cherche à définir;
  • Néanmoins, le langage que j'emploie globalement, en Im, le champ lexical aussi bien que syntaxique me servant à construire mes théories le concernant, ne dépendent que de moi (i.e.: en parlant je suis en position ex post par rapport à ma représentation)!

- Ton topos nous ramène juste au stade du miroir, il n'y a là rien de neuf.

- Mais puisque je te dis que je m'amuse de cette idée, comme d'un bonbon dans la bouche !

Il n'empêche que tous mes délires gardent la même structure tripartie d'Emmy Noether: concept/ symétrie/ indétermination

...

- Réflexion faite, l'intérêt de l'approche, c'est que toute théorie émise par le Sujet gardant la forme d'un topos, la seule question qui vaille, c'est de s'assurer que la logique propre au discours est compatible avec celle du Sujet.

- Je ne te suis pas.

- Souviens-toi de cette scène du film "Ridicule", au cours de laquelle un petit prêtre fait le beau devant le roi, en développant une thèse prouvant l'existence de Dieu, au grand plaisir du monarque. Puis, voulant faire le bel esprit, il déclare qu'il pourrait tout autant démontrer l'inverse, à la fureur du roi, ce qui lui vaut immédiatement sa déchéance.

- Oui, une très belle scène d'anthologie, et ?

- Eh bien ce prêtre est faux.

- Mais cela, nous le savons...

- Certes, mais nous avons d'autres mots, plus profonds, pour le dire: la logique qu'il utilise dans son argumentaire ne colle pas à la logique qu'il est sensé incarner dans son rapport à Dieu. Fausseté qui n'échappe pas au roi.

L'élégance de la pensée tient à sa simplicité et sa congruence, quelque soit l'échelle de l'observation, que l'objet du discours soit petit ou élevé.

- En bref la beauté d'un homme serait analogue à celle d'un chou de Mandelbrot ?

- En quelque sorte, ce qui donne une autre image que Gainsbourg, de l'homme à tête de chou !

 

Note 0

C'est proprement ce "lit à deux places" dont parle Grothendieck, où couchent ensemble éléments discrets (que je comprends comme se référant à l'objet final) et éléments continus (se référant quant à eux à l'objet initial).

Note 1

J'y reviens périodiquement sur ce blog.

Voir :

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