Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...
21 Juin 2015
Je voudrais vous montrer en quoi ce symbole sexuel nous offre une métaphore tout à fait pertinente de la dynamique de notre modèle "sénaire" (note du 11/09/2019) qui radicalise dans sa structure une différence essentielle entre un "niveau synchronique" et un "axe diachronique".
Nous avons déjà vu en détail que la représentation d’un mouvement physique, par exemple, met en jeu le couple d’espace (synchronique) et de temps (diachronique).
Mais au-delà de cette simple cinématique, nous nous appuyons instinctivement sur le même type de dualité pour exprimer la dynamique même qui permet ce mouvement.
C’est ce que donne à voir très explicitement le symbole dual Linga & Yoni.
En effet il y a dans l’acte sexuel, un dépassement de deux principes antagonistes/ complémentaires pour donner vie à une nouvelle entité qui transcende ses géniteurs. La grande différence entre ce symbole hindou et le Yin-Yang, est la dissymétrie entre le rôle des deux sexes. Le Yoni est une coupe, un réceptacle où l’eau s’écoule, toujours en mouvement, mais toujours la même. J’y vois une circulation sans fin, et vous l’aurez compris, sans doute : le symbole de "l’automatisme de répétition". Le Linga, au contraire, est dressé dans le Yoni, mais cette érection n'existe que dans la répétition de l’acte et ne trouve sa justification que lorsque la répétition prend fin, transcendée par la jouissance… Pas besoin de vous expliquer en détail, n'est-ce pas? Ce qu’exprime très bien le serpent dressé : posture nécessitant cette assise stable, que lui offre sa queue lovée en cercles horizontaux.
Il y a donc, au-delà de leur complémentarité, symbolisée dans le Yin / Yang, une dissymétrie fonctionnelle entre les deux principes féminin / masculin à laquelle peuvent se rattacher nombre de connotations culturelles et sociales; développées par nos civilisations, au fil des millénaires.
Je pense (mais cela demanderait à être développé en détail, bien entendu) que notre imaginaire s’enracine dans nos pulsions primaires qui conditionnent notre rapport à l’autre, bien avant l’avènement de toute pensée consciente, jusqu’à structurer notre cerveau limbique, et conditionner de nos jours, notre "préconscient". La symbolique sexuelle que nous évoquons ici serait alors une "prise de conscience", une "intellectualisation", une cristallisation Imaginaire (parmi tant d’autres) de ce mystère qui nous a marqués dans notre chair bien avant que nous puissions en parler.
Ensuite, la filiation qui porte ainsi de notre nature de mammifère, à la pensée mythique, est en fait assez simple à établir, en nous appuyant sur la "forme canonique des mythes", que Lévi-Strauss a pu mettre en évidence systématiquement dans tous les mythes qu’il a étudiés, et relatés dans ses « Mythologiques » ; car je pense avoir montré dans "L’Homme Quantique", de façon assez simple pour que cela paraisse évident, que ladite forme canonique se ramène in fine à la mise en relation de deux principes conjoints, synchronique et diachronique, par un orateur en position ex ante.
Pour prolonger cette réflexion, je voudrais montrer ici que cette dynamique, ainsi repérée dans une pensée très ancienne, se retrouve inchangée dans notre mode de penser moderne. Je prétends en effet possible d’en suivre les multiples avatars depuis les premiers pas de la physique, jusqu’à la physique actuelle. N’y voyez aucune prétention à construire cette « théorie unitaire », dont rêvent les physiciens. Mon objectif est tout autre : si je peux montrer une telle stabilité dans nos représentations, par-delà les siècles, alors, c’est que le "Monde physique", tel que je me le raconte ici et maintenant, grâce à tout ces génies sur les épaules desquels il faut se hisser pour y arriver, garde la trace de sa propre nature. C’est dire que nos théories racontent notre façon d’appréhender le Monde, et non le "Monde en soi", objet idéal coupé du sujet… La seule différence avec la pensée mythique étant que le savant saute le pas, et parle en position ex post après avoir longtemps tourné en rond, quand le griot reste prudemment en position ex ante. Et la succession de ces basculements intellectuels ex ante / ex post / ex ante… rythme la marche du progrès.
