Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...
30 Septembre 2020
- Jusqu'à présent, j'ai soigneusement évité de me référer à un quelconque courant de cette tendance philosophique, en empruntant le terme d' "entropologie" à Lévi-Strauss. Terme qu'il utilise dans "Triste Tropiques" et que personne n'avait repris; sa virginité me permettant ainsi de caractériser d'une étiquette sans connotation ma propre démarche.
Pour explorer la façon que le Sujet a de s'explorer lui-même, je suis parti du langage, et plus particulièrement de ses structures les plus primitives, que je me suis attaché dernièrement à retrouver dans le langage mathématique des catégories; pour, avant de m'attaquer au Sujet lui-même, tester mon approche sur la façon que nous avons de nous représenter les Objets, et donc, sur la physique.
Ce questionnement sur les structures du langage passe par Saussure, Lacan, Foucault, Lévi-Strauss, après un long détour par Abellio, et tu l'auras compris nous sommes dans ce que l'on étiquette un peu vite de "structuralisme". Ma façon de "tuer le père" a pris racine dans une remarque de Derrida, faite lors d'un colloque à Cerisy : "mais comment structurez-vous la genèse de vos structures ?". Question qui rejoint l'incomplétude fondamentale de tout langage rationnel (Russel puis Gödel), et porte la nécessité d'en référer en dernier ressort au "Sujet" et à son intention derrière la parole donnée.
Le chemin est long, il m'a poussé à explorer des voies absolument nouvelles pour moi, car je tenais à éprouver mes hypothèses dans les champs les plus avancés de la physique, ce qui passe nécessairement par la relativité et la mécanique quantique.
Or cette dernière nous parle du rapport du Sujet à l'Objet, et là, qu'on le veuille ou non, nous retombons sur un questionnement phénoménologique.
- Tu ne vas pas te lancer là-dedans, alors que tu n'en es qu'à tes balbutiements en maths comme en physique ?
- Je n'en ai ni le courage, ni certainement le temps, qui m'est compté, mais ce que j'ai compris ces jours-ci, de la physique quantique particulièrement, me semble susceptible de retenir l'attention de qui s'en préoccuperait. C'est donc une bouteille à la mer que je jette ici, pour qu'elle soit reprise, ou pas.
Je n'en sais pas plus sur cette phénoménologie que ce qu'en dit Wikipedia; et si tu le permets, je m'en contenterai dans cet article. Les racines de cette approche seraient donc à rechercher chez Kant, dans un chapitre de sa "Critique de la raison pure" qui devait primitivement s'appeler "phénoménologie", titre qu'il a remplacer par "esthétique transcendantale". J'en retiens ceci :
"La thèse de Kant est qu'il existe seulement un cadre a priori dans lesquels les objets peuvent nous "faire encontre" et qui permet leur représentation. Ce cadre qui n'est autre que la structure de notre connaissance va ouvrir la possibilité d'une connaissance universelle".
- Tu retrouves l'idée de JP Changeux selon qui la "prise de conscience" est la rencontre entre un "percept" venant de nos sens, et un "concept" déjà intériorisé dans notre cortex.
- Oui, bien entendu, JP Changeux apporte les précisions du neurologue quand au mécanisme interne du cerveau qui est en jeu, et rejoint l'a priori du philosophe.
Mais ce que je voudrais montrer ici, c'est que cette approche me semble confortée par ce que nous apprenons ces temps-ci de l'expérience en physique !
- Tu vas nous parler des observables ?
- Sur un point particulier que j'ai retrouvé dans la lecture de Dirac, et qui me semble d'une grande portée. Je te rappelle le texte donc nous avons déjà discuté (voir : "Les représentations du Sujet"):
"Another assumption we make connected with the physical interpretation of the theory is that, if a certain real dynamic variable ξ is measured with the system in a particular state, the states into which the system may jump on account of the measurement are such that the original state is dependant of them." p. 36
En termes plus littéraires : l'idée que tu te fais d'un Objet (le système en observation) est déterminée en fonction des critères (les valeurs propres du système) définis par tes moyens d'observation (the states into which the system may jump).
- Ça paraît assez banal: tu vois ce que tu t'attends à voir.
- Non, c'est plus fondamental que ça : au-delà de ce que tu vois, l'objet est déterminé par ce que tu vois. Il y a un renversement du principe de causalité tel qu'il est pensé par le physicien :
ce n'est pas l'objet qui détermine ce que tu vois, mais ce que tu vois qui détermine l'objet.