Comme en tout, il nous faut revenir aux Grecs, qui faisaient une différence entre deux types d’énergie que l’on retrouve dans l’étymologie des mots que nous employons pour en parler. En grec ancien, le terme d’énergie ou « ένέργεια / enérgeia » signifie « force en action » et s’oppose à « δύναμις / dýnamis » signifiant « force en puissance ». Il y a cette idée que « quelque chose est là » (la force en action, actuelle), une source dans laquelle il faut puiser pour initier ou transformer un mouvement, une évolution ou une mutation, qui reste potentiel en attente d’actualisation (note du 19/04/2020). Toutefois, même si les Grecs trouvèrent les mots grâce auxquels nous l'exprimons, le mystère reste entier, quant à cette aspiration au changement. Interrogation que l’on retrouve inchangée au temps où Jansénistes et Jésuites s’entre-déchirent autour des questions de la grâce et de la liberté.
Le premier principe, c’est que cette « énergie » disponible, nécessaire à l’action est déjà là, et qu’elle se conserve, c’est le principe d’inertie de Galilée (dont je prétends que l’automatisme de répétition est la version psychique.) Nous le retrouvons dans cette eau qui coule sans fin du Yoni des Hindous.
En termes de physiciens, cette première énergie, c’est l’énergie cinétique (Ec = 1/2 mv2) et Galilée nous dit qu’en dehors de toute intervention extérieure, elle se conserve (la vitesse d’un objet laissé à lui-même reste constante). Il faut remarquer, que si l’on appelle Ik le niveau Imaginaire à partir duquel nous pouvons concevoir l’espace, il nous faut un saut diachronique (associé au temps) pour repérer une vitesse, en Ik + 1. Nous avons déjà vu ceci à propos du principe d’incertitude d’Heisenberg. C'est-à-dire que l'énergie ne peut s'Imaginer qu'en Ik+1, comme la vitesse.
Maintenant, qu’en est-il de la « force en puissance » ? La physique à repris de façon fort judicieuse le terme de « potentiel ». Imaginez un instant un poids suspendu à 1 m au-dessus du sol par une ficelle : il contient « potentiellement » l’énergie qui le ferait tomber au sol si je coupais la ficelle. Et cette énergie, dans l’actualisation du mouvement se transformerait en énergie cinétique. Pour « imaginer » cette énergie, il me faut faire un saut diachronique, qui me porte de la représentation de l’énergie cinétique précédente (en Ik + 1) en Ik + 2, où je repère l’accélération.
Vous voyez, je l’espère maintenant, l’évolution de notre regard, passant de la représentation du mouvement (cinétique) entre les concepts synchronique (espace en Ik) et diachronique (temps entre Ik et Ik + 1) ; à la dynamique qui se représente comme un échange entre énergie cinétique / synchronique (en Ik + 1) et énergie potentielle / diachronique (entre Ik + 1 et Ik + 2). (nota du 21/12/19).
Et c’est à Maupertuis que revient l’honneur d’avoir énoncé le principe de moindre action en 1744 :
"L’Action est proportionnelle au produit de la masse par la vitesse et par l’espace. Maintenant, voici ce principe, si sage, si digne de l’Être suprême : lorsqu’il arrive quelque changement dans la Nature, la quantité d’Action employée pour ce changement est toujours la plus petite qu’il soit possible."
L’expression de l’action « S » dont parle Maupertuis est la suivante :
où t est le temps et V la variation de potentiel.
Mais par-delà le formidable saut intellectuel que représente cette équation fondamentale en physique, nous retrouvons bien cet échange entre concepts complémentaires pour initier un changement.
L’équation de Maupertuis, cette pierre angulaire de la physique, reste malgré tout une théorie, un récit Imaginaire. C’est-à-dire, une hypothèse, un regard porté sur l’Univers, mais en aucun cas une « explication ». Certes, toutes nos observations nous y ramènent, ce qui lui confère sa stabilité, qui nous fait y voir le "Réel en soi", tel qu'il est. Et pourtant, ce n’est en aucune façon une « explication dernière » du pourquoi des choses. En ce sens, nous sommes tout à fait fondés à y voir une représentation Imaginaire, d’un symbole toujours hors d'atteinte. De même que notre image du Linga & Yoni n’est qu’une simple reflet du principe qu’elle représente… sans l'épuiser.
J’ai présenté plus en détail cette approche de la dynamique dans "L'Homme Quantique".
Il nous resterait à détricoter tout l'histoire de la physique qui mène de ce point de départ aux équations modernes de la physique. Exercice un peu ardu (que je devrais bien vous exposer un jour, ou pas) et nous verrions encore, dans l’équation de Schrödinger ou le « bra/ket » de Dirac, cette dualité inchangée depuis la nuit des temps entre principes synchronique et diachronique, exprimant là comme ailleurs, notre nature de mammifère.
Question : quelle pourrait être la théorie physique d’un organisme doué d’intelligence se reproduisant par scissiparité ?
Sur cette intéressante question, je vous laisse à votre méditation.
Hari
nota: Pour aller plus loin:
1/ La discussion que j'entame ici sur une différenciation de type synchronique / diachronique entre deux types d'énergie (cinétique et potentielle) se repercute entre masse grave et masse inerte. Nous en avons déjà discuté sur ce billet : "la gravité une question de poids". Mise en perspective ouvrant sur d'autres considérations très actuelles abordées dans cet autre billet: "La cosmologie noire, une question de taille".
2/ J'ai également tenté de montrer que cette appréhension graduelle de la réalité, en stratifiant nos représentations Imaginaires, se retrouve dans notre façon de construire les mathématiques, dans 3 billets : "Regard entropologique sur les maths", avec les suite 1 et suite 2.
3/ En ce qui concerne l'utilisation de la forme canonique des mythes, voir par exemple comment je l'utilise pour porter le théorème de Noether d'un niveau physique à un niveau supérieur, "méta-physique": passant de l'incertitude en mécanique à la liberté humaine: "l'escalier fractal de Noether".
nota du 11/01/2017 :
Voir surtout un billet beaucoup plus récent, où je reprend la présentation faite dans l'Homme Quantique : "Le mythe de la potière jalouse".
Je vois que cet article est encore lu, aussi dois-je indiquer avoir abandonné depuis la structure abélienne à laquelle je me réfère ici. Voir :
Ceci dit, on peut continuer à y voir une forme élaborée de la pensée, qu'il est possible de décomposer en éléments plus simples.
Dire ceci bien entendu, ruine l'espoir qu'Abellio mettait dans cette structure, puisqu'elle n'est plus irréductible ainsi qu'il le pensait, et n'a rien "d'absolu".
Bien entendu, j'ai un peu évolué depuis l'écriture de cet article. Sur la mécanique classique, voir les articles:
Le point important est que le concept de temps évolue d'un niveau Imaginaire à l'autre, voire même lorsque le Sujet passe d'un discours "local", rapporté en I'm à global, rapporté en Im. La distinction entre I'm et Im nécessitant à son tour d'avoir fait la différence entre pensée rationnelle "logique" et "topologique". Voir
Il en est de même du concept d'espace...
C'est dire que l'enchaînement des sauts défini dans cet article de Ik/Ik+1 à Ik+1/Ik+2 est beaucoup plus riche que de passer de la vitesse à l'accélération.
Toutefois, le sens général de l'article reste encore pertinent ! Ouf...
- Il faut bien reconnaître que j'ai inventé cette filiation qui remonterait jusqu'aux Grecs. En fait, le terme d'énergie potentiel est introduit par Lagrange, et son approche est tout autre. Voir :
Ceci dit, l'évolution de mon propre regard sur le sujet me permet de confirmer l'importance de la place du Sujet dans l'énoncé d'une théorie.
Cet article témoigne donc de ma propre évolution: je n'ai pu arriver à ma compréhension actuelle, qu'en empruntant ce chemin qui s'efface avec le temps. Cinq ans, c'est long !
- Mais que devient ce symbole Linga/ Yoni ?
- Avec mon regard d'aujourd'hui, je dirais qu'ils sont les deux faces d'une même pièce, comme Janus au deux visages, ou le Yin/Yang et que le mouvement qui me fait passer de l'un à l'autre est la cause même d'un mouvement physique, qui "en soi" n'existe pas hors de ma pensée. La conscience du mouvement vient de mon incapacité à "comprendre" un Réel qui m'échappe.
Les mouvements, l'impermanence des choses, comme les transformations de Fushi, sont les reflets mondains de nos propres mouvements de pensée, la trace de notre existence...