Autrement dit, il n'y a pas d'objet "en soi" mais "pour toi" : tu n'as aucune "expérience" du Réel, tu es tout entier dans ton Imaginaire.
- C'est Kafka ton truc !
- Un peu, oui; d'ailleurs Jean-Sol Partre n'est pas d'une gaieté folle...
- Mais alors, il y a un paradoxe à nous convoquer ici pour nous parler de phénoménologie quand la première chose que tu fais est de réfuter Husserl, dont le projet était, si j'ai bien compris, d'appréhender l'Objet "en soi", au-delà de toute approche naturaliste ?
- Oui et non. Il se plante totalement quant à son objectif, cependant, la notion d'une "approche transcendantale", que je comprends comme la connaissance de seconde espèce de Spinoza, est tout à fait pertinente. Nous avons déjà bien cerné les limites de l'approche purement Cartésienne (voir "Le cogito Cartésien"). Je le verrais comme le pôle complémentaire de Descartes: le premier a une approche purement immanente, le regard tourné vers l'objet final, Husserl purement transcendant, se tourne vers l'objet initial d'où tout découle.
En ce sens, le concept d'intentionnalité est tout à fait pertinent ! En effet, si tout peut advenir à partir de l'objet initial, ce qu'il advient effectivement, ne peut être que le fait du Sujet, autrement dit dans la mesure où il suit telle ou telle voie. Le premier axiome, le plus discuté, et pour cause, en mathématique est précisément l'axiome de choix.
- OK, mais pourquoi secouer ce cocotier un peu vermoulu ?
- Sans doute pour en revenir à Kant.
Toujours pour mieux le comprendre, avant de m'adresser directement à lui, j'ai revu hier une interview d'Alain Connes par Anatole Khelif et Stéphane Dugowson (voir "qu'est-ce que la géométrie non-commutative ?"), et je me suis arrêté à son rappel d'une expérience très célèbre d'Alain Aspect concernant les fentes de Young.
Pour mémoire, en 1801, Thomas Young fait cette expérience pour la première fois pour déterminer si la lumière est un phénomène corpusculaire ou ondulatoire. La présence de franges d'interférence montrait le caractère ondulatoire de la lumière. Lorsqu'en 1900 Planck, puis Einstein en arrive à déterminer son caractère corpusculaire, la question rebondit : comment se comporte un unique photon (ou électron, c'est plus commode) projeté à travers le dispositif de Young ? Je te passe l'histoire que tout le monde connaît: c'est celle de la physique quantique.
Maintenant, et c'est là qu'intervient Alain Aspect: qu'arrive-t-il si je décide a posteriori de savoir si l'électron passe par telle ou telle fente ?
- Précise pour ceux qui débarquent.
- Revois la présentation d'Alain Connes à 39'45" il est très clair. L'expérimentateur peut se décider à connaître ou non si l'électron passe par une fente ou l'autre après que le phénomène ait eu lieu (s'il a lieu).
- Et le résultat ?
- Et bien, s'il décide de connaître la position de l'électron (fente droite ou gauche), la distribution des impacts sur la cible est de type corpusculaire (pas d'interférence), s'il décide de ne pas savoir, il y a interférences.
Là encore, il y a inversion de la causalité ! La décision, ou le choix du Sujet détermine a posteriori, ou rétroactivement la nature de l'Objet.
- Mais enfin, le Sujet n'a aucune possibilité d'agir sur l'objet juste par la puissance de sa pensée ?
- Je suis d'accord avec toi, mais alors, il faut bien en conclure que ce qui nous sert de référence pour prendre conscience des objets, à savoir le temps et l'espace, se réfère à notre façon de penser et non à la nature des choses, et là c'est du Kant pur jus !
- Ceci dit, c'est l'essence de ta démarche consistant à repérer le plus précisément possible la place du Sujet dans son propre discours.
- Oui, et cette expérience me semble déterminante:
tu ne peux pas expliquer l'influence du Sujet sur la détermination de l'Objet en n'introduisant pas une description du Sujet dans la physique elle-même.
- C'est une déclaration pro domo...
- Elle n'est pas superflue. Le physicien n'arrête pas de se heurter à la définition du temps, nous l'avons souligné ici à maintes reprises. Le mathématicien lui-même est empêtré dans cette expérience intime que la succession des choses se déroule "dans le temps". Là, dans cette expérience qui relève de la physique quantique, la question nous revient dans la figure sans possibilité de l'éviter.
Bon, je te laisse y méditer à loisir, nous y reviendrons bien entendu...
Hari